Dans son sens commun, la permanence est le ‘ « caractère de ce qui est durable ’ » 360 . Or, cette définition générale doit être précisée quand le critère de permanence s’applique à une institution spécialisée dans le règlement de différends car cette permanence s’apprécie par rapport au différend, dans la mesure où le règlement de celui-ci est la fonction essentielle de l’organe. Immédiatement, la permanence de l’organe impliquant par définition son caractère ‘ « durable ’ », elle suppose que l’organe existe indépendamment du différend particulier qu’il traite et, par voie de conséquence, que son existence n’est pas mise en cause une fois le différend examiné, voire résolu, puisqu’il faut qu’il reste existant pour un différend futur. De la sorte, la préconstitution 361 apparaît comme la caractéristique essentielle du critère de permanence : par définition, l’organe de règlement doit être préétabli par rapport au différend qu’il est chargé de traiter. Néanmoins, cette préconstitution ne peut à elle seule signifier la permanence car elle ne caractérise que la date de création de l’organe. Elle n’a comme apport à l’identification d’une permanence qu’une considération temporelle alors que le ‘ « caractère de ce qui est durable ’ » suppose un élément de définition matériel : la continuité 362 .
Le critère de préconstitution et celui de continuité semblent donc logiquement constituer les deux composantes de la permanence. Cependant, une ambiguïté existe qui doit être levée. En effet, d’aucuns, s’attachant à différencier l’arbitrage de la juridiction, distinguent classiquement préconstitution et permanence tout en reliant systématiquement ces deux termes. Par exemple, ils distinguent la juridiction, ‘ « institution de caractère préétabli et permanent » ’ de ‘ « l’arbitrage à caractère occasionnel ’ » 363 , affirment que ‘ « le règlement judiciaire se distingue de l’arbitrage par l’existence d’un tribunal pré-établi, de caractère permanent ’ » 364 ou encore estiment que ‘ « l’existence d’un règlement de procédure permanent et préétabli est une des caractéristiques différenciant le règlement judiciaire du règlement arbitral ’ » 365 . Cette approche distinctive est peu conforme à l’idée d’une permanence composée d’une préconstitution et d’une continuité, puisqu’elle sort la préconstitution de la définition de la permanence ; elle en est pourtant relativement proche car elle associe systématiquement ces deux termes au sein d’une même idée caractéristique d’une juridictionnalité stricto sensu. En réalité, cette association-distinction entre préétablissement et permanence signifie que l’organe auquel elle s’applique est à la fois antérieur au différend né actuel, et non soumis à la fluctuation et aux influences de ces différends. Cette distinction doctrinale est simplement formulée pour mieux affirmer que l’aspect temporel ne suffit pas à la définition d’un organe qualifié de permanent et qu’il faut prendre également en considération une stabilité que le terme de préétablissement ne recouvre pas entièrement.
En définitive, préconstitution et continuité se retrouvent, la dernière étant simplement assimilée à la permanence ; et ces deux critères peuvent être réunis sous le terme de permanence, cette fois-ci envisagée dans un sens moins restrictif. Cette définition double de la permanence n’est pas démentie par MM. Combacau et Sur quand ils affirment que l’organe judiciaire est ‘ « un organe permanent dont l’institution, la composition et le mode de fonctionnement échappent à la maîtrise des parties ’ » 366 , insistant de la sorte sur la seule permanence et y incluant la préconstitution – en traitant de l’institution – et la continuité – en traitant de la composition et du mode de fonctionnement. La permanence concerne donc bien une continuité organique de l’institution, en dehors de la préconstitution qui ne s’attache qu’à l’aspect temporel de la création de l’organe.
La préconstitution désigne l’existence d’une entité préalable à la naissance du différend ; elle suppose que l’institution est toujours disponible, et peut donc être sollicitée à n’importe quel moment. Elle est d’identification aisée, puisqu’il suffit de déterminer une date de création de l’organe et de constater une antériorité par comparaison à celle de la naissance du différend. La continuité, quant à elle, s’attache davantage au visage même de cette entité ; une institution continue suppose une stabilité 367 organique. Le caractère préétabli s’identifie par rapport au système de règlement dans son ensemble alors que le caractère continu concerne la composition de cet organe. Aussi le critère de permanence ici abordé regroupera-t-il en réalité la préconstitution institutionnelle ainsi que la continuité constitutive.
La détermination de l’articulation des deux critères constitutifs de la permanence doit être précisée. Un organe ne saurait a priori être permanent s’il n’est pas préétabli car l’absence de préconstitution suppose une durée éphémère de l’existence de l’organe, durée coïncidant avec le différend particulier à traiter. Cependant, la permanence, du point de vue du préétablissement, peut être sporadique quand ledit organe fonctionne par session – comme par exemple la Cour d’assise en droit français, ou se constitue à l’identique à l’occasion de chaque différend qu’il doit traiter – à l’image du juge judiciaire français qui peut agir en qualité de juge civil ou encore de juge répressif selon les litiges dont il est saisi. L’essentiel de cette permanence ‘ « perlée ’ » est une reconstitution de l’organe à l’identique d’un point de vue de sa composition, de son statut et de sa fonction ; et cette reconstitution particulière est assurée par des textes généraux rigoureux prévoyant des conditions strictes de reformation de l’organe échappant à la maîtrise des parties, sans pour autant leur interdire toute participation mesurée à cette reconstitution 368 . Si la préconstitution est nécessaire à la caractérisation de la permanence, elle doit être interprétée de manière extensive et non se cantonner à son sens le plus commun et le plus strict. Elle doit, en outre, nécessairement s’associer au critère de continuité qui ajoute une stabilité organique d’autant plus nécessaire que cette préconstitution sera extensivement appliquée.
Ainsi parée de sa dimension temporelle et de sa dimension organique, la permanence doit caractériser l’assise organique du système mémorandaire, afin que celui-ci ne puisse se voir refuser le qualificatif juridictionnel. Partant, ce sont l’ORD – en sa qualité d’instance institutionnalisatrice des consultations, les groupes spéciaux et l’Organe d’appel, les trois organes spécialisés constituant par concentration la matérialité organique du système mémorandaire, qui doivent être qualifiés de permanents.
