La spécialisation est un critère organique essentiel de la juridiction. Elle s’entend d’une caractéristique particulière donnée à un organe : la fonction essentielle de cet organe serait de trancher des différends 235 . Le critère de spécialisation n’est pas celui communément utilisé en droit international pour définir une instance ou encore une organisation, par opposition au critère de l’universalité 236 . Il est davantage celui utilisé en droit interne pour définir la mission exacte d’un organe particulier. La recherche d’une juridictionnalité organique du système mémorandaire doit donc passer par l’étude de la spécialisation de ce système dans le règlement de différends.
Il faut d’emblée constater que le système étudié est celui organisé par le Mémorandum consacré, comme son intitulé l’indique, au ‘ « règles et procédures régissant le règlement des différends ’». Cependant, cette observation ne suffit pas à attester d’une spécialisation typique de la juridictionnalité organique de ce système ; celui-ci s’insère dans un système plus large qui est celui de l’OMC, de telle sorte que cette spécialisation peut être soit atténuée par d’autres fonctions annexes, soit concurrencée par d’autres dispositifs, soit même inexistante malgré la présomption de spécialisation que l’intitulé du Mémorandum fait peser sur lui. Une première approche de la structure globale de l’OMC permet immédiatement de mesurer la spécialisation du système de règlement des différends que le Mémorandum organise. Il serait inutile et fastidieux de procéder ici à une analyse détaillée du système OMC, du fait de la redondance de cette étude et du faible intérêt qu’elle présenterait pour l’analyse du mécanisme de règlement des différends présentement étudié 237 . Il faut tout de même rappeler quelques traits principaux caractérisant la situation et le rôle du système mémorandaire au sein de l’OMC.
Cette Organisation est effectivement instituée le 1er janvier 1995. Sa création a pour fondement l’Accord instituant l’OMC qui est une annexe de l’Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay, signé à Marrakech le 15 avril 1994, à l’issue du cycle de négociations dénommé ‘ « cycle d’Uruguay ’ » mené dans le cadre du GATT. Cet Acte prévoit que ‘ « l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (dénommé dans le présent acte final l'"Accord sur l'OMC"), les Déclarations et Décisions ministérielles, ainsi que le Mémorandum d'accord sur les engagements relatifs aux services financiers, joints en annexe, reprennent les résultats de leurs négociations et font partie intégrante du présent acte final ’ » 238 ; ‘ « En signant le présent acte final, les représentants conviennent (…) de soumettre pour examen, selon qu'il sera approprié, l'Accord sur l'OMC à leurs autorités compétentes respectives, en vue d'obtenir l'approbation de l'Accord conformément à leurs procédures ; et (…) qu'il est souhaitable que l'Accord sur l'OMC soit accepté par tous les participants aux Négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay (dénommés dans le présent acte final les "participants") afin qu'il entre en vigueur le 1er janvier 1995 ou le plus tôt possible après cette date ’» 239 .
Cet Acte final renvoie donc expressément à l’Accord instituant l’OMC qu’il contient en annexe. C’est ce dernier qui est déterminant pour la création et le fonctionnement de l’OMC. Son préambule exprime les objectifs du système commercial multilatéral que se sont fixées les parties à cet Accord. ‘ « Déterminées à préserver les principes fondamentaux et à favoriser la réalisation des objectifs qui sous-tendent ce système commercial multilatéral ’ » 240 , lesdites parties conviennent que ‘ « L'Organisation mondiale du commerce (…) est instituée par le présent accord » ’ 241 .
Le ‘ « champ d’action de l’OMC ’ » 242 est le suivant : ‘ « L'OMC servira de cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres en ce qui concerne les questions liées aux accords et instruments juridiques connexes repris dans les Annexes du présent accord ’ » 243 . Tous les accords OMC sont donc repris dans ces annexes ; ce sont les Accords plurilatéraux sur le commerce des marchandises 244 , l’Accord général sur le commerce des services 245 , l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce 246 , le Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends 247 , le Mécanisme d’examen des politiques commerciales 248 ainsi que les Accords commerciaux plurilatéraux 249 . Une différenciation est immédiatement opérée par l’Accord instituant l’OMC entre les accords multilatéraux – tous les accords OMC moins la dernière catégorie – et les accords plurilatéraux – la dernière catégorie. Cette distinction est fondamentale dans la mesure où les premiers ‘ « sont contraignants pour tous les Membres ’ » 250 alors que les seconds ne sont contraignants que pour les Membres les ayant acceptés car ils ‘ « ne créent ni obligations ni droits pour les Membres qui ne les ont pas acceptés ’ » 251 .
Pour résumer, l’OMC est un cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales définies par les accords OMC. Les Membres de l’OMC sont automatiquement contraints par les accords multilatéraux, de loin les plus importants, au rang desquels figure le Mémorandum. Or, ce dernier organise les règles et procédures s’appliquant aux différends entre les Membres concernant leurs droits et obligations au titre des dispositions des accords OMC 252 . En outre, ce Mémorandum fait partie des accords multilatéraux qui sont, du fait de cette nature, contraignants pour tous les Membres de l’OMC. Par conséquent, l’OMC organise bien un système clairement identifié spécialisé dans le règlement des différends interétatiques concernant les droits et obligations des Membres au titre des dispositions de l’ensemble des textes dont l’OMC est le cadre institutionnel.
