Section 1 : L’unité de la décision de règlement

La question de la détermination d’un juris dictio unifié, fruit du déroulement procédural mémorandaire, trouve un début de réponse dans la cohérence formelle certaine de ce juris dictio. Cette cohérence est fondée sur le Mémorandum, développée par la pratique, et relevée sur les plans organique et procédural. L’étude précédemment menée sur ces deux plans établit, malgré l’apparente hétérogénéité des étapes du règlement mémorandaire, l’assise formelle d’un juris dictio unifié 1580 . Un resserrement organique et une continuité procédurale organisent un système mémorandaire de forme juridictionnelle au fonctionnement suivant : le traitement d’un différend soumis à ce système débute par une phase de discussions entre les parties préludant à un mécanisme de résolution par intervention d’instances tierces, à double degré, que sont le groupe spécial puis l’Organe d’appel 1581 . De la sorte, l’organisation formelle du système mémorandaire s’apparenterait à celle d’un système juridictionnel classique de droit interne : le différend est résolu par une intervention à double degré d’instances de règlement, après être passé par une phase préalable amiable de discussions. Et, à cette cohérence formelle vient s’ajouter la diffusion spatiale d’un juris dictio matériel, diffusion expliquée par l’identité de la mission de chacune des instances de règlement qui est de dire le droit. L’association de la cohérence formelle du système mémorandaire et de la diffusion d’un juris dictio est le fondement du caractère unifié du juris dictio énoncé par les instances mémorandaires.

Néanmoins, la cohérence matérielle et la diffusion spatiale favorisent très nettement le caractère unifié du juris dictio opéré par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel mais ne le fondent pas complètement. En effet, l’effectivité de l’unité matérielle du juris dictio ne pose pas seulement la question d’une concentration de la forme et d’une identité de l’action des instances mémorandaires, mais elle pose également la question de l’articulation entre ces mêmes instances. Un juris dictio unifié ne suppose pas deux actions similaires et parallèles mais, bien plus, une seule et même action effectuée par des acteurs aux rôles respectifs distincts et complémentaires. L’unité matérielle du juris dictio émanant du système mémorandaire – unité qui confirmera la juridictionnalité de ce dernier – sera par conséquent dépendante de la réalité et des caractéristiques de l’articulation entre les instances de règlement.

Cohérence et unité du juris dictio doivent être distinguées. La première se contente d’une dualité, au sein d’un même système, d’actions distinctes de dire le droit et, partant, d’une dualité de juridiction, alors que la seconde a pour résultat un juris dictio unique énoncé par le système de règlement considéré comme une entité unique. Or, la juridictionnalité du système mémorandaire ne peut se satisfaire d’une dualité de juridiction alors qu’une dualité de droit ou encore de justiciables n’existe pas. Le système mémorandaire a en charge le règlement des différends issus de l’application du droit de l’OMC et opposant des Etats Membres de cette Organisation ; il ne peut donc admettre une telle dualité qui porterait un préjudice grave à sa cohérence et à son efficacité. C’est lui qui doit être qualifié de juridictionnel et non simplement chacune des phases le composant, puisque la recherche d’une grille de lecture du système mémorandaire ne peut se contenter de ne considérer que les composantes et non l’intégralité du système. Ainsi, la constatation d’une cohérence formelle, pas davantage que celle d’un juris dictio défini dans sa dimension spatiale, ne suffisent à établir une unité matérielle pourtant indispensable à la diffusion temporelle du juris dictio.

Ces deux constatations ne sont que les fondations d’une unité matérielle effective qui doit être établie par l’analyse de l’articulation entre les groupes spéciaux et l’Organe d’appel, analyse qui définira les rapports qu’entretiennent les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ainsi que leur contribution respective à l’énoncé d’un juris dictio unique. Pour que puisse être formulée la constatation d’un juris dictio unique caractéristique du système mémorandaire, il faut que l’articulation entre les groupes spéciaux et l’Organe d’appel organise une hiérarchisation entre les instances et entre leur action respective. De la sorte, l’articulation sera forcément effective et évitera que ne puisse se réaliser une concurrence irrémédiable et dommageable entre les deux instances quant à leur action respective, concurrence qui empêcherait toute unité d’un juris dictio. Elle évitera ainsi les empiètements par une instance des attributions de l’autre. Ensuite, elle assurera la réalisation d’un juris dictio par gradation et, de ce fait, garantira son unicité ainsi que sa légitimité et sa portée en évitant le juge unique, péremptoire et expéditif. Enfin, elle permettra, la diffusion de l’objectif d’un juris dictio unique tout au long de la procédure et influera ainsi sur la rigueur et la cohésion des instances œuvrant à la résolution du différend.

