Conclusion générale

Les glissements tarifaires susceptibles de se produire dans la gamme tarifaire des réseaux de transport public urbain lors de la modification d’un titre existant ou lors de l’introduction d’un nouveau titre constituent des enjeux importants en termes d’évolution des recettes et de la fréquentation. Pourtant, ces enjeux sont souvent mal estimés à l’avance car les comportements des clients confrontés au choix d’un titre restent mal connus, peu d’études ayant été menées à ce sujet, ce qui constitue un frein à toute modification importante de la gamme. Notre travail vise donc à explorer ces comportements de choix, afin d’une part de mettre en évidence leur diversité, et donc la multiplicité des réponses comportementales des individus à des évolutions de la gamme, et d’autre part d’étudier l’intérêt de l’introduction d’un titre nouveau dans la gamme, le titre Fidélité, se situant à des niveaux intermédiaires de mise de fond et de prix du déplacement. Pour y parvenir, nous avons orienté notre recherche selon les deux questions suivantes : quels sont les facteurs expliquant le choix d’un titre de transport ? Quel est le poids respectif de ces différents facteurs pour des segments de clientèle à définir ?

Pour répondre à ces questions, nous avons procédé de manière empirique, par l’intermédiaire de deux enquêtes, réalisées auprès de la clientèle “grand public” du réseau de transport en commun lyonnais. Le choix du site lyonnais repose sur l’intérêt du groupe Kéolis et sur notre insertion au sein de la Société Lyonnaise de Transport en Commun qui nous a permis de bénéficier de l’expérience de l’entreprise en matière d’enquête, ainsi que d’informations déjà disponibles concernant la clientèle. Nous avons choisi de restreindre notre champ d’étude aux seuls clients de la gamme “grand public”, utilisateurs des titres suivants : ticket unité, carnet de 10 tickets tarif normal et abonnement mensuel. Les raisons de ce choix reposent sur le constat qu’il s’agit d’un segment de clientèle sur lequel on dispose de peu d’informations. En effet, les études menées par les réseaux se sont généralement focalisées sur des segments plus spécifiques, les étudiants ou les seniors par exemple. Pourtant, les clients “grand public” représentent une part importante des recettes (65%) et des déplacements (41%), la révélation de leurs préférences en matière de choix d’un titre de transport constitue donc un enjeu important. De plus, une multiplication des clientèles enquêtées entraîne une complexification du processus d’enquête, de la construction des questionnaires à leur passation, ce qui accroît d’autant le risque d’erreur. Enfin, notre budget étant limité, nous ne pouvions nous permettre de trop étendre la population enquêtée, au risque de ne plus pouvoir analyser finement les différents segments.

La première enquête a été réalisée auprès de 600 clients. Par l’intermédiaire de questions portant sur les avantages et les inconvénients attribués par ces clients au titre qu’ils utilisent actuellement, cette enquête nous a permis de mettre en évidence que les principaux facteurs expliquant le choix d’un titre de transport sont :

Nous avons ensuite réalisé une seconde enquête auprès de 800 clients du réseau afin de déterminer le poids de ces facteurs explicatifs du choix pour des segments de clientèle homogènes à définir. Nous avons choisi d’utiliser la technique d’enquête dite des préférences déclarées car elle nous semblait particulièrement adaptée à cet objectif. En effet, cette méthode permet d’explorer le comportement des clients dans les situations que chacun d’eux ne rencontre pas réellement dans la vie, mais proches de celles qu’il a pu vivre. Les personnes interrogées sont placées dans une situation hypothétique et confrontées à une série d’options fictives (mais réalistes par rapport à la situation qu’elles connaissent). Chaque option constitue une combinaison d’attributs du produit ou service étudié. Les personnes interrogées doivent indiquer ce qu’elles choisiraient dans la réalité, elles doivent déclarer leurs préférences (Gayda, 1994).