En premier lieu, la permanence de l’ORD ne paraît pas poser des difficultés particulières d’identification. Cet Organe est à la fois préétabli et continu. Il est préétabli dans la mesure où l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce l’a immédiatement institué, en précisant qu’il est le Conseil général réuni ‘ « pour s’acquitter des fonctions de l’Organe de règlement des différends ’ » 369 et ‘ « composé de représentants de tous les Membres » ’ 370 . Il est continu puisqu’il ‘ « est institué pour administrer les présentes règles et procédures et, sauf disposition contraire d'un accord visé, les dispositions des accords visés relatives aux consultations et au règlement des différends ’» 371 et que, à ce titre, sa continuité découle de celle des règles et procédures mémorandaires qu’il a en charge d’administrer. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’insister sur la permanence de l’ORD agissant en sa qualité d’instance-cadre des consultations puisque sa permanence générale rejaillit sur cette action particulière, celle-ci découlant des règles et procédures mémorandaires que l’ORD a en charge d’administrer.
Néanmoins, la permanence organique du système mémorandaire implique une étude plus détaillée de la phase des consultations. En effet, l’ORD ne joue qu’un rôle indirect d’encadrement de consultations se déclenchant, se déroulant et s’achevant en dehors de lui, par la seule volonté des parties. Aussi la permanence de l’ORD est-elle entièrement dépendante de celle desdites consultations. Si la préconstitution institutionnelle de l’ORD n’est pas dépendante de ces consultations, sa continuité, en revanche, l’est dans une certaine mesure. Bien que préétabli, l’ORD ne doit sa continuité qu’à l’effectivité constante des consultations. Or, cette dernière est étroitement dépendante en pratique des parties aux multiples différends, puisque ce sont ces parties qui mènent ces consultations, l’ORD n’ayant pour fonction que de fournir un cadre à ces discussions hypothétiques. Ainsi, l’absence de consultations, si elle n’enlève nullement le caractère préconstitué de l’ORD, porterait atteinte à sa continuité effective et, partant, à la permanence de cet Organe au sein de la phase des consultations devenue inexistante. La continuité des consultations doit être établie ; elle rejaillira sur celle de l’ORD qui ne pourra qu’alors être qualifié d’organe permanent.
La continuité des consultations peut être identifiée facilement car la procédure de notification fonctionne à plein : le traitement mémorandaire de chaque affaire est enclenché par la notification à l’ORD d’une demande de consultations 372 . Bien entendu, ne sont avérées, par l’observation de la pratique du Mémorandum, que les affaires ayant été déclarées au moyen de cette demande notifiée, de telle sorte que la supposition peut être formulée selon laquelle des différends sont réglés sans le passage par la phase des consultations formelles mais le sont simplement par un mécanisme alternatif de discussions bilatérales informelles. De la sorte, la continuité des consultations serait fortement atténuée. Cependant, si les documents de l’OMC font parfois état de consultations informelles, c’est de manière très peu fréquente. Surtout, cette indication renforce la continuité des consultations formelles : les consultations informelles ne sont pas une alternative mais un complément puisqu’elles sont signifiées dans des documents relatifs aux affaires traitées, c’est-à-dire lors d’une procédure de règlement forcément enclenchée par une demande de consultations formelles.
La continuité des consultations peut être, en outre, largement reconnue car ces consultations ne consistent pas obligatoirement en la tenue de discussions bilatérales effectives. Le Mémorandum admet tout à fait l’absence de tenue de consultations effectives malgré la formulation de la part du plaignant d’une demande de consultations 373 . Ici se retrouve la distinction entre les deux éléments de la définition des consultations précédemment énoncés : la procédure des consultations est nécessaire mais le déroulement de consultations, en tant que discussions, ne l’est pas. La position des instances de règlement des différends de l’OMC est identique. Les groupes spéciaux vont estimer ‘ « qu'un groupe spécial a seulement pour fonction de s'assurer que des consultations, si elles sont nécessaires, ont en fait eu lieu ou ont tout au moins été demandées ’» 374 ; ‘ « ce qui se passe lors de ces consultations n'est pas la préoccupation d'un groupe spécial » ’ 375 . Une partie ne peut pas ‘ « demander l'établissement d'un groupe spécial pour un "différend" pour lequel aucune consultation n'a été demandée » ’ 376 . Un groupe spécial rappelle d’ailleurs que ‘ « la seule fonction que nous avons en tant que groupe spécial en ce qui concerne les questions procédurales (…) consiste à déterminer si des consultations ont été correctement demandées, conformément au Mémorandum d'accord, et à vérifier que le plaignant était disposé à tenir des consultations avec le défendeur et que le délai de 60 jours s'est écoulé avant que l'établissement d'un groupe spécial a été demandé par le plaignant » ’ 377 .
De même, comme a pu le reconnaître l’Organe d’appel dans l’affaire DS132, ‘ « s'agissant de l'appréciation de l'importance de l'obligation qui est faite de "préciser si des consultations ont eu lieu", nous observons qu'il sera satisfait à cette exigence si l'on inclut, dans la demande d'établissement d'un groupe spécial, une mention précisant si des consultations ont eu lieu ou non. Cette exigence semble avoir essentiellement pour objet d'informer l'ORD et les Membres sur la question de savoir si des consultations ont eu lieu » ’ 378 . En effet, l’Organe d’appel l’affirme, ‘ « il est explicitement admis dans le Mémorandum d'accord qu'il peut y avoir des circonstances dans lesquelles l'absence de consultations n'ôterait pas au groupe spécial la compétence d'examiner la question dont il est saisi par l'ORD. À notre avis, il s'ensuit que lorsque la partie défenderesse ne s'oppose pas, explicitement et en temps opportun, au défaut de la partie plaignante de demander ou d'engager des consultations, on peut considérer que la partie défenderesse a accepté l'absence de consultations et qu'elle a donc renoncé à quelque droit qu'elle pouvait avoir d'entrer en consultation. (…) Pour cette raison, nous constatons que l'absence de consultations préalables n'est pas un vice de nature telle à ôter à un groupe spécial la compétence de traiter et de régler une question et que, par conséquent, ce vice n'est pas un défaut qu'un groupe spécial doit examiner même lorsque les deux parties au différend restent muettes à ce sujet » ’ ; ‘ « le Mémorandum d'accord prévoit expressément que, dans certaines circonstances, un groupe spécial peut traiter et régler la question dont il est saisi même lorsque aucune consultation n'a eu lieu » ’ 379 .
