Les procédures sont de type juridictionnel quand elles sont par leur nature de type contradictoire. Cependant, cette caractéristique ne saurait suffire à les définir. Une procédure est un moyen et non une fin ; elle est un mécanisme, un outil au service d’une entité afin que celle-ci puisse remplir au mieux la mission qui lui est assignée. Le principe du contradictoire est central dans l’organisation procédurale juridictionnelle non seulement parce qu’il garantit les droits des parties mais également parce qu’il permet de la sorte à la juridiction de forger une décision la plus objective et impartiale possible. La garantie des droits de la défense, souvent considérée comme l’objectif majeur d’une procédure juridictionnelle, n’est qu’un instrument permettant à la juridiction d’élaborer et formuler une décision juste. La centralité du contradictoire ne s’explique donc qu’en fonction de l’objectif qu’il permet d’atteindre : la formulation d’un acte. Etudier la procédure d’un système de règlement des différends implique d’analyser le déroulement procédural mais également son aboutissement. Identifier une juridiction implique de révéler une procédure contradictoire mais également l’effectivité d’une décision.
Il est difficile de parler ici d’acte juridictionnel car cette notion regroupe des réalités diverses. La qualification juridictionnelle peut être attribuée à un acte en fonction de son auteur, de sa procédure d’élaboration, de sa structure, de sa finalité, de sa fonction, de son destinataire ou encore de son devenir, de telle sorte que cette notion est soumise à de toujours vifs débats. M. Bergel résume cette diversité en affirmant que ‘ « les controverses doctrinales relatives au concept et aux critères de l’acte juridictionnel sont inépuisables, aussi bien parmi les spécialistes du droit public que parmi ceux du droit privé ’ » et que, ‘ « très schématiquement ’», il faut considérer ‘ « deux séries de critères, des critères formels et des critères matériels » ’ 1078 . Si cette distinction a le mérite de la clarté, elle n’est pas pour autant opérationnelle. Elle décrit les termes du débat doctrinal sur la notion d’acte juridictionnel mais ne permet pas de dégager une définition unique de l’acte juridictionnel.
Pourtant, l’identification d’un acte juridictionnel est une étape importante de la qualification juridictionnelle d’un mécanisme de règlement des différends. La définition formelle signifie que tout acte pris par un juge est juridictionnel. La caractérisation d’un acte juridictionnel passera, dans ce cas, par l’identification d’un juge. L’acte ne servira donc pas à définir une juridiction, puisque l’identification d’un juge l’a préalablement fait. La définition formelle de l’acte juridictionnel est par conséquent inutile à définir une juridiction. Quant à la définition matérielle, elle s’intéresse à la finalité de l’acte juridictionnel et empiète ainsi largement sur le thème de la fonction juridictionnelle qui n’a que peu à voir avec l’aspect procédural du système présentement étudié. La définition formelle de l’acte juridictionnel ne permettra donc pas une étude procédurale mais une analyse des finalités 1079 .
Ainsi, l’étude des caractéristiques de l’acte émanant du système mémorandaire ne permet pas d’identifier une procédure juridictionnelle. L’analyse formelle de l’acte est redondante dans la mesure où a déjà été démontrée l’effectivité organique de la juridiction 1080 . L’analyse matérielle de l’acte est superflue dans la mesure où elle n’a pas sa place dans l’analyse procédurale du système mémorandaire. En revanche, l’étude de l’effectivité de l’acte est indispensable car un système de règlement des différends ne pourrait être qualifié formellement de juridictionnel si son identité organique ne produit pas, selon une procédure particulière, un acte contribuant au règlement du différend. A première vue, cette effectivité ne paraît être une condition ni déterminante ni problématique de l’existence d’une juridiction. De nombreux mécanismes non-juridictionnels de règlement des différends aboutissent à la formulation d’un acte et il faut croire que les instances de règlement mémorandaires ne négligent pas leur mission et expriment au contraire des conclusions pour chaque différend soumis. Aussi la démarche réaliste consistant à renforcer l’idée d’une juridiction en affirmant la réalité d’un acte semble-t-elle peu pertinente, à partir du moment où il a été facilement affirmé que la procédure de type contradictoire précédemment étudiée amène bien les instances de règlement à la formulation de leurs conclusions par un acte écrit 1081 .
Cependant, l’étude d’effectivité de l’acte devient indispensable si l’on prend en compte les particularismes procéduraux liée à la formation de l’acte émis par une juridiction. En effet, une caractéristique formelle s’attache à l’effectivité de l’acte, préside à sa formation et peut confirmer sa nature juridictionnelle : il s’agit de la condamnation du déni de justice. Les systèmes juridictionnels de droit interne et de droit international s’attachent tous à assurer une obligation de juger. Cette obligation différencie la juridiction des autres mécanismes de règlement des différends. Pour rester sur le plan international, la négociation ne donne pas lieu à la formulation d’un acte émis par une instance tierce ; les bons offices, l’enquête, la médiation et la conciliation sont des mécanismes diplomatiques d’aide au règlement interétatique du différend qui ne donnent pas forcément lieu à la rédaction par l’instance tierce d’une proposition de traitement du différend. Ces mécanismes étant d’essence diplomatique, ils sont, du fait de leur fonction d’aide aux parties, réfractaires à toute obligation d’effectivité d’acte final.
Quant à l’arbitrage, l’arbitre saisi communiquera bien ses conclusions consécutives au traitement du différend mais l’obligation de juger ne peut être qu’atténuée. En effet, le déni de justice est le refus d’une instance de règlement de remplir sa fonction pour un différend qui lui est soumis. Cette instance a donc une fonction plus large que le seul traitement dudit différend, ce qui implique qu’elle soit préétablie à la naissance de ce différend. Ainsi, un arbitre, qui est constitué par les parties d’un commun accord une fois le différend né et actuel, ne peut véritablement opérer un déni de justice. Sa fonction est le traitement du différend et son refus équivaudrait à nier sa propre existence. Le déni de justice sera alors atténué car il ne pourra concerner qu’une part des arguments présentés par une partie et ne sera pas généralisé au différend dans son ensemble.
