INTRODUCTION

« L’Etat est un être énorme, terrible, débile. Cyclope d’une puissance et d’une maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du Droit » ’. Ainsi Paul Valery traduisait-il sans détour, par cette définition enflammée, l’émotion de l’écrivain face à la suprématie de l’Etat, la critique de l’homme à l’encontre de l’incarnation étatique du pouvoir politique. Cette sensation lyrique n’est guère décisive pour la compréhension de l’Etat, appréhendé dans son identité comme dans sa fonction. Tout juste rappelle-t-elle qu’il n’est pas inné et constate-t-elle que son gigantisme et sa puissance ne peuvent cacher sa faiblesse et sa maladresse. Elle exprime néanmoins le fantastique d’un Etat mythifié, la détention d’une puissance fabuleuse et, finalement, la sacralité d’une suprématie. Cet Etat est donc mythifié parce qu’il dispose d’un pouvoir souverain, c’est-à-dire ‘ « d’un pouvoir originaire et suprême » 1 .

L’effectivité de la souveraineté de l’Etat peut être discutée. Cette question est cependant l’une ‘ « des vieilles questions métaphysiques ’ » 2 , qui, à ce titre, peut être évacuée. En revanche, la portée de la souveraineté de l’Etat a un intérêt pratique majeur qui est d’aider à la compréhension du pouvoir politique et, partant, à l’appréhension de la structure de la société humaine et de son mode juridique de régulation. L’Etat souverain occupe une place privilégiée au sein de la collectivité des individus. Il a ‘ « historiquement (…) le monopole du commandement politique sur un territoire déterminé », ’ ce qui a pour double conséquence une souveraineté interne et une souveraineté externe, ‘ « deux faces (…) indissociables » 3 de la souveraineté. Ces deux aspects caractérisent une souveraineté dissymétrique qui ‘ « est absolue dans la sphère interne, et relative dans la sphère externe, où elle rencontre son alter ego la souveraineté de l’autre Etat » 4 , ce qui se traduit du point de vue du droit, de la manière suivante : ‘ « l’Etat est, grâce à la souveraineté, l’entité qui détient le monopole du droit positif à l’intérieur de son territoire et qui participe, avec les autres Etats, à l’édiction et à l’application du droit international » 5 .

La souveraineté étatique s’exprime donc non seulement au sein d’un territoire national, mais également de manière plus universelle. Aussi la sacralité de l’Etat souverain dépasse-t-elle le territoire national pour s’inscrire dans la dimension interétatique. De la sorte, elle façonne une société particulière composée de l’ensemble des Etats souverains entretenant entre eux un rapport d’égalité du fait de leur souveraineté intrinsèque respective, car s’applique ‘ « le principe d’égalité souveraine des Etats, dont la parenté avec le principe d’égalité des hommes est indéniable » 6 . Cette société particulière est la société internationale, ‘ « société interétatique ou encore "société des Etats" » 7 , et ce même si ‘ « une évolution continue (…) a conduit à une certaine reconnaissance internationale de l’individu et à la création puis à la multiplication des organisations internationales » 8 . L’adage Ubi societas, ibi jus rend évidente l’existence d’un droit de régulation des rapports internes à cette société internationale : le droit international, qui peut se définir comme ‘ « le droit applicable à la société internationale » ’ ‘ 9 ’ ‘ . L’Etat souverain passe du statut d’incarnation de l’autorité politique suprême sur le plan interne ’ à celui de composante primaire d’une société particulière et sujet de droit.

Ce parallèle entre société étatique et société interétatique ne peut que demeurer superficiel. La souveraineté relative de l’Etat sur le plan externe influe de manière déterminante et atypique sur l’identité de cette société internationale : il n’existe pas d’entité supra-étatique titulaire d’une souveraineté absolue au sein de la société internationale. ‘ « La société internationale est une société interétatique ; au point de vue de sa structure, elle apparaît comme une juxtaposition d’entités souveraines et égales entre elles, excluant tout pouvoir politique organisé et superposé à ses composantes  ’» ; dans la société internationale ‘ « coexistent des entités égales, ayant les mêmes prétentions à l’exercice d’une souveraineté absolue » 10 . Aussi ne peut-il exister d’Etat mondial. Partant, le droit régulateur de cette société particulière ne peut qu’être atypique, comparaison faite avec le droit interne, et ce du fait de ‘ « la notion de souveraineté (…) facteur essentiel de différenciation » 11 . Certains vont même jusqu’à nier l’existence d’un droit international, par exemple en constatant l’absence de ‘ « super-Etat ’ » qui entraîne l’absence de législateur et de juge ou encore l’absence de toute autorité de contrainte 12 .

Le droit international est un droit essentiellement conventionnel, ‘ « un droit issu de la volonté et du consentement des Etats souverains ; les traités proviennent d’un consentement exprès et les coutumes d’un consentement tacite ; (…) les Etats souverains apprécient seuls ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire dans les relations internationales » 13 . Le droit international ‘ « est un droit différent beaucoup plus qu’un droit primitif. (…) Il ne s’agit plus de le rêver sur le modèle du droit étatique (ou droit interne), modèle unique et polyvalent de développement de tous les ordres juridiques : il convient désormais de l’envisager suivant sa ligne propre, en fonction des particularités qui en font un ordre original » 14 . Il est marqué par son ‘ « horizontalité essentielle (…) qui jamais ne se verticalisera : explicitement conçu par des Etats indépendants comme un mode anarchique de régulation de leurs rapports, le droit international est par nature intersubjectif et ne tolère aucune atteinte à son ressort essentiel, la souveraineté » 15 . Finalement, Anzelotti le constatait dès 1929, ‘ « l’achèvement du droit international par le moyen de la constitution d’un pouvoir étatique supérieur aux divers Etats – Etat fédéral universel – signifierait en réalité la fin du droit international ; celui-ci se trouverait remplacé par le droit public interne du nouvel Etat » 16 . Il reste que cette singularité du droit international dérange. D’aucuns ont pu parler de ‘ « crise du droit international ». Et, ‘ « lorsqu’en 1922 fut établie, pour la première fois dans l’histoire, une juridiction internationale permanente, on crut qu’une étape décisive avait été franchie vers la fondation d’une société internationale effectivement soumise au droit » 17 . Cependant, cette première pierre de l’édifice de la supranationalité instituée fut impuissante à provoquer la construction et la consécration d’un Etat mondial ; et la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) comme l’instauration de la Cour internationale de justice (CIJ) n’ont pas changé cette inefficacité 18 .

En réalité, la tentative d’instaurer un élément décisif de supranationalité et, finalement, d’inciter directement à la consécration ‘ « par le haut ’ » d’une sorte de constitution mondiale, même embryonnaire, à fait long feu. Au contraire, l’évolution contemporaine du droit international annihile cette tentative et confirme en l’accentuant le caractère atypique de ce droit : ‘ « le développement vraiment stupéfiant du droit conventionnel » ’, qui se matérialise dans la création d’organisations internationales et qui induit la ‘ « division du droit international en "branches" » 19 , constitue la conséquence de relations internationales plus que jamais ‘ « marquées (…) par l’exaltation de l’idée de souveraineté » 20 . Aussi la mythification lyrique de l’Etat, précédemment évoquée, ne perd pas totalement de sa pertinence quand elle s’applique à la sphère extra-étatique car la souveraineté absolue y est interétatique et non mondiale, étant constituée du faisceau des souverainetés relatives étatiques s’exprimant à travers le droit international conventionnel.

L’établissement et la consécration d’une organisation constitutionnelle mondiale, matérialisés par la Société des Nations (SDN) et la Cour permanente de Justice internationale, puis par l’ONU et la CIJ, sont tenus en échec par l’exaltation des souverainetés étatiques et, plus concrètement, par l’un de ses corollaires qui est la diversification de branches conventionnelles du droit international matérialisées par l’intensification de la création d’organisation internationales régionales et/ou spécialisées. A cette société internationale atypique – parce que constituée principalement de l’égalité des souverainetés étatiques relatives – correspond un droit qui ne l’est pas moins. L’évolution du droit international laisse de côté la constitutionnalisation du droit et l’institutionnalisation d’un Etat mondial pour se diriger vers la diversification des champs normatifs, la ‘ « propagation juridictionnelle » 21 et la consécration de systèmes organisationnels contingents ; elle ‘ « entraîne une conséquence considérable : une certaine "dépolitisation" du droit international » 22 . Cette évolution est donc forcément teintée de pragmatisme puisqu’elle a pour moteur la concordance de volontés souveraines étatiques et que cette concordance est par nature spécialisée, versatile et diversifiée dans son volume, dans sa force et dans sa substance. Ce pragmatisme évident parachève l’exclusion de toute idée d’instauration d’un ordre sociétal, donc juridique, mondial.

Cette évolution pragmatique d’un droit qui est interétatique, conventionnel, organisationnel et diversifié semble bien constituer le présent et l’avenir du droit international. Néanmoins, l’une de ses réalisations peut venir troubler sa linéarité et semer le doute quant au rejet définitif de toute souveraineté supranationale : il s’agit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Succédant à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (le GATT de 1947), l’OMC est créée à l’issue des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay par l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce signé formellement le 15 avril 1994 à Marrakech et mis en œuvre le 1er janvier 1995. Cette Organisation ‘ « servira de cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres en ce qui concerne les questions liées aux accords et instruments juridiques connexes » 23 qui sont les accords multilatéraux sur le commerce des marchandises dont le GATT de 1947 tel que modifié par le GATT de 1994 24 , l’Accord général sur le commerce des services (l’AGCS), l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l’Accord ADPIC), le Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (le Mémorandum), le Mécanisme d’examen des politiques commerciales ainsi que différents accords plurilatéraux 25 . Cette Organisation a immédiatement connu le plus vif succès ; l’intensité de son fonctionnement quotidien et l’accroissement du nombre de ses Etats Membres sont autant de preuves de sa santé et de son développement – même si les très médiatiques et ponctuelles conférences ministérielles se soldent parfois par des avancées très peu significatives.

Or, un rapprochement certes cavalier mais troublant pourrait être fait entre l’institution de l’OMC et la construction communautaire. Les Etats Membres signataires de l’Accord instituant l’OMC se sont dotés de cette Organisation dans l’idée avouée d’orienter ‘ « leurs rapports dans le domaine commercial et économique (…) vers le relèvement des niveaux de vie  ’» ou encore ‘ « la réalisation du plein emploi et d'un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective » ’ ; ils expriment le souci de se conformer ‘ « à l'objectif de développement durable, en vue à la fois de protéger et préserver l'environnement et de renforcer les moyens d'y parvenir (…) » ’ ; ils reconnaissent ‘ « qu'il est nécessaire de faire des efforts positifs pour (…) les pays en développement » et désirent ‘ « contribuer à la réalisation de ces objectifs par la conclusion d'accords visant, sur une base de réciprocité et d'avantages mutuels, à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l'élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales » 26 . Plus clairement, les Membres de l’OMC ont pour objectif principal de poursuivre les ‘ « efforts de libéralisation du commerce entrepris dans le passé » 27 tout en déclarant vouloir considérer dans ce mouvement différentes questions liées aux inégalités économiques des Etats, à l’emploi, au développement durable ou encore à l’environnement.

Et ces intentions ne sont pas sans rappeler les débuts de la construction communautaire dont les pères fondateurs avaient exprimé clairement leur objectif : la création et le développement d’une union économique, ayant pour principe directeur la libéralisation des échanges, doivent créer des solidarités de fait aboutissant à l’instauration progressive et à la consécration d’une union politique 28 . La libéralisation du commerce, qui est l’objectif principal – sinon unique – de l’OMC, induit le développement des échanges commerciaux et pourrait très bien créer ces ‘ « solidarités de fait ». ’ Celles-ci, à leur tour, pourraient très bien susciter la volonté des Etats – sinon la nécessité – de construire une union politique, c’est-à-dire, en définitive, une sorte de ‘ « super-Etat » ’ que l’évolution du droit international a pu pourtant rejeter par ailleurs. Contrairement à la CIJ, qui a été fondée et se développe comme une véritable juridiction internationale et qui correspond à la mise en place d’un mécanisme immédiatement imposant pour les Etats, le système OMC se rapprocherait du modèle européen : il préparerait pragmatiquement une union politique stable devenue inéluctable par la préconstitution de solidarités de fait au niveau commercial. De plus, le nombre considérable et croissant des Etats Membres de l’OMC fait tendre cette Organisation vers l’universalité 29 .

Certes, ce parallèle est audacieux et, pour tout dire, bien peu pertinent, et ce pour de multiples raisons essentielles. Quelques-unes peuvent être évoquées : la délimitation précise de la région européenne, qui plus est davantage restreinte au début de la construction communautaire, alors que la diversité des Membres de l’OMC, qu’elle soit géographique, politique, historique ou encore culturelle, pèse sur toute velléité d’union politique viable ; l’objectif explicite des fondateurs de la construction communautaire, non-formulé par les Etats signataires de l’Accord instituant l’OMC ; le caractère essentiellement diplomatique des institutions de l’OMC alors que la structure institutionnelle communautaire serait davantage tournée vers le modèle étatique ; l’objectif uniquement commercial de l’OMC qui s’oppose à la volonté de pacification du territoire européen ; ou encore les disparités extrêmes entre les ‘ « superpuissances ’ » étatiques et les pays les moins avancés quant à leur développement économique. Cette comparaison suscite tout de même une certaine perplexité. Trois indices principaux pourraient constituer les fondements d’une union politique internationale ou, pour le moins, laisser accroire des velléités de souveraineté supra-étatique.