Le Mémorandum prévoit, malgré les apparences 1582 , un mécanisme d’utilisation simple qui permet d’assurer la hiérarchie des instances. A l’issue d’un échec des consultations, le plaignant peut porter l’affaire devant un panel alors spécialement établi, composé et doté d’un mandat 1583 . Celui-ci rédigera un rapport dans lequel sera dit le droit applicable aux questions induites par le différend qui lui est soumis 1584 . Le rapport ainsi rédigé par le groupe spécial ‘ « sera adopté à une réunion de l'ORD, à moins qu'une partie au différend ne notifie formellement à l'ORD sa décision de faire appel (…). Si une partie a notifié sa décision de faire appel, le rapport du groupe spécial ne sera pas examiné par l'ORD, en vue de son adoption, avant l'achèvement de la procédure d'appel » 1585 . L’Organe d’appel, qui ‘ « connaîtra des appels concernant des affaires soumises à des groupes spéciaux » 1586 pourra donc éventuellement être saisi pour examiner à son tour le différend et rédigera un rapport qui sera adopté par l’ORD 1587 . Par ailleurs, la possibilité pour une partie de faire appel du rapport du groupe spécial est enfermée dans une condition de délai 1588 . C’est cette dernière condition qui vient unifier le juris dictio en précisant le rapport hiérarchique entre les instances : c’est la décision du groupe spécial qui s’appliquera seule au règlement du différend de l’espèce si l’appel n’est pas formulé. Ce mécanisme, relativement peu complexe, met en place une hiérarchie des instances puisque l’Organe d’appel n’intervient qu’après le groupe spécial et que ce passage entre les deux instances est définitif et à sens unique.

Nonobstant, la simplicité apparente d’utilisation, par les parties, de l’articulation entre le groupe spécial et l’Organe d’appel n’empêche pas la complexité de sa caractérisation. Or, cette dernière doit être abordée car la description précédente du mécanisme mémorandaire se contente d’établir d’un point de vue procédural une direction et un sens. Ces deux derniers constituent une condition nécessaire mais non suffisante de l’existence d’une hiérarchisation des instances. Une approche matérielle doit donc être adoptée qui s’efforcera de formuler la caractérisation de cette hiérarchisation. Ici encore, le Mémorandum est assez clair sur la fonction respective du groupe spécial et de l’Organe d’appel. Le premier, du fait du mandat qui lui est confié pour le différend qu’il doit traiter, procède à une confrontation entre les faits de la cause et les dispositions pertinentes du droit de l’OMC afin de dire le droit applicable aux questions que le différend suscite 1589 . Le second ‘ « examinera chacune des questions soulevées conformément au paragraphe 6 pendant la procédure d'appel » 1590 , lequel paragraphe dispose que ‘ « l’appel sera limité aux questions de droit couvertes par le rapport du groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci  ’», et ‘ « l’Organe d’appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les constatations et conclusions juridiques du groupe spécial ’ » 1591 .

Le Mémorandum organise de la sorte une hiérarchie entre le groupe spécial et l’Organe d’appel : le premier, juge en fait et en droit le cas d’espèce et le second, juge en droit le travail du premier. Sans aucun doute cette articulation contribue-t-elle à garantir l’unicité du juris dictio formulé par le système mémorandaire puisqu’une hiérarchie par le contrôle, et non une concurrence par la fixation d’une mission identique, est assurée entre deux instances traitant du même différend : la seconde contrôle la pertinence du raisonnement juridique que la première a appliqué aux faits étudiés. Cette articulation de type hiérarchique a des conséquences, précédemment énoncées, à même d’assurer un juris dictio unifié : elle est effective et empêche la concurrence des actions des instances ; elle est précise et répartit les attributions de chacune des deux instances au sein d’une mission unique ; elle assure la réalisation d’un juris dictio unique par gradation ; elle permet la diffusion de l’objectif d’un juris dictio unique tout au long de la procédure et assure de la sorte la cohérence d’action des instances œuvrant à la résolution du différend.

Cependant, cette hiérarchie, telle qu’elle est organisée par le texte du Mémorandum, n’est pas totale. En effet, le lien de subordination caractérisant les rapports que le groupe spécial entretient avec l’Organe d’appel est tronqué car le Mémorandum ne prévoit cette hiérarchie que sous la forme d’un contrôle qui est à la fois exclusivement juridique – et non au niveau de l’interprétation des faits – et forcément facultatif – puisque mené sur l’initiative d’une partie appelante. Aussi cette hiérarchie ne s’applique-t-elle qu’au raisonnement juridique suivi par le groupe spécial et non à la dimension factuelle du travail de cette instance. En outre, cette hiérarchie peut ne pas être effective si aucun appel n’est effectué par au moins l’une des deux parties au différend à l’issue de la rédaction du rapport du groupe spécial. Or, le juris dictio est une formulation, après confrontation des faits de l’espèce au dispositif normatif de l’OMC, du droit applicable aux questions que pose le différend particulier. Et, au vu du texte du Mémorandum, seul le groupe spécial répond explicitement et précisément à cette définition. L’action de l’Organe d’appel ne correspond à cette définition qu’à la condition que l’on considère comme des faits les conclusions juridiques du rapport du groupe spécial soumises à l’examen en appel.