L’obligation de juger ne peut par conséquent exister que dans un mécanisme juridictionnel. Elle peut donc constituer un indice d’identification d’une juridiction. Le principe d’effectivité de l’acte prend alors toute son ampleur car son respect ne peut s’imposer que dans un cadre juridictionnel. Il est ainsi une condition déterminante de l’existence d’une juridiction. Il en est, de plus, une condition problématique car sa caractérisation ne passe pas simplement par la constatation de l’existence de tels actes mais par la constatation de l’effectivité systématique d’un acte pour tout différend. Aussi cette obligation de juger a-t-elle des implications significatives d’un point de vue procédural sur deux points : à l’égard des parties, car l’obligation de juger devrait atténuer voir annihiler leur influence sur le déroulement et l’issue de la procédure de règlement ; à l’égard du système mémorandaire, car cette obligation devrait s’appliquer au système dans son ensemble afin que l’hétérogénéité des mécanismes qui le composent ne conduisent pas au non-respect de cette obligation. Pour être avérée, elle doit donc non seulement être garantie par l’assurance d’un acte de forme constante systématiquement élaboré et formulé par les instances de règlement, mais également être assurée par des mécanismes empêchant les parties de retarder indûment voire de bloquer le mécanisme de règlement du différend, et ce à tous les stades du règlement mémorandaire.
Néanmoins, l’obligation de juger n’implique pas la paralysie procédurale des parties car, ‘ « parmi "les principes directeurs du procès", le principe dispositif se place au premier rang. C’est le principe selon lequel les parties ont seules le pouvoir de déclencher, de conduire et d’arrêter l’instance, ainsi que de déterminer la matière litigieuse ’ » 1082 . Une procédure juridictionnelle se caractérise donc par un équilibre entre l’obligation de juger incombant à l’instance de règlement et ce ‘ « principe dispositif ’ » laissant aux parties une certaine marge de liberté dans le déroulement et la conclusion du règlement. L’obligation de juger n’est donc pas absolue mais relativisée par le principe dispositif. La démarche présidant à son identification doit donc consister en une évaluation de l’inexorabilité du déroulement de la procédure mémorandaire jusqu’à la formulation de l’acte, et ce en fonction de l’impact du principe dispositif sur ce déroulement. Ainsi, l’obligation de juger est avant tout dépendante de la portée du principe dispositif, en sus d’être tributaire de l’invariabilité existentielle et formelle de l’acte.
En premier lieu, la portée du principe dispositif doit être évaluée. Le Mémorandum consacre dans ses ‘ « dispositions générales ’ » 1083 le principe d’un ‘ « règlement rapide ’ » qui ‘ « est indispensable au bon fonctionnement de l'OMC et à l'existence d'un juste équilibre entre les droits et les obligations des Membres » ’ 1084 . Ce souci constant se traduit par la fixation de conditions strictes de délais. De la sorte, le Mémorandum s’efforce d’assurer la fluidité du déroulement procédural du règlement et de garantir aux instances de règlement le respect de l’obligation de juger à l’encontre des parties. Ces délais concernent tous les aspects de la procédure mémorandaire. Leur organisation textuelle est précise 1085 , tout comme certaines études qui leur sont consacrées 1086 , de telle sorte que leur description exhaustive n’est pas ici nécessaire. Ces études s’accordent sur la conclusion selon laquelle ‘ « les délais ne sont pas seulement stricts, ils sont également courts » ’ 1087 . En effet, ‘ « la volonté est évidente (…) de préciser les délais de façon rigoureuse » ’et ‘ « c’est sans doute la fixation de délais stricts (…) qui apparaîtrait comme l’élément essentiel » ’ 1088 . ‘ « Des délais stricts (…) ont été fixés par le Mémorandum afin d’éviter que la procédure ne dure trop longtemps, et que finalement, elle ne s’enlise ’ » 1089 ; ‘ « il s’agit de laisser une marge de manœuvre moins grande aux Etats, et, partant, de renforcer la sécurité et la prévisibilité du système commercial international ’ » 1090 .
Cependant, une étude de la pratique des délais est nécessaire. En effet, une opposition doctrinale semble ressortir entre ceux qui considèrent que les délais sont trop courts 1091 et ceux qui les critiquent pour leur longueur excessive 1092 . En réalité, cette opposition n’en est pas vraiment une ; elle ne peut être considérée comme le fondement d’un débat axé sur le raccourcissement ou l’allongement des délais, car les délais paraissent trop brefs tels qu’ils sont prévus dans le Mémorandum 1093 ou trop longs tels qu’ils sont mis en pratique 1094 . Elle a en revanche pour intérêt de révéler un décalage entre le texte et la pratique.
L’identification d’une obligation de juger est dépendante de l’étude des délais tels qu’ils sont prévus textuellement et tels qu’ils sont appliqués en pratique. Caractéristique d’un règlement juridictionnel, cette obligation ne peut se satisfaire d’une pratique trop éloignée des garanties de délais fixées par le Mémorandum, sous peine de voir la mainmise des parties sur le déroulement procédural faire prévaloir le principe dispositif au détriment de cette obligation. L’évaluation du décalage entre les délais fixés et ceux appliqués est à même de constater l’effectivité ou les dysfonctionnements de cette obligation de juger. Il n’est pas certain qu’une procédure de type juridictionnel se satisfasse de l’application stricte de délais. En effet, si une lenteur extrême de la justice frôle le déni et peut être condamnable 1095 , une lenteur mesurée est salutaire à son bon fonctionnement. Elle permet la sérénité du juge, l’étude la plus objective possible de l’affaire, un examen approfondi des éléments du différend, l’assurance d’une procédure équitable pour les parties, la constitution claire et juste de la décision.
Si dans le cadre national, des conditions de délais s’appliquent à la procédure juridictionnelle, elles ne concernent principalement que les rapports entre les parties et le juge, et non directement le seul travail prétorien. Le juge n’a pas à respecter de manière générale des délais stricts s’appliquant à son travail d’élaboration et de formulation de sa décision. L’excessive rapidité est l’ennemie de la bonne justice ; une lenteur mesurée est le gage d’une procédure et d’une décision justes. Bien entendu, dans ce cadre, l’urgence est gérée par des aménagements significatifs mais qui restent l’exception confirmant la règle de lenteur. Ainsi, l’existence de conditions strictes de délais balisant l’entière procédure mémorandaire est difficilement compatible avec l’identification d’une juridictionnalité de cette procédure, surtout quand les délais contraignent directement les instances de règlement dans le déroulement de leur fonction.