Aussi le défaut de consultations effectives malgré la formulation d’une demande de consultations, argument parfois utilisé par une partie lors de la phase du groupe spécial ou de l’Organe d’appel, n’est-il jamais pris en considération de manière déterminante par les instances de l’OMC 380 . Bien plus, ‘ « la compétence du groupe spécial ne peut être infirmée par l'absence, dans la demande d'établissement du groupe spécial, d'une mention précisant "si des consultations ont eu lieu" » ’ 381 . Les consultations étant caractérisées par leur existence procédurale et non par l’effectivité des discussions bilatérales qu’elle encadre, la continuité de ces consultations est avérée systématiquement. Elle découle de l’interprétation extensive que les instances de règlement ont donnée aux dispositions mémorandaires déjà larges sur ce point.
Certes, il faut relever que les instances de règlement des différends de l’OMC sont parfois beaucoup plus ambiguës. Elles ont souvent été amenées à insister sur la nécessité des consultations. Ainsi l’Organe d’appel a-t-il pu affirmer que ‘ « les articles 4 et 6 du Mémorandum d'accord, ainsi que les paragraphes 1 à 4 de l'article 4 de l'Accord SMC, définissent un processus selon lequel une partie plaignante doit demander des consultations, et des consultations doivent avoir lieu, avant qu'une question puisse être portée devant l'ORD en vue de l'établissement d'un groupe spécial ’ » 382 . Les groupes spéciaux sont aussi peu clairs puisque l’un d’entre eux a pu affirmer que ‘ « le respect de l'obligation fondamentale des Membres de l'OMC d'entrer en consultation lorsqu'une demande est présentée à cet effet au titre du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends est capital pour le fonctionnement du mécanisme de règlement des différends » ’ et que ‘ « l'obligation faite aux Membres de tenir des consultations est absolue et qu'elle ne peut faire l'objet de modalités ou conditions imposées au préalable par un Membre » ’ 383 . Cependant, ces deux confusions ne remettent pas en cause la constatation précédemment formulée d’une position claire des instances sur la tenue des consultations. Elles sont à relativiser : l’Organe d’appel prend en considération les dispositions relatives aux consultations contenues dans des accords multilatéraux extérieurs au Mémorandum, lesquelles dispositions sont en général plus impératives que celles du Mémorandum concernant la tenue effective de consultations du seul fait qu’elles sont souvent l’unique méthode de règlement des différends avant le passage au système mémorandaire ; le groupe spécial fonde sa présente affirmation sur les principes énoncés aux paragraphes 2 et 6 de l’article 4 et non sur les possibilités procédurales offertes aux parties aux articles 4 : 3 et 6 : 2 du Mémorandum de ne pas tenir effectivement des consultations. En réalité, la variabilité des différents accords prévoyant une procédure de consultations s’estompe pour laisser place à la libre volonté étatique. Pour exemple, un groupe spécial a pu considérer, en comparant le Mémorandum et l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC), que, ‘ « bien que ces dispositions diffèrent en ce qui concerne l'échéancier et à certains autres égards, nous considérons que l'une et l'autre énoncent le principe en vertu duquel l'unique condition préalable pour demander l'établissement d'un groupe spécial est que des consultations aient eu lieu ou aient été demandées et que le délai spécifié applicable se soit écoulé ’ » 384 .
Par ailleurs, cette continuité est confirmée par la participation de tiers à la phase des consultations ainsi que par la demande jointe de consultations. Ces deux mécanismes ne doivent pas être confondus avec la jonction de plainte elle aussi régulièrement effectuée 385 , étant prévue par souci d’efficacité et de rapidité par le Mémorandum dans son article 9 386 . La participation de tiers au stade des consultations concerne une bonne partie des consultations demandées et notifiées 387 même s’il faut noter que la procédure de l’article 4 : 11 appliquée à cette participation n’est pas toujours respectée 388 . La demande jointe de consultations, non-prévue par le Mémorandum, est parfois organisée en pratique 389 . Certes, ce mécanisme n’est pas très prisé mais son effectivité dans le silence du Mémorandum montre le volontarisme étatique sur ce point. Ces deux mécanismes confirment l’engouement des Etats Membres pour les consultations et soutiennent de la sorte une certaine continuité effective de cette phase.
La récurrence des consultations et la multiplicité de leurs participants montrent leur continuité. Celle-ci rejaillit sur l’ORD : la continuité textuelle de l’ORD, organe central du mécanisme des consultations, est rendue effective par la continuité reconnue de ces consultations en pratique. Aussi L’ORD est-il un organe préétabli et continu au sein de la phase des consultations et apporte-t-il donc au système mémorandaire une permanence participant à la définition organique d’une juridictionnalité dudit système.
L’ineffectivité des bons offices, conciliation et médiation vient confirmer cette permanence de l’ORD. Certes, ces trois mécanismes traditionnels du droit international public apparaissent dans le Mémorandum comme le moyen pour les parties à un différend de sortir du système que ce texte organise ; leur effectivité serait une occasion offerte aux parties d’éviter le recours à des organes de l’OMC, ce qui atténuerait la permanence caractéristique organique du système mémorandum. En effet, ces procédures de bons offices, de conciliation et de médiation, engagées durant la phase des consultations, ne pourront donner lieu à une demande d’établissement d’un groupe spécial de la part de la partie plaignante que ‘ « si les parties au différend considèrent toutes que les procédures de bons offices, de conciliation ou de médiation n’ont pas abouti à un règlement du différend ’ ». Cet article 5 : 4 organise ainsi le blocage du système mis en place par le Mémorandum puisque le désaccord des parties sur la fin des procédures de bons offices, de conciliation ou de médiation, ne permettent pas, du fait d’une interprétation stricte du texte, la formulation d’une demande d’établissement d’un groupe spécial.