Cette spécialisation d’un texte unique régissant un système unique de règlement des différends est confirmée par le renvoi qu’opèrent les différents accords multilatéraux au Mémorandum pour le règlement des différends que l’application desdits accords peut entraîner. Ainsi, tous les accords multilatéraux organisant un mécanisme de règlement des différends 253 prévoient que ‘ « les dispositions des articles XXII et XXIII du GATT de 1994, telles qu’elles sont précisées et mises en application par le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends, s’appliqueront aux consultations et au règlement des différends relevant du présent accord ’ » 254 , que ‘ « pour toute question concernant le fonctionnement du présent accord, les consultations et le règlement des différends se dérouleront sous les auspices de l'Organe de règlement des différends et suivant, mutatis mutandis, les dispositions des articles XXII et XXIII du GATT de 1994, telles qu'elles sont précisées et mises en application par le Mémorandum (…) ’ » 255 , que ‘ « le Mémorandum (…) est applicable aux consultations et au règlement des différends dans le cadre du présent accord ’ » 256 . Seuls l’Accord sur les textiles et les vêtements et l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires sont moins clairs sur ce renvoi au Mémorandum. Ils précisent tout de même que le Mémorandum s’applique aux différends nés de l’application ‘ « du présent accord ’ » 257 ou encore que toute question ne pouvant être résolue par les procédures particulières de certains accords OMC pourra être soumise à ‘ « l’Organe de règlement des différends ’ » 258 , les Membres pouvant ‘ « invoquer le paragraphe 2 de l'article XXIII du GATT de 1994 et les dispositions pertinentes du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends » ’ 259 .
Le renvoi aux articles XXII et XXIII du GATT de 1994 ne crée pas de diversion préjudiciable à la centralité du Mémorandum ; il est davantage le simple signe d’une continuité entre le GATT de 1947 et l’OMC pour le règlement des différends puisque le GATT de 1994 comprend mutatis mutandis le texte du GATT de 1947 260 , que ce GATT de 1994 ne concerne qu’une sphère précise des relations commerciales désormais gérées par l’OMC 261 , et que ‘ « les Membres affirment leur adhésion aux principes du règlement des différends appliqués jusqu’ici conformément aux articles XXII et XXIII du GATT de 1947, et aux règles et procédures telles qu’elles sont précisées et modifiées dans le présent mémorandum d’accord ’ » 262 . Le Mémorandum, s’il semble à première vue découler des articles XXII et XXIII du GATT de 1947, articles organisant alors seuls le règlement des différends interétatiques dans le cadre du GATT, dépasse ces seuls articles car ils les complètent, les modifient, et possède un champ d’application beaucoup plus large puisque s’étendant de l’aveu même de ce Mémorandum à l’ensemble des accords de l’OMC 263 . Aussi, plus simplement, chaque accord OMC dudit Mémorandum prévoit que ‘ « le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends est applicable aux consultations et au règlement des différends dans le cadre du présent accord ’ » 264 .
Cette apparente clarté de la spécialisation du système mémorandaire dans la résolution de litiges interétatiques doit cependant être nuancée. En effet, le Mémorandum rappelle que des règles et procédures spéciales ou additionnelles relatives au règlement des différends sont contenues dans des accords OMC ; elles sont récapitulées dans son Appendice 2 265 . Le Mémorandum prévoit la prévalence de ces règles et procédures spéciales ou additionnelles sur les siennes propres, ainsi qu’un mécanisme de gestion des conflits de normes 266 . Aussi faut-il croire que la spécialisation du système organisé par le Mémorandum n’est pas monopolistique, mais que d’autres accords OMC prévoient également des mécanismes de règlement alternatifs et prioritaires. La conséquence de cette constatation serait l’atténuation de la spécialisation réelle du système mémorandaire.
Le Mémorandum cite dans son Appendice 2 toutes les dispositions des accords OMC multilatéraux susceptibles de prévaloir sur les règles et procédures qu’il formule 267 . L’examen de ces accords montre un renvoi systématique au mécanisme mémorandaire. Les changements apportés par ces dispositions concernent essentiellement la tenue de consultations et/ou le travail du groupe spécial. Plusieurs catégories de changements peuvent être individualisées. La première catégorie est caractérisée par une allégeance totale au Mémorandum assortie d’une possibilité complémentaire : le groupe spécial pourra ‘ « demander l'avis d'experts choisis par lui en consultation avec les parties au différend. A cette fin, le groupe spécial pourra, lorsqu'il le jugera approprié, établir un groupe consultatif d'experts techniques, ou consulter les organisations internationales compétentes, à la demande de l'une ou l'autre des parties au différend ou de sa propre initiative » ’ 268 . La deuxième catégorie est celle des accords qui précisent quelques points de la procédure organisée par le Mémorandum afin de prendre en considération les spécificités des questions pouvant surgir de l’application de ces accords particuliers ; ces quelques précisions concernant les consultations ou encore la phase du groupe spécial sont peu novatrices, voire redondantes par rapport au fonctionnement classique de cette phase tel que prévu par le Mémorandum 269 . La troisième catégorie est celle des dispositions organisant un mécanisme interne de consultations avant basculement dans la phase du groupe spécial organisée par le Mémorandum, ledit groupe spécial pouvant demander l’aide d’un ‘ « groupe d’experts permanent » ’ 270 . Enfin, la quatrième catégorie regroupe les dispositions qui déterminent certaines questions précises pour lesquelles sont organisées des consultations puis des recommandations d’un organe chargé de l’application dudit accord 271 .
Le principe des consultations tel qu’il est organisé par le Mémorandum n’est donc pas profondément remis en cause. En outre, les précisions qui concernent également le travail du groupe spécial susceptible d’être établi en cas de différend persistant sont minimes ; ce groupe spécial est celui que le Mémorandum prévoit et les accords particuliers n’ont d’autre objectif que de permettre une aide technique à ce groupe spécial, du fait de la spécificité de chaque accord. Le plus grand bouleversement est contenu dans l’Accord sur les textiles et les vêtements qui organise des consultations particulières pouvant déboucher en cas d’échec sur des recommandations de l’Organe de supervision des textiles (l’OSpT). Ce dernier surveillera la mise en œuvre de ses recommandations et pourra en formuler une seconde série en cas de non-conformation, cette entière double procédure étant enfermée dans de stricts délais 272 . Ce grand bouleversement n’en est pourtant pas un, car l’échec des recommandations de l’OSpT conduit à l’application du mécanisme normal du Mémorandum s’enclenchant directement à la phase du groupe spécial. Certes, deux accords sont susceptibles de porter atteinte au principe de bilatéralisme qui semble caractériser les consultations puisqu’ils prévoient, pour l’un, une aide du Comité technique aux Membres en consultations dans le cadre de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VII du GATT de 1994 273 et, pour l’autre, la possible entrée en consultations du Conseil du commerce des services ou de l’ORD après échec des premières consultations bilatérales 274 . Néanmoins, la portée de ces deux accords sur le système de règlement des différends est limitée aux consultations et à une aide technique de l’Organisation en vue de parvenir plus facilement à une solution convenue avant l’enclenchement du processus de règlement prévu par le Mémorandum.