Il n’est donc pas certain que le Mémorandum prévoit une hiérarchie capable d’assurer l’effectivité d’un juris dictio unifié et, partant, capable de confirmer la juridictionnalité du système mémorandaire dans son ensemble. Au contraire, l’unification s’effectue par un contrôle hiérarchique juridique et facultatif qui est de nature à altérer l’existence d’un juris dictio unifié, car le seul véritable titulaire de ce dictio sera le groupe spécial et non l’Organe d’appel. Ce dernier se contentera, s’il est saisi, de confirmer ou d’infirmer les conclusions juridiques du groupe spécial et, de la sorte, pourra être soupçonné de porter atteinte au juris dictio formulé par le groupe spécial en modifiant le raisonnement juridique de celui-ci. Finalement, une unification outrancière de l’aspect juridique est susceptible de nuire à l’analyse des faits de la cause et, de ce fait, de substituer au juris dictio une analyse exclusivement juridique en lui faisant perdre son aspect factuel.

Aussi cette hiérarchisation, en apparence claire et effective à la lecture du Mémorandum, doit-elle être plus précisément analysée afin d’évaluer son action réelle sur l’unité du juris dictio que le système mémorandaire a pour mission de formuler. Cette analyse passe par l’identification rigoureuse de l’articulation instaurée entre le groupe spécial et l’Organe d’appel, identification qui est d’appréhension difficile. La dénomination ‘ « d’appel ’ » formulée par le Mémorandum semble à première vue clairement qualifier l’articulation et la hiérarchie choisies : l’Organe d’appel étant une instance d’appel, le groupe spécial sera donc une instance de premier degré soumise à cet Organe qui sera, lui, une instance de second degré. Pour illustrer cette articulation particulière, une mise en parallèle du système mémorandaire avec le modèle de l’organisation juridictionnelle commune de droit interne est possible. Elle donne un système OMC comparable à un système judiciaire interne composé de deux degrés de juridiction, le second degré étant constitué par l’instance d’appel. De la sorte, un juris dictio double est prononcé mais une unification est opérée par la prévision d’une hiérarchie faisant in fine prévaloir le second dictio sur le premier, ce qui confère une juridictionnalité certaine à l’ensemble du système mémorandaire.

Cependant, considérer qu’une phase d’appel se trouve au sommet de la hiérarchie des étapes successives d’un système juridictionnel est une conclusion peu satisfaisante. Plutôt qu’un juris dictio unifié, cette considération déboucherait sur la constatation d’un juris dictio monopolistique du second degré se substituant 1592 définitivement au dictio formulé par le premier degré 1593 . Il n’y aurait pas unification d’un juris dictio par assemblage des travaux successifs et distincts menés respectivement par les instances composant le système de règlement mais imposition d’un juris dictio formulé tantôt par la seconde instance – quand elle est saisie, tantôt par la première instance – quand aucun appel n’est effectué. Un juris dictio unique ressortirait du système mais il serait le fait d’une seule instance le composant et non le fruit d’un mécanisme assurant la complémentarité des acteurs. Il aurait obligatoirement une seule source qui serait soit fragile – car la première instance est généralement supposée n’être qu’une première étape suivie par l’intervention d’une instance supérieure – soit péremptoire – car la seconde instance imposerait ses propres conclusions en ne tenant aucun compte de la première instance. La pertinence d’une juridictionnalité matérielle serait alors émoussée.

Nonobstant, caractériser définitivement l’articulation entre groupe spécial et Organe d’appel par la seule analyse des dénominations employées dans le Mémorandum serait réducteur. Ce serait surtout inexact car l’étude du Mémorandum et de sa pratique montrent que l’Organe d’appel ne peut être totalement identifié à une instance de second degré gérant une phase traditionnelle d’appel. Aussi la conclusion précédente peu satisfaisante de la prépondérance hiérarchique d’une instance d’appel se trouve-t-elle infirmée.

Encore faut-il préciser l’identification à donner à cet Organe ‘ « d’appel ’ » et cette analyse peut être menée par confrontation de l’articulation mémorandaire avec l’organisation judiciaire française. Il est, certes, discutable de ne prendre comme référence que le système juridictionnel français pour caractériser la hiérarchie à l’œuvre dans le système mémorandaire, dans la mesure où celui-ci est de dimension internationale et que les modèles étrangers ne sont ni similaires ni uniformes 1594 . Néanmoins, cette démarche se justifie par le souci de clarification du fonctionnement mémorandaire, souci fondant le présent propos. Une grille de lecture de l’articulation entre les instances mémorandaires doit être choisie et cette grille ‘ « française ’ » ne paraît pas moins pertinente qu’une autre grille nationale ou internationale, et ce d’autant plus que de nombreux modèles sont sensiblement équivalents au modèle français et qu’un modèle international ne peut se dégager car les juridictions internationales extra-OMC ne sont que rarement constituées d’un système à double détente 1595 .