Tout d’abord, d’un point de vue terminologique, il faut constater que l’OMC est en français l’‘ » organisation mondiale du commerce ’ », en espagnol ‘ « organización mundial del comercio ’ » et en anglais ‘ « world trade organization ’ » 30 . Elle n’est ni l’organisation du commerce mondial ni l’organisation du commerce international, alors même que la traduction anglaise de ‘ « world trade organization ’ » permet ces deux appellations alternatives 31 . En préférant l’adjectif ‘ « mondial ’ » à ‘ « international ’ » et en l’appliquant à l’organisation et non au commerce, est opéré un choix que la langue anglaise ne fait pas 32 . Cette remarque ne saurait être dotée d’une pertinence qu’elle n’a pas. La neutralité anglo-saxonne et le choix latin sont consécutifs aux propriétés propres à chaque langue : le français et l’espagnol doivent ajouter grammaticalement des articles définis que l’anglais peut ignorer. Néanmoins, ce choix particulier peut être un signe révélateur d’une certaine démarche ‘ « universaliste ’ » des créateurs de l’OMC, ou du moins d’un certain pragmatisme accordant une importance toute relative à la portée des termes employés.

Ensuite, l’OMC est le cadre d’instruments juridiques régulateurs des relations commerciales internationales et constitue, à ce titre, une structure institutionnelle centrale au sein de la société internationale. En effet, et ce dès l’Antiquité, les liens commerciaux, consécutifs aux besoins économiques, ont toujours été l’un des pôles majeurs des relations entre les diverses et multiples collectivités d’individus 33 et, partant, l’un des catalyseurs essentiels de la création et du développement de normes entre ces sociétés organisées 34 . Le GATT de 1947 puis l’OMC prolongent cette centralité car leur articulation est assez significative de la grande importance des règles commerciales internationales : le GATT de 1947 était considéré comme provisoire à sa création, en attendant la mise en œuvre avortée de l’Organisation internationale du commerce, et a été institutionnalisé ‘ « de manière assez pragmatique » 35 jusqu’à ce qu’il soit remplacé en 1995 par l’OMC, cette articulation ne laissant aucun vide dans la structuration interétatique des relations commerciales internationales. Par ailleurs, la prégnance contemporaine de la sphère commerciale et des problématiques liées au libéralisme économique et à la ‘ « mondialisation ’ », l’interdépendance des économies nationales, la prédominance de la question économique au sein de chaque société étatique et dans les rapports interétatiques et trans-étatiques ou encore l’influence du commerce sur toutes les autres sphères sociétales, sont autant de contributions décisives à la centralité de l’OMC. Celle-ci non seulement se consacre à une relation interétatique majeure qui est l’échange commercial, mais également rassemble un nombre considérable d’Etats Membres, ce qui la fait tendre vers une certaine universalité.

Enfin, parmi les instruments juridiques de régulation du commerce international dont l’OMC constitue le cadre institutionnel, se trouve un texte particulier et individualisé, le Mémorandum, organisant un système de ‘ « règlement des différends » 36 interétatiques 37 qui ‘ « est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. Les Membres reconnaissent qu’il a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des accords [dont l’OMC constitue le cadre institutionnel] (…), et de clarifier les dispositions existantes de ces accords » 38 . Or, ce système ‘ « mémorandaire ’ » 39 ouvre des perspectives remarquables. En effet, les nombreux instruments juridiques annexés à l’Accord instituant l’OMC sont des normes conventionnelles interétatiques régulatrices des rapports commerciaux entre les Etats Membres de l’OMC ; leur domaine – le commerce – est central dans les relations internationales et leur application est quasi-généralisée du fait du nombre important des Etats adhérant à l’Organisation. La structuration d’un mécanisme réglant les différends issus de l’application de ces normes est de nature à institutionnaliser un système extra-étatique au service de l’effectivité des règles conventionnelles commerciales et du respect des droits et obligations en découlant. De la sorte, ce mécanisme mémorandaire est tout à fait central dans la viabilisation et le renforcement de normes interétatiques elles aussi centrales dans les relations internationales. En lien étroit avec l’indice précédent – la prédominance de l’OMC au sein de la société internationale, l’instauration d’un système de règlement des différends interétatique peut être une condition essentielle de la réussite d’une structuration supra-étatique de la société internationale.

Néanmoins, l’assimilation de l’instauration et du développement d’une régulation du commerce international à la construction communautaire ne peut être raisonnablement approfondie car elle est difficilement réalisable à court terme. De nombreuses raisons, dont les principales ont été précédemment mentionnées, sont rédhibitoires à la reconnaissance d’une construction politique via la régulation des échanges commerciaux dans le cadre de l’OMC. En outre, la structure et les règles de fonctionnement de l’OMC, et plus particulièrement celles du système mémorandaire de règlement des différends, ne plaident pas en faveur d’une telle reconnaissance immédiate, du moins de manière explicite.

D’une part, l’OMC a une structure essentiellement diplomatique puisque l’organe de décision est la ‘ « Conférence ministérielle composée de représentants de tous les Membres, qui se réunira au moins une fois tous les deux ans » et qui ‘ « exercera les fonctions de l’OMC, et prendra les mesures nécessaires à cet effet » ’ ‘ 40 ’ ‘ , ’ étant entendu que le ‘ « Conseil général composé de représentants de tous les Membres » exerce les fonctions de cette Conférence ‘ « dans l’intervalle entre les réunions » ’ de ladite Conférence 41 et constitue au quotidien l’organe central de l’OMC 42 . De même, les ‘ « fonctions de l’OMC ’ » 43 sont principalement des fonctions d’encadrement de deux ordres : faciliter ‘ « la mise en oeuvre, l'administration et le fonctionnement du présent accord et des Accords commerciaux multilatéraux et [favoriser] (…) la réalisation de leurs objectifs »  ’; être ‘ « l’enceinte pour les négociations entre ses Membres au sujet de leurs relations commerciales multilatérales concernant des questions visées par les accords figurant dans les Annexes du présent accord » 44 . Aussi l’OMC, du fait de sa structure diplomatique et de sa fonction d’encadrement, ne peut-elle prétendre à l’acquisition d’une dimension supra-étatique.

D’autre part, le Mémorandum fait la part belle à la prédominance de l’‘ » interétatisme ’ » en attribuant formellement à l’Organe de règlement des différends (ORD), qui est le Conseil général réuni en tant que tel 45 , l’administration des règles et procédures de règlement ainsi que le pouvoir décisionnel 46 . De même, il encourage nettement le règlement amiable par accord entre les Membres opposés par le différend, quand il affirme qu’‘ » une solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords visés est nettement préférable ’ » 47 , et que ‘ « les demandes de conciliation et le recours aux procédures de règlement des différends ne devraient pas être conçus ni considérés comme des actes contentieux  ’» 48 . De la sorte, le système mémorandaire peut difficilement constituer le mécanisme supranational qui serait le signe évident d’une création supra-étatique future. Ainsi, l’OMC n’est que l’administratrice et l’enceinte du droit international régulateur des relations commerciales interétatiques. Elle reste inscrite dans l’évolution progressive d’un droit international conventionnel, diversifié et interétatique. Elle ne constitue pas la résurgence explicite de la tentative de calquer l’ordre juridique international sur l’ordre juridique interne, ni par la création ‘ « par le haut ’ » – déjà avortée par ailleurs – d’une structure supra-étatique, ni par l’élaboration ‘ « par le bas ’ » des conditions idéales pouvant conduire à la construction d’une union politique – à l’image de la démarche à l’œuvre au sein de l’Europe communautaire.

Il reste que l’absence d’intention des Etats Membres de l’OMC, transcrite dans la structuration et le fonctionnement de l’Organisation, ne garantit pas l’ineffectivité pérenne d’une certaine ‘ « supra-étatisation ’ ». Cette dernière évolution pourrait être enclenchée par le mécanisme des ‘ « amendements ’ » 49 permettant une révision – somme toute rigide – des différents accords de l’OMC dont l’Accord instituant l’OMC qui prévoit le fonctionnement institutionnel de l’Organisation ; mais une telle démarche paraît peu probable car les conditions procédurales de ces amendements sont strictes et seront difficilement mises en œuvre, eu égard à l’extrême diversité des Membres. De même, cette évolution pourrait être enclenchée par la communauté des Etats Membres décidant, dans le cadre de la Conférence ministérielle, de l’adoption d’instruments juridiques nouveaux modifiant substantiellement la structure de l’OMC ; mais, ici encore, l’adoption est soumise à des conditions strictes 50 qui freinent considérablement toute velléité de réforme. En revanche, le fonctionnement quotidien de l’OMC peut, de manière plus insidieuse, consacrer des éléments de supra-étatisation.

Et le système de règlement mémorandaire des différends prend alors une importance majeure. D’abord, l’ORD est le Conseil général, organe prépondérant du système institutionnel. Ensuite, la sectorisation et la spécialisation des institutions de l’OMC ne touchent pas l’ORD qui administre le règlement mémorandaire des différends touchant à tous les accords constituant le droit de l’OMC 51 . Surtout, le système mémorandaire est susceptible d’être sollicité à chaque problème d’application du dispositif normatif de l’OMC, à chaque rapport conflictuel entre Membres. De plus, cette fonction de ‘ « règlement » le met au contact quotidien et généralisé de la pratique étatique, des règles issues des accords de l’OMC, du fonctionnement institutionnel de l’Organisation ; elle exige pour le moins une manipulation, voire un positionnement donc une interprétation, des faits et des règles. Enfin, en considérant, au surplus, non seulement la centralité des aspects commerciaux au sein de la société internationale mais aussi l’universalisation des Etats Membres, force est de constater l’impact décisif du système mémorandaire sur les relations interétatiques. Ce système pourrait bien constituer le moteur essentiel, ou du moins l’amorce, de l’évolution à moyen terme de la société internationale dans le sens d’un rapprochement avec la construction européenne.

Par conséquent, si la comparaison entre le système de l’OMC et la construction communautaire ne peut être approfondie en raison d’irréductibles et fondamentales différences, elle met tout de même en évidence la place cruciale et le rôle majeur que le système mémorandaire est susceptible de tenir au sein de la société internationale et, partant, dans l’effectivité et l’évolution du droit interétatique. Elle peut, certes, paraître aberrante, impertinente et, qui plus est, peu convaincante ; elle n’en reste pas moins significative dans la mesure où elle rend perceptible l’enjeu considérable que représentent l’instauration, l’effectivité et le développement du système mémorandaire de règlement des différends, non seulement pour la viabilité et l’évolution de la régulation par l’OMC des échanges commerciaux internationaux, mais également pour l’efficacité et le développement du droit international. Cette comparaison maladroite a donc le mérite de confirmer l’impact important que peut avoir le système mémorandaire sur les rapports internationaux.

La seule constatation de la centralité théorique du système mémorandaire au sein des relations interétatiques n’est pas en elle-même satisfaisante. Tout au plus montre-t-elle la pertinence d’une étude approfondie dudit système. Elle admet, certes, l’intérêt intellectuel – considérable – que cette étude peut comporter pour une meilleure compréhension des relations interétatiques et, par voie de conséquence, la constitution d’une base de réflexion plus générale axée sur l’appréhension et l’évolution du droit international. Mais elle ne permet de saisir ni la réalité ni la portée du système mémorandaire, car la matérialité de ce système est non seulement confuse mais également ambiguë.

D’une part, le système de règlement des différends que le Mémorandum organise est confus. Il l’est du fait de sa complexité et non de sa trop grande concision. En effet, ses vingt-sept articles et quatre appendices forment un texte assez long qui prévoit un processus non linéaire aux mécanismes multiples et hétéroclites. Sans qu’il soit nécessaire de procéder à une description textuelle détaillée de ce système, redondante et fastidieuse 52 , il faut remarquer que le Mémorandum mêle plusieurs types de mécanismes qui, en outre, se recoupent parfois : des modes classiques de règlement des différends interétatiques et des processus particuliers à l’OMC 53  ; des modes d’apparence diplomatique et d’autres juridictionnels 54  ; des étapes distinctes du règlement sans cloisonnement de la participation respective de chaque mécanisme 55 . En outre, le déroulement du processus n’est pas linéaire car certains mécanismes peuvent démarrer ou se poursuivre alors que d’autres sont en cours 56 . De même, un mécanisme particulier de règlement expressément prévu constitue une alternative au processus de règlement mémorandaire 57 . Une clarification peut être formulée qui divise en trois étapes le processus mémorandaire : le différend initial fait l’objet d’un traitement d’abord essentiellement diplomatique, puis institutionnel, qui se conclut par un mécanisme d’exécution. Elle ne permet pas, toutefois, d’appréhender toute la complexité du Mémorandum. Elle ne constitue qu’une description discutable, obtuse et insuffisante à saisir la nature et le mode de fonctionnement de ce processus.

D’autre part, une fois dépassée la constatation d’une confusion, le système mémorandaire est ambigu. En effet, il ne s’inscrit pas totalement dans le modèle classique de règlement des différends du droit international 58 puisqu’il contient une phase du groupe spécial et un examen en appel, et qu’il confie la décision à l’ORD 59 qui est un organe diplomatique. De même, il ne choisit pas le règlement uniquement diplomatique puisqu’il organise des procédures d’arbitrage. Surtout, les analyses doctrinales du système mémorandaire se heurtent à ces ambiguïtés et, ce faisant, en ajoutent une autre : elles tentent souvent de catégoriser le système mémorandaire et aboutissent à une qualification peu claire : la juridictionnalisation.