Par conséquent, il ne faut pas craindre une perte de monopole du système organisé par le Mémorandum sur le règlement des différends général. Chaque différend pouvant entrer dans le cadre d’un traitement par un accord particulier – accord prévalant sur le dispositif du Mémorandum 275 – tombera dans l’escarcelle du Mémorandum après échec des consultations particulières quand ces accords les prévoient 276 . De plus, en pratique, les Membres plaignants des affaires dans lesquelles est en cause l’application des trois accords prévoyant des consultations alternatives 277 ont quand même recours aux consultations du Mémorandum, même si celles-ci ne sont que facultatives. Seules cinq affaires ont débuté devant l’ORD par une demande d’établissement d’un groupe spécial sans formulation préalable d’une demande de consultations au titre de l’article 4 du Mémorandum 278 . Pourtant, près d’un quart des affaires concernait l’application d’au moins un de ces trois accords et aurait pu connaître le recours direct aux groupes spéciaux 279 . Les Membres semblent donc opter pour la résolution de leurs différends par la discussion dans le cadre du Mémorandum, même si de telles discussions ont déjà été menées dans le cadre d’autres Accords OMC qui en prévoient également. La spécialisation des organes participant, du fait du Mémorandum, au règlement des différends ne peut donc être remise en cause par la considération de mécanismes alternatifs propres à des accords OMC particuliers 280 .
Par conséquent, le système de règlement des différends que le Mémorandum organise est spécialisé dans la résolution des litiges nés de l’application des règles de l’OMC. Le critère de spécialisation contribuant à la définition organique d’une juridiction, cette reconnaissance d’une spécialisation du Mémorandum dans le règlement des différends interétatiques donne un indice précieux de la juridictionnalité du système mémorandaire. Cependant, cet indice ne saurait être en lui-même déterminant si les organes opérationnels concrétisant le fonctionnement de ce système ne se caractérisaient pas également par leur spécialisation dans la résolution de litiges. En effet, la spécialisation jusqu’à présent établie ne concerne que la place occupée par le Mémorandum au sein du système de l’OMC. Encore faut-il que ce Mémorandum assure lui-même la concrétisation de son rôle particulier. Il faut donc renforcer cette présomption de spécialité par l’étude détaillée des organes participant effectivement au règlement des différends que le Mémorandum organise. Aussi faut-il examiner avec la plus grande attention la fonction de l’ORD au sein du mécanisme des consultations, celle des groupes spéciaux et celle de l’Organe d’appel 281 , afin d’en déduire leur éventuelle spécialisation, composante organique d’une juridiction. Si la spécialisation des deux derniers organes semble aisément identifiable, tel n’est pas le cas de celle de l’ORD.
En premier lieu, les groupes spéciaux ont bien pour fonction la résolution de litiges puisque le Mémorandum affirme clairement que ‘ « La fonction des groupes spéciaux est d'aider l'ORD à s'acquitter de ses responsabilités au titre du présent mémorandum d'accord et des accords visés. En conséquence, un groupe spécial devrait procéder à une évaluation objective de la question dont il est saisi, y compris une évaluation objective des faits de la cause, de l'applicabilité des dispositions des accords visés pertinents et de la conformité des faits avec ces dispositions, et formuler d'autres constatations propres à aider l'ORD à faire des recommandations ou à statuer ainsi qu'il est prévu dans les accords visés. Le groupe spécial devrait avoir régulièrement des consultations avec les parties au différend et leur donner des possibilités adéquates d'élaborer une solution mutuellement satisfaisante ’» 282 .
Bien entendu, le groupe spécial ne semble avoir pour attribution que de délivrer une aide aux véritables acteurs du règlement des différends, à savoir l’ORD et les parties au différend. Cependant, cette considération n’empêche en rien la reconnaissance d’une spécialisation dudit groupe spécial. D’abord, il est simplement question présentement d’identifier une spécialisation et non de caractériser une articulation particulière des instances mémorandaires au sein du système de règlement. Ensuite, les parties au différend ne sont actrices effectives que par leur commun accord, de telle sorte qu’un palliatif de leur désaccord doit être trouvé pour ne pas que le système de règlement se bloque. Enfin, la centralité apparente de l’ORD doit être foncièrement relativisée par le mécanisme du consensus négatif qui préside à la procédure d’adoption par l’ORD des rapports des groupes spéciaux 283 et qui confie ainsi au groupe spécial une mission déterminante dans le règlement des différends. Ainsi, la fonction d’aide du groupe spécial devient une fonction de formulation de recommandations ayant pour objectif de mettre fin au différend, après analyse objective des faits, des textes et leur confrontation.