Néanmoins, il faut considérer que le règlement des différends interétatiques doit être soumis à de telles conditions strictes à partir du moment où son effectivité et son efficacité sont recherchées. En effet, la souveraineté étatique est souvent l’ennemie de la procédure de règlement et le respect de délais par les instances de règlement leur permet d’esquiver les ralentissements et blocages que les parties peuvent tenter. Le respect des délais relativise la portée de la souveraineté étatique et constitue un moteur d’effectivité. Même si ces délais ne sont pas respectés à la lettre, le souci constant de leur respect par les instances de règlement les incitera à l’effectivité et à l’efficacité, bref à respecter une obligation de juger fragilisée si ces conditions de délais étaient absentes. Ainsi, la fixation lourde de conditions de délais est par principe une atteinte à la juridictionnalité de la procédure de règlement mais elle est le gage de cette juridictionnalité dans des cas particuliers de règlement de différends interétatiques forcément marqué par l’absence d’autorité supra-étatique effective. Par conséquent, l’existence de délais, globalement incompatible avec le modèle juridictionnel, est, pour l’instant, paradoxalement garante de sa consolidation dans la mesure où elle garantit le respect de l’obligation de juger.
Sans pour autant revenir sur le détail des dispositions mémorandaires décrivant les conditions de délais, force est de constater que le Mémorandum semble clair sur ce point. Dans son article 20, il précise que ‘ « le délai entre la date à laquelle l'ORD établira le groupe spécial et celle à laquelle il examinera le rapport du groupe spécial ou de l'Organe d'appel en vue de son adoption ne dépassera pas, en règle générale, neuf mois dans les cas où il ne sera pas fait appel du rapport ou 12 mois dans les cas où il en sera fait appel ». ’ En comptant les consultations, les délais sont compris dans le texte entre 330 et 540 jours, soit entre 11 et 16 mois, entre la demande de consultations et l’adoption par l’ORD du rapport du groupe spécial – délai minimum – ou de l’Organe d’appel – délai maximum 1096 . Cependant, les parties ont une influence certaine sur le bon déroulement de la procédure de règlement mémorandaire.
D’abord, le titulaire de l’attraction obligatoire – la partie plaignante ou appelante – peut casser la fluidité temporelle du déroulement procédural. Les consultations sont son terrain privilégié car elles constituent le mécanisme le plus irrespectueux des délais. Rares sont celles qui débouchent dans les soixante jours 1097 sur un règlement amiable ou une demande d’établissement de groupe spécial. Seule une consultation sur quatre est soldée dans les soixante jours 1098 , et quasiment aucune dans les trente jours 1099 . Si la plupart des consultations se termine quelques mois après la fin du délai mémorandaire, certaines ont une durée conséquente puisque un tiers des consultations hors-délais ont une durée supérieure à trois ans 1100 . Le plaignant peut utiliser l’article 12 : 12 lui permettant de retarder la procédure de règlement par la suspension des travaux du groupe spécial, voire leur blocage par caducité du pouvoir conféré au groupe spécial 1101 . Par ailleurs, le plaignant peut, par la manipulation des procédures, retarder le bon déroulement du règlement mémorandaire : il annulera et reformulera une demande de consultations 1102 , voire la remplacera par une autre demande 1103 ; il demandera de nouvelles consultations concernant le même différend 1104 ; il attendra quelques mois avant de présenter à nouveau une demande d’établissement reportée lors de la première réunion de l’ORD 1105 ; il notifiera une demande d’établissement d’un groupe spécial sans pour autant que ce dernier ne puisse rédiger son rapport, soit parce qu’il n’a pas été établi 1106 , soit parce qu’il a été établi mais non composé 1107 , soit parce que la demande d’établissement a été retirée 1108 , soit parce que la plainte a été retirée 1109 ; il ne respectera pas systématiquement le délai de composition du groupe spécial 1110 . De même, l’appelant dépassera le délai d’appel sans pour autant que cet appel ne soit pas pris en compte 1111 ou encore notifiera un appel et se désistera cinq jours après pour finalement notifier un nouvel appel vingt-quatre jours plus tard 1112 . Par ailleurs, le plaignant ou l’appelant va parfois utiliser son influence procédurale comme une arme contre le défendeur ou l’intimé, pour le règlement à son profit du différend par la voie amiable. Par exemple, les solutions amiables obtenues après demande d’établissement ou constitution d’un groupe spécial, ou après les retraits de plaintes ou d’appel, sont autant d’accords obtenus par le plaignant ou le défendeur ayant appliqué une pression sur le défendeur ou l’intimé ; de même, les prolongations de délai préalables à l’enclenchement ou la poursuite d’une nouvelle phase de règlement permettent au plaignant ou à l’appelant de légitimer vis-à-vis du défendeur ou de l’intimé sa détermination quant au règlement par les instances de l’OMC.
Ensuite, les parties peuvent influer sur les délais d’un commun accord, premièrement en les raccourcissant. Ainsi, le Mémorandum prévoit l’abrègement de la période des consultations 1113 et l’Organe d’appel constate que cette disposition ne précise pas la forme de cet accord entre parties 1114 . Cet abrègement peut se faire éventuellement en cas d’urgence. Le Mémorandum ne précise pas l’identité du titulaire de l’établissement de l’urgence 1115 mais il faut croire que ce sont les parties, d’un commun accord, qui décident de l’urgence 1116 puisque cette dernière a pu ne pas être acceptée par le défendeur et de ce fait ne pas être appliquée 1117 . Deuxièmement, les parties, d’un commun accord, peuvent ralentir la procédure de règlement mémorandaire. Ici encore, les consultations sont le moment privilégié pour les parties d’un commun accord de retarder le déroulement procédural 1118 . En outre, le groupe spécial peut retarder la remise de son rapport 1119 , en pratique souvent du fait d’une demande des parties 1120 . Par ailleurs, en réalité, les ralentissements procéduraux dus au plaignant ou à l’appelant sont pour la plus grande part consécutifs à un accord plus ou moins tacite entre les deux parties. En effet, le plaignant ou l’appelant exerce formellement l’influence sur les délais du fait des dispositions mémorandaires qui lui en donnent la capacité. Mais son choix découle du comportement du défendeur ou de l’intimé qui connaît les moyens procéduraux mis à la disposition du plaignant par le Mémorandum et qui sait que de son attitude, laissant ou non entrevoir la possibilité d’un règlement amiable, dépend la détermination du plaignant à ralentir ou non la procédure de règlement.