En effet, les études consacrées à la description et à la compréhension du système mémorandaire s’accordent pour conclure à la juridictionnalisation de ce système ‘ « hybride » 60 ou au moins à celle des mécanismes le composant. D’abord, d’aucuns constatent une tendance généralisée à la juridictionnalisation des relations internationales, plus particulièrement au sein des organisations internationales dont celles à vocation économique 61 . Ensuite, il est plus précisément établi la juridictionnalisation de tout ou partie du processus mémorandaire 62 ou encore une ‘ « dynamique juridictionnelle » 63 qui ne serait pas sans rappeler celle du GATT de 1947 qu’elle continue et accentue 64 . Même les plus prudents, affirmant qu’‘ » il ne faut pas pousser la juridictionnalisation à l’extrême » 65 ou encore que cette juridictionnalisation n’est pas encore achevée 66 ni même ‘ « "achevable" » 67 , admettent cette juridictionnalisation et la prennent effectivement en considération comme analyseur du système mémorandaire. Pareillement, certains auteurs – minoritaires – rejettent plus clairement la juridiction 68 mais, ce faisant, ne contestent pas la juridictionnalisation ou lui donnent du crédit en en tenant compte. Enfin, les plus affirmatifs voient des groupes spéciaux sui generis qui se rapprochent de l’arbitrage 69 , voient dans la fonction des panels une ‘ « conciliation de caractère quasi-judiciaire » 70 , dans l’ORD 71 ou dans l’Organe d’appel 72 « un organe quasi-juridictionnel » ’, dans l’OMC ‘ « un véritable pouvoir quasi-judiciaire ’ » 73 ou la gestion d’un ‘ « système quasi-juridictionnel de règlement des litiges » 74 qu’il faut encore juridictionnaliser davantage 75 , et même dans ce système un ‘ « arbitrage qui ne veut pas dire son nom ’ » 76 ou encore un ‘ « mécanisme à mi-chemin entre l’arbitrage et le règlement judiciaire » 77 . D’ailleurs, un ancien membre de l’Organe d’appel a pu reconnaître le caractère exceptionnel du système mémorandaire de règlement des différends et souligner un déséquilibre entre la ‘ « forte structure (quasi-) judiciaire » du système et le fragile processus décisionnel politique 78 . Pour résumer, ‘ « l’esprit judiciaire et arbitral souffle désormais à l’intérieur de l’OMC  ’» 79 .

Cette ‘ « juridictionnalisation ’ » semble constituer un concept pertinent de catégorisation du système mémorandaire. Elle diminue la confusion et lève l’ambiguïté précédemment mentionnée en caractérisant l’évolution particulière de ce système : celui-ci possèderait, par rapport au système du GATT de 1947 auquel il se substitue, des éléments caractéristiques d’une juridiction et tendrait à se rapprocher du modèle juridictionnel. Cette constatation est déterminante non seulement pour une meilleure compréhension du système mémorandaire mais également pour l’évaluation de sa place au sein de la société internationale et de sa portée sur l’évolution du droit international. En effet, si l’exaltation de la souveraineté étatique a fait échouer la construction et la consécration d’une sorte de souveraineté super-étatique absolue, c’est parce que ‘ « la faiblesse du droit international avait toujours tenu d’abord, d’après le sentiment général, à l’absence d’un juge à qui les Etats devraient soumettre leurs différends. L’épanouissement d’un ordre juridique quelconque dépend avant tout, soulignait-on, du fonctionnement de son appareil judiciaire, sans lequel les droits restent démunis et les obligations dépourvues de sanction » 80 . De plus, la ‘ « juridictionnalité ’ » du système mémorandaire – c’est-à-dire son caractère de juridiction 81 – même partielle ‘ « est déjà sans précédent dans les annales du droit international ’ » et ‘ « semble éclairer d’un jour nouveau l’espoir d’une véritable justice internationale » 82 . A ce titre, elle participerait à l’instauration progressive d’une société internationale à l’image des sociétés internes, ce que le système de la SDN puis de l’ONU n’ont pas réussi à réaliser ; par la juridictionnalisation de l’OMC, une méthode alternative à celle sous-tendant la création de la CPJI et de la CIJ serait utilisée, qui consisterait à créer ‘ « par le bas ’ » au lieu d’imposer « par le haut » des institutions constitutives d’une sorte de ‘ « super-Etat ’ », en développant les interactions et interdépendances étatiques de telle sorte que l’union politique mondiale et la supranationalité institutionnelle se présentent, à terme, comme nécessaires.

Nonobstant, la confusion et l’ambiguïté qui pèsent sur le système mémorandaire ne sont pas résorbées car les positions doctrinales relatives à l’analyse et à la catégorisation du système mémorandaire sont peu convaincantes. D’une part, le concept de juridictionnalisation n’est pas éloquent puisqu’il désigne en réalité une évolution – en direction du modèle juridictionnel – dont il est difficile d’évaluer et l’application et la portée. Dire que le système mémorandaire se juridictionnalise signifie qu’il contient quelques éléments nouveaux, par rapport à la situation antérieure du GATT de 1947, qui sont de nature juridictionnelle, mais que leur centralité ou leur marginalité ne sont pas pour autant établies. De même, cette juridictionnalisation signifie que l’évolution vers la juridiction est en marche mais elle ne peut préciser quel est le stade de cette évolution et quel sera son aboutissement. En bref, démontrer une juridictionnalisation caractérise une évolution double – par rapport à la situation antérieure et par rapport au passé proche – mais n’affirme ni la juridictionnalité ni son absence.

D’autre part, l’affirmation d’une juridictionnalisation est variable : elle peut s’attacher à l’OMC, à l’ORD, au système mémorandaire dans son ensemble ou encore – le plus souvent – à une institution mémorandaire précise ou à une procédure particulière. Cette variabilité est préjudiciable à la compréhension du système mémorandaire sur deux points : quand est constatée une juridictionnalisation générale, il est difficile de savoir qui du système, de l’organe diplomatique ou de l’Organisation tend en propre vers la juridiction et pourrait, à terme, recevoir le cas échéant la qualification ‘ « juridictionnelle ’ » ; quand est constatée la juridictionnalisation d’une instance ou d’une procédure, il est malaisé de conclure à une juridictionnalisation effective dans la mesure où le système qui les englobe pourra peut-être organiser leur contournement pour privilégier des instances ou des procédures qui ignorent cette juridictionnalisation. Enfin, les plus critiques, qui relativisent cette juridictionnalisation, en montrent les méfaits ou encore en affirment le non-aboutissement, ne proposent pas une catégorisation plus précise du système mémorandaire. Affirmer ce qu’il n’est pas ou ce qu’il ne peut pas être ne revient pas à déterminer ce qu’il est.

Certes, ces attitudes doctrinales sont compréhensibles et justifiables. D’abord, le mécanisme de règlement des différends de l’OMC est récent et sa nouveauté inspire forcément la comparaison avec le système qu’il a remplacé. Ensuite, l’analyse du système mémorandaire n’a pu, pendant longtemps, ne porter que sur une étude du texte, la pratique étant insuffisamment développée. D’ailleurs, le principal reproche qui peut être fait aux conclusions rejetant la qualification juridictionnelle est leurs lacunes quant à l’exploitation du fonctionnement effectif du système. Enfin, la complexité, voire la confusion, du système tel qu’il est prévu, ainsi que le domaine particulier dans lequel il s’insère, empêchent les catégorisations péremptoires. En réalité, la juridictionnalisation semble parasiter toute catégorisation pertinente : s’appliquant au successeur du système du GATT de 1947 lui‑même considéré justement comme une ‘ « conciliation quasi judiciaire » 83 , elle suggère que le système mémorandaire serait une conciliation quasi judiciaire juridictionnalisée, cette accumulation de juridictionnalités ne constituant pas pour autant une juridiction ; connotant une évolution vers le modèle juridictionnel qui est foncièrement distinct du mode arbitral 84 et des modes diplomatiques de règlement des différends, elle empêche la fixation d’un qualificatif autre que juridictionnel sans pour autant permettre d’affirmer à coup sûr une juridictionnalité.

Cependant, ces positionnements doctrinaux ne permettent pas de comprendre le fonctionnement et la portée du système mémorandaire ni même de fonder une étude prospective sur son évolution. La juridictionnalisation est un concept fragile, temporaire et flou qui ne saurait être pertinemment et durablement consacré. Certains auteurs –minoritaires – se sont essayés à l’élaboration d’une catégorisation plus définitive du système mémorandaire. Mais, là encore, leurs résultats sont peu convaincants. Ceux qui évoquent une quasi-juridiction ne sont guère plus précis que ceux qui traitent de juridictionnalisation, car la quasi-juridiction est finalement un équilibre instable entre diplomatie et juridiction. Ceux qui rejettent fermement la juridiction ne proposent pas de catégorisation alternative précise. Certes, M. Santulli élabore un raisonnement rigoureux et persuasif niant la juridictionnalité de l’ORD et établissant sa fonction ‘ « exécutive de type administratif ’ » 85 , mais l’auteur attribue à l’ORD une centralité qui n’est pas évidente 86 et, surtout, ne se fonde que sur l’étude du texte du Mémorandum alors que la pratique du système est quantitativement considérable et qu’elle ne peut être ignorée. Quant aux études doctrinales établissant le caractère ‘ « sui generis ’ » du système mémorandaire en constatant que ‘ « ce dernier est rebelle à toute espèce de catégorisation juridique » 87 , elles n’ont d’autre utilité que de justifier l’accumulation de descriptions du texte du fonctionnement quotidien de ce système ; elles ne peuvent fournir une base de réflexion théorique pertinente sur la pratique et sur l’évolution dudit système et sont, finalement, empreintes d’un certain fatalisme – pour ne pas dire simplisme – face à la complexité du système et à l’ampleur de sa production.

Par conséquent, l’intérêt d’une théorisation de la réalité du système de règlement des différends de l’OMC ne fait aucun doute, et ce pour plusieurs raisons déjà mentionnées qui ne sont pas sans liens entre elles. D’abord, la naissance d’un système organisationnel de règlement des différends interétatiques relatif aux relations commerciales internationales appelle une attention soutenue du fait de son impact sur l’effectivité et l’évolution du droit international et, partant, sur la structure et le développement de la société internationale. Ensuite, la confusion et l’ambiguïté apparentes dudit système nécessitent des éclaircissements afin de faciliter sa compréhension et, par voie de conséquence, de construire une base théorique indispensable à toute réflexion relative à son fonctionnement et à son évolution. De même, les analyses et tentatives de catégorisation doctrinales sont peu satisfaisantes et méritent d’être discutées et précisées. Enfin, le système mémorandaire a désormais une activité effective conséquente 88 qui permet de ne pas tomber, au pire, dans les affres de la description fastidieuse 89 et, au mieux, dans l’insatisfaction de l’analyse forcément inaboutie 90 . Cette activité importante et remarquable induit une analyse crédible de la pratique, puisque cette dernière sera effective, stabilisée et suffisamment volumineuse sans l’être trop, de telle sorte qu’elle reste encore ‘ « étudiable ’ » et que les résultats de cette analyse pourront être acceptables.

Toutes ces raisons impliquent une étude théorique particulière du système mémorandaire : celui-ci doit être catégorisé de manière précise afin de mieux comprendre son fonctionnement et d’envisager son évolution, afin de mieux cerner sa place et son role au sein des relations internationales et plus particulièrement du droit international dans lesquels il s’inscrit. Plus précisément, il faut rappeler que ni la juridictionnalisation ni le ‘ « sui generis » ni le « quasi- » ne sont des qualificatifs pertinents du système mémorandaire ; ils donnent, tout au plus, quelques premières pistes de réflexions sur l’appréhension de la réalité et de l’évolution d’un système nouveau. Il faut, à cet égard, constater avec M. Santulli ‘ « la fanfare des anciens panels du GATT : "quasi-juridictions" certes, mais en "juridictionnalisation progressive" par une "juridicisation croissante" due à la mise en place de l’Organe de règlement des différends (…) de l’Organisation mondiale du commerce ’ », et se poser la question : ‘ « qu’est donc encore ce machin international si indocile aux concepts classiques du droit, relégué dans la contrée où alignent, malignes, les quasi-qualifications ? » 91 .

Par conséquent, une question simple peut être posée : le système de règlement des différends interétatiques est-il une juridiction internationale ? Si la réponse est positive, les tendances ‘ « juridictionnalisantes ’ » décelées par les analyses doctrinales s’en trouveront non seulement confirmées et précisées mais surtout parachevées, la confusion et l’ambiguïté caractéristiques du Mémorandum seront réduites, le système mémorandaire bénéficiera d’une catégorisation explicative de son fonctionnement et d’une qualification propice à l’étude prospective de son évolution. Si la réponse est négative, la juridictionnalisation dégagée par la doctrine restera une caractéristique d’un système qui pourra désormais être qualifié de sui generis ou selon la gamme assez large des processus de règlement des différends de nature diplomatique, l’élimination de la juridictionnalité laissera le champ libre à une identification non-juridictionnelle qui pourra de la sorte émerger sans scrupules.

Dans les deux cas, la juridiction est l’analyseur constitutif pertinent du système de règlement des différends de l’OMC. Elle est le critère, le ‘ « label ’ » qui doit être attribué ou refusé à ce système. Elle donne une grille de lecture efficace dudit système. La préférence donnée à la juridiction plutôt qu’à tout autre mécanisme classique de règlement des différends interétatiques est aisément justifiable. D’abord, l’écrasante majorité des analyses doctrinales du système mémorandaire ne cesse de graviter autour du concept de juridiction sans pour autant s’impliquer davantage en l’identifiant ou en le rejetant, ce qui pourrait utilement être tranché. Ensuite, le règlement juridictionnel occupe une place privilégiée au sein des types de règlement des différends interétatiques car il est unique et fondamentalement distinct des nombreux types diplomatiques 92  ; son identification ou son absence éliminerait une alternative irréductible qui est source d’hésitations compréhensibles. Enfin, les juridictions internationales restent fort peu nombreuses dans le paysage interétatique, même si elles tendent à se multiplier 93  ; de la sorte, l’étiquette juridictionnelle peut individualiser singulièrement le système étudié, modifier sensiblement la perception du droit international et de la société qu’il régule, et constituer une base de réflexion pertinente sur l’évolution de ce droit et de cette société.

La recherche de l’identification d’une juridiction internationale constituée par le système mémorandaire mérite donc d’être menée. La démarche doit nécessairement consister en l’examen approfondi du dispositif textuel organisant ce système ainsi qu’en l’observation détaillée de la pratique générée par l’application de ce dispositif. Afin de rechercher une juridictionnalité, cette démarche doit relever dans le texte et dans la pratique les éléments de nature juridictionnelle et doit les évaluer pour en déduire leur portée et, partant, leur force persuasive à qualifier une juridiction. Ce faisant, cette recherche aboutira à un résultat gradué : soit le système mémorandaire n’est aucunement de nature juridictionnelle parce que ces éléments juridictionnels seraient totalement absents ou singulièrement marginaux ; soit le système se juridictionnalise parce que ces éléments juridictionnels s’affirmeraient de plus en plus et le feraient tendre vers la juridiction, ce qui implique, en outre, d’évaluer cette juridictionnalisation qui peut être plus ou moins primitive et plus ou moins efficace ; soit le système est indubitablement de nature juridictionnelle parce que ces éléments juridictionnels sont à ce point centraux qu’ils lui confèrent sa juridictionnalité.