En outre, cette spécialisation n’est pas concurrencée par d’autres fonctions pouvant nuire à la concentration de l’instance sur les problèmes de résolution de litiges. D’abord, le groupe spécial pourra être reconvoqué par les parties en vertu de l’article 21 : 5 du Mémorandum pour un différend induit né de la mise en œuvre des recommandations et décisions formellement prises par l’ORD. Dans ce cas, le Mémorandum précise que ‘ « ce différend sera réglé suivant les présentes procédures de règlement des différends ’ » 284 , ce qui implique que la mission déterminante de règlement des différends confiée en pratique au groupe spécial pour un différend initial reste inchangée pour le différend induit. Ensuite, le groupe spécial peut jouer un rôle d’arbitre concernant le niveau de suspension de concessions ou d’autres obligations en vertu de l’article 22 : 6, et le joue en pratique systématiquement ; là encore, il s’agit bien pour ledit groupe spécial de régler un différend induit et la décision qui en découle n’est pas soumise à une adoption de l’ORD, même par le système du consensus négatif 285 . Enfin, l’unique utilisation de l’article 25 a vu l’arbitrage être confié au groupe spécial initial alors même qu’aucune disposition ne le prévoit ni ne l’envisage, ce qui confirme là encore la spécialisation des groupes spéciaux dans le règlement des différends 286 .
Par ailleurs, chaque groupe spécial est spécifiquement établi et constitué pour un différend précis, et achève son existence après la remise de son rapport à l’ORD. Cette existence éphémère insiste sur l’originalité de sa fonction, directement attachée à un différend particulier. Elle appuie l’idée d’une spécialisation des groupes spéciaux dans le règlement des différends, d’autant plus que les groupes spéciaux ne se voient confier aucune autre mission que celle de participer au règlement des différends pour lesquels ils sont constitués. Par conséquent, les panels sont spécialisés dans la résolution de litiges ; et cette conclusion confère une spécialisation remarquable à l’assise organique du système mémorandaire dans la mesure où le groupe spécial donne une consistance organique importante à ce système.
En deuxième lieu, l’Organe d’appel se voit également confier par le Mémorandum une fonction spécialisée dans le règlement des différends. Il ‘ « connaîtra des affaires soumises à des groupes spéciaux ’», l’appel étant ‘ « limité aux questions de droit couvertes par le rapport du groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci ’ ». ‘ « L’Organe d’appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les constatations et les conclusions juridiques du groupe spécial ’ » 287 . De même que le groupe spécial, l’Organe d’appel peut agir en vertu de l’article 21 : 5 en cas de différend persistant au sujet de la mise en œuvre des recommandations et décisions de l’ORD puisque ‘ « ce différend sera réglé suivant les présentes procédures de règlement des différends » ’ 288 .
Certes, ici encore, et même si le Mémorandum est moins clair que pour les groupes spéciaux, l’Organe d’appel n’est qu’une aide à la prise de décision de l’ORD dans la mesure où le ‘ « rapport de l’Organe d’appel sera adopté par l’ORD ’ » 289 . Néanmoins, la spécialisation de l’Organe d’appel n’est pas pour autant remise en cause, et ce pour les trois raisons identiques à celles qui fondaient la spécialisation du groupe spécial. Au contraire, la fonction spécialisée de l’Organe d’appel est renforcée par son exclusivité : les membres de l’Organe d’appel sont systématiquement, à titre individuel, les arbitres désignés pour l’arbitrage de l’article 21 : 3 c), et ce alors même que le Mémorandum ne le prévoit ni ne le suggère ; de plus, la pratique a pu conférer à l’Organe d’appel, même de manière anecdotique, un rôle de consultant dans le cadre du réexamen du Mémorandum 290 . Aussi l’Organe d’appel n’a d’autre fonction que de participer au règlement des différends dans le cadre du système mémorandaire, de même que le groupe spécial, de telle sorte que la spécialisation de ces deux organes est facilement caractérisée.
En troisième lieu, en revanche, il faut s’attarder sur l’ORD en sa qualité d’organe participant au mécanisme des consultations car cette participation est pour le moins atypique. En effet, l’ORD est à la fois au centre et à la marge de ces consultations : il est au centre en ce sens que sa fonction procédurale relative à la notification institutionnalise les consultations au sein du système mémorandaire ; il est à la marge car cette centralité n’est que procédurale et ne lui permet de maîtriser ni le déroulement ni l’issue de ces consultations. En réalité, l’ORD n’a pas pour seule fonction celle qu’il occupe au sein de ces consultations mais il possède plus généralement une fonction administrative au sein du système mémorandaire. Qui plus est, sa fonction institutionnalisatrice le place à la tête d’un mécanisme dont la fonction propre lui échappe. Ainsi, son éventuelle spécialisation ne pourra que s’attacher à son rôle particulier au sein des consultations et ne débordera pas sur la fonction administrative générale. De même, cette spécialisation hypothétique ne peut que découler de la spécialisation plus générale de la phase des consultations dans le règlement de différends et non la fonder.
Or, le Mémorandum et la quasi-totalité des accords multilatéraux annexés à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce distinguent explicitement dans leur texte les ‘ « consultations ’ » du ‘ « règlement des différends ’ » 291 . Cette distinction est de nature à rejeter implicitement la spécialisation des consultations dans la résolution des litiges et, de la sorte, à porter atteinte à la spécialité générale du système mémorandaire donc à sa juridictionnalité organique. Aussi serait-il pertinent d’élaborer une définition précise des consultations afin d’évaluer leur spécialisation et, partant, d’appréhender celle de l’ORD qui les institutionnalise. Cette définition regroupe deux réalités.
D’une part, les consultations sont ‘ « bilatérales ’ » 292 et consistent en une discussion entre deux Membres de l’OMC visant à parvenir à une solution réglant la question qui les oppose 293 . Cette conclusion ressort non seulement du Mémorandum mais également des autres Accords de l’OMC prévoyant un tel mécanisme de consultations 294 . Le principe des consultations est décrit à l’article 4 du Mémorandum qui stipule que ‘ « chaque Membre s’engage à examiner avec compréhension toutes représentations que pourra lui adresser un autre Membre au sujet de mesures affectant le fonctionnement de tout accord visé prises sur son territoire et à ménager des possibilités adéquates de consultation sur ces représentations ’ » 295 et que ‘ « les Membres affirment leur résolution de renforcer et d’améliorer l’efficacité des procédures de consultation utilisées par les Membres ’ » 296 . Ce principe est précisé dans le Mémorandum et synthétisé par l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI du GATT de 1994 : ‘ « Dans le cas où un Membre considère qu'un avantage résultant pour lui directement ou indirectement [d’un accord OMC] (…) se trouve annulé ou compromis, ou que la réalisation de l'un de ses objectifs est entravée, par un autre ou d'autres Membres, il pourra (…) demander par écrit à tenir des consultations avec le ou les Membres en question. Chaque Membre examinera avec compréhension toute demande de consultations formulée par un autre Membre » ’ 297 . L’objectif de ces consultations est clairement ‘ « d’arriver à une solution mutuellement satisfaisante » ’ 298 de telle sorte que les consultations sont explicitement spécialisées dans le règlement des différends.