Selon cette grille d’analyse, l’Organe d’appel ne peut être considéré à proprement parler comme une juridiction du second degré. Il a pour fonction, d’après le Mémorandum 1596 , de traiter les questions de droit et interprétations du droit, formulées par le rapport du groupe spécialet non de rejuger l’affaire selon une démarche et pour un résultat identiques à ceux du groupe spécial qui l’a précédé. Il ne s’attache pas à la caractérisation des faits et à leur confrontation au droit existant, pas plus qu’il ne s’attache directement au différend à traiter. Il demeure ancré sur le seul traitement des questions de droit soulevées par le rapport du groupe spécial et soumises par l’appelant, et il a très tôt défini ‘ « la ligne de division entre les questions de droit et les questions de fait » 1597 . Ainsi, il est inexact de parler de second degré de juridiction dans la mesure où l’Organe d’appel n’a pour fonction ni un réexamen complet du différend initialement soumis au groupe spécial ni un raisonnement et la formulation d’un juris dictio équivalents dans leur teneur – même si les constatations et conclusions diffèrent – à ceux précédemment construits par la première instance saisie. Le groupe spécial juge en fait et en droit un différend et l’Organe d’appel juge en droit ce jugement.

Cette distinction posée par le Mémorandum est assurée en pratique par une démarche précautionneuse de l’Organe d’appel. Il est d’abord fort peu fréquent que l’Organe d’appel confirme dans leur totalité les conclusions des groupes spéciaux. Même si, dans certaines de ses conclusions, l’Organe d’appel se contente de constater des erreurs et d’infirmer des constatations du groupe spécial sans pour autant infirmer le sens des conclusions auxquelles ce dernier a abouti 1598 , cet Organe infirmera très souvent tout ou partie des constatations et conclusions des rapports de groupes spéciaux qui lui sont soumis 1599 . Ainsi, les exemples sont nombreux de la réalité de la mission que l’Organe d’appel exécute. L’examen des conclusions qu’il formule montre qu’il se fixe sur les constatations et conclusions du groupe spécial.

La rédaction des conclusions de l’Organe d’appel est constante : ‘ « l’Organe d’appel (…) confirme » ’ ou ‘ « infirme » ‘ « la constatation », ‘ « la conclusion » ou ‘ « les constatations et conclusions » ’ ‘ « du groupe spécial énoncée[(s)] (…) selon laquelle [ou lesquelles] (…) ’ » 1600 . Quelques variations sont à signaler qui vont dans le même sens quand, par exemple, l’Organe d’appel ‘ « confirme le refus du Groupe spécial » 1601 , ‘ « conclut que le groupe spécial (…)  ’» 1602 , ‘ « s'abstient d'examiner la constatation du Groupe spécial (…) ’ » 1603 , ‘ « constate que le Groupe spécial a fait erreur dans son interprétation (…)  ’» 1604 ou qu’il ‘ « a fait fausse route » 1605 . D’autres conclusions ne remettent pas non plus en cause la focalisation de l’Organe d’appel sur sa mission de juge du groupe spécial quand, par exemple, il ‘ « s'abstient de statuer sur les appels conditionnels » 1606 ou encore ‘ « estime qu'il n'est pas nécessaire de trancher séparément la question de savoir si (…) » 1607 .

Cette démarche laisse à penser que, bien loin d’une juridiction du second degré, l’Organe d’appel est en réalité une juridiction de cassation. En effet, cette instance juge en droit les constatations et conclusions d’une autre instance qui s’est prononcé préalablement et obligatoirement sur le règlement du différend qui lui a été soumis. Elle n’examine pas les faits ni ne les confronte au dispositif normatif de l’OMC, cette mission étant celle du groupe spécial dont elle est simplement chargée de contrôler le raisonnement et les conclusions juridiques. Elle est au sommet de la hiérarchie des instances de règlement puisqu’elle contrôle les aspects juridiques du rapport du groupe spécial et qu’elle est la dernière à intervenir sur le règlement du différend soumis initialement au groupe spécial 1608 . Ce soupçon de ‘ « cassation ’ » est d’ailleurs partagé par bon nombre d’analystes attentifs du système mémorandaire 1609 .

Par exemple, Mme Ruiz Fabri explique que ‘ « l’appel est en principe une voie de recours tendant à faire annuler ou réformer un jugement de première instance ou de premier ressort. On identifie ainsi, à titre générique, deux fonctions distinctes dans leur portée et leurs effets » : ‘ « la réformation » et ‘ « l’annulation ». ‘ « Seule la première fonction assure un rejugement de l’affaire et est classiquement considérée comme correspondant à la raison d’être de l’appel ou, du moins, comme le différenciant fondamentalement de la cassation dont la deuxième fonction le rapproche au contraire complètement. (…) Apprécié en référence à ce modèle, l’appel de la procédure O.M.C. ne paraît pas tout à fait abouti. Car certes, l’Organe d’appel a un pouvoir de réformation (ou, formellement, de proposition de réformation) mais il est limité aux seules questions de droit, ce qui correspond plutôt à une approche cassatoire. (…) Au plan international, c’est une procédure sans équivalent, unique » 1610 .