Immédiatement, considérer la juridiction comme l’analyseur constitutif du système mémorandaire implique trois difficultés majeures dont il faut, d’emblée, lever l’hypothèque qu’elles font peser sur la démarche. La première d’entre elles concerne la nature du droit étudié. En effet, ‘ « droit apparemment original, le droit international économique constitue-t-il pour autant un droit réellement spécifique, une discipline véritablement autonome ? ’ » 94 Si la réponse à cette question est positive, l’utilisation de la juridiction comme grille de lecture du système mémorandaire aura une portée très limitée. Il sera difficile d’utiliser le critère juridictionnel en tant qu’outil d’analyse d’un mécanisme de règlement de différends ayant pour cadre un droit sui generis, cette catégorisation pouvant faire douter de la juridicité même de ce ‘ « droit ’ ». En outre, l’intérêt d’une catégorisation de ce système sera somme toute restreint, voire inexistant en considérant simplement qu’un mécanisme sui generis fonctionne dans un cadre juridique sui generis 95 – à supposer par ailleurs que le droit international économique soit bien de nature juridique.

Cette première difficulté peut être, cependant, rapidement écartée. Certes, brièvement, le droit international économique semble se situer ‘ « davantage sur le plan des moyens que sur celui des fins  ’» 96 et peut constituer un ‘ « droit prospectif » distinct du ‘ « droit normatif » 97 . Néanmoins, le débat de l’individualisation d’un droit international économique est ‘ « récurrent ’ » 98 et, pour tout dire, suranné car tranché : ‘ « le droit international économique fait partie intégrante du droit international  ’», il n’est pas ‘ « un concept, mais un terme-résumé », une ‘ « discipline » 99  ; en réalité, ‘ « le caractère économique des matières en cause ne constitue guère plus qu’un simple coefficient inapte à donner naissance à une discipline autonome, à un corps droit distinct » 100 . Il n’existe pas de différences fondamentales entre le droit international public et le droit international économique mais une hétérogénéité 101 . En outre, confirmation de cette assimilation peut être donnée par la constatation précédemment formulée d’une évolution particulière du droit international public contemporain vers une diversification de ses branches et des institutions organisationnelles. Par ailleurs, la distinction opérée entre ces deux droits se justifie essentiellement par ses caractéristiques techniques particulières dont l’une des conséquences principales est ‘ « l’inadaptation des mécanismes judiciaires » 102 . Aussi ne faut-il par inverser la cause et la conséquence : ce n’est pas la spécificité du droit international économique qui entraîne l’absence de juge mais cette absence qui caractérise un droit spécifique. Partant, c’est l’identification d’une juridiction qui contribuera à affirmer la non-distinction de ce droit et non ce même droit qui serait rédhibitoire à la reconnaissance d’une juridiction internationale.

La seconde difficulté est celle de la nature des différends interétatiques. D’aucuns ont pu distinguer entre les différends politiques et les différends juridiques 103 . Cependant, il est très largement admis que cette distinction est inopérante 104 . En réalité, c’est le choix du mode de règlement qui détermine si un différend est politique ou juridique 105 et il faut plus pertinemment considérer la distinction, plus significative, entre ‘ « différends justiciables et non‑justiciables » 106 ou encore celle entre les ‘ « moyens politiques, encore qualifiés de diplomatiques » de règlement des différends, et les ‘ « moyens juridiques (…) dont relèvent l’arbitrage et le règlement judiciaire » 107 . Aussi cette difficulté tombe-t-elle d’elle-même : c’est le recours au mode juridictionnel qui détermine la nature du différend et non la nature du différend qui interdit ce recours.

La troisième difficulté, en revanche, est insurmontable. Adopter la juridiction comme grille de lecture du système mémorandaire nécessite de définir le concept de juridiction. Or, il n’existe aucune définition unique et unanime de ce concept. Bien plus, les définitions pleuvent et s’accumulent, se superposent, se complètent, se contredisent. La raison en est simple : les sources légitimes de définition du concept de juridiction sont multiples et s’attachent à des réalités variées et contingentes. Plus clairement, la définition de la juridiction pourra être donnée par le droit écrit, la jurisprudence et la doctrine ; et ces trois sources, en plus de n’être pas systématiquement concordantes intrinsèquement et entre elles, ne s’appliquent pas à une matière unique.

D’une part, le droit écrit ne définit pas explicitement la juridiction. Il délivre parfois des indices significatifs d’identification de ce concept. Par exemple, le Statut de la CIJ, dans son article 38, définit la fonction juridictionnelle de la Cour en précisant que sa mission est ‘ « de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis ’ ». De même, l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dispose que ‘ « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi » 108 . Ce faisant, des critères de juridiction sont formulés. Cependant, ils ne sont ni communs aux différents ordres juridiques, ni hiérarchisés, ni considérés exhaustivement. Ils sont contingentés par la fonction et les objectifs particuliers du dispositif normatif considéré. De la sorte, la seule lecture du droit écrit ne saurait être suffisante à caractériser le concept de juridiction.

Par ailleurs, cette source écrite ne donne que rarement des éléments explicites de définition mais se contente, au mieux, de qualifier certaines entités comme étant de nature ‘ « juridictionnelle ’ ». Le plus souvent, la juridictionnalité se déduira d’un vocabulaire, comme ‘ « cour ’ », ‘ « tribunal ’ », « juge », ‘ « magistrat ’ », ‘ « procès ’ », ‘ « litige ’ », ce vocabulaire renvoyant à l’idée de justice qui elle-même renvoie dans son sens commun à la juridiction 109 . Il faudra rechercher dans les règles de fonctionnement de l’entité quels sont les éléments constitutifs de cette juridictionnalité. Le droit écrit ne se préoccupe pas des catégorisations théoriques et son pragmatisme logique, associé à l’extrême diversité des branches du droit, des ordres juridiques et des institutions juridiques, rend impossible l’identification d’un concept unique de juridiction. En outre, même quand le droit écrit confère explicitement un qualificatif « juridictionnel » à une entité déterminée, il n’est pas certain que le fonctionnement effectif de cette entité ne puisse être exempt de critiques quant à sa juridictionnalité 110 . En général, le droit écrit doit être analysé et interprété pour pouvoir en tirer la qualification juridictionnelle de l’entité qu’il institue et organise ; il ne constitue qu’un des indices permettant la reconnaissance d’une juridiction ; et l’absence de cet indice, comme la présence d’indices contraires, peuvent être surmontées.

D’autre part, la jurisprudence paraît plus à même de définir le concept de juridiction. Le juge peut être amené à se prononcer sur la juridictionnalité d’une entité déterminée, parce que ce qualificatif aurait des conséquences juridiques particulières. Ce faisant, il dégagera des critères de définition de la juridiction qu’il appliquera à l’espèce qui lui est soumise. Deux illustrations éloquentes peuvent être données. La première est relative au juge administratif français qui a souvent l’occasion de considérer le caractère juridictionnel d’un organisme particulier, par exemple d’un organe à vocation disciplinaire 111 . Le juge fixera alors des critères de juridiction auxquels il confrontera la réalité de ladite entité. En réalité, ‘ « sa démarche est pragmatique » ’, le juge privilégiant ‘ « tantôt les éléments formels, tantôt les éléments matériels », faisant même parfois appel ‘ « à des critères d’opportunité » 112 . De la sorte, une multiplicité de critères est énoncée ; aucun n’est déterminant et tous sont étroitement dépendants du cas d’espèce.

La seconde illustration est celle de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et plus particulièrement de la question préjudicielle de l’article 234 CE (anciennement article 177 CE) : aux termes de cette disposition, ‘ « la Cour de justice est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du traité et du droit communautaire dérivé, ou sur la validité de ce dernier, lorsqu’une telle question lui est posée par une "juridiction d’un des Etats membres" » 113 , ce qui implique que la CJCE doive examiner la recevabilité de toute question préjudicielle en identifiant le caractère juridictionnel de l’auteur de cette question. Depuis l’affaire Vaassen-Göbbels de 1966 114 , une quarantaine d’affaires a pu être recensée 115 et des éléments de juridiction ont pu être énoncés : lien constitutif avec l’autorité publique, indépendance, impartialité, procédure contradictoire, etc. Toutefois, la liste de ces éléments ‘ « n’est pas nécessairement close (…) et la pondération des divers éléments n’est pas nécessairement immuable. (…) De cette jurisprudence ne résulte pas une définition de la notion de juridiction, que la Cour ne s’est jamais essayé à fournir ’ » 116 . En réalité, la CJCE va considérer des indices de juridiction, dont certains seront plus déterminants que d’autres, afin de dégager une convergence emportant la conviction d’une qualification juridictionnelle 117 .

Ainsi, la source juridictionnelle ne peut donner une définition unique et générale du concept de juridiction. D’abord, la décision du juge est, par sa nature même, d’une portée limitée au cas d’espèce et d’une instabilité patente dans sa succession. De même, l’extrême diversité des ordres juridiques dans lesquels peut s’insérer une telle décision restreint la définition à un ordre juridique déterminé ; chaque ‘ « droit ’ » possède ses spécificités et ses objectifs qui rejaillissent forcément sur celles des institutions qui lui sont soumises et des juges qui identifient la juridiction. Ensuite, la démarche utilisée est celle d’un faisceau d’indices variables et hétérogènes et non celle de la fixation de critères généraux et immuables ; si cette démarche peut être efficace, elle n’autorise pas la formulation d’une définition conceptuelle unique. Pour finir, un paradoxe naît de la nature même de la source jurisprudentielle : ce sont des juridictions qui vont définir la juridiction, de telle sorte qu’il n’est pas certain que la définition soit des plus rigoureuses et des moins discutables sur le plan théorique. Aussi la définition de la juridiction donnée par la jurisprudence sera-t-elle pragmatique et difficilement exportable dans son intégralité à d’autres espèces ou à d’autres ordres juridiques. Par voie de conséquence, la source doctrinale ne peut produire une définition unique unanime de la juridiction, ayant pour fondement d’analyse le droit écrit et jurisprudentiel lui-même empêtré dans la contingence.

Cette source doctrinale ne doit pas pour autant être négligée. De nombreuses études fondamentales s’attachent à la définition du concept de juridiction. En particulier, les plus éminents publicistes français ont développé de remarquables analyses de ce concept 118 , et cette démarche ne cesse d’être renouvelée 119 . De même, cette définition occupe une place centrale au sein des réflexions attachées au droit international 120 . Toutes ces contributions à l’identification du concept ne sont pas cloisonnées, car ‘ « la même fonction [juridictionnelle], substantiellement, s’exerce de part et d’autre (…) [des] frontières » 121 . Cependant, aucune étude n’est moins convaincante que les autres. Bien entendu, toute réflexion théorique doctrinale attachée à la définition de la juridiction possède un intérêt majeur qui est celui de l’étude des mécanismes précis considérés, ainsi qu’un intérêt considérable pour l’analyse plus générale du mode de régulation sociale que constitue le droit. Cependant, la définition du concept de juridiction ne bénéficie pas d’une unicité et d’une limpidité telles que la recherche de la juridictionnalité du système mémorandaire serait construite sur un nombre fini de critères définis et serait fondé sur un raisonnement implacable et indiscutable.

La difficulté liée à la définition de la juridiction ne pouvant être surmontée par le choix d’une définition unique, elle conduit soit à refuser tout qualificatif juridictionnel pour cause d’absence de définition, soit à accepter tout énoncé d’une juridictionnalité en admettant la crédibilité de tout choix personnel de critères de définition. Ces deux positions ne sont pourtant pas tenables, car elles reviendraient à nier l’importance fondamentale de toute théorisation de la réalité. Aussi faut-il plus sûrement se positionner par rapport à un choix de définition de la juridiction. Cependant, cette dernière attitude comporte des écueils. Opérer le choix d’une seule source écrite et/ou jurisprudentielle est réducteur. Il pourrait être possible de constater préalablement qu’existe un droit écrit ou jurisprudentiel, applicable au système étudié et donnant des critères de la juridiction, de telle sorte qu’il suffirait de confronter ces critères précis à la réalité du système pour en déduire une éventuelle juridictionnalité. Cette connotation réduirait singulièrement la portée de la juridictionnalité à l’ordre juridique étudié, alors qu’un tel cloisonnement est maladroit, d’autant plus quand il est question de droit international. Opérer le choix d’une source doctrinale précise serait perdre de vue la problématique qui sous-tend le présent propos et qui est précise puisqu’elle consiste en l’attribution ou le rejet de la qualification juridictionnelle du système mémorandaire de règlement des différends interétatiques. En effet, choisir une définition doctrinale précise reviendrait à en éliminer d’autres, alors même que le débat doctrinal serait ancien et récurrent, donc irréductible. De plus, ce choix prêterait le flanc à des critiques essentielles et légitimes de la part des adversaires dudit choix, ce qui déplacerait le débat, donc la problématique, de la catégorisation d’un système particulier de règlement à la définition théorique de la juridiction ; cette substitution de problématique n’est pas présentement souhaitable.

En réalité, seule la source doctrinale est utilisable car elle est la moins susceptible d’être contingente, par rapport à une norme juridique précise ou à une jurisprudence particulière, à partir du moment où elle adopte une démarche synthétique, théorique et transversale dans la recherche des critères de la juridiction suggérés par le droit écrit et jurisprudentiel. Elle peut être d’autant plus facilement utilisable que le temps des luttes entre les ‘ « grands esprits » 122 publicistes français partisans du ‘ « critérium purement formel » ou du ‘ « critérium matériel » 123 semble révolu pour donner lieu, en définitive, à une ‘ « définition qui peut se réclamer de la tradition (même si elle n’est adoptée qu’avec précaution), et peut faire ainsi figure rhétorique de "définition classique" » 124 . De plus, ‘ « tant au point de vue formel qu’au point de vue matériel, les juridictions dans le domaine des relations internationales ne ressemblent que d’assez loin aux juridictions internes » 125 . Cette ‘ « "définition classique" » est le fruit de la synthèse remarquable opérée par M. Santulli : ‘ « une juridiction est un organe qui met fin à un différend par une décision obligatoire (i.e. "revêtue de l’autorité de la chose jugée") rendue en application du droit » ’, ce qui définit selon lui « le concept d’acte juridictionnel » ; ce dernier doit être complété par le ‘ « concept de fonction juridictionnelle  ’» qui est le ‘ « lien logique entre les trois éléments » de cet acte juridictionnel ; aucun autre élément ne mérite, selon lui, d’être ajouté 126 .