Cependant, cette sortie du système mémorandaire est toute théorique car ces procédures diplomatiques ne sont assorties d’aucun contrôle rigoureux du consentement explicite des parties à l’échec de ces procédures. La demande d’établissement d’un groupe spécial pourra être formulée sans exigence préalable d’un mécanisme particulier d’expression, par les parties, d’une constatation d’échec. En outre, le Mémorandum prévoit l’intervention de l’OMC dans ces procédures de bons offices, conciliation et médiation par le biais du Directeur général, même si cette participation n’est pas automatique puisqu’elle n’est qu’une proposition faite aux parties ; et cette intervention est susceptible d’intégrer une dose de permanence dans un mécanisme qui en semble a priori dépourvu du fait de son instabilité organique. Surtout, la concentration organique précédemment mise en lumière ravale ces mécanismes au rang de dispositions dépourvues de toute effectivité et insiste sur la centralité de l’ORD, des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel : la phase des consultations, dans laquelle l’ORD joue un rôle certain, sera, en cas d’échec, suivie immédiatement par la phase du groupe spécial. Aucune procédure permettant de sortir du système mémorandaire, donc de mettre à l’écart l’ORD, n’est en réalité effective. La continuité des consultations et, partant, de l’ORD acteur de cette phase, s’en trouve renforcée.
L’ineffectivité de l’article 25 a pour même conséquence de renforcer la continuité de l’ORD. Cette disposition prévoit un arbitrage alternatif au mécanisme commun de règlement des différends au sein de l’OMC ; elle est susceptible d’atténuer la continuité organique des consultations. Cependant, cet arbitrage n’a été utilisé qu’une fois, et de manière dévoyée puisqu’il ne concernait pas un différend principal mais les modalités de mise en œuvre du rapport du groupe spécial adopté par l’ORD 390 . En outre, dans cette affaire, les parties ont choisi d’un commun accord de recourir aux membres du groupe spécial initial en leur qualité d’arbitres, et ont demandé au Directeur général de les aider dans le choix d’autres arbitres en cas d’impossibilité de ces membres originels 391 . Le choix des arbitres dans l’application de l’article 25 révèle donc un souci de permanence. Même si le travail d’un groupe spécial ne s’apparente pas explicitement à celui de l’arbitre, une sorte de préconstitution est souhaitée par les parties qui choisissent le recours pour l’arbitrage aux membres du groupe spécial initial ; la continuité est assurée par la présence de ces trois membres du groupe spécial, et à défaut des arbitres impliqués dans le fonctionnement de l’OMC et choisis par un Directeur général qui l’est tout autant. Cette continuité n’est logiquement pas prévue par le Mémorandum puisque le différend, dans le cas de l’article 25, est un différend premier et non induit, ce qui élimine toute participation préalable d’un quelconque groupe spécial. Il reste que l’interprétation plutôt audacieuse du champ d’application de l’article 25 a conduit les parties à suivre la logique de continuité que prône le Mémorandum pour l’arbitrage de l’article 22 : 6 392 .
Surtout, il en va de l’arbitrage de l’article 25 comme des bons offices, conciliation et médiation : il n’a pas les faveurs des Etats, comme le supposait déjà M. Canal-Forgues dès 1994 quand il affirmait que, ‘ « à la vérité, il n’est pas sûr que cette procédure sommaire d’arbitrage à titre principal se révèle en pratique très attractive pour les Membres de l’OMC. Son caractère court et général n’augure pas très bien de son utilisation ’ » 393 . Cette ineffectivité contribue au renforcement de la continuité des consultations déjà constatée. Cette continuité complète le préétablissement caractéristique par nature de l’ORD, de telle sorte que le critère de permanence organique s’applique à la phase des consultations.
En deuxième lieu, la phase du groupe spécial se caractérise, comme pour celle des consultations, par une intervention de l’ORD. Ce dernier y possède en outre un rôle plus important : il réceptionne la demande d’établissement du groupe spécial, établit ce groupe spécial et peut décider par consensus de ne pas l’établir 394 ; il s’intéresse au mandat attribué à ce groupe spécial 395 , à la composition de cet organe 396 , au cas d’une pluralité de plaignants, à l’intervention de tierces parties 397 ainsi qu’à de diverses occurrences procédurales liées, entre autres, aux conditions de délais 398 ; surtout, l’ORD ‘ « aura le pouvoir (…) d’adopter les rapports des groupes spéciaux ’» et ‘ « d’assurer la surveillance de la mise en œuvre des décisions et recommandations » ’ 399 , ‘ « la fonction des groupes spéciaux [étant] d’aider l’ORD à s’acquitter de ses responsabilités » ’ 400 . Sans entrer dans le détail des procédures 401 , force est de constater que le caractère préconstitué de l’ORD s’allie ici avec l’idée de continuité puisque l’ORD intervient sans interruption dès le début du déroulement du système mis en place par le Mémorandum, à savoir la demande de consultations formulée par la partie plaignante, jusqu’à la phase des groupes spéciaux. Cette constatation d’une permanence de l’ORD ne suffit pourtant pas à identifier la permanence du socle organique du système mémorandaire car l’ORD ne joue, dans la phase du groupe spécial, qu’un rôle administratif. En réalité, la fonction centrale au sein de cette phase est logiquement celle du groupe spécial.
La préconstitution du groupe spécial est peu évidente. Le Mémorandum prévoit sa participation au règlement des différends dans les articles 6 à 16 tout en précisant qu’il s’agit de ‘ « groupes spéciaux ’ ». Le pluriel employé souligne ici qu’il n’existe pas une entité unique, le groupe spécial, établie précédemment à la naissance d’un différend et survivant à sa résolution. Le groupe spécial déterminé est établi sur demande de la partie plaignante à un différend particulier, selon un mécanisme précis prévu par ces mêmes articles ; il naît de la volonté de la partie plaignante 402 et, par conséquent, disparaît une fois son travail effectué pour le différend en question 403 , un autre groupe spécial pouvant être créé sur l’initiative d’une nouvelle partie plaignante pour un nouveau différend. Ce groupe spécial ne peut donc être considéré comme préconstitué restrictivement puisque la naissance d’un différend lui préexiste. Néanmoins, le préétablissement envisagé de manière extensive peut bien être avéré. La permanence peut être sporadique et le préétablissement ne devient alors que textuel. Il est simplement constitué par une série de critères organisant rigoureusement la reformation de l’instance, reformation échappant largement aux parties. Les articles 6 à 16 du Mémorandum prévoient les conditions de formation des groupes spéciaux de manière stricte et relativement indépendante des parties – même si celles-ci conservent une certaine possibilité d’intervention très mesurée, de telle sorte qu’une préconstitution interprétée extensivement peut être reconnue. Aussi, il serait inexact d’affirmer que toute idée de préconstitution est absente à la fois du Mémorandum et de la pratique qui en découle.