L’intérêt principal de cette méthode d’enquête par rapport à notre questionnement initial réside dans le fait que l’on peut tester des alternatives qui n’existent pas dans la réalité, ce qui n’aurait pas été possible avec une enquête de préférences révélées, s’appuyant sur les choix faits par les individus dans la réalité. Cet avantage de la méthode des préférences déclarées nous a donc permis d’étudier l’impact d’un titre se situant à des niveaux intermédiaires en termes de mise de fond et de prix du déplacement (du type abonnement à la consommation comme cela existe déjà dans différents domaines, l’électricité, le gaz, le téléphone etc.) afin d’évaluer les arbitrages existant entre ces deux aspects du tarif. Nous faisons l’hypothèse que ce sont les arbitrages des clients entre ces deux composantes du tarif qui peuvent expliquer pourquoi une partie des utilisateurs de tickets à l’unité ou de carnets de 10 tickets ne choisit pas plutôt l’abonnement mensuel malgré une mobilité en transport en commun importante (ils ne peuvent ou ne veulent pas avancer une somme importante correspondant à l’abonnement, mais préfèrent payer de petites sommes au coup par coup), et pourquoi certains abonnés préfèrent conserver l’abonnement plutôt que d’acheter des carnets de 10 tickets pourtant plus rentables sur le plan financier pour une mobilité moyenne en transport en commun (ils préfèrent avancer une somme forfaitaire élevée, et ne plus avoir à se préoccuper d’acheter un titre le reste du mois). La méthode des préférences déclarées présente également l’avantage de reposer sur un corpus analytique développé (autour du modèle de choix discret) et permet d’aboutir in fine à des estimations de parts de marchés pour les alternatives fictives que l’on souhaite tester, ce qui était aussi une des finalités de notre travail.

L’analyse des réponses des personnes enquêtées aux marchés hypothétiques qui leur étaient proposés permet de mettre en évidence de nombreux résultats, sur deux plans :

Nous rappelons le caractère exploratoire de notre démarche, qui implique que nous envisageons aussi ce travail comme une capitalisation des connaissances en vue de la réalisation d’autres enquêtes de ce type, ce qui explique que nous nous intéressons tout autant aux résultats méthodologiques en termes de réaction des enquêtés face aux marchés hypothétiques et d’identification de certains biais qu’aux résultats que l’on peut tirer des marchés hypothétiques en terme de compréhension des comportements de choix.

Concernant les résultats de notre travail sur le plan méthodologique, l’étude des réactions des enquêtés face à ce type d’exercice, tout à fait nouveau, montre que cet exercice a été plutôt bien accueilli par les personnes enquêtées, qui ont bien coopéré. Nous soulignons à ce propos le travail qui a été effectué en amont avec le bureau d’étude en charge de la réalisation de l’enquête, travail qui nous a permis de simplifier au mieux l’exercice, en réduisant le nombre de marchés hypothétiques proposés, mais également en présentant l’information de manière synthétique. C’est à notre sens un point essentiel pour la réussite d’une enquête de préférences déclarées, notamment dans le cadre du mode d’administration que nous avons choisi d’utiliser, à savoir un envoi de questionnaire à domicile, puis le rappel téléphonique par un enquêteur afin de recueillir les réponses. Dans le cas d’une enquête à domicile, il est possible de proposer un questionnaire plus lourd, car l’enquêté bénéficie de l’aide de l’enquêteur. Mais dans notre cas, l’enquêté se trouvait seul face aux marchés proposés, et le risque était grand que sa lassitude ou son manque de compréhension de l’exercice ne le pousse à répondre “ni A, ni B”, d’où l’importance de ne réserver ce mode de passation qu’à des situations pour lesquelles les personnes enquêtées ont déjà l’expérience d’avoir eu à faire un choix, ce qui limite cette approche à des cas très concrets.