Pour intéressante qu’elle soit, cette définition n’en reste pas moins restrictive. Sa validité est subordonnée à son interprétation extensive, alors même que l’auteur paraît peu enclin à admettre une telle interprétation. En effet, axée sur trois éléments essentiels et rejetant tout critère annexe, cette ‘ « définition classique ’ » envisagée strictement est susceptible d’exclure de la qualification juridictionnelle un nombre important d’entités pourtant considérées tout aussi classiquement comme juridictionnelles. Par exemple, le juge constitutionnel français n’a pas réellement pour fonction de mettre fin à un différend stricto sensu quand il effectue le contrôle de constitutionnalité d’une norme juridique nationale 127 . De même, il est difficile d’admettre l’effectivité de l’autorité de chose jugée conférée à la décision prise par le juge administratif à l’encontre de la personne publique étatique, comme il est malaisé d’exclure la juridictionnalité du juge qui se prononce en équité et non ‘ « en application du droit ». Ces quelques illustrations sont, certes, discutables et mériteraient d’être approfondies et diversifiées, mais elles suffisent à montrer la tension consécutive à l’application d’une définition stricte et catégorique de la juridiction, tension entre une conceptualisation unique de la juridiction et la diversité des mécanismes juridictionnels qu’elle est sensée englober.

Or, cette tension est difficilement acceptable quand il s’agit de considérer un concept comme grille de lecture d’une réalité. En effet, la juridiction est présentement utilisée comme analyseur constitutif d’un système particulier de règlement des différends, et non comme concept théorique confronté à d’autres concepts ; sa définition théorique ne répond pas à la présente problématique de la juridictionnalité du système mémorandaire même si elle constitue un outil fort utile au service de la résolution de cette problématique. L’objectif premier de l’utilisation du concept de juridiction est d’appréhender et d’expliciter une réalité complexe et confuse, de confronter un mécanisme concret à une classification scientifique pour trancher la question particulière de la catégorisation dudit mécanisme. Aussi, adopter des critères de juridiction trop restrictifs et, partant, très discutables, ne convaincra pas les plus réticents de la juridictionnalité du système mémorandaire. Il faut au contraire ‘ « ratisser large » ’ et ‘ « faire feu de tout bois ’ » afin que la crédibilité de la démonstration soit renforcée.

Il n’est pas question, par cette démarche pragmatique, d’esquiver, par faiblesse ou par peur, l’engagement dans la réflexion théorique et dans le débat doctrinal. Il est davantage question de signifier une insatisfaction face à la pléthore des conceptualisations concurrentes ou complémentaires de la juridiction, de construire une démonstration convaincante, rigoureuse, efficace, qui soit la moins discutable et la plus exhaustive possibles, et, finalement, d’adopter une théorisation des critères de définition de la juridiction qui soit la plus fondamentale et la plus limpide. Pour ce faire, il ne serait pas pertinent de procéder à la synthèse et à la classification, par ordre de pertinence, des critères de la juridiction qui peuvent être énumérés, et par la norme juridique envisagée dans sa plus grande généralité – que cette norme soit écrite ou jurisprudentielle, et par les conceptualisations doctrinales pertinentes. En effet, cette démarche serait très difficilement menée à bien du fait de la quantité et de la diversité, toutes deux considérables, de ces critères ; elle aboutirait, en outre, à une conceptualisation supplémentaire guère plus convaincante que ses aînées et sans doute bien moins efficace. En réalité, il suffit, plus modestement, de reprendre la définition étymologique de la juridiction.

La juridiction est l’addition de deux termes simples : ‘ « juris ’ » et ‘ « dictio ’ », le premier étant une déclinaison du ‘ « droit ’ » (jus) et le second signifiant ‘ « action de dire, d’exprimer, de prononcer » 128 . Le jurisdictio est donc l’action de dire le droit. La juridiction est fondamentalement telle parce qu’elle ‘ « dit ’ » le ‘ « droit ’ ». Elle est une action particulière, logiquement menée par un acteur particulier, et désigne par conséquent l’entité qui dit le droit. Cette définition étymologique doit être précisée et clarifiée car, si l’acteur (l’entité) et l’objet (le droit) ne paraissent pas pouvoir être définis confusément, tel n’est pas le cas de l’action de dire le droit qui est une action floue. En effet, diverses entités sont susceptibles, dans un sens commun, de dire le droit, sans pour autant pouvoir être qualifiées de juridictions. Deux illustrations majeures peuvent être énoncées. La première est celle du législateur qui, créant le droit, va prononcer des règles juridiques, donc dire le droit. La seconde est celle du jurisconsulte qui, donnant son avis sur des questions juridiques, va utiliser et interpréter des normes juridiques, donc dire le droit. Aussi l’action de dire le droit, appréhendée dans son sens le plus commun, ne peut-elle être l’attribut de la seule juridiction.

La définition de la juridiction comme entité qui dit le droit doit donc être précisée par l’approfondissement du sens de ce dictio. Le verbe ‘ « dire ’ » a plusieurs sens communs. Il signifie ‘ « émettre (…), prononcer ’ », ‘ « exprimer par le langage ’ », ‘ « faire connaître ’ » 129 , et il aura un sens bien particulier quand il s’appliquera au droit. En effet, le droit est, de façon sommaire et globale, un mode de régulation sociale ; il a en charge de réguler les rapports entre les différentes composantes de la société considérée. Partant, il est une norme qui a vocation à s’appliquer à des situations concrètes qui sont celles survenant entre au moins deux de ces composantes en conflit 130 , puisque tel est son rôle régulateur. Ainsi, du fait de cette vocation particulière, ‘ « dire ’ » le droit signifie ‘ « prononcer », ‘ « exprimer », ‘ « faire connaître » ’ le droit applicable à une situation concrète déterminée. Ce dictio confère donc à l’acteur qui l’a en charge une position particulière.

D’une part, prononçant ou encore exprimant le droit applicable, l’acteur juridictionnel ne le crée pas mais se charge, par le dictio, de faire le lien entre la norme générale et la situation concrète. Il confronte les règles, créées en dehors de lui et de tout rapport sociétal conflictuel, à la situation concrète conflictuelle qui lui est soumise et qui nécessite l’application du droit régulateur. Plus clairement, l’acteur juridictionnel prononce le droit applicable afin de trancher un différend. Aussi n’a-t-il pas pour fonction de créer du droit mais de dire le droit qui s’applique particulièrement au différend qui lui est soumis, afin de le trancher par application de ce droit. L’action de dire le droit n’est donc pas l’action de créer le droit, de telle sorte que la juridiction n’est pas le législateur. Certes, il est possible d’objecter que le juge, par son dictio, crée le droit par la voie jurisprudentielle. Mais cette création est une conséquence d’un dictio étendu et récurrent et non son objet. De même, il est possible d’objecter que le législateur tranche, par la création du droit, des conflits, soit actuels et sociaux, soit hypothétiques et à venir. Mais le principe de non-rétroactivité de la norme juridique prédomine, les conflits tranchés ne seront pas nés et actuels et le législateur n’a pour tâche ni de recevoir ni de traiter un cas d’espèce soumis par deux entités en conflit.

D’autre part, ‘ « dire ’ » le droit consiste à le ‘ « faire connaître » ; et cette dernière expression ne saurait se résumer au prononcé du droit applicable au cas d’espèce mais elle est d’une portée plus grande. ‘ « Faire connaître ’ » suggère la publicité et l’explicitation d’un objet non ou mal connu, la reconnaissance et la confirmation d’une centralité oubliée ou négligée, la consécration et la pérennisation d’une autorité ; et cette expression ne limite par le dictio au cas d’espèce traité mais suggère sa diffusion plus générale. Ainsi, dire le droit participe à l’explicitation, l’application, la validité et l’évolution de ce droit ; dire le droit, c’est, en définitive l’‘ » inventer ’ », le révéler et le consacrer. Dans ce sens, il n’est pas question de confondre la juridiction et le jurisconsulte car celui-ci ne peut conférer à son action d’énonciation du droit la portée que la juridiction attribue quand elle ‘ « fait connaître ’ » ce droit. Ici se trouve la justification de la norme jurisprudentielle, norme que le jurisconsulte ne peut créer. Ce dernier lit et déchiffre le droit, l’interprète pour l’expliciter dans le cercle fermé de ses quelques auditeurs, mais il ne le dit pas – ne le fait pas connaître – dans le sens où il participerait à l’effectivité et l’évolution de ce droit. Par ailleurs, le jurisconsulte peut, certes, intervenir dans le cadre d’un conflit né et actuel mais il n’a pas pour fonction de trancher le conflit et pourra très bien être sollicité en dehors de tout conflit effectif.

Par conséquent, la définition de la juridiction, entité qui dit le droit, doit être appréciée au regard du sens précis du dictio, sens conféré par l’application de ce dictio à la matière juridique. Aussi faut-il, par souci de clarté, préciser cette définition afin de lui intégrer ce sens particulier. De la sorte, cette définition sera suffisamment stricte pour ne pas englober des entités et des actions non-juridictionnelles mais pour, au contraire, distinguer la juridiction des autres acteurs œuvrant dans le domaine du droit. Le dictio n’est pas la création du droit par le législateur car il a pour fonction de trancher un différend en fonction du droit applicable ; il n’est pas la lecture du droit par le jurisconsulte car il révèle et consacre ce droit, qui plus est à l’occasion d’un différend. Ainsi, la juridiction est l’entité qui fait connaître le droit applicable au conflit qu’elle tranche.

Si cette définition peut être formulée dans son sens simplifié d’entité qui dit le droit ou d’entité qui opère le juris dictio, c’est à la condition de ne pas négliger de prendre toute la mesure du sens et de la portée de ce dictio. Dire le droit consiste à faire connaître le droit applicable au différend ainsi tranché et non créer, lire, énoncer, interpréter ou encore reformuler le droit. C’est présentement la définition simplifiée qui sera retenue, pour d’évidentes raisons de simplicité et de clarté stylistique, mais ce choix formel ne méconnaît pas, loin s’en faut, la définition complète précédemment énoncée. Il faut systématiquement garder à l’esprit le sens plein du ‘ « dictio ’ » et du ‘ « dire ’ » quand ils s’appliquent au droit 131 .

Qu’elle soit ou non simplifiée, la définition fait apparaître les deux critères essentiels de la juridiction : un acteur, qui est l’entité, et une action, qui est le juris dictio. Tous deux sont particuliers. L’action l’est forcément puisqu’elle consiste à dire le droit ; l’acteur l’est consécutivement puisqu’il doit mener effectivement et efficacement cette action particulière. De la sorte, la juridiction est une structure et une fonction, toutes deux spécifiques puisque communiant dans le juris dictio, et toutes deux inséparables puisque l’effectivité et la substance de l’action sont dépendantes de l’acteur et que l’identité de l’acteur est conditionnée par l’action particulière qu’il a en charge de mener. Fonction et structure participent de manière indivisible à l’effectivité de la qualification juridictionnelle dudit système. La tentation pourrait être de dire que la fonction juridictionnelle est la condition nécessaire et suffisante de la juridiction. En réalité, il ne saurait en être ainsi. La structure différencie le juris dictio des autres ‘ « énoncés ’ » du droit et lui garantit son effectivité, sa rigueur et sa portée. Il ne peut y avoir d’action sans acteur ; il ne peut y avoir de dictio sans incarnation d’une autorité et d’une aptitude.

Les multiples critères juridiques jurisprudentiels et doctrinaux, a priori constitutifs de la juridiction, s’en trouvent replacés : ils s’appliqueront à l’acteur et/ou à l’action du juris dictio, c’est-à-dire à la structure et à la fonction de la juridiction ; ils seront les conséquences de l’identité respective particulière de cet acteur et de cette action. Ces critères ne sont donc pas les fondements mais les conséquences de la juridictionnalité. Partant, la démarche d’identification d’une juridiction n’est pas l’élaboration ou la consécration de critères de la juridiction mais la recherche d’un faisceau d’indices particularisant une structure et une fonction, de telle sorte que ces deux dernières puissent atteindre par leur articulation le juris dictio. Ainsi, aucun indice n’est a priori déterminant. La démarche du faisceau conduit à se laisser convaincre par une concordance d’indices suffisamment significative pour que le juris dictio soit avéré dans ses deux éléments constitutifs que sont sa structure et sa fonction. En définitive, la juridiction est attestée par une conviction issue de l’observation d’un faisceau d’indices suffisamment denses et concordants pour persuader de l’existence d’un acteur qui dit le droit, d’une structure juridictionnelle qui a une fonction juridictionnelle.

Plus concrètement, répondre à la question de la juridictionnalité du système mémorandaire implique d’identifier une structure et une fonction, toutes deux de nature juridictionnelle. Cette identification s’opèrera par la recherche des caractéristiques structurelles et fonctionnelles de ce système, par l’identification de deux faisceaux d’indices tentant d’établir une juridictionnalité respectivement structurelle et fonctionnelle, par l’appréciation du caractère persuasif de ces deux séries d’indices concordants, et par l’évaluation de la capacité de l’articulation entre structure et fonction à un juris dictio. Le système mémorandaire sera une juridiction si sa structure est juridictionnelle et si sa fonction est juridictionnelle. Cette juridictionnalité sera établie par la mesure du faisceau des indices allant dans le sens d’une caractérisation juridictionnelle.