D’autre part, le Mémorandum parle de ‘ « procédures de consultation ’ » 299 et ne se contente pas d’affirmer un principe de discussion interétatique. Il précise un certain nombre de règles procédurales s’appliquant à ces discussions susmentionnées afin de les enfermer dans des conditions strictes : des délais sont prévus pour encadrer la réponse à la demande du Membre plaignant, la date effective de début des discussions et le délai pour leur aboutissement ; le cas de leur non-déroulement et de leur échec est évoqué ; des conditions de notification, de contenu et de statut sont précisées ; la position particulière de certains membres est organisée 300 . Il faut surtout retenir de ces procédures qu’elles prévoient l’hypothèse d’une discussion bilatérale inexistante en précisant quels seront les mécanismes qui s’enclencheront ‘ « si le Membre ne répond pas (…) ou n’engage pas de consultation ’ » 301 , ce qui particularise la définition des consultations en y insérant une dualité.
La phase des consultations est donc, d’une part, la procédure qui permet à un Membre de l’OMC, s’estimant lésé par une mesure prise par un autre Membre, de demander l’ouverture de discussions et qui encadre le déroulement éventuel de ces discussions et, d’autre part, ces mêmes discussions éventuellement menées entre ces deux Membres en vue de parvenir à un accord amiable sur le règlement du différend créé par cette mesure. Du fait de la possible inexistence de discussions entre les Membres en conflit, le second élément de définition peut perdre de sa pertinence, de telle sorte que la phase de consultations se caractérisera parfois uniquement par son aspect procédural. La phase des consultations est ainsi constituée de deux éléments constituant sa définition double : l’affirmation du principe de discussions libres entre Etats opposés par un différend dans le but de trouver une solution mutuellement acceptable ; l’organisation par des règles du cadre de ces discussions. Plus précisément, il ne s’agit pas d’une dualité de définition mais d’une définition duale puisque se crée un équilibre entre deux éléments réciproques, à la fois contradictoires et complémentaires dans la mesure où le premier tend vers une liberté de discussion et le second vers une rationalisation de cette liberté. Cet équilibre va caractériser cette phase des consultations. Cette ambivalence de définition crée un équilibre : un principe de libre volonté des Etats est affirmé et sa pérennité est assurée par des règles procédurales qui l’aménagent afin que cette liberté de tous ne confine pas à la tyrannie de quelques-uns.
Le caractère dual et équilibré de la définition découle directement de l’institutionnalisation des consultations. Plus clairement, il ressort de cette définition la spécialisation des consultations dans le règlement des litiges, ce qui pourrait conférer à l’ORD cette spécialisation dans le cadre de sa fonction procédurale attachée aux consultations. Cependant, le caractère dual et équilibré de cette définition établit en réalité une institutionnalisation des discussions bilatérales, de telle sorte qu’une analogie peut être trouvée entre les consultations et les négociations institutionnalisées.
Encore faut-il préciser la définition de la négociation. Elle est complexe en droit international public, malgré l’apparente simplicité de son sens commun : un rapport interétatique consistant en des échanges de vues, des entretiens, des démarches pour parvenir à un accord 302 . En effet, elle est le mécanisme utilisé soit à l’occasion de la construction éventuelle d’une convention bilatérale ou multilatérale qui sera source de droit, soit pour tenter de régler un différend interétatique 303 . En outre, certains auteurs considèrent parfois qu’elle désigne ‘ « au sens large (…) l’ensemble des modes diplomatiques [de règlement des différends] ; les tiers quand ils y prennent part, ne [faisant] que prêter leur concours aux parties au différend, lesquelles sont maîtresses en dernière instance du sort qu’elles lui réserveront ’ », ce qui inclut les bons offices et la médiation 304 . « La négociation est partout. Elle est d’abord le point de départ de tout. C’est d’ailleurs l’essence même de la diplomatie et les deux mots sont synonymes dans certains traités » 305 . La négociation est aujourd’hui permanente et universelle dans les relations internationales 306 .
Il ne saurait être question dans le présent propos d’une étude détaillée de la négociation en droit international public. La définition retenue sera celle de la négociation au sens étroit appliquée au règlement des différends interétatiques. Aussi la négociation peut‑elle être définie comme ‘ « toute rencontre en vue de parvenir à un accord ’ » 307 , un ‘ « tête-à-tête bilatéral » ’ ‘ « au sens étroit ’ » 308 . ‘ « Elle consiste en "conversations" et débouche soit sur l’acceptation concertée d’une solution (…), soit sur le constat de l’échec » ’ 309 . ‘ « En règle générale, elle ne met en présence que les Etats directement en litige. Les tiers peuvent cependant y intervenir, en vue d’en faciliter l’aboutissement : une telle interférence, dans la mesure où elle ne diminue pas juridiquement la liberté de décision des parties, ne modifie pas la nature de cette modalité de règlement ’ » 310 .
La négociation, ‘ « au sens étroit du terme ’ », désigne un mode de règlement des différends ‘ « n’impliquant que les seules parties ’ » et peut aboutir à ‘ « un règlement directement convenu entre les parties ’», ‘ « un règlement amiable ’ » 311 . A cet égard, il est couramment admis que la négociation constitue souvent l’un des différents modes successivement ou simultanément utilisés pour la résolution de différends, en particulier dans le cadre d’organisations internationales 312 .
