Chapitre II : L’institution juridictionnelle des agents de règlement

La constatation d’une matérialité organique spécialisée est de nature à identifier l’acteur qui a en charge l’action de dire le droit. En conclure immédiatement que la structure organique mémorandaire est juridictionnelle serait, néanmoins, peu rigoureux et, par voie de conséquence, peu convaincant. La juridiction se définissant comme l’acteur qui dit le droit, elle mène une action très spécifique. Cette spécificité rejaillit sur l’identité de l’acteur, puisque celui-ci doit mener convenablement et totalement cette action particulière. L’acteur juridictionnel est donc tel dans la mesure où les caractéristiques de son identité lui permettent, ou du moins ne l’empêchent pas, de mener à bien l’action juridictionnelle. Dès lors, la question se pose de la détermination de ces caractéristiques. Bien entendu, l’identité de l’acteur juridictionnel n’est pas unique. Cette variabilité est immédiatement perceptible en considérant l’extrême diversité des acteurs juridictionnels connus sur le plan interne comme international. En outre, il ne peut exister de définition unique et indiscutable de la juridiction. Aussi faut-il employer la méthode du faisceau d’indices afin d’acquérir la conviction que telle entité spécialisée dans le règlement des différends est de nature juridictionnelle, du point de vue organique.

Cette méthode particulière du faisceau d’indices de juridictionnalité organique pourrait rapidement s’avérer confuse et peu efficace, si son utilisation impliquait le recensement de l’ensemble des indices que la multitude et la diversité des sources écrite, jurisprudentielle et doctrinale énoncent. En revanche, une orientation particulière de ce faisceau peut permettre une rationalisation de la recherche, rendant cette dernière plus complète et plus convaincante. Pour établir cette orientation, il faut revenir à la définition de la juridiction. Celle-ci formulant le juris dictio, son action spécifique est dotée d’une portée particulière faisant de l’acteur titulaire de ce dictio le titulaire d’une certaine autorité. Cette ‘ « titularité ’ » particulière rejoint une définition générale et commune de la juridiction, ‘ « pouvoir de juger, de rendre la justice » 357 . La justice étant à la fois le ‘ « principe moral de conformité au droit » ’ et le ‘ « pouvoir de faire régner le droit » 358 , l’acteur juridictionnel est celui qui détient le pouvoir de justice appliqué à un cas d’espèce dans lequel le principe de justice semble avoir été bafoué.

La connexion entre justice et juridiction oriente de manière déterminante le faisceau d’indices de juridictionnalité appliqué à l’acteur mémorandaire. L’acteur juridictionnel étant le titulaire du pouvoir de juger, il détient une autorité qui doit être garantie et légitimée par l’identité même de cet acteur. Il ne suffit donc pas qu’il soit un organe spécialisé ; il doit également ‘ « agir en juste ’ ». Pour ce faire, son intégrité 359 doit être protégée et promue. Les indices de juridictionnalité de l’organe doivent donc converger vers cette garantie organique de l’intégrité. En réalité, celle-ci recouvre deux aspects. Quand il est question d’un organe spécialisé dans le règlement des différends, son intégrité doit s’appliquer aussi bien dans le temps que dans l’espace. L’intégrité temporelle suppose que l’organe ne soit pas lié à l’existence du différend : l’acteur juridictionnel est donc permanent. L’intégrité spatiale suppose que l’organe ne soit pas influencé par des entités externes, qu’elles soient des parties au différend, des justiciables autres ou encore, par exemple, des autorités politiques ou administratives : l’acteur juridictionnel est donc indépendant. Dans les deux cas, l’intégrité de l’organe s’étend forcément à ses agents : la permanence de l’organe inclut une certaine permanence, même atténuée, des agents le composant ; l’indépendance de l’organe ne peut être totale sans que celle de ses agents soit également assurée.

Toujours soumis au pragmatisme du Mémorandum, l’établissement d’une juridictionnalité organique du système mémorandaire passe par l’extraction de la garantie d’intégrité des instances spécialisées qui constituent l’assise organique structurelle dudit système. Chaque instance de la structure mémorandaire et, partant, chacun de ses agents, doivent donc être institués, par le texte et/ou par la pratique, de telle sorte que leur intégrité soit assurée. Par conséquent, une institution des instances de règlement doit être établie dans le sens de l’organisation et de la garantie d’une intégrité à la fois temporelle et spatiale, intégrité double indispensable à la qualification juridictionnelle de la structure organique du système mémorandaire. Or, si la permanence des instances de règlement peut être textuellement assurée, l’indépendance de leurs agents doit être effectivement garantie. Afin qu’une telle intégrité soir reconnue, il faut donc vérifier qu’à la permanence des instances de règlement (Section 1)s’ajoute l’indépendance des agents (Section 2).

Notes
357.
P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 1388.
358.
Ibid., p. 1239.
359.
Le terme « intégrité » choisi présentement admet de fort nombreux synonymes tout aussi convenables, mais plus réducteurs, tels que « honnêteté », « impartialité », « probité », « droiture », « équité », etc.