Cette démarche, appliquée à ce système particulier, est malaisée. Rien n’indique a priori la juridictionnalité structurelle et fonctionnelle du système mémorandaire. Le texte institutif n’utilise jamais un vocabulaire pouvant renvoyer à l’idée de justice, donc de juridiction. Le seul terme employé connotant la juridiction est le ‘ « contentieux » ’ ‘ 132 ’ et le Mémorandum l’utilise pour le rejeter. S’en tenir à cette constatation et ne pas reconnaître de ce seul fait la juridictionnalité du système mémorandaire serait bien peu rigoureux, non seulement parce qu’une étude approfondie du texte doit confirmer ce rejet, mais également parce que la pratique du système doit donner des indices déterminants de la reconnaissance de cette juridictionnalité. Il reste que cette démarche est complexe car le système mémorandaire a une double caractéristique peu propice à l’identification d’une juridictionnalité : il est pragmatique et euphémique.

Le pragmatisme est évident. Il est à l’origine de la complexité, largement développée précédemment, du processus de règlement que le Mémorandum organise et rend difficile toute tentative de catégorisation du système mémorandaire. Force est de constater, avec M. Canal-Forgues, que ‘ « le pragmatisme qui a présidé à l’élaboration des textes ayant donné naissance à l’Organe d’appel interdit d’y voir l’ébauche d’une construction intellectuelle rigoureuse ; ou l’esquisse d’une architecture logique ; ou encore le croquis d’une armature solide. Il s’agit d’un mécanisme expérimental qui nécessite d’être mis à l’épreuve d’une pratique étendue avant de présenter toutes les garanties de sécurité et de stabilité aux fins de la réalisation du droit » 133 .

Quant à l’euphémisme, sa réalité est aisément palpable par le seul examen de l’intitulé du Mémorandum. Ce dernier est le ‘ « Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends ’ ». Le premier euphémisme provient du choix de qualifier ce texte de ‘ « mémorandum ’ » qui a pour sens commun, davantage de langue anglaise, d’être une ‘ « note de service » 134 . Or, ce Mémorandum est en réalité un accord multilatéral au même titre que les autres accords, d’ailleurs qualifiés comme tels, composant le dispositif normatif de l’OMC 135 . Il faut donc croire que c’est l’objet même de ce texte qui lui confère une identité formelle atténuée. Cet euphémisme peut être parfaitement compréhensible si l’on considère la réticence naturelle des Etats souverains face à tout mécanisme de règlement de leurs différends qui leur est quasiment imposé, ce qui est le cas dans le cadre de l’OMC puisque les Membres ne peuvent, par principe, choisir lesquels des accords multilatéraux ne leur sont pas applicables.

Un second euphémisme peut être identifié qui concerne le terme même de ‘ « différend ’ ». Ici, le Mémorandum marque sa position médiane : il ne règle pas les ‘ « conflits ’ » qui sont le degré minimal, sur l’échelle de la juridictionnalisation des désaccords entre parties, des antagonismes interétatiques ni les ‘ « litiges ’ » qui ont une connotation juridictionnelle claire, mais les ‘ « différends ’ » qui peuvent apparaître comme des ‘ « conflits ’ » juridicisés dont le règlement est institutionnalisé 136 . Pourtant, le Mémorandum contient, dans sa complexité, des procédures d’arbitrage qui pourraient très bien substituer le ‘ « litige ’ » au ‘ « différend ’ », puisque l’arbitrage peut être considéré comme le mode juridictionnel non-institutionnalisé de règlement des différends. Là encore, il faut croire que l’atténuation des termes permet de ne pas effaroucher les Etats Membres soucieux de leur souveraineté. Etant placés dans l’intitulé même du texte organisant le système mémorandaire, ces deux euphémismes symbolisent une démarche euphémique qui aura toutes les chances de se retrouver au sein même du processus de règlement mémorandaire.

Par conséquent, l’identification d’une structure et d’une fonction juridictionnelles émergera difficilement car le pragmatisme et l’euphémisme, qui ont cours au sein du système mémorandaire, entretiennent le doute quant à cette double juridictionnalité. Bien plus, ces deux difficultés constituent des obstacles à l’émergence d’une juridictionnalité : le pragmatisme empêche l’individualisation d’un mécanisme unique et concis dont l’analyse aurait pu facilement identifier ou rejeter la juridictionnalité structurelle ; l’euphémisme obscurcit, voire dissimule le rôle réel dévolu au système mémorandaire, rendant a priori péremptoire l’affirmation ou la négation d’une juridictionnalité structurelle. Identifier une structure juridictionnelle requiert ainsi la nécessité de se détacher, par émancipation, du pragmatisme apparent caractéristique du système mémorandaire. Identifier une fonction juridictionnelle, dont cette structure sera l’acteur titulaire, requiert la nécessité de passer outre l’euphémisme, par désinhibition, pour assumer une pleine juridictionnalité.

De façon plus synthétique, le système mémorandaire ne peut constituer une juridiction internationale que s’il s’émancipe de son pragmatisme structurel (Première Partie) et se désinhibe de ses complexes fonctionnels (Deuxième Partie).