Ensuite, le défendeur peut parfois agir sur le déroulement procédural. Outre l’influence qu’il exerce sur la détermination du plaignant, il possède un pouvoir d’obstruction temporaire à chaque fois qu’il s’agit d’enclencher ou de poursuivre une procédure mémorandaire d’un commun accord avec l’autre partie. Le Mémorandum privilégie l’accord entre parties quant au déroulement procédural et ne prévoit souvent d’initiative unilatérale et d’intervention des instances OMC qu’en cas de désaccord persistant entre les parties, afin que la procédure ne soit pas bloquée. Néanmoins, en pratique, l’obstruction est fréquente et le désaccord est règle, ce qui allonge la durée de la procédure. Ainsi, par exemple, les parties ne décident que rarement ensemble d’une demande d’établissement d’un groupe spécial formulée pendant le délai de soixante jours de consultations 1121 ou encore de l’effectivité de l’urgence ; les parties peuvent, d’un commun accord, désigner les membres du groupe spécial mais cette démarche est souvent source de conflit tranché par le Directeur général ; le défendeur peut retarder le travail du groupe spécial par exemple en demandant des travaux additionnels à titre préliminaires 1122 ; un accord amiable est toujours possible, quelle que soit l’étape de la procédure mémorandaire 1123 mais le mécanisme du groupe spécial et l’examen en appel, quand ils sont engagés, vont le plus souvent à leur terme ; par ailleurs, le défendeur influencera par l’expression d’un désaccord le plaignant qui, bien que n’y étant pas obligé par le Mémorandum, prendra en considération cette remarque 1124 .
Enfin, les parties ont la possibilité de bloquer, et non plus seulement de ralentir, le fonctionnement effectif du système mémorandaire. Les conditions sont cependant très restrictives. La solution amiable étant toujours préférable, le plaignant ou l’appelant va dans ce même esprit instaurer des pratiques de blocage par différents moyens déjà évoqués : l’annulation de demande de consultations, le retrait de la demande d’établissement d’un groupe spécial, le retrait de la plainte après établissement effectif du groupe spécial ou encore le retrait de la notification d’appel. En outre, les textes mettent à la disposition du plaignant ou de l’appelant deux moyens d’interruption de la procédure de règlement : la caducité du pouvoir conféré pour l’établissement du groupe spécial après suspension de ses travaux par le plaignant pendant plus de douze mois 1125 ; le ‘ « désistement d’appel ’ » qui permet à l’appelant, ‘ « à tout moment au cours d'un appel, (…) [de] se désister en le notifiant à l'Organe d'appel, qui le notifiera immédiatement à l'ORD ’ » 1126 .
Le bon déroulement du système de règlement mémorandaire est bien influencé par les parties, ce qui est susceptible de porter atteinte à l’obligation de juger incombant aux instances de règlement. Cependant, l’examen précédent des textes et de la pratique montre les limites de cette influence : le plaignant ou l’appelant possède seul, formellement, de nombreuses possibilités de retarder ou bloquer la procédure mémorandaire ; l’accord entre les parties offre des possibilités similaires mais souvent de manière indirecte par la mise en œuvre des mécanismes d’influence sur les délais que seul ledit plaignant ou appelant peut actionner ; à l’inverse, le défendeur ou l’intimé n’a pas ces mêmes possibilités car son pouvoir d’obstruction est marginal, n’est pas prévu par le Mémorandum, n’est en réalité que la manipulation inhérente à l’application normale de toute procédure stricte et ne s’exerce que dans de rares cas sans portée décisive. Le phénomène d’attraction obligatoire reconnu dans le système mémorandaire est ainsi logiquement prolongé par un principe dispositif au bénéfice du plaignant ou de l’appelant et des parties d’un commun accord, principe dont la mesure garantit l’effectivité d’une obligation de juger. Si cette effectivité est caractéristique d’une juridictionnalité, elle ne peut être garantie qu’à la condition que les instances de l’OMC ne rechignent pas à achever leur travail par la rédaction systématique d’un rapport.
En deuxième lieu, l’obligation de juger est tributaire de l’invariabilité existentielle de l’acte. L’obligation de juger caractéristique d’une procédure juridictionnelle incombe à l’entité tierce au différend chargée de participer à son règlement et non aux parties. Elle doit déboucher sur la formulation d’un acte. Aussi ne paraît-elle pas pouvoir s’appliquer à une phase des consultations essentiellement bilatérale. S’il ne peut exister formellement une obligation de juger au stade des consultations, cette obligation se traduit par la garantie de consultations effectives entre les parties, garantie apportée par la procédure mémorandaire qui considère réalisées les consultations même en cas d’échec ou d’absence des discussions bilatérales. Certes, un acte positif de règlement n’est pas forcément formulé ; mais le constat d’ échec ou l’absence de telles discussions, tous deux exprimés dans la demande d’établissement du groupe spécial, peuvent constituer des actes tacites résultant de la tenue effective de ces consultations. La procédure mémorandaire assure bien l’expression automatique de tels actes positifs ou tacites. De la sorte, une obligation de juger est bien confirmée par la variabilité existentielle d’un acte.