Ainsi, s’il est évident que l’Organe d’appel s’éloigne foncièrement du modèle classique de l’appel, le qualifier franchement d’organe de cassation n’est pas chose aisée ; et les auteurs semblent préférer affirmer que l’Organe d’appel s’approche de la cassation. Cette prudence est tout à fait justifiable dans la mesure où le système mémorandaire tel qu’il est prévu et appliqué n’affirme pas clairement le caractère cassatoire de l’Organe d’appel. En effet, ce dernier a bien pour mission d’examiner la décision d’une juridiction inférieure sur le plan du droit et pour compétence d’infirmer le cas échéant des constatations et conclusions de cette instance, et non de rejuger totalement l’affaire pour rendre une décision qui se substituera irrémédiablement à celle rendue par la première instance. Cependant, si, en ce sens, l’Organe d’appel a bien une fonction cassatoire, celle-ci est largement atténuée par l’absence d’un mécanisme de renvoi couplée à un mécanisme de réformation plus proche de l’appel que de la cassation 1611 . L’Organe d’appel infirmant certaines constatations ou conclusions du groupe spécial doit même les modifier car le Mémorandum ne prévoit pas de renvoi au même ou à un autre groupe spécial. Au contraire, ce texte dispose que ‘ « l’Organe d’appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les constatations et conclusions juridiques du groupe spécial ’ » 1612 . De plus, paradoxalement, les conclusions et recommandations auxquelles les Membres doivent se conformer sont celles du ‘ « groupe spécial ou l’Organe d’appel ’ » 1613 et non celles du groupe spécial telles qu’éventuellement modifiées par l’Organe d’appel ; de la sorte, l’Organe d’appel se substitue au groupe spécial et réforme plus qu’il n’annule la décision dudit groupe spécial.

Si cette prudence doctrinale est justifiée par l’ambiguïté de la fonction de l’Organe d’appel, elle reste peu satisfaisante dans un souci de clarification et de catégorisation du fonctionnement du système mémorandaire. Bien sûr, il est toujours possible de considérer l’Organe d’appel comme une instance de cassation doublée d’un rôle de ‘ « substitution ’ » en se rangeant aux conclusions de Mme Ruiz Fabri qui affirme que l’‘ » on est plus proche de la logique du recours en cassation du droit interne, étant entendu que le point de vue de l’organe d’appel, s’il diffère de celui du groupe spécial, s’y substitue » 1614 . Mais l’étude de la pratique peut permettre de préciser cette catégorisation particulière. En réalité, l’affirmation d’une cassation n’est que timide et relativisée du fait de l’absence d’un mécanisme de renvoi qui gêne considérablement les auteurs qui, de ce fait, constatent que l’Organe d’appel ne fait que s’approcher de la cassation. Cependant, cette prudence peut être écartée en considérant, par exemple, que la Cour de cassation française peut prononcer un arrêt de cassation sans renvoi 1615 parce qu’il n’y a rien à juger 1616 ou parce qu’elle applique la règle de droit appropriée 1617 et, ainsi, mettre fin à l’affaire.

Surtout, cette prudence dans la qualification cassatoire peut être relativisée par l’étude des conclusions de l’Organe d’appel énoncées dans ses différents rapports. Certes, cette instance formule ses propres constatations sur l’affaire initialement soumise au groupe spécial quand les conclusions de celui-ci sont infirmées et qu’il apparaît nécessaire à l’Organe d’appel d’agir de la sorte consécutivement à cette infirmation 1618 , mais les infirmations ne sont pas toujours, loin s’en faut, suivies par des conclusions de l’Organe d’appel 1619  ; elles sont même majoritairement non suivies de telles conclusions. Plus explicitement, l’Organe d’appel affirme bien ne pas se départir de sa mission de juge de droit et a pu, quand il formule ses propres conclusions, prendre soin de préciser : ‘ « nous connaissons les dispositions de l'article 17 du Mémorandum d'accord qui précisent nos compétences et notre mandat. L'article 17: 6 du Mémorandum d'accord se lit ainsi : "L'appel sera limité aux questions de droit couvertes par le rapport du groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci." À l'article 17: 13 du Mémorandum d'accord, il est dit : "L'Organe d'appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les constatations et les conclusions juridiques du groupe spécial." Dans certains appels, lorsque nous infirmons la constatation d'un groupe spécial sur un point de droit, nous pouvons examiner un point et statuer sur un point qui n'a pas été expressément abordé par le groupe spécial afin de compléter l'analyse juridique et de régler le différend entre les parties » 1620 . Et d’ajouter ‘ : « comme nous avons infirmé la constatation du Groupe spécial (…), nous estimons – pour autant qu'il est possible de le faire en s'appuyant sur les constatations de fait du Groupe spécial et/ou les faits non contestés figurant au dossier du Groupe spécial – que nous devrions compléter l'analyse juridique et nous prononcer sur la question de savoir si la véritable mesure en cause (…) est établie sur la base d'une » ’ prescription d’un accord OMC 1621 . D’autres rapports vont dans le même sens et l’Organe d’appel s’y réfère au besoin, de telle sorte que cette affirmation d’un rôle exclusif de juge du droit est forte et récurrente 1622 . ‘ « L’Organe d’appel a une compétence d’attribution, limitée aux questions de droit. Il lui est en principe impossible de revoir des considérations de fait établies par le groupe spécial même si elles sont manifestement erronées, sauf si elles le sont tellement qu’elles mettent en cause la bonne foi du groupe spécial (seule hypothèse selon l’interprétation donnée par l’Organe d’appel de l’article 17.6 du Mémorandum) » 1623 .