Concernant la compréhension de l’exercice par les enquêtés, on constate qu’environ un tiers de chacun des segments enquêtés a eu des difficultés pour répondre aux trade-off qui leur étaient proposés. Cela peut paraître élevé, mais la nouveauté de ce type d’exercice pour ces personnes, ainsi que sa difficulté, nous amènent à penser que ce résultat est plutôt satisfaisant. Il est possible que certaines personnes n’aient peut-être pas su répondre sans pour autant le dire à l’enquêteur. Cependant, l’analyse des réponses aux trade-off faites pour chacun des segments enquêtés met en évidence que le nombre de personnes n’ayant pas compris l’exercice est relativement faible (sauf pour les utilisateurs de carnets de 10 tickets pour lesquels elle concerne environ 10% des répondants). Concernant l’intérêt qui a été porté au titre Fidélité, et donc sa pertinence, on note qu’environ un tiers des personnes enquêtées dans chaque segment ont déclaré avoir trouvé ce titre intéressant par rapport à leur situation dans les trade-off proposés. La dissociation entre mise de fond et coût du déplacement se révèle donc pertinente.

Un autre résultat concerne l’existence de certains biais auxquels il faut prêter attention lors de la conception du questionnaire de préférences déclarées. Ainsi, le biais stratégique est très présent, qui consiste, pour les enquêtés, à choisir systématiquement le titre qu’ils utilisent actuellement, sauf lorsque le prix de celui-ci augmente ; ils choisissent alors l’autre titre proposé, ou refusent de choisir (“ni A, ni B”). Cela nous amène à penser qu’il faut être vigilant à l’impact du prix car, outre le fait que le biais stratégique conduit à éliminer la personne qui l’a fait, ce qui réduit d’autant le nombre de trade-off sur lequel se base l’estimation du poids des attributs (et donc la possibilité de segmentation de l’échantillon initiale en fonction de certains critères qui apporte une information très riche), cela peut biaiser l’estimation que l’on fait de la part de marché d’un titre dans le cas où les réponses stratégiques sont “noyées” dans un comportement de choix qui peut paraître logique. Il faut donc, dès l’élaboration du questionnaire, prêter une forte attention aux choix des niveaux de prix qui seront introduits dans le questionnaire. Le point essentiel est de ne pas proposer des niveaux que l’enquêté juge irréalistes par rapport à sa situation (trop élevés ou trop attractifs), ce qui peut paraître de prime abord simple, mais se révèle délicat dès que l’on traite de l’utilisation d’un mode de transport, qui est liée à un niveau de mobilité, différent pour chaque individu, ce qui implique un prix variable par client. Un autre biais important dans notre enquête est celui de rationalisation, certaines personnes enquêtées, en l’occurrence les utilisateurs de tickets unité à forte mobilité, ayant « rationalisé » leur comportement face à l’enquêteur, en choisissant dans les trade-off le titre le plus cohérent sur le plan financier par rapport à leur mobilité (le titre Fidélité) alors qu’en réalité ils choisissent un titre peu adapté à leur mobilité (le ticket unité). Il s’avère que cela a une influence très importante sur le bilan financier du titre Fidélité : ces utilisateurs de tickets unité contribuent aujourd’hui grandement aux recettes, un glissement massif vers le titre Fidélité peut entraîner des pertes financières importantes.

Sur le plan opérationnel, nous avons dans un premier temps pu mettre en évidence, et quantifier, les comportements de choix autres que rationnels du point de vue économique. Ainsi, on constate qu’au moins 40% des abonnés dont la mobilité est inférieure à 13 déplacements par semaine continueraient à acheter l’abonnement même si un titre financièrement plus avantageux pour eux leur était proposé, en raison de certains avantages intrinsèques de l’abonnement. Aujourd’hui, avec la validation de l’abonnement rendue obligatoire à l’arrivée de la billettique sur le réseau lyonnais, cette proportion d’ » inconditionnels » de l’abonnement pourrait toutefois être réduite. De la même manière, 20% des utilisateurs de carnets de 10 tickets dont la mobilité hebdomadaire est élevée (au moins 9 déplacements) continueraient à acheter des carnets de 10 tickets. Ces personnes ont ensuite été réintégrées pour l’estimation du bilan financier de l’introduction du titre Fidélité, car le choix qu’elles font peut être considéré comme logique, même si cela ne relève pas d’une logique économique, et tout à fait réalisable en cas d’introduction du titre Fidélité dans la gamme.