Une fois préétabli, le groupe spécial doit être continu pour être permanent. Cette continuité doit ressortir de la composition dudit groupe spécial. Or, sa composition varie car c’est le Secrétariat qui va proposer aux parties au différend des personnes désignées comme membres à partir d’une liste indicative qu’il a en charge de tenir et ce sont les parties d’un commun accord ou, à défaut, le Directeur général qui vont désigner ces personnes 404 . Sa composition n’est donc pas fixée de manière définitive préalablement au différend. Chaque groupe spécial a une identité particulière due à une composition variable. Cependant, si la composition de chaque groupe spécial est soumise à certaines variations, elle bénéficie pourtant d’une certaine continuité prévue par le Mémorandum quand ce dernier pose les caractéristiques générales des membres 405 , des conditions de personnalités 406 , leur nombre déterminé 407 , c’est-à-dire leur identité précise.
Sur ce dernier point, le Mémorandum est confus. Il prévoit, non sans les euphémismes et circonvolutions de rigueur quand il s’agit de souveraineté étatique, que chaque groupe spécial sera composé par le Secrétariat et non par les parties au différend 408 . L’auteur de cette composition est donc un organe permanent dont l’indépendance, du fait de sa vocation administrative au sein d’une organisation internationale, ne peut raisonnablement être mise en cause. Cependant, si le Secrétariat a plus généralement pour attribution ‘ « d’aider les groupes spéciaux, (…) et d’offrir des services de secrétariat et un soutien technique ’» ainsi que d’apporter, ‘ « à la demande d’un Membre, (…) son concours dans le règlement d’un différend ’» 409 , il ne paraît pas avoir textuellement le pouvoir de contrainte sur les parties quant à la désignation des membres du groupe spécial. Les parties peuvent, ‘ « pour des raisons contraignantes » ’ 410 , s’opposer à la désignation effectuée par le Secrétariat. En outre, ‘ « si un accord sur la composition du groupe spécial n’intervient pas (…), le Directeur général, à la demande de l’une ou l’autre des parties et en consultation avec le Président de l’ORD et le Président du Comité ou Conseil compétent, déterminera la composition du groupe spécial en désignant les personnes qui lui paraissent les plus indiquées (…) après avoir consulté les parties au différend ’ » 411 . Le Secrétariat ne semble donc avoir qu’une fonction d’aide pour les parties dans leur libre choix commun de désignation des membres du groupe spécial.
Et la pratique confirme cette ambiguïté. En réalité, le Directeur général n’intervient qu’en cas de désaccord entre les parties et non en cas de désaccord entre les parties et le Secrétariat. En effet, ce dernier prend bien soin de préciser que la composition du groupe spécial a été arrêtée ‘ « comme les parties au différend en sont convenues ’ » 412 . Il faut croire que cette mention n’est pas purement formelle, dans le but de contenter les parties, mais qu’elle a pour source un réel accord entre elles, car il n’est plus question, dans les documents de l’OMC faisant état du déroulement de procédures de règlement des différends, de ‘ « raisons contraignantes ’» justifiant une composition opérée par le Directeur général. Aussi faut-il atténuer le propos vigoureux de M. Pace qui affirme que seuls le Secrétariat et le Directeur général sont habilités à déterminer la composition des groupes spéciaux et en conclut que ‘ « le fait que les Etats ne jouent plus aucun rôle dans cette désignation est un élément qui vient renforcer le caractère juridictionnel de la procédure et l’autorité des groupes spéciaux » ’ 413 . Au contraire, ce sont les parties qui sont au centre de la composition effective du groupe spécial.
Cette interprétation large du Mémorandum est confirmée par le groupe spécial de l’affaire DS156 qui a pu déclarer : ‘ « Il ressort clairement de l'article 8: 6 du Mémorandum d'accord que la composition d'un groupe spécial incombe avant tout aux parties au différend. Lorsque les parties ne sont pas en mesure de s'entendre sur la composition du groupe spécial, (…) l'article 8: 7 du Mémorandum d'accord charge le Directeur général d'en déterminer la composition. Par conséquent, selon l'article 8 du Mémorandum d'accord, la composition d'un groupe spécial est déterminée par les parties au différend et, dans certaines circonstances, par le Directeur général ’ » 414 .
Cette centralité des parties est de nature à mettre en cause la continuité des groupes spéciaux, et ce pour deux raisons : l’opposition entre parties peut faire obstacle à une composition effective ; leur trop grande liberté peut rendre instable la composition effective du groupe spécial 415 . Cependant, la participation éventuelle du Directeur général rationalise cette composition et rend le groupe spécial continu : il surmonte l’opposition des parties ; à ce titre, il incite les parties à rationaliser d’elles-mêmes cette composition car leur liberté ne peut être commune, puisque les parties sont opposées par un différend et que l’une comme l’autre peuvent demander au Directeur général d’établir cette composition. L’opposition des parties à la désignation par le Secrétariat n’est pas rare en pratique 416 puisqu’elle concerne la moitié des groupes spéciaux effectivement composés 417 . Cette rationalisation ne paraît pas vouloir être remise en cause par les Membres de l’OMC car le désaccord sur le choix des membres des groupes spéciaux a une fréquence qui ne varie pas depuis la création de l’OMC, alors qu’un accord commun récurrent des Membres sur cette composition pourrait accentuer la variabilité de composition.