Quant à la variabilité existentielle des actes des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel, elle provient du non-refus de ces instances de formuler un acte de leur fonction, c’est-à-dire de l’absence de ‘ « déni de justice ’ » 1127 . En réalité, les procédures de règlement interrompues le sont toujours par volonté du plaignant ou des deux parties d’un commun accord. A partir du moment où la demande de consultations est notifiée à l’ORD, nul refus ou blocage émanant du groupe spécial ou de l’Organe d’appel n’est venu troubler le déroulement normal de la procédure mémorandaire jusqu’à la formulation d’un rapport. L’enclenchement du système mémorandaire dans toutes ses phases est avéré à chaque fois que le plaignant ou les parties, d’un commun accord, activent le mécanisme de règlement selon les procédures prévues par le Mémorandum. Les dispositions mémorandaires sont à cet égard sans équivoque : les instances de l’OMC participant au système de règlement ont des missions impératives 1128 ; le Mémorandum ne prévoit pas d’échappatoire au déroulement et à l’achèvement de la mission confiée aux instances. Au contraire, à propos de la phase du groupe spécial, il prévoit que ‘ « dans les cas où les parties au différend ne seront pas arrivées à élaborer une solution mutuellement satisfaisante, le groupe spécial présentera ses constatations sous la forme d'un rapport écrit à l'ORD. Dans ces cas, les groupes spéciaux exposeront dans leur rapport leurs constatations de fait, l'applicabilité des dispositions en la matière et les justifications fondamentales de leurs constatations et recommandations ’» 1129 . Bien qu’il ne constitue pas un principe explicitement protégé, le rejet du déni de justice est traité comme une évidence dans le texte du Mémorandum.
En outre, le déni de justice est évité du fait de la situation monopolistique, déjà relevée, du système mémorandaire sur le règlement des différends survenant dans le cadre de l’OMC. Le Mémorandum s’appliquera au règlement de tous les différends concernant les droits et obligations des Membres au titre de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce et au titre de tous les accords que cet Accord contient en annexe 1130 . Le mécanisme de l’attraction obligatoire est de nature à empêcher tout déni qui pourrait être causé par un blocage procédural initié par la partie adverse. Surtout, en pratique, les instances règlement de l’OMC n’ont jamais décidé de leur propre chef de ne pas commencer ou achever leur travail. De plus, le système du consensus négatif présidant à l’adoption des rapports du groupe spécial et de l’Organe d’appel a toujours permis l’adoption de ces rapports. Au surplus, l’interruption de procédure par le plaignant, l’appelant ou les parties d’un commun accord, n’est jamais restée sans constatation formelle rédigée par les instances concernées : ‘ « dans les cas où un règlement sera intervenu entre les parties au différend, le groupe spécial se bornera dans son rapport à exposer succinctement l'affaire et à faire savoir qu'une solution a été trouvée » ’ 1131 ; l’Organe d’appel, en dehors de toute disposition expresse, procède de la même façon 1132 .
Quelques déclarations des parties évoquent le déni de justice comme fondement d’une critique à l’encontre des rapports défavorables pour elles du groupe spécial et de l’Organe d’appel 1133 , à l’encontre du défendeur tentant de retarder le règlement du différend au stade de l’exécution 1134 , à l’encontre du même défendeur ne mettant pas en œuvre les recommandations et décisions de l’ORD 1135 , à l’encontre d’une autre partie critiquant un fractionnement procédural 1136 , ou encore à l’encontre d’un groupe spécial pour qu’il réponde à une requête 1137 . Nonobstant, ces déclarations sont marginales et ne soulèvent pas un problème général majeur de déni de justice. Bien plus, l’Organe d’appel a pu rejeter une interprétation qui aurait eu pour conséquence de ‘ « réduire à quelque chose d'illusoire et de vain le droit fondamental des Membres d'obtenir que les différends qui les opposent soient résolus dans le cadre du système et par le jeu des procédures qu'ils ont négociées en concluant le Mémorandum d'accord ’ » 1138 .
Certes, certains délais encadrant la procédure mémorandaire ne sont pas toujours respectés par les instances de règlement et pourraient tendre vers le déni. En particulier, les groupes spéciaux activent souvent l’article 12 : 9 leur permettant une remise de leur rapport au-delà du délai de six mois qui leur est normalement imparti 1139 et les raisons de ces retards, qui doivent être données à l’ORD 1140 , sont très diverses et sont plus ou moins rigoureuses. Ainsi, le groupe spécial justifie son retard par une demande des parties 1141 , par la complexité de l’affaire 1142 , par des contraintes administratives 1143 , par l’attente du rapport de l’Organe d’appel dans une autre affaire similaire 1144 , par le souci d’approfondir son travail 1145 ou encore de donner aux parties davantage de temps 1146 , mais aussi donnent plusieurs raisons simultanément 1147 , justifient leur retard par une succession de raisons données en rafale 1148 , ne donnent pas de raisons précises 1149 , cumulent pour un même rapport plusieurs prolongations de délais 1150 , voire justifient leur retard par ‘ « différents retards dans le programme de travail (sic) » ’ 1151 , dépassent le délai maximal de neuf mois fixé par l’article 12 : 9 1152 , ou encore sont en retard sans mise en œuvre de l’article 12 : 9 1153 .
De même, les sections d’appel, en vertu de l’article 17 : 5, doivent respecter le délai maximal de soixante jours entre la notification d’appel et la remise du rapport, et peuvent bénéficier d’un allongement du délai jusqu’à quatre-vingt dix jours si elles informent l’ORD du retard et en expliquent les raisons. Une grande majorité des examens en appel connaît un tel allongement 1154 et les raisons données sont diverses. En général, le délai est estimé nécessaire pour ‘ « l’achèvement du rapport et sa traduction ’ » 1155 , mais d’autres raisons sont également évoquées : une période connaissant une exceptionnelle charge de travail pour l’Organe d’appel 1156 , le décès d’un membre de la section d’appel 1157 , des problèmes de calendrier ou plus spécifiquement de réunion ministérielle, de jours ouvrés ou encore de vacances de Noël 1158 à la demande des participants 1159 , des problèmes de traduction 1160 , la grande complexité de l’affaire 1161 parfois alliée au grand nombre de questions et de participants 1162 , la ‘ « grève du zèle ’ » du personnel du Secrétariat 1163 , voire une plus grande justice pour les participants et participants tiers et la nécessité pour la section d’appel de ‘ « recharger les batteries (sic) ’ » 1164 . En outre, il est parfois recouru au retard par la mise en œuvre de l’article 17 : 5 sans qu’aucune raison particulière ne soit donnée 1165 et, malgré le caractère impératif de cette disposition 1166 , certains rapports sont remis au-delà du délai de trois mois prévu par le Mémorandum 1167 , même si le retard supplémentaire n’est pas très élevé 1168 .