D’autre part, nous obtenons des résultats significatifs quant aux estimations des poids des différents attributs dans le sens où les signes des variables sont conformes à nos prévisions, ces variables étant significatives, et la valeur de la mesure de la qualité de l’estimation, le rhô bar carré, plutôt élevée pour ce type d’enquête. Nous avons ensuite pu enrichir l’analyse en segmentant les échantillons de départ en sous-groupes en fonction de leurs préférences différenciées vis-à-vis des attributs du choix testés. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence 9 sous-groupes, ce qui montre l’intérêt de cette méthode lorsque l’on cherche à étudier la diversité des profils d’un point de vue quantitatif et qualitatif :

Graphique 54 : Typologie des clients enquêtés réalisée à partir de leurs préférences vis-à-vis des différents attributs d’un titre de transport testés
Graphique 54 : Typologie des clients enquêtés réalisée à partir de leurs préférences vis-à-vis des différents attributs d’un titre de transport testés

Sur ces 9 sous-groupes, 4 se sont montrés très intéressés par le titre Fidélité : 

Deux sous-groupes se sont parfois révélés intéressés par le titre Fidélité lorsque celui-ci présentait certains niveaux de prix ou caractéristiques qualitatives. Il s’agit des utilisateurs de carnets dont la mobilité est comprise entre 6 et 8 déplacements (8% des clients « grand public »), qui ont parfois choisi le titre Fidélité lorsque celui-ci avait une durée de validité annuelle, et les utilisateurs de tickets unité dont la mobilité est inférieure à 5 déplacements et régulière (12% des clients « grand public »), qui ont choisi le titre Fidélité lorsque celui-ci présentait l’avantage d’être vendu dans le bus et dans sa formule avec une mise de fond faible mais un prix au déplacement plus élevé (20F + 5.80F le déplacement).

Les autres sous-groupes ne se sont pas montrés intéressés par le titre Fidélité, quels que soient ses niveaux de prix ou ses caractéristiques qualitatives, car le titre qu’ils utilisent aujourd’hui est bien adapté au niveau de leur mobilité et à ses caractéristiques (régularité/irrégularité). Il s’agit des abonnés dont la mobilité est supérieure ou égale à 13 déplacements (6% des clients « grand public »), des utilisateurs de carnets dont la mobilité est inférieure à 6 déplacements (30% des clients « grand public ») et des utilisateurs de tickets unité dont la mobilité est inférieure à 5 déplacements et irrégulière d’une semaine à l’autre (12% des clients « grand public »).

On constate donc une grande diversité de comportement tarifaire entre utilisateurs d’un même titre : les rationalités, qui conditionnent le choix d’un titre plutôt qu’un autre, sont multiples même si une certaine rationalité économique semble dominer, et les préférences pour les attributs du titre nettement différenciées, ce qui induit des réactions face à un nouveau titre difficiles à appréhender sans ces « clés ». Cela montre bien l’intérêt qu’il y a à étudier et à comprendre ces comportements tarifaires. Nous soulignons aussi que ce travail produit des résultats spécifiques au réseau lyonnais,qui ne sont probablement pas généralisables à tous les réseaux du fait de taille de villes différentes, avec des caractéristiques urbanistique et sociologiques différentes. Il serait à ce propos intéressant de mener une étude similaire sur un réseau de transport public urbain plus petit, sans site propre, pour voir si la « palette » des rationalités et des comportements de choix mis en évidence par ce travail est la même, ou si l’on perçoit des différences notables.