Dans le même sens, l’Organe d’appel a été amené à préciser les conditions dans lesquelles il pouvait examiner les allégations d’une partie et compléter l’analyse juridique formulée par le groupe spécial. Son Rapport relatif à l’affaire DS135 est particulièrement remarquable sur ce point car les précisions qu’il donne s’accompagnent de renvoi à de nombreux rapports allant dans le même sens. Ainsi, l’Organe d’appel a pu, dans le cadre de cette affaire, préciser que, ‘ « étant parvenus à une conclusion différente de celle du Groupe spécial (…), nous examinons à présent la question de savoir s'il convient que nous nous prononcions sur les allégations formulées par [un appelant/intimé] (…). Dans des appels antérieurs, nous avons, au besoin, complété l'analyse juridique en vue de faciliter le règlement rapide du différend, conformément à l'article 3: 3 du Mémorandum d'accord. Cependant, nous avons insisté sur le fait que nous ne pouvions le faire que si les constatations factuelles du groupe spécial et les faits incontestés versés au dossier du groupe spécial nous offraient une base suffisante pour notre propre analyse. S'il n'en était pas ainsi, nous n'avons pas complété l'analyse » 1624 .

« La nécessité de disposer de faits suffisants n'est pas le seul élément limitant notre capacité de compléter l'analyse juridique dans une affaire donnée. Dans l'affaire Canada – Périodiques, nous avons infirmé la conclusion du Groupe spécial selon laquelle la mesure en cause était incompatible avec la première phrase de l'article III: 2 du GATT de 1994, puis nous avons entrepris d'examiner les allégations des Etats-Unis au titre de la deuxième phrase de l'article III: 2, que le Groupe spécial n'avait pas du tout examinées. Cependant, en nous lançant alors dans une analyse d'une disposition que le Groupe spécial n'avait pas prise en considération, nous avons souligné que "les première et deuxième phrases de l'article III: 2 sont étroitement liées" et que ces deux phrases s'inscrivent "dans une suite logique" » 1625 . L’Organe d’appel donne une liste des ‘ « appels antérieurs » au cours desquels il a complété l’analyse juridique 1626 et précise que, ‘ « en outre, après avoir modifié le raisonnement du Groupe spécial, nous avons, au besoin, appliqué notre interprétation des dispositions juridiques en question aux faits de la cause  ’» 1627 . De même, l’Organe d’appel donne une liste de rapports dans lesquels cette analyse n’a pas été complétée 1628 au motif qu’il ‘ « n'est pas en mesure de parvenir à une conclusion (…) en raison du caractère insuffisant des constatations de fait et des faits non contestés figurant au dossier du Groupe spécial » 1629 .

De la sorte, l’Organe d’appel confirme au fur et à mesure de ses rapports son refus de concurrencer le travail relatif aux aspects factuels incombant exclusivement aux groupes spéciaux. Il décline sa capacité à compléter l’analyse du rapport du groupe spécial dont il est chargé d’examiner les questions de droit ou, quand il accepte de le faire, il supplée les carences textuelles relatives aux limites de compétence en fixant même des bornes à cette analyse qu’il décide de mener. Ce faisant, l’Organe d’appel montre son souci constant de rester dans les limites de la mission de juge en droit que le Mémorandum lui a fixée. Finalement, il fonde son acceptation sur le Mémorandum qui, dans son article 3 : 3, énonce le principe d’un ‘ « règlement rapide » 1630 . Cette justification textuelle est présentée par l’Organe d’appel comme un révélateur de l’obligation lui incombant de compléter le cas échéant l’analyse du groupe spécial. Cette obligation se conçoit tout à fait dans la mesure où le Mémorandum exprime, plus ou moins explicitement mais très largement, le souci constant d’un règlement pragmatique, efficace et rapide.

Dans ce cadre, l’Organe d’appel, en tant qu’instance suprême de règlement du différend initial, ressent la nécessité de donner par la conclusion de son rapport une solution au différend objet de la procédure mémorandaire, dans la mesure où sa contribution au règlement doit être décisive puisque ultime. Aussi une intervention élargie de l’Organe d’appel sur le rapport du groupe spécial est-elle justifiable et nécessaire, du fait du pragmatisme marqué que le Mémorandum confère au système de règlement qu’il organise. L’Organe d’appel, central dans ce système, n’a d’autre choix que d’assumer une telle intervention en s’assurant qu’elle est à la fois élargie dans son champ et mesurée dans sa fréquence, de telle sorte qu’un équilibre indispensable à la survie des groupes spéciaux et, partant, à la survie d’un juris dictio unifié et non monopolistique, soit préservé.