Le Directeur général intervient dans la désignation des membres de la moitié des groupes spéciaux composés et, sans pour autant procéder à des compositions identiques, il insuffle une certaine continuité dans cette désignation. Cette continuité est déjà prévue par le Mémorandum qui met en place ‘ « une liste indicative de personnes (…) parmi lesquelles les membres des groupes spéciaux seront choisis selon qu’il sera approprié ’ », liste qui sera tenue par le Secrétariat ‘ « pour aider au choix des personnes appelées à faire partie des groupes spéciaux ’ » 418 . Cette disposition est ambiguë compte tenu du fait que le Secrétariat n’est qu’une aide à la libre volonté concordante des parties quant à la désignation des membres du groupe spécial. En outre, le Mémorandum ne précise pas si cette liste indicative n’est qu’au service des parties lors de leur recherche d’accord sur l’identité des membres du groupe spécial ou si le Directeur général intervenant en cas de désaccord est aussi soumis à cette liste.
Force est de constater que l’interprétation restrictive domine. Le Directeur général, dans les différends pour lesquels sa participation est requise, ne va pas systématiquement désigner des membres mentionnés dans la liste indicative. La rédaction du Mémorandum laissait planer un doute quant à cette hypothèse, même si elle apparaissait comme la plus probable, et la pratique vient confirmer ce doute 419 . De même, les Etats parties à un différend, quand ils nomment les membres d’un groupe spécial d’un commun accord, restent également dans la pratique que le Directeur général a adoptée. Le critère de continuité n’a donc pas la présence forte qu’il aurait pu avoir par une interprétation large de l’article 8 : 4 et par l’utilisation systématique de la liste indicative en découlant. Il reste que cette interprétation restrictive n’empêche pas la mise en valeur du critère de continuité. Même si la liste indicative n’est pas toujours utilisée, les membres des groupes spéciaux que le Directeur général nomme le sont parfois dans plusieurs affaires distinctes 420 et une certaine continuité est privilégiée dans les qualifications et les origines desdits membres 421 .
Tous les panélistes ne sont pas issus de la liste indicative, comme M. Lafer, Président de l’ORD, l’a admis et expliqué dès 1996 quand il a déclaré que ‘ « la constitution des groupes spéciaux était devenue dans certains cas un processus lent et difficile, en partie parce qu'il était de règle que les membres des groupes spéciaux ne soient pas des ressortissants des pays dont les gouvernements étaient parties ou des tierces parties au différend. De ce fait, le Secrétariat devait trouver des personnes qualifiées dans un nombre restreint de pays avant de proposer leur candidature conformément à l'article 8: 6 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends. Ces derniers mois, de nombreux noms étaient venus s'ajouter à la liste indicative établie par le Secrétariat des personnes appelées à faire partie de groupes spéciaux. Cette liste facilitait le processus de sélection, mais elle ne suffisait pas encore à satisfaire la demande croissante de candidats potentiels » ’ 422 . Pourtant, la mise à jour de cette liste indicative est une préoccupation constante de l’ORD et des Membres qui le composent, comme en témoigne le nombre important de réunions de l’ORD au cours desquelles des désignations ont été proposées et adoptées 423 .
Les chiffres précédemment cités confirment que la constatation du Président de l’ORD est toujours d’actualité. Mais une continuité double est mise en avant : les membres des groupes spéciaux officient dans plusieurs affaires distinctes 424 et leurs qualification et origine ont chaque fois des traits communs, même si seuls deux groupes spéciaux ont été nommés sans changement de composition pour un nouveau différend 425 . Il est même possible d’affirmer que les Etats membres sont plus zélés dans la fixation d’une certaine continuité de nomination des membres des groupes spéciaux, eu égard à la constance de leur pratique 426 .
Cette pratique n’est pas sans base textuelle car le Mémorandum dans son long article 8 consacré à la ‘ « composition des groupes spéciaux ’ » relève, dans la liste énumérative des ‘ « personnes très qualifiées ’ » devant composer les groupes spéciaux 427 , le souci d’une cohérence dans le traitement des différends par la procédure des groupes spéciaux. Cette disposition affirme que peuvent appartenir à un groupe spécial les ‘ « personnes qui ont fait partie d’un groupe spécial ». ’ Cette admission paraît souhaiter une certaine continuité quant à la composition des groupes spéciaux successifs. Ce souci est ensuite confirmé puisque pourront faire partie des groupes spéciaux les personnes qui sont à même de connaître et maîtriser par leur expérience l’histoire et le fonctionnement de l’OMC, c’est-à-dire les personnes qui ont ‘ « présenté une affaire devant un tel groupe, qui ont été représentants d’un Membre ou d’une Partie contractante au GATT de 1947, ou représentants auprès du Conseil ou du Comité d’un accord visé ou de l’accord qui l’a précédé, ou qui ont fait partie du Secrétariat » ’ 428 . Aussi est-il encore question de continuité sur deux points : d’abord par rapport au fonctionnement de l'OMC, à ses principes généraux, et à ses choix, en prenant aussi en compte l’évolution générale et les évolutions particulières de cette organisation ; ensuite par rapport à l’histoire des relations commerciales internationales en prenant en considération le GATT, système ayant précédé l’OMC et l’ayant aussi préfiguré, et en l’incluant explicitement dans le nouveau système. Par ailleurs, la continuité se révèle aussi dans le nombre de membres nommés pour chaque groupe spéciaux puisque les parties d’un commun accord peuvent déroger au principe de trois personnes en prévoyant un nombre de cinq 429 mais que cette possibilité n’a jamais été appliquée jusqu’à présent.
Par conséquent, la continuité caractérise bien la composition des groupes spéciaux. Certes, elle est interprétée extensivement car les membres nommés n’ont pas une identité constante. Cependant, les imprécisions du Mémorandum et les fluctuations pratiques, possibles du fait de la participation des parties, auraient pu tout à fait porter atteinte à une continuité textuellement fragile. Au contraire, cette continuité aurait même tendance à se renforcer avec l’aval des Etats membres qui non seulement, pour certains, l’appellent de leurs vœux, mais aussi la pratiquent alors même que le Directeur général semble plus prudent sur ce point. Certaines propositions de professionnalisation des groupes spéciaux confirment cette tendance car elles aboutissent finalement, même implicitement, à la constatation d’une permanence de ses groupes et de l’insuffisance de cette dernière 430 .