De ces estimations des préférences des sous-groupes pour les différents facteurs expliquant le choix d’un titre, nous avons pu déduire l’intérêt que chacun porte au titre Fidélité, ce qui nous a ensuite permis de réaliser le bilan financier de l’introduction du titre Fidélité dans la gamme selon différents scénarios, du plus simple (l’introduction d’un titre Fidélité en complément de la gamme existante) au plus exploratoire (l’introduction d’un titre Fidélité en substitution à un titre ou plusieurs titres de la gamme tarifaires actuelle). Les simulations réalisées montrent que cela conduit à des pertes financières pour le réseau, quel que soit le scénario étudié. Cela tient au fait que pour être attractif, le nouveau titre doit offrir un avantage en terme de prix pour certains clients, même léger, par rapport aux titres existants, ce qui entraîne forcément des pertes de recettes. Un prolongement de ce travail pourrait ainsi consister à optimiser le niveau de prix du titre Fidélité en fonction des objectifs poursuivis. Les scénarios présentant une substitution du titre Fidélité à un titre de la gamme actuelle plutôt qu’un titre Fidélité en complément de la gamme conduisent toutefois à des pertes de recettes moins élevées, car la perte financière sur certains segments de clientèle est en partie compensée par le gain sur d’autres segments. Toutefois ces scénarios de substitution posent la question de la réaction des clients qu’on oblige à utiliser un titre qui leur revient plus cher que le titre qu’ils utilisent aujourd’hui, étant donné leur trop faible ou trop forte mobilité. En effet, on peut raisonnablement penser que ces personnes vont avoir une réaction au prix très forte au moins dans le court terme, qui implique une possible perte de clients, mais dans quelle proportion ? Cette proportion sera-t-elle la même pour les abonnés à forte mobilité et les utilisateurs de carnets de 10 tickets à faible mobilité ? On peut en douter. Ces questions amènent à soulever le problème des élasticités tarifaires aujourd’hui utilisées par les réseaux, qui ne sont plus adaptées au contexte actuel. Nous reviendrons sur ce problème.

Nous pensons également que le fait de ne pas avoir scindé le prix du titre Fidélité en deux composantes indépendantes, mais de proposer des alternatives où ces deux composantes sont liées (par exemple, la mise de fond de 50F est toujours liée à un prix au déplacement de 4.80F) se révèle pénalisant pour réaliser le bilan financier du titre Fidélité. En effet, nous pensons que la double composition du prix a une véritable influence sur le choix fait par une partie de la clientèle au niveau du titre de transport qu’elle utilise, ce qui se répercute évidemment sur les recettes que l’on peut attendre de l’introduction dans la gamme tarifaire de telle ou telle formule du titre Fidélité. Notre essai de dissociation des niveaux de prix donne des résultats mitigés puisque nous pouvons estimer les préférences des individus pour les différentes formules du titre Fidélité pour seulement la moitié des sous-groupes, et qu’aucun coefficient ne peut être estimé pour l’aspect mise de fond et pour l’aspect prix du déplacement à partir de cette méthode.

D’autre part, ce bilan souffre du fait que nous avons limité l’enquête aux personnes ayant entre 21 et 64 ans, afin de s’assurer que les personnes enquêtées ne bénéficiaient pas de réduction sur certains titres (abonnement à 201F pour les moins de 21 ans et les plus de 65 ans), ce qui aurait pu influer de manière indirecte sur les choix faits dans les trade-off proposés, et les biaiser. Or la proportion des moins de 21 ans et surtout des plus de 65 ans n’est pas négligeable parmi les utilisateurs de tickets unité et de carnets de 10 tickets, ce choix se traduit donc par un biais pour les résultats de la modélisation puisque rien ne permet d’affirmer que ces personnes ont les mêmes préférences que le reste de l’échantillon pour les attributs du choix d’un titre qui étaient proposés. Leur intérêt par rapport au titre Fidélité pourrait donc être tout autre que celui exprimé par les 21-64 ans.