Cette articulation rencontre néanmoins une difficulté majeure susceptible de relativiser de manière décisive la juridictionnalité du système mémorandaire. L’Organe d’appel pouvant refuser de compléter l’analyse juridique du groupe spécial pour raison d’insuffisance des constatations de fait formulées en première instance, le risque d’un déni de justice se profile. Certes, une obligation de juger générale a été démontrée et n’est pas présentement remise en cause car l’Organe d’appel assume bien sa fonction de confirmation ou d’infirmation des constatations et conclusions du groupe spécial, comme le Mémorandum le lui impose ; tout différend est traité par le système mémorandaire à partir du moment où telle est la volonté du plaignant usant de son pouvoir d’attraction obligatoire. Nonobstant, l’absence de renvoi après cassation associée au statut exclusif de juge de forme implique que des constatations et conclusions formulées par le groupe spécial sont infirmées sans être modifiées alors qu’elles découlaient des prétentions de la partie plaignante. De la sorte, certaines questions restent sans réponse. Cette difficulté reste rare en pratique car le refus de complément d’analyse formulé par l’Organe d’appel est quantitativement peu significatif par rapport au nombre des décisions rendues par l’Organe d’appel.

Il n’en demeure pas moins qu’en théorie cette difficulté n’est pas facilement surmontable. La seule échappatoire est de considérer que les groupes spéciaux et l’Organe d’appel prennent en considération le particularisme de chaque différend qui leur est soumis et que, à ce titre, le refus d’analyse formulé par l’Organe d’appel n’entraîne pas d’irrémédiables conséquences néfastes à l’obligation de juger. La démarche adoptée par les groupes spéciaux ainsi que par l’Organe d’appel est de type binaire : les premiers établissent la conformité ou l’absence de conformité par rapport au dispositif normatif de l’OMC d’une mesure prise par un Membre ; le second confirme ou infirme cette conclusion de conformité ou de non-conformité. De la sorte, l’infirmation portera sur la conformité qu’elle transformera en non-conformité ou, inversement, sur la non-conformité qu’elle transformera en conformité. Ainsi, globalement, aucun complément d’analyse formulé par l’Organe d’appel n’est nécessaire pour que ce dernier puisse efficacement remplir sa mission d’instance cassatoire ; et le défaut d’analyse portera donc uniquement sur des précisions juridiques concernant certaines interprétations du droit discutables.

L’économie générale du règlement élaboré par les instances mémorandaires n’est pas remise en cause car les recommandations porteront toujours sur la mise en conformité ou la déclaration de conformité des mesures prises par le défendeur par rapport aux obligations lui incombant au titre des accords OMC. En plus d’être quantitativement marginaux, les refus de complément d’analyse sont matériellement négligeables puisque portant sur des points juridiques annexes. Il reste que cette difficulté, même si elle n’est que théorique, montre les limites de la rigueur mémorandaire appliquée à l’organisation de l’articulation du système mémorandaire. Il faut croire que l’Organe d’appel, maître de ses décisions, surmontera aisément cet écueil si d’aventure un complément d’analyse était indispensable pour infirmer ou confirmer une conformité ou une absence de conformité constatée par le groupe spécial. Peut-être faut-il souhaiter une clarification textuelle sur ce point précis afin d’éviter des dénis de justice particuliers pouvant porter atteinte à l’efficacité et à la crédibilité du système mémorandaire, même si la difficulté théorique précédemment relevée n’est pas suffisamment significative en pratique pour exhorter à la réforme.

Une confirmation du caractère unifié mais non monopolistique du juris dictio émanant du système mémorandaire peut tenir dans l’observation des recommandations finales concluant les rapports de l’Organe d’appel. Le libellé de ces recommandations a quelque peu évolué dans le temps : dans ses premiers rapports, il disposait que ‘ « les conclusions juridiques qui précèdent modifient les conclusions du Groupe spécial exposées au[x] paragraphe[s] (…). Les conclusions de l'Organe d'appel laissent intactes les conclusions du Groupe spécial qui ne faisaient pas l'objet de l'appel » 1631  ; désormais, ‘ « l'Organe d'appel recommande que l'ORD demande [au défendeur devant le groupe spécial] de rendre la mesure (…) dont il a été constaté dans le présent rapport et dans le rapport du Groupe spécial, tel qu'il est modifié [ou confirmé] par le présent rapport, qu'elle était incompatible avec les obligations [de ce défendeur] (…) au titre de [tel accord OMC] (…), conforme à leurs obligations au titre de ces accords ’ » 1632 . Cette évolution ne remet cependant pas en cause le souci constant de l’Organe d’appel de ne pas se substituer entièrement, comme le ferait une instance d’appel classique, au groupe spécial. Au contraire, l’Organe d’appel marque bien le respect de l’articulation particulière qui organise ses rapports avec le groupe spécial et qui est la suivante : les constatations et conclusions du groupe spécial ne sont non-valides que dans la mesure où l’Organe d’appel les aurait infirmées, voire modifiées – avec toute la précaution précédemment signalée. Au surplus, il ne faut pas oublier que le caractère unifié du juris dictio provient également de la procédure de règlement qui fixe une condition de délai pour l’appel et qui met de la sorte en valeur le travail du groupe spécial. En effet, du fait de cette condition de délai, le rapport du groupe spécial peut à lui seul constituer le juris dictio finalement formulé par le système mémorandaire dans la mesure où l’Organe d’appel n’aurait pas été saisi à temps et ne pourrait plus l’être une fois le rapport du groupe spécial adopté par l’ORD 1633 .