Par conséquent, une similarité forte peut être dégagée de la comparaison entre les consultations et la négociation institutionnalisée. C’est sans doute cette identité qui explique le relatif silence des auteurs sur la définition et le traitement rigoureux des consultations, auteurs qui ont pourtant mené une analyse détaillée du système de règlement des différends. Rares sont ceux qui formulent explicitement l’idée d’une négociation 313 . C’est sous l’angle de la mise en situation que cette phase des consultations est analysée. Et, bien que cette phase ait été remarquée à plusieurs reprises, sa définition ne fait pas l’objet de leur plus vif intérêt.
Par exemple, M. Flory traite des consultations comme d’une ‘ « phase de la procédure ’ » 314 et s’attarde pour une analyse détaillée sur d’autres aspects du mécanisme de règlement des différends. MM. Daillier et Pellet considèrent les consultations comme le ‘ « premier temps ’ » d’une procédure plus vaste et ‘ « fort complexe ’ » : ‘ « un Membre peut demander des consultations auxquelles le ou les autres Membres concernés ne peuvent se soustraire ’ » 315 . Même Mme Ruiz Fabri, qui considère cette phase comme une introduction à une première étape qui ‘ « ne peut (…) démarrer si les parties n’ont pas d’abord tenté de négocier et de parvenir à un accord amiable dans le cadre de "consultations ’ " » et qui affirme que ‘ « les consultations sont un élément tout à fait essentiel de la procédure ’ » 316 , ne va pas au-delà de l’esquisse d’une définition. L’imprécision doctrinale n’est cependant pas condamnable ; elle s’explique aisément par le rapprochement implicite que les auteurs opèrent entre les consultations et les négociations.
Et cette idée d’une institutionnalisation des négociations se dégage également de la distinction que les groupes spéciaux font parfois entre ‘ « consultations ’ » et ‘ « consultations additionnelles » ’ 317 ou encore de la précision terminologique que les Membres, les groupes spéciaux et l’Organe d’appel donnent quand ils traitent de ‘ « consultations formelles ’ » ou ‘ « consultation formelle ’ » 318 et de ‘ « consultations informelles ’ » 319 . Les consultations prévues par le Mémorandum peuvent même constituer un recours pour un plaignant en cas d’échec de consultations informelles préalables que le plaignant avait demandées en vertu de l’article XXII du GATT de 1994 par le biais d’une note diplomatique verbale 320 .
Cependant, cette analogie doctrinale, confirmée implicitement par quelques illustrations issues de la pratique, n’est partagée explicitement ni par le texte du Mémorandum ni par les instances dont il organise directement le fonctionnement. D’abord, le Mémorandum n’emploie explicitement le terme ‘ « négocier ’ » que dans son article 22 : 2 concernant les ‘ « compensation et suspension de concessions ’ », c’est-à-dire au stade de la mise en œuvre des décisions visant à régler le différend, et non dans les dispositions relatives aux consultations. Bien plus, il ne procède qu’au rapprochement implicite de la négociation et de la consultation quand il prévoit que ‘ « le Membre auquel la demande [de consultations] est adressée y répondra (…) et engagera des consultations de bonne foi ’» 321 . En effet, ce texte affirme ici deux principes directeurs des consultations : l’obligation de répondre et le principe de bonne foi. Ces deux principes sont à rapprocher des principes directeurs des négociations, dégagés par la jurisprudence de la C.P.J.I., de la C.I.J. ainsi que par la doctrine 322 .
Le principe de bonne foi est, de plus, réaffirmé par l’Organe d’appel selon lequel ‘ « l'article 3: 10 du Mémorandum d'accord fait obligation aux Membres de l'OMC, si un différend survient, d'engager les procédures de règlement des différends "de bonne foi dans un effort visant à régler ce différend". Cela est une autre manifestation concrète du principe de la bonne foi qui, comme nous l'avons déjà indiqué, est en même temps un principe juridique général et un principe général du droit international ’ » 323 . De même, un groupe spécial constate que ‘ « puisque le Mémorandum d'accord prévoit à l'article 3: 7 qu'"[u]ne solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords visés est nettement préférable", les parties au différend devraient engager des consultations de bonne foi et s'efforcer d'arriver à une solution de ce type ’ » 324 .
Quant à l’obligation de répondre, elle semble être fortement atténuée par le Mémorandum qui prévoit le cas d’une non-réponse. L’atteinte à l’obligation de répondre entraîne, au-delà d’un délai fixé, la possibilité pour la partie demanderesse de demander l’établissement d’un groupe spécial 325 . Si cette obligation de répondre n’est pas très affirmée puisque son inexistence est prévue, son non-respect entraîne néanmoins une possibilité de recours de la part de la partie plaignante. L’atteinte est donc assortie d’une conséquence, d’une échappatoire empêchant le blocage, ce qui est moins évident dans le cas de négociations hors OMC, l’obligation de répondre n’étant alors pas pareillement encadrée. Le Mémorandum confirme de la sorte avec force cette obligation.
Ensuite, les groupes spéciaux s’abstiennent de formuler une synonymie entre les consultations et les négociations et ne font que retranscrire les argumentations des parties sur ce point 326 . Enfin, seul l’Organe d’appel a pu à une occasion rapprocher consultations et négociations en posant le principe de la négociation par le biais des consultations 327 . Encore s’agissait-il ici des consultations prévues par l’article 12 : 3 de l’Accord sur les sauvegardes.