Notre travail connaît donc des limites, mais ces limites ouvrent la voie à de nombreux approfondissements et prolongements. Le premier approfondissement viserait à estimer les coefficients des deux composantes du prix. En effet, comme nous l’avons précédemment souligné, nous pensons que la double composition du prix joue un rôle important sur le choix d’un titre de transport pour une partie de la clientèle, ce que confirme l’étude de la dissociation des niveaux de prix du titre Fidélité que nous avons effectuée, qui montre que les « plus mobiles » ont une préférence pour un titre à deux composantes présentant une partie variable (prix du déplacement) faible alors que les « moins mobiles » préfèrent une partie fixe (mise de fond) faible, avec toutefois une exception notable, les utilisateurs de tickets unité très mobiles, qui ont une préférence pour une partie fixe faible. Nous ne pouvons cependant pas aller au-delà de ce constat en calculant des coefficients pour chaque composante du prix. Un approfondissement pourrait donc consister à estimer ces coefficients, par exemple en réalisant une enquête de préférences déclarées dans laquelle deux titres Fidélité différents seraient proposés en substitution à l’abonnement et au carnet de 10 tickets. L’estimation de ces coefficients pourrait se révéler stratégique à moyen terme dans le cadre du déploiement de la billettique. En effet, pour le moment, les gammes tarifaires des réseaux ayant adopté la billettique n’ont pas fondamentalement évolué, mais les attentes des clients et les potentialités de l’outil font que les réseaux pourraient rapidement réfléchir à de nouveaux titres. Or l’intérêt suscité par le titre Fidélité montre que ce type de titre est adapté aux besoins d’une partie de la clientèle, et pourrait potentiellement favoriser une mobilité induite, grâce au faible coût « psychologique » du déplacement supplémentaire. C’est en particulier le cas pour les « petits déplacements », pour lesquels la solution d’une tarification spécifique réduite pose de nombreux problèmes de contrôle, tandis que le prix fort est un obstacle à l’utilisation du réseau. Une évaluation précise des risques financiers encourus avec ce titre se révèle indispensable si l’on veut que les responsables de réseau envisagent un jour de l’introduire dans leur gamme.

Un deuxième approfondissement de ce travail pourrait consister à appliquer le même exercice aux deux clientèles qui n’ont pas été interrogées, les moins de 21 ans, mais surtout les plus de 65 ans qui constituent une partie non négligeable des utilisateurs de carnets de 10 tickets, afin de voir s’ils ont les mêmes préférences que les 21-64 ans au niveau des facteurs explicatifs du choix d’un titre de transport. Selon les objectifs poursuivis par le réseau, on pourrait tester un titre Fidélité ayant des niveaux de prix adaptés à l’univers de choix de ces deux clientèles, ou rester dans une logique « grand public » avec des niveaux de prix adaptés à cette gamme. Cette dernière proposition nous paraît très intéressante afin de montrer qu’il faut dépasser l’idée que seule une action sur les niveaux de prix peut attirer ou fidéliser la clientèle. En effet, un titre bien adapté, en termes de modalités d’usage, à certains besoins peut, à notre avis, se révéler tout aussi attractif ; l’étude de l’intérêt d’un titre à un niveau de prix « grand public » pour des segments de clientèle bénéficiant traditionnellement de réductions sur certains titres constituerait de ce point de vue une démonstration de cette hypothèse, et donc un gisement pour les futures réflexions des réseaux par rapport à des modifications de leur gamme tarifaire.