Notes
1.
Extrait de la définition de la « souveraineté » donnée par M. de Villiers, Dictionnaire de droit constitutionnel, Armand Colin/Masson, Paris, 1998, p. 207. En réalité, la notion de souveraineté est bien plus complexe. Par exemple, la souveraineté est également « l’identification du détenteur de la puissance suprême dans l’Etat » (M. de Villiers, op. cit.), elle peut s’analyser « en un faisceau de compétences » (voir sur ce point F. Luchaire, « La souveraineté », R.F.D.C., 43, 2000, p. 454) ou encore être contestée par d’éminents théoriciens du droit (voir sur ce point O. Beaud, « La notion d’Etat », Archives de philosophie du droit, t. 35, 1990, p. 125). Concept central de nombreux domaines scientifiques, objet récurrent d’études en science du droit, la souveraineté est une question qui n’est pas épuisée, loin s’en faut.
2.
M. Troper, Pour une théorie juridique de l’Etat, P.U.F., coll. Léviathan, 1994, p. 20.
3.
M. de Villiers, op. cit., p. 207.
4.
O. Beaud, op. cit., p. 131.
5.
Ibid., p. 132.
6.
Ibid., p. 132.
7.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), Droit international public, L.G.D.J., E.J.A., 7ème éd., Paris, 2002, p. 36.
8.
Ibid.
9.
Ibid., p. 35. L’emploi de l’adjectif « international » pour qualifier présentement la « société » et le « droit » est critiquable. Il pourrait lui être préféré l’adjectif « interétatique » sans doute plus précis et plus pertinent dans la mesure où l’Etat ne saurait se résumer à la nation qui n’en est qu’une composante. Cependant, ce choix terminologique est inspiré par un souci de clarté puisque cet adjectif est « solidement ancré dans le vocabulaire juridique ». Par ailleurs, ce « droit international » est souvent qualifié de « public » par opposition au « droit international privé » mais « il faut noter seulement (…) que le droit international privé doit toujours être accompagné du qualificatif qui l’identifie, tandis que lorsque l’expression "droit international" est employée sans qualificatif, c’est toujours (…) du droit international public qu’il s’agit ». Le présent propos applique ces considérations formelles, pour d’évidentes raisons de pertinence stylistique. Voir pour une étude détaillée de la « définition formelle du droit international » ibid., pp. 35-38.
10.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 59 et 83.
11.
Ibid., p. 85.
12.
Pour une étude détaillée de ce débat et la démonstration de l’existence du droit international, voir ibid., pp. 85-92.
13.
Ibid., p. 59.
14.
M. Virally, « Sur la prétendue "primitivité" du droit international », in Le droit international en devenir, P.U.F., Publications de l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales (Genève), Paris, 1990, pp. 92-93.
15.
M. Combacau, « le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de philosophie du droit, t. 31, 1986, p. 105.
16.
Cours de droit international, Sirey, 1929, p. 47, cité par P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 84.
17.
M. Virally, « Le droit international en question », in Le droit international en devenir, P.U.F., Publications de l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales (Genève), Paris, 1990, p. 14.
18.
Cet échec est décrit, par exemple, par M. Virally, « Le droit international en question », op. cit., pp. 13-16. Voir également ce même auteur in « » Sur la prétendue "primitivité" du droit international », op. cit., pp. 98-101. Pour un propos similaire, cette fois-ci davantage axé sur le thème de la juridiction internationale, se reporter à C. Philip, « Nature et évolution de la juridiction internationale », in Société Française pour le Droit International, La juridiction internationale permanente, Colloque de Lyon, Pedone, Paris, 1987, pp. 3-6. De même, « les phénomènes repérables dans la société internationale sous la désignation de sanctions (…) n’annoncent guère l’ordre mondial tant prophétisé », comme le souligne Mme Chemillier-Gendreau, in « La notion de sanction en droit international », in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser, Presses Universitaires de Grenoble, 1995, p. 115.
19.
M. Virally, « Le droit international en question », op. cit., pp. 19 et 22.
20.
Ibid., p. 15.
21.
Couston (M.), « La multiplication des juridictions internationales – Sens et dynamiques », J.D.I., 1, 2002, p. 6. Voir également P. Sands, « Vers une transformation du droit international ? », Droit international 4, Cours à l’IHEI, Pedone, Paris, 2000, pp. 236-251.
22.
Ibid., p. 24.
23.
Article II : 1 de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (l’Accord instituant l’OMC). Pour mémoire, il faut noter que le signe " : " inséré entre deux chiffres relatifs à une disposition d’un texte normatif de l’OMC désigne un paragraphe numéroté : le premier chiffre désigne le numéro de l’article ou de la règle et le second le numéro du paragraphe donné par la disposition. Cette abréviation est préférée à la mention "paragraphe" par souci de clarté et de cohérence dans la mesure où les textes de l’OMC ainsi que les institutions de cette Organisation – et la plupart des écrits doctrinaux – emploient ces mêmes conventions typographiques.
24.
Voir sur ce point l’article II : 4.
25.
Tous ces instruments juridiques sont rassemblés dans les annexes 1 à 4 de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce. Si la grande majorité de ces instruments sont des « accords », deux d’entre eux ont des dénominations plus confuses, l’un étant un « Mémorandum d’accord » et l’autre un « mécanisme ». Cependant, cette diversité terminologique n’a pas de conséquence majeure sur la nature et la portée de ces instruments juridiques ; elle ne traduit pas une éventuelle complexité du dispositif normatif de l’OMC. En réalité, deux types d’instruments juridiques sont distingués par l’Accord instituant l’OMC : les Accords commerciaux multilatéraux, « contraignants pour tous les Membres » (article II : 2), et les Accords commerciaux plurilatéraux, qui ne sont contraignants que « pour les Membres qui les ont acceptés » (article II : 3). Les accords multilatéraux sont tous les instruments juridiques, y compris le Mémorandum, annexés à l’Accord instituant l’OMC, moins quatre accords réunis dans l’Annexe 4 expressément consacrée aux accords plurilatéraux : l’Accord sur le commerce des aéronefs civils, l’Accord sur les marchés publics, l’Accord international sur le secteur laitier et l’Accord international sur la viande bovine.
26.
Voir pour détails le préambule de l’Accord instituant l’OMC.
27.
Préambule de l’Accord instituant l’OMC.
28.
 Voir sur ce point L. Cartou, L’Union européenne – Traités de Paris-Rome-Maastricht, Dalloz, coll. Précis, 2ème éd., Paris, 1996, pp. 39-41.
29.
En 2003, l’OMC approche les 150 Etats Membres, sur les 191 que connaît l’ONU, organisation sans doute la plus significative d’une universalité. Ce dernier chiffre ne prend en compte ni le Saint-Siège qui est considéré comme un Etat non membre ayant une mission permanente d’observation, ni la « Palestine » considérée par l’ONU comme une entité invitée permanente (voir le site Internet de l’ONU).
30.
Voir sur ce point le paragraphe final et de l’Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay et de l’Accord instituant l’OMC, qui précise que ces textes sont rédigés « en langues française, anglaise et espagnole, les trois textes faisant foi ». En outre, tous les documents émanant de l’OMC sont rédigés dans ces trois langues.
31.
L’expression « World trade organization » renvoie à l’alternative organisation mondiale du commerce/organisation du commerce mondial. Elle peut même renvoyer à l’» organisation du commerce international » puisque le Dictionnaire Anglais-Français/Français-Anglais Harrap’s Compact (Edition Chambers Harrap Publishers Ltd 1997, p. 109) donne « world trade » comme traduction de « commerce international ».
32.
L’emploi du « of » anglais aurait donné cette précision terminologique. Par exemple, « world trade organization » aurait pu être remplacé par « organization of world trade » ou encore « world organization of trade », cette dernière expression étant sans doute la plus proche des expressions française et espagnole, du point de vue du sens.
33.
Il est difficile de préférer ici le terme « Etat » à celui de « collectivité d’individus » ou encore de « société organisée » dans la mesure où l’entité étatique est une création récente au regard de l’Histoire.
34.
Une lecture de l’étude historique synthétique de l’histoire du droit international menée par MM. Daillier et Pellet (N. Quoc Dinh †) (op. cit., pp. 41 et s.) montre facilement que le commerce est, avec la guerre, au centre des relations inter-sociétales depuis l’Antiquité. Ces éminents auteurs précisent même que « le monde "connu" était dominé par la tendance à l’autarcie et à l’isolement des peuples » et que « les besoins économiques eurent raison de l’autarcie et de la violence et obligèrent chaque Empire [égyptien et babylonien] à entrer en relation pacifique avec le monde extérieur. Grâce à ce mouvement, de grands courants commerciaux s’établirent » (p. 43).
35.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 1111.
36.
L’intitulé de ce Mémorandum est précis et significatif : il est le « Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends ».
37.
L’intitulé du Mémorandum ne permet pas de qualifier ces « différends » d’» interétatiques ». Ce texte pourrait très bien concerner, par exemple, les différends entre les institutions de l’OMC ou encore entre l’Organisation et l’extérieur. Néanmoins, une lecture rapide du Mémorandum permet de s’assurer, sans le moindre doute, du caractère interétatique des différends dont le règlement est organisé par ce texte (pour détails, voir infra, Section consacrée à la justiciabilité des Etats Membres, Première Partie, Titre II).
38.
Article 3 : 2 du Mémorandum.
39.
Cet adjectif pourra signifier « relatif au Mémorandum, du Mémorandum » et sera utilement employé dans les présents développements car son manque d’élégance ne peut l’emporter pas sur la nécessaire fluidité du style de rédaction.
40.
Article IV : 1 de l’Accord instituant l’OMC.
41.
Voir sur ce point l’article IV : 2.
42.
Les autres organes de l’OMC découlent du Conseil général : certains sont ledit Conseil général se réunissant « en tant que » ; les autres sont sous la conduite du Conseil général. Voir pour détails l’article IV de l’Accord instituant l’OMC et l’organigramme de l’OMC (appelé « Structure de l’OMC » sur le site Internet de l’Organisation) ainsi que, pour analyse détaillée de l’Organisation, plus particulièrement : D. Carreau, P. Juillard, Droit international économique, L.G.D.J., 4ème éd., Paris, 1998, pp. 58-67 ; T. Flory, « Remarques à propos du nouveau système commercial mondial issu des accords du cycle d’Uruguay », J.D.I. 4, 1995, pp. 877-891 ; T. Flory, « Chronique de Droit international économique – Commerce international », A.F.D.I. XXXIX, 1993, pp. 752-762 ; J. H. Jackson, « Observations sur les résultats du cycle de l’Uruguay », R.G.D.I.P. 1994, pp. 675-688 ; M. Rainelli, L’Organisation mondiale du commerce, La Découverte, coll. Repères, 6ème éd., 2002, pp. 88-99 ; H. Ruiz Fabri, « Organisation mondiale du commerce ; Droit institutionnel », Juris-Classeur de Droit international, Volume 1, Fascicule 130-10 de mai 1998, éd. Du Juris-Classeur, 1998.
43.
Intitulé de l’article III de l’Accord instituant l’OMC.
44.
Article III, paragraphes 1 et 2.
45.
Voir sur ce point l’article IV, paragraphe 3.
46.
Voir sur ce point l’article 2 : 1 du Mémorandum.
47.
Article 3 : 7.
48.
Article 3 : 10.
49.
Ce mécanisme complexe est prévu par l’article X de l’Accord instituant l’OMC. Dans une moindre mesure, l’article IX : 2 prévoit la possibilité d’adopter des « interprétations » qui pourraient en pratique réviser les différends accords de l’OMC, même si cette disposition précise que ce mécanisme « ne sera pas utilisé d’une manière susceptible d’éroder les dispositions relatives aux amendements de l’article X ».
50.
Voir sur ce point l’article IX : 1.
51.
Voir pour détails le Mémorandum, article premier.
52.
De nombreux auteurs décrivent avec la plus grande efficacité le fonctionnement du système de règlement de l’OMC tel qu’il est prévu par le Mémorandum. Voir en particulier : E. Canal-Forgues, « Le système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », R.G.D.I.P., 1994, pp. 689-707 ; D. Carreau, P. Juillard, op. cit., pp. 71-92 ; P.M. Eisemann, « Le système normatif de l’Organisation Mondiale du Commerce », in Société Française pour le Droit international, La réorganisation mondiale des échanges, Colloque de Nice, Pedone, Paris, 1996, pp. 53-73 ; M. Rainelli, L’Organisation mondiale du commerce, La Découverte, coll. Repères, 6ème éd., Paris, 2002, pp. 99-104. ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 709‑755 ; Merrills (J.G.), International Dispute Settlement, Cambridge University Press, Third Edition, 1998, pp. 197-219.
53.
Le Mémorandum prévoit à la fois des procédures à la dénomination classique, telles que les « bons offices, conciliation et médiation » (article 5) ou encore l’arbitrage (articles 21 : 3 c), 22 : 6 et 25), et des procédures d’apparence sui generis, comme les consultations (article 4) ou encore la phase du groupe spécial (articles 6 à 16) et de l’Organe d’appel (article 17).
54.
Par exemple, « les bons offices, conciliation et médiation » s’opposent aux mécanismes d’arbitrage.
55.
Trois phases peuvent être distinguées : les consultations, les bons offices, la médiation et la conciliation, qui permettent un éventuel règlement diplomatique du différend initial ; la phase du groupe spécial et l’examen en appel qui consistent en un traitement du différend initial par des instances particulières de l’OMC ; la phase de l’exécution (articles 21 et s.) qui traite les problèmes d’exécution du règlement du différend initial. Pour exemple, le groupe spécial et l’Organe d’appel interviennent dans les deux dernières phases (se reporter à l’article 21 : 5). Mme Ruiz Fabri énonce également trois phases mais n’adopte pas ce découpage (in « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 732-748) mais préfère placer la phase du groupe spécial dans la première étape et considérer l’examen en appel comme composante unique de la deuxième phase ; cette démarche est tout à fait logique et pertinente dans la mesure où elle a pour objet une comparaison GATT/OMC.
56.
Par exemple, les « bons offices, la conciliation et la médiation (…) pourront commencer à tout moment et il pourra y être mis fin à tout moment » (article 5 : 3). De même, les discussions entre parties peuvent se dérouler pendant la phase du groupe spécial (voir sur ce point l’article 12 : 7). Une autre illustration relative à l’exécution soulève le problème important de « l’articulation des procédures » (voir sur ce point H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution dans le règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 2000 n°3, pp. 642-645).
57.
Il s’agit de l’arbitrage de l’article 25 qui est « un arbitrage rapide (…) conçu comme un autre moyen de règlement des différends ».
58.
Ce modèle est une construction doctrinale suffisamment étayée et classique pour n’être pas l’objet de remises en cause théoriques fondamentales. Il se compose traditionnellement des modes diplomatiques (négociation, bons offices, médiation, enquête et conciliation) et des modes juridictionnels (arbitrage et règlement judiciaire ou juridictionnel stricto sensu). Par exemple, voir pour étude détaillée P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 827-927.
59.
Se reporter particulièrement à l’article 2, paragraphes 1 et 4.
60.
Lebullenger (J.), « La Communauté européenne face au processus de réexamen du système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », R.M.C.U.E. n° 422, 1998, p. 632.
61.
Voir pour exemples : D. Ruzié, Droit international public, Dalloz, coll. Mémentos, 15ème édition, Paris, 2000, pp. 228 et 229 ; E. Canal-Forgues, L’institution de la conciliation dans le cadre du GATT – Contribution à l’étude de la structuration d’un mécanisme de règlement des différends, Bruylant, coll. Organisation internationale et Relations internationales, Bruxelles, 1993, pp. 10-11.
62.
Voir pour exemples : P. Sands, « Vers une transformation du droit international ? », Droit international 4, Cours à l’IHEI, Pedone, Paris, 2000, pp. 240-241 ; M. Salah Mohamed Mahmoud, « Mondialisation et souveraineté de l’Etat », J.D.I. 3, 1996, p. 650 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 709, 738, 740, 744, 745, « Le contentieux de l’exécution dans le règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 2000 n°3, pp. 605-606, et « L’appel dans le règlement des différends de l’OMC : trois ans après, quinze rapports plus tard », R.G.D.I.P., T. 103, 1999, p. 68 ; E. Canal-Forgues, « La procédure d’examen en appel de l’Organisation Mondiale du Commerce », A.F.D.I. XLII, 1996, pp. 845-846, « Le système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », R.G.D.I.P., 1994, pp. 693, 702 et 705, et « Sur l’interprétation dans le droit de l’OMC », R.G.D.I.P., 2001, p. 6. ; T. Flory, « Remarques à propos du nouveau système commercial mondial issu des accords du cycle d’Uruguay », J.D.I. 4, 1995, pp. 882-884 ; M.J. Andrianarivony, « Un panel institué dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce n’est-il pas une juridiction ? », R.R.J. NXXV – 84, pp. 1181-1202 ; D. Carreau, P. Juillard, op. cit., pp. 71-92 ; P. A. Gourion et G. Peyrard, Droit du commerce international, L.G.D.J., coll. Systèmes, 2ème édition, Paris, 1997, pp. 29-30 ; V. Pace, L’Organisation Mondiale du Commerce et le renforcement de la réglementation juridique des échanges commerciaux, L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, Paris, 2000, pp. 198 et 230. La démonstration d’une juridictionnalisation du système mémorandaire est la thèse de M. Andrianarivony, in L’émergence progressive d’une juridiction internationale des échanges. Contribution à l’étude du système de règlement des différends au sein de l’Organisation mondiale du commerce, thèse soutenue le 27 septembre 1998 à l’Université de Saint-Denis de La Réunion, sous la direction de X. Philippe.
63.
E. Canal-Forgues, « Sur l’interprétation dans le droit de l’OMC », R.G.D.I.P., 2001, p. 6. De manière originale, un comparatif a pu être opéré entre différentes juridictions internationales, parmi lesquelles le système de l’OMC, avec évaluation du niveau de chacune d’entre elles en fonction, par exemple de leur indépendance ou encore de leur accès ; et, par rapport à la Cour internationale de justice, le système OMC ne sort pas forcément perdant de cette échelle surprenante (voir Keohane (R.O.), Moravcsik (A.) and Slaughter (A.-M.), « Legalized Dispute Resolution : Interstate and Transnational », International Organization, 54, pp. 457-488).