En réalité, la synonymie explicite est le fait des entités politiques de l’OMC. Par exemple, il est précisé dans le Compte-rendu de la réunion de l’ORD du 18 novembre 1997 que les Communautés européennes, ‘ « à la suite de leur demande de consultations, (…) avaient eu des négociations ’ » avec l'Inde 328 . Un autre compte-rendu donne implicitement une définition des négociations en juxtaposant le fait de mener des consultations avec l’acceptation de négocier 329 , ce que confirme le Président de l’ORD en rapprochant le fait de ‘ « procéder immédiatement à des consultations au titre de l’article 4 ’ » et des ‘ « négociations menées de bonne foi » ’ 330 . Surtout, ce sont les Membres eux-mêmes qui identifient explicitement consultations et négociations. Cette démarche se retrouve à la fois dans les comptes-rendus des réunions de l’ORD qui retranscrivent les propos que les Membres y ont tenu 331 et dans les divers documents relatifs au règlement des différends que les parties ont elles-mêmes rédigés 332 ou qui font état des argumentations respectives de chacune d’entre elles 333 . C’est sans doute le propos du Canada qui est le plus significatif de la position des Membres sur cette similarité : ‘ « les consultations représentent le premier stade, contentieux, du processus de règlement des différends de l'OMC. Elles représentent aussi, en bien des cas, le dernier stade du processus de négociations diplomatiques visant à éviter un recours au contentieux ’ » 334 . Les consultations pourraient alors être définies comme le cadre temporel et spatial offrant la possibilité de négociations dans le cadre d’une organisation internationale pour un objectif précis : le règlement d’un différend interétatique.
Cependant, les termes ‘ « négociations ’ » et ‘ « négociateurs ’ » sont plus souvent utilisés par les instances de l’OMC et les Etats pour qualifier des mécanismes mémorandaires distincts de la phase des consultations 335 et surtout pour qualifier le mode de formation de multiples et variés accords : dans le cadre du Cycle d’Uruguay ou interétatiques extérieurs à l’OMC 336 , dans le cadre de différents contrats et autres accords passés entre personnes privés, entre un Etat et des personnes privées ou encore entre un Etat et une organisation internationale 337 , concernant un mémorandum d’accord trouvant une solution équilibrée à un différend 338 . De même, il est très souvent fait référence à ‘ « l’historique de la négociation ’ » ou ‘ « des négociations ’ » qui désigne des documents relatifs aux discussions préalables à la rédaction et à l’adoption de différents accords internationaux et qui sert aux instances et de règlement et aux parties d’appui à leur argumentation 339 .
Bien plus, les instances de l’OMC opèrent une distinction claire entre négociations et consultations. Si un groupe spécial admet bien l’existence, reconnue par les tribunaux internationaux, de ‘ « négociations tenues entre les parties au différend en vue de trouver un règlement ’ », il précise que ‘ « les circonstances de ces négociations sont de toute évidence différentes de celles des consultations menées dans le cadre de la procédure de règlement des différends de l'OMC qui, comme l'Organe d'appel l'a fait observer, font partie des moyens par lesquels les faits sont clarifiés avant l'engagement d'une procédure de groupe spécial » ’ 340 . L’Organe d’appel semble aussi implicitement distinguer les consultations ‘ « et » ’ les négociations 341 , de même que les Membres de l’OMC 342 .
Les instances de l’OMC ainsi que les Membres sont plus précis sur la distinction. Un groupe spécial estime en effet que ‘ « tel est l'objet de tout processus de consultation (…), à savoir faciliter les efforts déployés par les parties pour arriver à une solution convenue d'un commun accord de leur litige » ’ 343 . Les Membres paraissent en phase avec cette approche quand ils déclarent, par exemple, que ‘ « ce n'est pas sans raison que les consultations sont un processus oral, c'est dans le souci de favoriser le règlement des différends par voie de négociation et d'un commun accord » ’ 344 , que les consultations ont pour objectif ‘ « d’arriver à une solution négociée » ’ 345 ou encore quand ils disent souhaiter une ‘ « solution négociée ’ » et parlent d’engagement de ‘ « négociations bilatérales ’ » et de ‘ « négocier dans le cadre d’une consultation bilatérale ’» 346 .
Par conséquent, la distinction entre consultations et négociations est non seulement affirmée, mais aussi qualifiée. Les consultations semblent constituer le cadre dans lequel peuvent se dérouler des négociations en vue de parvenir à un règlement amiable du différend. L’identification entre les consultations et les négociations est donc loin d’être totale dans la mesure où les premières sont l’organisation du cadre des secondes. A cet égard, les parties à un différend précisent souvent que ‘ « ces consultations (…) ont permis de mieux comprendre les positions respectives, mais n'ont pas abouti à un règlement satisfaisant du différend ’ » 347 .
Cette précision est également donnée par l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires qui affirme à plusieurs reprises que ‘ « l’objet des consultations sera de préciser les faits et d’arriver à une solution mutuellement convenue » ’ 348 . L’Organe d’appel définit l’intérêt des consultations. Il convient ‘ « de l'importance des consultations. À la faveur des consultations, les parties échangent des renseignements, évaluent les points forts et les points faibles de leurs thèses respectives, réduisent la portée des divergences qui les séparent et, bien souvent, trouvent une solution mutuellement acceptable, suivant la préférence exprimée explicitement à l'article 3: 7 du Mémorandum d'accord. Par ailleurs, même lorsque aucune solution mutuellement acceptable n'est trouvée, les consultations donnent aux parties la possibilité de définir et de circonscrire la portée du différend entre elles. Manifestement, les consultations comportent de nombreux avantages pour les parties plaignantes et les parties défenderesses, de même que pour les tierces parties et le système de règlement des différends dans son ensemble. (…) La pratique des parties contractantes du GATT consistant à tenir régulièrement des consultations témoigne du rôle important des consultations dans le règlement des différends. Cette pratique est reconnue à l'article 4: 1 du Mémorandum d'accord (…). La valeur des consultations dans le cadre du processus de règlement des différends est reconnue dans un certain nombre de rapports de groupes spéciaux et de l'Organe d'appel ’ » 349 . Il donne également les références de nombreux exemples de rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel qui ont ‘ « maintes fois reconnu » ’ « le rôle important des consultations » 350 .
