PREMIÈRE PARTIE : L’ÉMANCIPATION DE LA STRUCTURE JURIDICTIONNELLE

La juridiction étant l’acteur qui dit le droit, l’utiliser comme grille de lecture du système mémorandaire rend nécessaire l’identification de l’acteur mémorandaire. Cette identification induit deux exigences : il faut tout d’abord désigner l’acteur mémorandaire, car la juridiction est une entité concrète, pour la seule raison que dire le droit est une action qui nécessite un acteur ; il faut ensuite le caractériser, car sa fonction spécifique, pour être menée à bien, exige de l’acteur des caractéristiques particulières. Cette double démarche, simple en apparence, est malaisée pour deux raisons théoriques évidentes. La première tient dans l’objet même de la présente étude : un système peut difficilement apparaître comme un acteur mais implique une pluralité d’acteurs dont il faut établir non seulement l’existence mais aussi l’articulation, ce qui induit l’étude d’une structure et non d’une entité. La seconde réside dans la personnalité de l’acteur : l’action de l’acteur étant de dire le droit, l’acteur doit pouvoir être en mesure de l’exercer, ce qui induit une appréciation subjective de sa personnalité particulière en fonction de critères multiples dont la juridictionnalité doit être avérée.

La démarche d’analyse du système mémorandaire à travers la grille juridictionnelle consiste donc en l’étude de la structure du système mémorandaire par dégagement de ses traits principaux et évaluation de leur juridictionnalité par la méthode du faisceau d’indices. Cette démarche doit être organisée pour ne pas se réduire à établir un catalogue peu éloquent de traits juridictionnels. Cette organisation peut être simplement établie par la seule considération de l’acteur : tout acteur a forcément une existence et une aptitude, c’est-à-dire une matérialité organique et un savoir-faire. Aussi la juridictionnalité de l’acteur implique‑t‑elle l’identification d’organes juridictionnels et l’identification de procédures juridictionnelles.

Or, cette démarche spécifique se heurte à une nouvelle difficulté, moins théorique mais encore plus proéminente, qui découle de la substance même de la structure mémorandaire. Cette difficulté est celle du pragmatisme et, partant, de la complexité de la construction du système mémorandaire. Ils empêchent à la fois la reconnaissance et le rejet, immédiats et indiscutables, d’une structure de nature juridictionnelle. Le pragmatisme structurel apparent crée la complexité du système mémorandaire et constitue une barrière à l’identification d’une structure juridictionnelle. Le Mémorandum juxtapose et coordonne des organes et des mécanismes hétéroclites et nombreux ; il n’est donc pas plus facile d’affirmer que de nier catégoriquement la juridictionnalité globale du système. Seule une juridictionnalisation peut être démontrée par l’identification de quelques organes et/ou mécanismes juridictionnels participant au déroulement du règlement mémorandaire du différend ; mais elle n’est pas satisfaisante à la catégorisation du système considéré. Elle peut même être rédhibitoire, à la fois à la reconnaissance et au rejet d’une juridiction, puisqu’elle admet que des organes et des mécanismes non-juridictionnels entrent durablement en concurrence avec ceux qui le sont.

Dans ce cadre, choisir la juridiction comme analyseur constitutif du système mémorandaire consiste à évaluer la centralité d’organes et de procédures juridictionnels. Cette évaluation doit mener à une conclusion manichéenne, c’est-à-dire soit au rejet de la qualification juridictionnelle de la structure mémorandaire soit à son affirmation. Et, comme le Mémorandum semble a priori rejeter ou du moins atténuer cette juridictionnalité structurelle, la matérialité organique du système mémorandaire ainsi que la procédure qu’il organise doivent être étudiées de manière approfondie, tant du point de vue textuel que du point de vue pratique, afin que soit confirmé le rejet ou établie la reconnaissance d’une structure juridictionnelle. Plus précisément, la juridictionnalité de la structure étant incertaine, du fait de l’hétérogénéité pragmatique du Mémorandum, elle ne peut être avérée que par la constatation de son émancipation par rapport à la complexité du système. La question qui se pose est celle de savoir si le texte du Mémorandum ainsi que la pratique du système ont abouti ou non à l’affranchissement et à la prévalence d’organes et de procédures juridictionnels par rapport à la multiplicité et à la diversité des organes et procédures qui contredisent, à première vue, la juridictionnalité dudit système.

En bref, affirmer le caractère juridictionnel de la structure mémorandaire revient à constater que les organes et procédures qui sont proéminents dans le texte et la pratique du Mémorandum peuvent recevoir la qualification juridictionnelle. Et, cette qualification n’étant pas explicite, cette juridictionnalité ne peut être affirmée que si une structure mémorandaire clairement juridictionnelle peut être dégagée de la complexité pragmatique du texte. Cette extraction sera fondée sur le Mémorandum en tant que texte normatif : il prévoira des organes et des procédures de nature clairement juridictionnelle, ne les interdira pas ou sera suffisamment flou et permissif pour permettre une interprétation extensive allant dans le sens de la juridictionnalité. Cette extraction sera opérée par les protagonistes du système, qu’ils soient institutions ou Membres, au fur et à mesure de la pratique du système, à condition qu’un consensus – plus ou moins tacite – sur ce point entre tous ces participants soit trouvé.

L’acteur mémorandaire, pour être juridictionnel, doit avoir une structure juridictionnelle : il doit être composé d’organes juridictionnels et agir selon une procédure juridictionnelle. Pour être qualifiée comme telle, cette structure doit s’émanciper de la complexité pragmatique du Mémorandum. Cette émancipation structurelle passe non seulement par le constat de l’emploi des seuls organes dont la juridictionnalité peut être caractérisée (Titre Premier), mais également par l’observation de la solidification de leurs procédures dans le sens de la juridiction (Titre II).