64.
Voir pour exemples : E. Canal-Forgues, L’institution de la conciliation…, op. cit., p. 582 ; G. Malinverni, « Le règlement des différends dans le cadre des organisations internationales », Droit international – bilan et perspectives, t. 1, Pedone Unesco, Paris, 1991, pp. 604-605 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, p. 714 ; T. Flory, « Remarques à propos du nouveau système commercial mondial issu des accords du cycle d’Uruguay », J.D.I. 4, 1995, p. 882 ; Y. Renouf, « Le règlement des litiges », in T. Flory (Sous la direction de), La Communauté européenne et le GATT. Evaluation des accords du cycle d’Uruguay, Travaux de la Commission pour l’étude des Communautés européennes, publications du Centre de Recherches Européennes, Université Rennes I, éditions Apogée, Rennes, 1995, pp. 41-46.
65.
V. Pace, « Cinq ans après sa mise en place : la nécessaire réforme du mécanisme de règlement des différends de l’OMC », R.G.D.I.P. 2000 n°3 spec., p. 654.
66.
H. Ruiz Fabri, « L’appel dans… », op. cit., pp. 56-57.
67.
M.J. Andrianarivony, « Un panel institué … », op. cit., p. 1200.
68.
C. Santulli, « Qu’est-ce qu’une juridiction internationale ? », A.F.D.I. XLVI, 2000, pp. 79-81 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, p. 709 ; D. Carreau, P. Juillard, op. cit., pp. 71-92.
69.
Merrills (J.G.), International Dispute Settlement, Cambridge University Press, Third Edition, 1998, p. 217.
70.
D. Ruzié, Droit international public, Dalloz, coll. Mémentos, 15ème édition, Paris, 2000, p. 229.
71.
J.-L. Goutal, « Le rôle normatif de l’Organisation mondiale du commerce », Les Petites Affiches, n° 5, 11 janvier 1995, p. 25.
72.
T. Flory, « Chronique de Droit international économique- Commerce international », A.F.D.I. XXXIX, 1993, p. 759. Voir dans le même sens V. Pace, L’Organisation Mondiale du Commerce et…, op. cit., p. 206.
73.
D. Carreau, P. Juillard, op. cit., p. 18.
74.
J. Lebullenger, « L’Organisation mondiale du commerce », in T. Flory (Sous la direction de), La Communauté européenne et le GATT…, op. cit., p. 38. Voir dans le même sens Y. Renouf, « Le règlement des litiges », in La Communauté européenne et le GATT…, op. cit., p. 57 ; V. Pace, L’Organisation Mondiale du Commerce et…, op. cit., pp. 217 et 240. Bien que de manière plus implicite, voir également J. Allain , « The Continued Evolution of International Adjudication », in Travaux du 29e congrès annuel du Conseil canadien de droit international, Tournés vers l’avenir : Le droit internationale du 21 ème siècle, Ottawa, du 26 au 28 octobre 2000, Kluwer Law International, The Hague/London/New York, 2002, pp. 62-63.
75.
Voir sur ce point, pour exemple, Lebullenger (J.), « La Communauté européenne face au processus de réexamen du système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », R.M.C.U.E. n° 422, 1998, pp. 629-637.
76.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 918.
77.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends au sein de l’OMC : naissance d’une juridiction, consolidation d’un droit », in C. Leben, E. Loquin, M. Salem (A l’initiative de), Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20 ème siècle. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Litec-CREDIMI, 2000, p. 305.
78.
Voir sur ce point C.-D. Ehlermann , « Six Years on the Bench of the "World Trade Court" – Some personal Experiences as Member of the Appellate Body of the World Trade Organization », J.W.T. 36(4), 2002, pp. 606-607 et 632-638.
79.
E. Canal-Forgues, « La procédure d’examen en appel de l’Organisation Mondiale du Commerce », A.F.D.I. XLII, 1996, p. 848. Pour des références bibliographiques complémentaires de l’affirmation d’une juridictionnalisation, se reporter à la « littérature bien généreuse » citée in C. Santulli, op. cit., pp. 70-71, note 17.
80.
M. Virally, « Le droit international en question », op. cit., p. 14.
81.
Ce terme « juridictionnalité » peut sembler bien maladroit. Il restera présentement d’un emploi fréquent dans la mesure où il peut avantageusement, à des fins de clarté stylistique, se substituer à des expressions plus lourdes. En outre, la juridictionnalité est le caractère de juridiction et non simplement le caractère juridictionnel. Son utilisation est donc requise à partir du moment où la problématique que la présente recherche tente de résoudre ne peut se satisfaire de caractères juridictionnels mais doit être traitée par le caractère de la juridiction. La juridictionnalité désignera l’identité totale entre la juridiction et le système étudié et non, plus timidement, la similarité entre des critères de nature juridictionnelle et certains éléments constitutifs dudit système.
82.
M.J. Andrianarivony, « Un panel institué … », op. cit., p. 1200. Voir pour détails pp. 1200-1202.
83.
Cette qualification est la thèse de M. Canal-Forgues, in L’institution de la conciliation…, op. cit.
84.
En réalité, le mode arbitral est l’un des deux modes juridictionnels classiques de règlement des différends interétatiques, à tel point que le mode juridictionnel stricto sensu est souvent dénommée mode judiciaire. La différenciation entre l’arbitrage et le mode judiciaire reste importante : elle tient essentiellement dans l’absence organique de permanence de l’arbitre, même si l’institutionnalisation récente de l’arbitrage tend à estomper cette distinction. Le mode juridictionnel présentement dénommé est considéré stricto sensu et ne concerne pas l’arbitrage. Ce serait ajouter à la confusion que de considérer la dualité du mode juridictionnel car l’arbitrage, s’il n’est pas formellement exclu du Mémorandum, y est institutionnalisé de telle sorte qu’il perd de son identité pleine. L’emploi du terme « judiciaire » est peu satisfaisant car marginal et peu éloquent. Voir, pour étude détaillée de la distinction entre arbitrage et juridiction ainsi que de la place de l’arbitrage au sein du système mémorandaire, infra, Introduction et les deux Sections consacrées respectivement à la concentration organique et à la permanence (Première Partie, Titre Premier).
85.
C. Santulli, « Qu’est-ce qu’une juridiction internationale ? », A.F.D.I. XLVI, 2000, p. 81. Voir son raisonnement pp. 70-81.
86.
Formellement central, l’ORD prend ses décisions selon le mécanisme du consensus négatif qui rend toute décision automatique, ce qui lui enlève en pratique tout pouvoir décisionnel réel et le marginalise grandement au sein du processus de règlement. Cette constatation est fondamentale pour l’identification de la juridictionnalité du système mémorandaire. Elle est approfondie à de nombreuses reprises ; voir en particulier le Chapitre consacré à la portée décisionnelle des effets juridictionnels (Deuxième Partie, Titre II).
87.
Voir M.J. Andrianarivony, « Un panel … », op. cit., p. 1197.
88.
Au mois d’octobre 2003, les différends interétatiques traités dépassaient les 300 unités.
89.
Telle est la démarche suivie par M. Bae dans sa Thèse de doctorat intitulée Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, soutenue en janvier 1999, Université de Strasbourg III (Robert Schuman), Faculté de droit international public.
90.
La catégorisation du système de règlement mémorandaire opérée par M. Andrianarivony est peu satisfaisante puisqu’elle ne dégage, de la description du passage du GATT de 1947 à l’OMC de 1995 et de la description du fonctionnement organisé par le Mémorandum, que des éléments de juridictionnalisation et de juridicisation. Voir sa Thèse de doctorat intitulée L’émergence progressive d’une juridiction internationale des échanges…, op. cit.
91.
C. Santulli, op. cit., p. 58.
92.
Voir pour exemple l’étude détaillée des multiples mécanismes de règlement des différends interétatiques et la classification couramment admise – voire unanime – de ces mécanismes in P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 821-927, et in J. Combacau, S. Sur, Droit international public, Montchrestien, E.J.A., 4ème éd., Paris, 1999, pp. 556-569.
93.
Voir pour exemple sur ce point P.-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 4ème édition, Paris, 1998, pp. 19‑20.
94.
P. Weil, Ecrits de droit international, P.U.F., coll. Doctrine juridique, 1ère édition, Paris, 2000, p. 69.
95.
« Certains ont même cru pouvoir suggérer l’institution d’une espèce de magistrature économique internationale, qui pallierait les inconvénients de la technique judiciaire tout en offrant les mêmes avantages », in P. Weil, op. cit., p. 77.
96.
P. Weil, op. cit., p. 69.
97.
Ibid., p. 89.
98.
D. Carreau, P. Juillard, Droit international économique, L.G.D.J., 4ème éd., Paris, 1998, p. 5.
99.
P. Weil, op. cit., p. 97.
100.
Ibid., p. 100.
101.
Voir D. Carreau, P. Juillard, op. cit., p. 9, et pour une étude détaillée complète, pp. 5-16.
102.
P. Weil, op. cit., p. 75. Voir pour étude détaillée ce même Article, pp. 67-78.
103.
Voir sur ce point, pour exemple, d’étude détaillée P. Pazartzis, Les engagements internationaux en matière de règlement pacifique des différends entre Etats, L.G.D.J., Paris, 1992, pp. 35-54.
104.
Voir pour exemples : P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 824-825 ; N. Konstantinovitch Tarassov, « Le règlement pacifique des différends – Introduction », in M. Bedjaoui (rédacteur général), Droit international – bilan et perspectives, t. 1, Pedone Unesco, Paris, 1991, pp. 528-529 ; J. Sette-Camara, « Les modes de règlement obligatoire », in M. Bedjaoui (rédacteur général), Droit international – bilan et perspectives, t. 1, Pedone Unesco, Paris, 1991, pp. 549-551.
105.
Voir pour exemples : J. Combacau, S. Sur, op. cit., pp. 551-552 ; P.-M. Martin, Droit international public, Masson, coll. Droit-Sciences Economiques, Paris, 1995, p. 224 ; E. Decaux, Droit international public, Dalloz, Paris, 1997, pp. 168-170.
106.
J. Combacau, S. Sur, op. cit., p. 552.
107.
H. Ruiz Fabri, J.-M. Sorel, « Organisation judiciaire internationale », Juris-Classeur de Droit international, Volume 5, Fascicule 215 du 21 mars 2001, éd. Du Juris-Classeur, 2001, pp. 4-5.
108.
M. Andrianarivony, dans sa Thèse de doctorat, s’en remet, avec toutes les précautions nécessaires, à ces critères de juridiction donnés par la Convention européenne des droits de l’homme, in L’émergence progressive d’une juridiction internationale des échanges…, op. cit., pp. 24-32.
109.
Voir, pour exemple de lien terminologique communément admis, la définition de la « juridiction » in P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, éditions Dictionnaires Le Robert, Paris, 2000, texte remanié et amplifié sous la direction de J. Rey-Debove et A. Rey, p. 1388. Pour de plus amples développements, il peut être pertinent de se reporter au différentes contributions de la Revue Droits, « Mots de la justice », n° 34, 2002.
110.
Voir pour exemple L. Cavaré, « La notion de juridiction internationale », A.F.D.I. 1956, pp. 500-502.
111.
Voir sur ce point G. Vedel et P. Delvolvé, in Droit administratif, tome 2, P.U.F., coll. Thémis Droit Public, 12ème édition, Paris, 1992, p. 60 et 61. Ces auteurs énoncent que certains organes « statuant sur des mesures disciplinaires (…) constituent des juridictions (…)relevant du Conseil d’Etat par la voie de la cassation ».
112.
M.J. Andrianarivony, « Un panel institué … », op. cit., pp. 1186. Voir pour étude détaillée cet Article, pp. 1185-1186, dans lequel l’auteur développe l’analyse de la jurisprudence du Conseil d’Etat, du juge constitutionnel et du juge judiciaire relative à la notion de juridiction.
113.
P. Fouchard, Note sous l’arrêt de la CJCE du 27 avril 1994, Affaire C-393-92, Revue de l’arbitrage n° 3, 1995, p. 506.
114.
CJCE, 30 juin 1966, Vaassen-Göbbels, affaire 61/65, Rec. CJCE, p. 377.
115.
Voir pour détails J. Pertek, Note sous l’arrêt de la CJCE du 29 novembre 2001, affaire C-17/00, F. De Coster c/ Collège des bourgmestres et échevins de Watermael-Boitsfort, JCP – La Semaine Juridique Edition Générale 2002, n° 10160, pp. 1861-1862. Cet Article est très éloquent, en ce sens qu’il dresse le bilan de la question préjudicielle telle qu’abordée par la CJCE et, partant, analyse la notion de juridiction telle qu’appréhendée par cette Cour.
116.
J. Pertek, op. cit., p. 1862.
117.
Une autre illustration du pragmatisme de la CJCE dans la détermination des critères de juridiction peut être donnée par l’arrêt du 30 mars 1993, Corbiau c/ Administration des contributions (C-24-92), dans lequel la Cour estime que, comme le note M.Cartou, « une juridiction doit avoir la qualité de tiers à l’égard de l’autorité qui a pris la décision qui fait l’objet d’une question préjudicielle ». Voir sur ce point L. Cartou, « La notion de juridiction au sens de l’article 177 du traité », P.A. 1993, n° 114, p. 9.
118.
Il faut ici, avec M. Santulli, (op. cit., p. 61, note 5), évoquer les différentes études théoriques fondamentales du concept de juridiction menées, entre autres, par L. Duguit, G. Jèze, M. Waline, C. Chaumont, P. Lampué, J. Chevallier ou encore C. Eisemann. D’autres éminents auteurs pourraient être également cités, comme R. Guillien dans sa Thèse intitulée L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée : essai critique (1931, Bordeaux). De même, il faut, comme M. Andrianarivony (in « Un panel institué … » op. cit., pp. 1182-1183, note 1), évoquer R. Carré de Malberg, R. Bonnard ou encore R. Chapus.
119.
Par exemple, des études doctrinales plus contemporaines peuvent être citées, comme celles contenues dans la Revue Droits, « La fonction de juger », n° 9, 1989 (et plus particulièrement : Rials (S.), « Ouverture : l’office du juge », et O. Gohin, « Qu’est-ce qu’une juridiction pour le juge français ? », in cette Revue, respectivement pp. 3-20 et 93-105) ou encore D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher des litiges, L.G.D.J., 1994.
120.
Voir pour exemples : L. Cavaré, « La notion de juridiction internationale », A.F.D.I. 1956, pp. 496-509 ; G. De Geouffre De La Pradelle, « La fonction des juridictions de l’ordre international », J.D.I. 2, 1998, pp. 389-429 ; Leben (C.), « La juridiction internationale », Droits, n° 9, 1989, pp. 143-155 ; C. Santulli, op. cit., et plus particulièrement note 5 ; Société Française pour le Droit International, La juridiction internationale permanente, Colloque de Lyon, Pedone, Paris, 1987.
121.
G. De Geouffre De La Pradelle, op. cit., p. 428.
122.
L. Cavaré, op. cit., p. 498.
123.
Voir pour détails ibid., pp. 498-499.
124.
C. Santulli, op. cit., p. 61.
125.
L. Cavaré, op. cit., p. 500.
126.
Se reporter à C. Santulli, op. cit., pp. 61-64 et 72-79. Se reporter également à l’ouvrage de M. Bergel, Méthodologie juridique (P.U.F., coll. Thémis, 1ère éd., 2001), dans lequel l’auteur réussit une synthèse particulièrement pertinente des éléments de définition de la juridiction, pp. 335-337.
127.
« La saisine n’ouvre pas un contentieux ; elle déclenche une procédure qui s’inscrit dans le processus d’élaboration de la loi (…). la loi est sur la table du Conseil constitutionnel et celui-ci est le seul acteur juridique de la procédure qui s’ensuit », in G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 1, 1996. Bien entendu, il est toujours possible de voir un différend implicite entre le législateur et l’auteur de la saisine, mais cette dernière « ne déclenche pas un contentieux mais une lecture complémentaire de la loi par un organe dont l’intervention est de vérifier que la loi est prise dans le respect de la Constitution » ; il ne s’agit donc pas vraiment de « mettre fin à un différend » au sens commun de cette expression. Certes, il est toujours loisible de débattre sur la juridictionnalité du juge constitutionnel français mais cette problématique datée ne peut être encore aujourd’hui raisonnablement exploitée. Dans le même sens, M. Bergel précise que « la fonction juridictionnelle consiste à juger, c’est-à-dire à trancher les litiges soumis aux tribunaux (…), en cas de procédures contentieuses, et à exercer une mission de contrôle, quand ils sont saisis, en l’absence de litige, d’une procédure gracieuse » (in Méthodologie juridique, op. cit., pp. 336‑337).
128.
Gaffiot (F.), Le Grand Gaffiot – Dictionnaire latin-français, Nouvelle édition revue et augmentée sous la direction de P. Flobert, Hachette-Livre, Paris, 2000, pp. 526 et 884.
129.
Ces trois sens sont les trois principales définitions du verbe « dire » données par P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, op. cit., pp. 730-731.
130.
Le terme « conflit » est ici préféré au « différend » ou encore au « litige » car il est plus neutre. Il ne connote pas l’institutionnalisation de son règlement (« différend ») et encore moins sa juridictionnalisation (« litige »). Pour détails, voir infra.
131.
Accessoirement, il faut constater que nombreuses sont les institutions classiquement qualifiées de juridictionnelles qui n’agissent pas seulement dans le cadre de leur mission juridictionnelle. Cependant, leur juridictionnalité n’est pas remise en cause car elle leur est donnée par la mission principale qu’elles exercent, les autres actions non-juridictionnelles étant annexes. Ces dernières actions seront tout de même exercées par la juridiction, mais cette fois-ci envisagée dans son seul sens organique. Cette occurrence n’est pas présentement prise en considération car elle ne peut ni établir ni rejeter indiscutablement la juridictionnalité du système mémorandaire. Tout au plus pourra-t-elle confirmer une juridictionnalité avérée en constituant la catégorie annexe dans laquelle certaines actions subalternes pourront être placées sans pour autant que la qualification juridictionnelle soit retirée.
132.
Article 3 : 10 du Mémorandum.
133.
E. Canal-Forgues, « La procédure d’examen en appel… », op. cit., p. 846.
134.
White (Patrick) (Rédacteur en chef), Harrap’s Compact – Dictionnaire Anglais-Français/Français-Anglais, Editions Chambers Harrap Publishers Ltd 1997, p. 294. Voir dans le même sens P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 1552.
135.
Voir supra. Seul le Mécanisme d’examen des politiques commerciales n’est pas qualifié d’» accord », mais le « mécanisme » est beaucoup moins euphémique que le « mémorandum ».
136.
Voir, pour étude détaillée de la distinction entre le conflit, le différend et le litige, A. Jeammaud , « Conflit, différend, litige », Droits, n° 34, 2001, pp. 15-20.