Cette continuité ne se trouve pas seulement dans la composition des groupes spéciaux. Elle se distingue également dans l’effectivité de la phase du groupe spécial au cours des années de pratique du système de règlement mémorandaire. En effet, l’incitation à la négociation et au règlement amiable des différends formulée à maintes reprises par le Mémorandum 431 n’a pas pour conséquence de transformer le fonctionnement des groupes spéciaux en une exception qui ne serait appliquée qu’en cas de désaccord irrémédiable entre les parties quant au règlement de leur différend. Au contraire, l’effectivité du travail des groupes spéciaux est courante, comme en témoigne l’étude quantitative des différends déclarés à l’ORD depuis 1995 432 . Bien entendu, l’adoption d’un rapport de groupe spécial est loin d’être systématique mais plus de la moitié des affaires définitivement réglées l’ont été avec l’intervention d’un groupe spécial 433 . En outre, une fois le groupe spécial établi et composé, il est très rare que cette instance n’aille pas jusqu’à voir son rapport être adopté par l’ORD 434 . Une certaine permanence de la présence des groupes spéciaux dans le règlement des différends doit être signalée, même s’il ne faut pas nier le rôle de repoussoir que joue la phase des groupes spéciaux, incitant les membres à parvenir à une solution négociée 435 . Une certaine continuité s’observe également dans les regroupements d’affaires, continuité qui apparaît dans le texte et se confirme en pratique : plusieurs affaires seront traitées par le même groupe spécial du simple fait de leur regroupement 436 ; de même, ‘ « le groupe spécial initial » ’ sera préférable pour la tierce partie qui choisira d’avoir recours aux procédures normales de règlement quand elle estimera ‘ « qu’une mesure qui a déjà fait l’objet de la procédure des groupes spéciaux annule ou compromet des avantages résultant pour elle d’un accord visé ’ » 437 .
La même constatation d’une relative continuité s’observe dans l’application de l’article 21 : 5 qui prévoit pour la ‘ « surveillance de la mise en œuvre des recommandations et décisions » ’ 438 que, ‘ « dans les cas où il y aura désaccord au sujet de l’existence ou de la compatibilité avec un accord visé de mesures prises pour se confirmer aux recommandations et décisions, ce différend sera réglé suivant les présentes procédures de règlement des différends, y compris, dans tous les cas où cela sera possible, avec recours au groupe spécial initial ». ’ Ce texte incite les parties à avoir recours au groupe spécial initial dans l’affaire en cours, et la pratique va dans le sens donné par le Mémorandum. De plus, le critère de préconstitution peut être ici envisagé dans son sens le plus strict puisque le groupe spécial de mise en conformité a une composition préétablie, celle du groupe spécial initial, composition particulière jamais démentie en pratique 439 .
Par conséquent, la permanence des groupes spéciaux peut être affirmée : elle découle de la composition et de l’effectivité de ces groupes spéciaux. La supposition formulée par M. Goutal dès 1994 se trouve ainsi confirmée : ‘ « compte tenu des délais, brefs à certains égards (…) dont les organes disposent pour constituer des panels – ces délais n’existaient pas avant – on va très probablement constater dans la pratique qu’on nommera un peu toujours les mêmes, c’est-à-dire ceux qui sont disponibles, ceux qui ne sont pas loin, ceux qui connaissent déjà ce type d’affaires parce qu’ils vont gagner du temps » ’ 440 . Des tendances lourdes se dégagent quant à la composition des groupes spéciaux : ‘ « surreprésentation des traditionnels "neutres" du GATT (…) [et] montée des pays en développement » ’ 441 , domination des diplomates en postes à Genève et des techniciens du droit de l’OMC 442 , etc. Cette permanence peut sembler fragile puisque issue d’une interprétation extensive du critère de la préconstitution et d’une continuité textuellement aléatoire. Mais la pratique la confirme et la renforce.
En troisième et dernier lieu, cette permanence est beaucoup plus flagrante pour l’Organe d’appel et peut être identifiée ne serait-ce qu’en examinant les dispositions du Mémorandum consacrées à cette institution 443 et la première d’entre elles : l’article 17. Ce dernier, intitulé ‘ « examen en appel ’ », a comme sous-titre des paragraphes 1 à 8 ‘ « Organe d’appel permanent » ’. La formulation explicite de l’adjectif ‘ « permanent ’ » qualifie la volonté des rédacteurs du Mémorandum, celle-ci étant rappelée dans le corps de cet article 17 : ‘ « un organe d’appel permanent sera institué par l’ORD. (…) Il sera composé de sept personnes dont trois siègeront pour une affaire donnée. Les personnes faisant partie de l’Organe d’appel siègeront par roulement » ’ 444 . ‘ « Leur mandat sera de quatre ans et, pour chacune, sera renouvelable une fois » ’ 445 . ‘ « Toutes les personnes qui feront partie de l’Organe d’appel seront disponibles à tout moment et à bref délai ’ » 446 . De même, les Règles de conduite relatives au Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends nomment toujours l’Organe d’appel ‘ « Organe d’ appel permanent ’ » 447 .
Il n’est nul besoin de s’appesantir sur l’idée de permanence qui se dégage de la lecture des textes juridiques de l’OMC. Il convient en revanche de préciser cette idée et de la confronter à la pratique du Mémorandum. Les dispositions de l’article 17 précédemment citées contiennent à la fois l’idée de préconstitution et de continuité qui caractérisent toutes deux le critère de permanence. En effet, l’Organe d’appel est préconstitué du fait qu’il est ‘ « institué par l’ORD ’ » et qu’il est composé de sept membres siégeant par trois par le système du roulement 448 . Il est continu dans le sens où le mandat des membres de l’Organe d’appel ne correspond pas à un différend déterminé et où ceux-ci doivent être d’une grande disponibilité 449 , étant sous-entendu que cette dernière leur permettra de remplir leur mission pour tout différend futur porté devant l’Organe d’appel. Le système du roulement comme la longueur assez importante des mandats accréditent l’affirmation de l’organisation d’une continuité.