Force est de constater que les groupes spéciaux et l’Organe d’appel interprètent de manière extensive, aussi bien d’un point de vue qualitatif que quantitatif, les dispositions leur permettant de prolonger les délais de remise de leurs rapports. Toutefois, ces allongements sont la plupart du temps justifiés de manière rigoureuse et restent dans l’ensemble raisonnables. Le plus souvent, les prolongations ne sont pas très significatives et sont dictées par des impératifs légitimes parce que liés à un souci de mener un travail rigoureux et efficace. De même, la mise en œuvre de ces articles est quasi-systématique alors que les groupes spéciaux et l’Organe d’appel auraient très bien pu négliger ces recours sans pour autant moins tarder dans la remise de leurs rapports. Surtout, les retards ne peuvent être assimilés à des blocages de procédure dans la mesure où ils n’aboutissent pas à un refus d’examiner le différend mais où ils sont au contraire dictés par un souci de bonne justice et utilisés pour surmonter des contraintes pratiques.
Cette interprétation extensive n’est d’ailleurs pas une violation du Mémorandum. Un groupe spécial a pu se prononcer sur le respect des délais et a constaté que ‘ « comme la plupart des délais prévus dans le Mémorandum d'accord sont soit des délais minimaux sans limite maximale, soit des délais maximaux qui n'ont, néanmoins, qu'une valeur indicative, les procédures prévues dans le Mémorandum d'accord – depuis la demande de consultations jusqu'à l'adoption des constatations par l'ORD – peuvent durer plus de 18 mois et, dans la pratique, elles ont souvent débordé ce délai » ’ 1169 . Dans cette constatation, le groupe spécial insiste sur le caractère indicatif des délais et suggère même que le caractère impératif de certains délais devient indicatif du fait qu’ils ne sont pas respectés en pratique 1170 . De même, un autre groupe spécial 1171 insiste sur ce caractère indicatif en constatant que ‘ « le délai (…) ne limite pas ni ne définit le domaine de compétence (…) rationæ temporis. Il impose (…) une obligation procédurale en ce qui concerne le déroulement (…) [des] travaux, pas une obligation fondamentale en ce qui concerne la validité de ces travaux » ’ ; et il exclut tout caractère impératif de ces délais en affirmant que ‘ « si les délais prévus à l'article 17: 5 et à l'article 22: 6 du Mémorandum d'accord devaient rendre caduc le pouvoir de l'Organe d'appel ou des arbitres, le Mémorandum d'accord l'aurait expressément prévu. Une telle caducité de la compétence est expressément prévue, par exemple, à l'article 12: 12 » ’ 1172 .
Par conséquent, l’obligation de juger s’applique bien aux groupes spéciaux et à l’Organe d’appel. Quelques exemples montrent de la part des instances des faiblesses de rigueur et d’efficacité par rapport aux délais qui leur sont normalement impartis, mais aucun cas de déni de justice par accumulation des retards ne peut être détecté, ni même soupçonné. Aussi l’invariabilité existentielle de l’acte des instances mémorandaires peut-elle être affirmée et l’effectivité d’une obligation de juger peut-elle être confirmée.
Ainsi, les critiques susmentionnées sur la longueur des délais sont en pratique évacuées. La critique de la trop grande brièveté des délais n’est pas réaliste car le plaignant comme les instances de règlement préféreront souvent ne pas appliquer strictement le Mémorandum sur ce point mais au contraire décider des allongements dans le but louable d’une rigueur et d’une efficacité procédurales. De même, la critique inverse de diminution des délais paraît également peu cohérente dans la mesure où la possibilité d’une diminution par rapport à la pratique existe et qu’elle est laissée au libre choix du plaignant et des instances qui préfèrent les mêmes allongements dans le même but louable. Le particularisme des différends et des parties dans le cadre interétatique de l’OMC rend nécessaire la fixation de délais assurant une obligation de juger effective ; le respect de la libre volonté mesurée du plaignant et des parties d’un commun accord ainsi que le souci des instances de remplir au mieux leur mission rendent nécessaires des aménagements équilibrés de ces conditions de délais.
Il faudrait davantage souhaiter une suppression de ces délais, ce qui révèlerait la maturité d’un système juridictionnel. Cependant, ces délais sont pour l’instant garants de la viabilité et de la consolidation du système et leur suppression ne serait pas pertinente dans un avenir proche. Ces délais invitent à l’effectivité et à la rapidité mais leur transgression fréquente les rend en pratique quasiment ineffectifs. En réalité, ils sont simplement incitatifs, et cette situation est déjà un grand pas en direction de la reconnaissance d’une juridictionnalité. Certes, la démarche première pourrait pour le moins consister à modifier les délais en fonction de la pratique afin de les rendre plus réalistes ; mais elle n’est ni pertinente, puisque des variations existent en fonction des affaires, ni nécessaire, puisque le système fonctionne en l’état et puisque le déni n’existe pas.
En troisième et dernier lieu, l’obligation de juger doit être confirmée par l’invariabilité formelle de l’acte. Pour être effective, elle doit se concrétiser par un acte constant dans sa forme. Or, cette continuité n’est pas évidente car elle dépend à la fois de l’unité et de l’apparence de cette décision.
D’une part, l’unité de la décision est évidente si l’instance est composée d’une seule personne. En revanche, la question de cette unité se posera à partir du moment ou plusieurs personnes constituent cette instance et participent ensemble à l’élaboration de l’acte. Une méthode de travail particulière doit donc être appliquée afin que l’obligation de juger débouche in fine sur l’obtention d’une décision unique. Deux mécanismes concurrents permettent d’assurer une cohérence du travail d’élaboration de l’acte : ‘ « la collégialité est généralement présentée (…) comme une meilleure garantie de justice, éclairée par le délibéré des juges, impartiale par la neutralisation des éventuels préjugés et indépendante grâce à la liberté de décision qu’engendre l’anonymat. Mais (…) le juge unique a aussi ses défenseurs selon lesquels, tandis que l’anonymat de la sentence dilue le sens des responsabilités, le système du juge unique développe et incite le magistrat à mieux concocter sa décision. Toute position péremptoire est ici dangereuse ’» 1173 .Il faut cependant distinguer entre collégialité et simple pluralité, la dernière autorisant les opinions dissidentes 1174 .