D’autres rapports des groupes spéciaux ou de l’Organe d’appel insistent sur ce rôle particulier des consultations qui est pour les parties de clarifier et circonscrire la question qui les oppose 351 et insistent également sur la nécessaire continuité entre les consultations et la procédure du groupe spécial, la première influant sur la seconde 352 . Les consultations, de l’avis de l’Organe d’appel, ‘ « doivent normalement constituer la première étape du processus de règlement des différends de l'OMC » ’ 353 ; elles ‘ « sont une condition préalable à une procédure de groupe spécial » ’ 354 . Aussi les consultations ne doivent-elles pas être détachées de l’ensemble de la procédure mémorandaire dans la mesure où elles sont considérées, et par les Membres, et par les instances de l’OMC, comme indissociables du système organisé par le Mémorandum, même si ce dernier ne semblait pas très clair sur ce point.
Comparaison peut être faite entre les consultations mémorandaires et les mécanismes, pour la plupart nouveaux et en plein essor, de transaction en droit interne. Ces derniers ne peuvent pas être qualifiés de mécanismes juridictionnels mais ils ne restent pas moins parties d’un système de type juridictionnel duquel ils sont de plus en plus indissociables et auquel ils sont nécessaires, et ce pour de multiples raisons dont les principales sont : la limitation de l’engorgement des tribunaux néfaste au bon fonctionnement de la justice ; le soutien de l’objectif ultime de la justice, à savoir le règlement des conflits entre sujets de droit, puisque cet objectif est partagé par la transaction ; la rationalisation des questionnements liés au différend né car elle aide au règlement effectif ; la traduction et le soutien judiciaire du phénomène généralisé de contractualisation sociétale. Les consultations peuvent parfaitement être assimilées au processus transactionnel.
Par voie de conséquence, les consultations peuvent légitimement être intégrées au système mémorandaire et, finalement, être considérées comme une phase préparatoire au règlement, et même comme un soutien à la juridictionnalité du système puisqu’elles en constituent le prélude transactionnel. Elles sont, dans ce cadre, l’équivalent en matière internationale des mécanismes récents fruits de l’évolution des systèmes juridictionnels internes et doivent donc être vues non comme une réminiscence de la négociation, dont elles se départissent nettement, mais au contraire comme une évolution normale des règlements de type juridictionnel.
Ainsi, l’objectif des consultations formulé dans la définition proposée précédemment est donc le règlement des différends interétatiques. La distinction textuelle susmentionnée entre ‘ « consultations ’ » et ‘ « règlement des différends ’ » n’exprime pas une non-spécialisation de ces consultations dans le règlement des différends mais plus simplement la différenciation entre le caractère bilatéral des premières et l’intervention d’une instance tierce dans le second. En réalité, cette distinction formelle s’explique par la continuité existant entre le système du GATT et celui de l’OMC. Le GATT de 1947, repris dans le GATT de 1994 distingue entre les ‘ « consultations ’ » de l’article XXII et la ‘ « protection des concessions et des avantages » ’de l’article XXIII, ces deux articles fondant en 1947 le système de règlement des différends alors en application. Le Mémorandum comme les différents accords multilatéraux reprennent cette distinction en séparant les consultations qui ont un fonctionnement similaire à celui organisé par le GATT de 1947 et le règlement des différends du Mémorandum qui se fonde sur le règlement de l’article XXIII du GATT de 1947 en le modifiant de manière davantage déterminante.
Bien plus, les consultations ne sont pas de simples négociations institutionnalisées mais elles sont en réalité pleinement intégrées dans le processus de règlement des différends que le Mémorandum organise. Elles ne se contentent pas d’être le cadre de discussions bilatérales ayant pour objet la résolution d’un litige, mais constituent une étape de rationalisation du différend et des arguments et prétentions des parties. En effet, ‘ « subrepticement aussi, on contrôle le sérieux de la demande de négociation ’ » 355 ; même si ce ne sont pas les organes de l'OMC qui vérifient directement le sérieux de cette demande et influent sur son contenu et son devenir, l’Etat destinataire sera davantage fondé à en demander ‘ « la redétermination ou le recadrage ’ » 356 .Paradoxalement, leur unique spécialisation dans le règlement des différends aboutirait à la non-spécialisation de l’ORD. Celui-ci n’aurait qu’une fonction administrative doublée d’une fonction institutionnalisatrice, dans la mesure où cet organe n’aurait d’autre rôle que de susciter la création d’un espace de négociations dont l’effectivité et l’issue seraient entièrement dépendantes de la libre volonté commune des parties. Il serait alors difficile d’accorder à l’ORD la qualité d’organe spécialisé et, partant, d’admettre une réalité organique juridictionnalisante. Cependant, telle n’est pas la conséquence de ces consultations.
Leur fonction rationalisante ne les confine pas dans la négociation, aussi institutionnalisée soit-elle, mais les intègre dans le processus de règlement mémorandaire du seul fait de l’ORD qui n’a donc pas qu’une centralité d’institutionnalisation mais également et surtout une centralité d’intégration en raison du processus de consultations qu’il gère. L’ORD n’est donc pas spécialisé dans l’institutionnalisation d’un règlement désincarné puisque diplomatique, mais dans la création et l’insertion d’une étape particulière de ce règlement – la rationalisation du différend et des parties – au sein d’un système plus vaste, matérialisé par deux organes : le groupe spécial et l’Organe d’appel. Aussi, bien que de manière plus atténuée car partielle et implicite, l’ORD est bien au même titre que les groupes spéciaux et l’Organe d’appel un organe spécialisé dans la résolution de litiges. Partant, les trois instances constituant le socle organique du système mémorandaire confèrent à ce système, du fait de leur spécialisation, une consistance organique de type juridictionnel. De la sorte, la juridictionnalité organique du système mémorandaire prend forme peu à peu et sera confirmée par l’identification du statut particulier des agents de règlement.