Cette continuité se constate depuis novembre 1995, dès les premières nominations des sept membres de l’Organe d’appel. Cinq d’entre eux ont vu leur mandat de membre de l’Organe d’appel être renouvelé, les deux autres n’ayant fait qu’un seul mandat pour des ‘ « raisons personnelles ’ » 450 . C’est le Mémorandum et son souci de continuité qui a été respecté concernant les différentes nominations ultérieures 451 . Ainsi, depuis la première composition de l’Organe d’appel et jusqu’à fin 2003 452 , treize personnes seulement se seront succédées dans les sept sièges que compte l’Organe d’appel, ce qui représente une continuité bien établie 453 .
En outre, cette continuité est prônée par le Président de l’ORD, considérant qu’il est ‘ « impératif qu'il n'y ait pas de vacance au sein de l'Organe d'appel ’ » 454 , qu’il est ‘ « nécessaire de faire preuve de la plus grande responsabilité et du plus grand soin pour éviter toute interruption des travaux de cet organe vital de l'OMC ’» 455 ; elle est encouragée de manière générale par les Membres qui, selon le Président de l’ORD, envisagent ‘ « la nécessité impérative de faire en sorte que l'Organe d'appel puisse poursuivre son importante tâche sans avoir à souffrir de ruptures dans sa composition » ’ 456 . Aussi une réflexion s’est-elle engagée au sein de l’ORD sur la question de ‘ « l’harmonisation de la durée du mandat des membres de l’Organe d’appel et les processus de sélection pour les désignations futures des membres de l'Organe d'appel ’ » au printemps 2000 457 . Cette continuité renforce forcément le critère de préconstitution participant lui aussi à la définition de la permanence. Elle a pour source la conservation du siège de chaque membre de l’Organe d’appel au-delà de la première affaire qu’il traitera dans le cadre de son mandat. Dans le cas de l’Organe d’appel, il faut en conclure que la continuité et la préconstitution sont les deux parties de la permanence caractéristique de cet Organe, aussi bien d’un point de vue textuel que d’un point de vue pratique.
Les chiffres relatifs aux affaires traitées dans le cadre de l’OMC viennent confirmer cette idée de permanence. L’Organe d’appel a été sollicité dans plus de deux tiers des affaires traitées par des groupes spéciaux 458 et dans plus de la moitié des différends sur la mise en conformité, différends déclenchés selon l’article 21 : 5 du Mémorandum avec reconvocation du groupe spécial initial 459 . Il est difficile de parler de reconvocation des membres initiaux de l’Organe d’appel dans la mesure où le Mémorandum comme les Procédures de travail pour l’examen en appel prévoient des sections de trois membres siégeant par roulement 460 . Mais une distinction selon le critère de permanence est notable entre des groupes spéciaux, constitués différemment pour chaque différend selon le bon vouloir des parties ou du Directeur général, et un Organe d’appel, composé pour chaque différend de trois des sept membres appartenant à cette instance.
Pour conclure, il faut constater que la permanence des instances mémorandaires de règlement opérationnelles se situe généralement davantage dans la continuité que dans la préconstitution, l’Organe d’appel équilibrant ces deux critères. La permanence déjà constatée est variable selon s’il s’agit des groupes spéciaux, pour lesquels elle est existante mais mitigée, ou de l’Organe d’appel, pour lequel elle est avérée. Or, d’un point de vue organique, ‘ « l’arbitrage et le règlement judiciaire (…) se distinguent par un certain nombre de caractéristiques. En particulier, la composition de l’organe arbitral est déterminée par les parties alors que le règlement judiciaire relève d’un organe pré-constitué ’ » 461 . Aussi serait-il possible, sur un plan uniquement organique, de classer les groupes spéciaux dans la catégorie des instances arbitrales et l’Organe d’appel dans celle des juridictions à proprement parler. Cependant, si le second classement semble judicieux, du point de vue du critère de permanence, le premier est plus douteux.
L’intervention du Directeur général dans la détermination de la composition du groupe spécial, pour suppléer une volonté commune défaillante des parties, vient relativiser la catégorisation arbitrale. Même quand la procédure arbitrale de règlement des différends est institutionnalisée en droit international public, le choix de l’arbitre appartient aux parties, même si une liste préétablie peut exister, par exemple dans le cas de la Cour Permanente d’Arbitrage ; aucune intervention tierce ne vient contraindre totalement les parties dans ce libre choix 462 . La procédure des groupes spéciaux pourrait donc être considérée, en ‘ « barbarisant ’ » la théorie administrativiste du Professeur Chapus relative aux normes jurisprudentielles du juge administratif français 463 , comme ‘ « supra-arbitrale ’ » et ‘ « infra-judiciaire », ’ sur une échelle exprimant le taux de permanence.
La permanence d’une instance de règlement des différends se constitue d’un préétablissement institutionnel et d’une continuité organique, le premier signifiant que l’instance préexiste au différend qu’elle a en charge de régler et la seconde signifiant une constance opérationnelle dépassant la résolution du différend de l’espèce. La permanence ne peut donc être assurée que par la pérennité de l’instance, par l’absence de soumission de son intégrité organique à la naissance d’un différend et au déroulement et à l’issue de son règlement. Plus clairement, l’intégrité organique de l’instance de règlement n’est pas modifiée voire menacée par les différends qui sont traités. Cette instance a donc une existence autonome par rapport au différend.
Cette permanence caractérise la juridictionnalité organique d’une instance de règlement des différends existante et spécialisée dans cette fonction ; elle définit l’autonomie temporelle de l’instance par rapport au différend et à ses protagonistes. L’intégrité de l’instance de règlement ne peut cependant se satisfaire de sa seule dimension organique ; la menace pesant sur l’instance est également d’ordre fonctionnel. Si, du fait de sa permanence, l’instance ne subit pas de modification organique induite par la succession des différends qu’elle traite, sa fonction peut être soumise dans sa forme et dans son intensité à la variabilité de ces différends et de leurs protagonistes ; de la sorte, la permanence ne saurait suffire à la garantie d’une juridictionnalité organique puisqu’elle ne permet d’assurer que l’intégrité dans le temps et non dans l’espace. L’autonomie temporelle doit donc s’accompagner d’une autonomie matérielle, c’est-à-dire d’une indépendance de l’instance par rapport au différend et à ses protagonistes. Par voie de conséquence, dans le cadre de l’OMC, la recherche de la juridictionnalité du système mémorandaire passe par l’identification de l’indépendance de chacune des instances qui le composent.