D’autre part, le déploiement de la billettique dont nous venons de parler pourrait conduire les réseaux à s’intéresser à la méthode des préférences déclarées qui se révèle adaptée à l’étude des préférences des individus vis-à-vis des différents attributs d’un titre de transport et à l’analyse de l’impact de nouveaux titres. Une meilleure connaissance des comportements peut en effet permettre « d’imaginer » de nouveaux produits tarifaires allant dans le sens d’une fidélisation de la clientèle existante et d’une attraction de nouveaux clients, à l’instar de ce qui se passe dans le transport aérien. Certes, cette méthode doit être restreinte à des cas concrets et bien circonscrits si l’on veut utiliser un corpus analytique relativement simple, et faire l’objet d’une forte attention lors de la construction du design, mais les résultats qu’elle fournit sont des informations précieuses qui peuvent guider les modifications que l’on veut apporter à la gamme à une petite échelle (par exemple, les résultats de notre enquête montrent que, sur le réseau lyonnais, il n’est pas nécessaire de développer les lieux d’achat pour les titres de la gamme » grand public », mais que l’attention doit plutôt se porter vers des avantages en terme de durée de validité) comme à une plus grande échelle (introduction de titres innovants). Nous soulignons toutefois à ce propos la nécessité de disposer préalablement à la construction du questionnaire de préférences déclarées d’un certain nombre d’informations sur le comportement actuel des clients (niveau de mobilité par titre par exemple), ce qui montre bien la complémentarité existant entre les données issues d’enquêtes de préférences déclarées et les données issues d’enquêtes de préférences révélées.

Enfin, notre travail s’appuie sur une élasticité au prix de –0.3, couramment utilisée par les réseaux de transport public urbain. Ce chiffre, dont nous avons précédemment souligné l’ancienneté et l’inadéquation au contexte institutionnel, social et urbanistique français, présente le grand inconvénient de ne pas prendre en compte les comportements tarifaires très différents que nous avons mis en évidence entre les catégories de clientèle (les réguliers/irréguliers, les assidus/occasionnels...). La « mise à jour » de ces élasticités tarifaires nous semble pour toutes ces raisons un point essentiel si l’on veut « donner du sens » à l’usage de cet outil, produire des analyses plus riches et plus pertinentes face à la diversité des réactions potentielles de la clientèle, et donc se donner les moyens d’être plus ambitieux en matière de tarification. La récente étude publiée par le FIER permet de disposer de premières informations sur les élasticités croisées au sein de la gamme tarifaire, en distinguant les effets de court terme et de long terme, mais il n’a pas été matériellement possible d’intégrer ces résultats dans nos simulations financières. Notre travail confirme que les comportements tarifaires sont loin d’être uniformes, les préférences des individus pour tel ou tel attribut du titre, et les rationalités sous-jacentes (souvent méconnues dès que l’on sort du champ de la rationalité économique), varient considérablement entre utilisateurs du même titre, ce qui constitue une chance car cette diversité étend le champ des possibles. Nous n’ignorons pas les limites institutionnelles propres à la tarification dans le secteur des transports publics urbains, nous les avons abordées dans le premier chapitre, mais nous pensons toutefois que, bien que la péréquation tarifaire soit aujourd’hui l’objet d’un fort attachement de la part des élus dans ce secteur, la prospective sur l’évolution des gammes ne peut s’y limiter et doit envisager des scénarios visant à répondre aux évolutions futures de la clientèle. Toutefois, cette prospective ne saurait se passer de données précises afin de produire des analyses pertinentes des enjeux encourus sur les recettes et sur la fréquentation.

Pour terminer, nous soulignons que, outre l’amélioration des connaissances que l’on a des comportements des individus confrontés au choix d’un titre, ce qui est également en jeu ici est la capacité de réactivité dont les responsables de réseaux souhaitent se doter, face à une clientèle de plus en plus exigeante et volatile, et donc de plus en plus sensible à l’attention que les réseaux portent à ses besoins sur toutes les dimensions du service, l’offre, la qualité de service, mais également la politique tarifaire. Les réponse qui seront apportées à ces besoins participent de la valorisation du service dans son intégralité, et donc de son image, atout désormais essentiel pour maintenir l’attractivité du mode.