Les groupes spéciaux et les sections d’appel étant constitués de trois membres 1175 , la collégialité ou la pluralité auront toutes les chances de s’appliquer. La distinction entre collégialité et pluralité va se faire sur l’existence ou non d’opinions dissidentes ou individuelles. Le Mémorandum ne donne, à cet égard, que peu d’indices, et encore moins de principes, mais il penche du côté de la pluralité avec opinions dissidentes, en prévoyant que ‘ « les avis exprimés dans le rapport du groupe spécial par les personnes faisant partie de ce groupe seront anonymes ’ » 1176 et que ‘ « les avis exprimés dans le rapport de l’Organe d’appel par les personnes faisant partie de cet organe seront anonymes ’ » 1177 . Ce positionnement textuel reste prudent : la pluralité n’est pas un principe consacré quant les Procédures de travail pour l’examen en appel prévoient que ‘ « l'Organe d'appel et ses sections ne ménageront aucun effort pour prendre leurs décisions par consensus. Toutefois, dans les cas où il ne sera pas possible d'arriver à une décision par consensus, la décision sur la question à l'examen sera prise à la majorité des voix ’ » 1178 ; au contraire, ces Procédures de travail ne prévoient aucune disposition organisant la formulation d’opinions individuelles ou dissidentes mais contiennent un article intitulé ‘ « collégialité ’ » 1179 . Cette disposition n’organise pas véritablement un principe de collégialité mais prévoit dialogues et réunions périodiques entre membres de l’Organe d’appel ‘ « pour assurer l'uniformité et la cohérence de la prise de décisions ’ » 1180 .
Les groupes spéciaux s’engagent en pratique sur la voie de la pluralité. L’affirmation théorique vient du groupe spécial de l’affaire DS33 qui a pu reconnaître que ‘ « tout membre d'un groupe spécial peut émettre une opinion dissidente ’» 1181 . L’application est triple : le Rapport du groupe spécial de l’affaire DS69 du 12 mars 1998 formule un ‘ « avis d’un membre du groupe spécial ’» 1182 sur une conclusion dudit groupe à laquelle le membre dit ne pouvoir souscrire ; le Rapport du groupe spécial de l’affaire DS213, daté du 3 juillet 2002 1183 , contient une ‘ « opinion dissidente d’un membre du groupe spécial sur l’appréciation du groupe spécial concernant l’application d’un critère de minimis aux réexamens à l’extinction ’ » 1184 ; le Rapport du groupe spécial de l’affaire DS165 précise qu’‘ » un membre du Groupe spécial est d'avis que la caution majorée imposée par la mesure du 3 mars constituait plutôt une violation de l'article XI du GATT » ’ 1185 . Ces deux ‘ « avis ’ » et cette ‘ « opinion ’ » sont tous trois formulés de manière anonyme et semblent donc bien constituer des opinions dissidentes caractéristiques d’une pluralité. De même, si les rapports de l’Organe d’appel ne contiennent pas d’opinions dissidentes explicitement formulées ; l’un d’entre eux contient la ‘ « déclaration concordante ’ » d’un membre voulant ‘ « réserver son opinion ’ » 1186 .
Certes, ces applications sont isolées par rapport au nombre élevé des rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel rédigés depuis 1995. Elles ne constituent pas un engagement franc sur la voie de la pluralité car seule une opinion dissidente d’un membre de groupe spécial est qualifiée comme telle, les autres étant des ‘ « avis ’ » ou une ‘ « déclaration concordante ’» ; en outre, seul l’‘ » avis » ’ de l’affaire DS69 est prononcé clairement à l’encontre d’une conclusion de l’instance, les autres opinions ne remettant pas en cause de telles conclusions mais seulement leurs fondements ou des ‘ « questions connexes ’ » 1187 . Cependant, ces applications montrent le rejet du principe d’une collégialité et induisent une affirmation progressive de la pluralité. Par exemple, en sus du principe précédemment mentionné affirmé par le groupe spécial de l’affaire DS33, l’Organe d’appel a pu qualifier l’‘ » avis ’ » du membre du groupe spécial de l’affaire DS69 d’‘ » opinion dissidente ’ » 1188 . Aussi la reconnaissance doctrinale d’une collégialité 1189 est-elle battue en brèche par le développement de la pratique.
En réalité, cette démarche particulière du texte et des instances quant à l’organisation de l’unité de la décision est significative de la démarche générale du système mémorandaire : le texte ne tranche pas explicitement entre collégialité et pluralité, comme il ne tranche pas entre règlement juridictionnel et règlement diplomatique ; il garantit un encadrement procédural rigoureux de telle sorte que la pluralité, comme la juridictionnalité, puisse être en pratique assurée ; son pragmatisme incite les instances de règlement à instaurer précautionneusement une pluralité et une juridictionnalité tout en conservant l’effectivité et l’efficacité du système ; aucun principe général n’est affirmé mais l’installation solide et légitimée de la pluralité comme de la juridictionnalité est assurée par une pratique mesurée mais déterminée. Bien entendu, cette démarche est déroutante. Il reste que, sur le plan de l’unité de la décision, le choix de la pluralité est privilégié et consolide l’existence d’une obligation de juger.
L’absence de toute considération textuelle ou pratique liée à l’unité de la décision aurait pu menacer l’invariabilité formelle de la décision et, partant, l’obligation de juger et la juridictionnalité procédurale en découlant. Tel n’est pas le cas puisque la pluralité est suggérée par le texte et progressivement mise en place par les instances de règlement. La collégialité est pour l’instant globalement privilégiée car les exemples de pluralité restent peu significatifs ; et cette tendance est logique car la crédibilité et l’autorité des instances mémorandaires passent par la promotion d’une solidarisation interne d’autant plus importante que la situation actuelle est celle de la mise en place et de la montée en puissance d’un système de règlement atypique. Néanmoins, l’instauration progressive de la pluralité peut déjà constituer un signe de maturité et de solidité du système qui entrevoit l’inutilité d’une consolidation et reconnaît sans complexe sa nature juridictionnelle.
D’autre part, l’invariabilité formelle de l’acte, confirmative d’une obligation de juger, s’identifie dans l’apparence de la décision : la forme de l’acte doit être constante. D’abord, l’acte découlant de l’effectivité de la phase des consultations est par nature variable dans sa forme puisque soumis au bilatéralisme des parties. Néanmoins, sa forme est rationalisée par le Mémorandum et devient binaire : il est soit la notification à l’ORD de la solution convenue d’un commun accord 1190 , soit le constat d’échec ou d’absence des discussions bilatérales exprimé dans la demande d’établissement du groupe spécial 1191 . Ensuite, malgré l’hétérogénéité apparente des groupes spéciaux dans leur composition, leurs rapports sont construits de manière récurrente , alors même qu’aucun texte relatif au système mémorandaire ne prévoit une organisation formelle précise. Exception faite des rapports faisant part d’une interruption de procédure pour cause de solution convenue entre les parties 1192 , tous les rapports suivent un plan en trois axes : une partie introductive contenant le rappel des aspects factuels et procéduraux ainsi que des constatations et recommandations demandées par les parties ; une présentation des arguments présentés par les parties ; enfin les constatations du groupe spécial suivies de ses conclusions et recommandations. Le cas échéant, entre les deux derniers axes s’intercale le compte-rendu du réexamen intérimaire et dans les deux premiers s’insèrent les arguments et communications des tierces parties 1193 . L’essentiel des ajouts et modifications du schéma précédemment décrit s’applique surtout à la phase introductive et, dans une moindre mesure à la présentation des arguments des parties, la dernière phase étant bien plus constante 1194 .
Cette organisation formelle des rapports des groupes spéciaux montre à la fois une continuité et une rigueur : le schéma des différents rapports est commun et les variations notables sont consécutives à la nécessité de prendre en considération les particularismes propres au cas d’espèce traité ; la démarche adoptée est celle d’une démonstration débutant par la synthèse des faits et des prétentions des parties, poursuivant par l’analyse de chacun des points objet du différend et s’achevant par une décision sous la forme de recommandations et décisions. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle énoncée par les actes juridictionnels communs qui s’efforcent dans l’exposé des motifs de rappeler les faits et la procédure suivie puis d’énoncer le raisonnement suivi pour conclure par l’exposé du dispositif.
Certes, des différences importantes sont notables qui empêchent une identification indiscutable entre les rapports des groupes spéciaux et les actes juridictionnels communs : les rapports ne contiennent pas de préambule rassemblant les dispositions visées dans le différend ; la partie introductive est souvent très longue, descriptive et n’est pas formellement incluse dans les constatations du groupe spécial qui, elles, s’apparentent à l’exposé des motifs ; ces constatations ne sont pas formellement construites sous la forme d’attendus ou de considérants mais elles reprennent point par point et traitent les nombreuses questions que pose le différend ; les rapports sont de taille conséquente 1195 . Ces différences donnent aux actes des groupes spéciaux une complétude extrême, voire outrancière, qui paraît nuire à leur assimilation au modèle juridictionnel. Cependant, le préambule n’est pas nécessaire dans la mesure où les groupes spéciaux organisent formellement leurs constatations en fonction des dispositions visées. En outre, la taille des rapports redevient raisonnable, sans pour autant que cette diminution nuise à leur rigueur, si l’on excepte les points exposant les arguments des parties et tierces parties pour ne considérer que le rappel des faits et des procédures ainsi que les constatations et conclusions du groupe spécial ; et la tendance est à la mise en annexe des parties descriptives de telle sorte que le rapport ne comprend que la partie introductive et la partie contenant les constatations et conclusions 1196 .
Les rapports des sections d’appel sont également structurés de manière continue et rigoureuse. Ici encore, sauf rapport rédigé après désistement d’appel 1197 , trois parties peuvent être distinguées : une partie introductive comprenant une introduction et la description des arguments des participants, une partie traitant des questions soulevées, et une partie formulant les constatations et conclusions 1198 . Les variations de construction entre les différents rapports sont minimes et consistent essentiellement en la prise en considération de participants tiers et de questions préliminaires 1199 . Par ailleurs, comme pour les rapports des groupes spéciaux, la construction des rapports des sections d’appel se rapproche sensiblement de la démarche des juridictions communes ; et cette similitude est encore plus marquée dans le cas de l’Organe d’appel. En effet, l’absence de préambule est partiellement comblée par la seconde partie qui débute par un inventaire des questions posées dans le cadre de l’appel ; la partie introductive n’est pas très longue puisque les constatations et recommandations sont synthétisées dans la deuxième partie, que les arguments des parties sont également synthétisés dans la partie introductive et que ces éléments sont moins denses dans une phase procédurale ne s’intéressant qu’au droit et non aux faits ; sans que soient explicitement formulés des considérants ou des attendus, la deuxième partie consacrée aux questions soulevées en appel s’apparente à un exposé des motifs puisqu’elle reprend une par une toutes ces questions de droit et les traite ; la taille des rapports de l’Organe d’appel est relativement réduite 1200 , ce qui leur donne une lisibilité certaine.
Aussi la forme des rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel se rapproche-t-elle peu à peu du modèle juridictionnel commun, par schéma de construction récurrent et par rationalisation du contenu. Cette évolution est sans ruptures, de telle sorte que cette continuité formelle appuie l’invariabilité de l’acte et, ce faisant, atteste de l’effectivité d’une obligation de juger. L’acte découle directement de l’obligation de juger et se trouve donc comme elle à la croisée de la juridiction formelle et de la juridiction matérielle puisqu’il admet une définition double fondée sur son aspect matériel et sur son aspect formel. L’étude de l’acte achève l’analyse formelle du système mémorandaire et prélude à son analyse matérielle.