Par conséquent, la timidité précédemment notée, concernant la qualification cassatoire de l’Organe d’appel et tenant à l’absence de renvoi, n’a pas lieu d’être. L’Organe d’appel reste dans sa fonction de juge du droit ou n’en sort que précautionneusement. De plus, il déclare dans ses recommandations respecter les conclusions du groupe spécial avec lesquelles il n’entre pas en concurrence mais qu’il se contente de confirmer ou d’infirmer sur le seul plan du droit. Bien entendu, ‘ « immédiatement se profile alors l’éternelle question de la difficulté de distinguer parfois fait et droit sur laquelle l’Organe d’appel va buter mais avec laquelle il va aussi jouer. Il est vrai que ce cantonnement soulève certains problèmes ne serait-ce que techniques, notamment parce que l’appel dans l’O.M.C. n’est pas un appel-nullité mais un appel-réformation alors même qu’il est limité aux questions de droit. (…) S’il trace des pistes pour la distinction fait-droit, il reste donc logiquement ambigu sur les marges et joue sur la mixité. Il qualifie un certain nombre de questions mais sans une argumentation qui permettrait d’identifier des critères de distinction et sans qu’on puisse se réfugier toujours derrière la force de l’évidence. Ainsi, il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre exposition d’une méthodologie, éventuellement détaillée, de mise en œuvre d’une disposition et substitution du contrôle de l’Organe d’appel à celui des groupes spéciaux (…) En revanche, quand l’Organe d’appel souhaite évacuer une question, il s’appuiera sur sa qualification de fait ’ » 1634 .

Ainsi, l’Organe d’appel ne tombe pas dans un abus de prédominance hiérarchique qui viderait les groupes spéciaux de tout rôle effectif dans le système mémorandaire. Au contraire, il assure un équilibre pourtant difficile entre une dualité de juridiction et une nécessité de règlement. Bien sûr, il est toujours possible d’observer une influence significative des constatations et conclusions de l’Organe d’appel sur l’appréhension et l’interprétation des faits de la cause alors que cette démarche double est de la compétence exclusive du groupe spécial. Partant, ce débordement peut toujours justifier un déclassement du rôle cassatoire en rôle d’appel. Néanmoins, ce déclassement théorique est peu satisfaisant car il faut bien constater que la frontière entre droit et faits est parfois floue et souvent poreuse, et que, même dans les cas nationaux, les instances de cassation touchent nécessairement à l’interprétation des faits malgré la focalisation théorique de leur mission sur les aspects juridiques.

En réalité, plus que la délimitation de sa mission sur les questions juridiques, l’instance de cassation se définit par sa fonction de confrontation d’une décision juridictionnelle inférieure et antérieure – et non des aspects factuels d’un différend donné – aux règles de droit. Dans ce cadre, l’Organe d’appel répond bien à la définition de l’instance de cassation. S’il possède une mission de modification et pas simplement de confirmation ou d’infirmation des constatations et conclusions de l’instance inférieure de règlement, c’est parce que la mission cassatoire est sans renvoi 1635 et qu’elle se combine avec le particularisme du système mémorandaire : celui-ci met en place une articulation de type hiérarchique binaire unidirectionnel assortie d’une obligation de juger. Cette combinaison oblige l’Organe d’appel, en sa position de dernière instance de règlement, à avoir le dernier mot et, par conséquent, à modifier au besoin les constatations et conclusions du groupe spécial, sous peine de commettre un déni de justice incompatible avec une procédure de type juridictionnel ou, au moins, avec les prescriptions mémorandaires insistant largement sur l’impératif d’efficacité et de rapidité caractérisant le système de règlement que le Mémorandum organise.

En outre, l’instance de cassation, en se concentrant sur les seules questions juridiques, possède bien souvent une fonction d’uniformisation de l’interprétation du droit applicable et d’harmonisation des décisions rendues par les juridictions inférieures et partant, de l’organisation juridictionnelle à la tête de laquelle elle se trouve. L’Organe d’appel, ‘ « étant appelé à assumer un rôle fédérateur » 1636 , semble bien répondre à cette double fonction d’uniformisation et d’harmonisation. Pour la première, sa fonction exclusive de juge en droit hiérarchiquement prépondérant lui permet de fixer des règles d’interprétation du droit de l’OMC, ce qu’il n’a pas hésité à faire dès ses premiers rapports, à continuer au fur et à mesure des appels dont il était saisi et à faire prévaloir de telle sorte que les groupes spéciaux s’en inspirent. De plus, les décisions de l’Organe d’appel sont, en dehors des règles d’interprétation, souvent une référence forte pour les groupes spéciaux qui n’hésitent pas à fonder leurs constatations et conclusions sur des points de droit fixés par l’Organe d’appel. Pour la seconde fonction, il apparaît clairement que l’organisation formelle et procédurale du système mémorandaire nécessite une telle harmonisation : le premier degré est géré par les groupes spéciaux qui, même si la pratique dégage pour eux de nombreux et forts traits communs, ne sont pas à proprement parler une instance permanente mais sont créés pour un différend particulier, composés diversement en fonction de nombreux critères tenant à l’identité des parties et à leur entente ; par ailleurs, le domaine technique et juridique du différend est variable et relativement hétérogène du fait du nombre important de domaines disparates composant le droit de l’OMC et il n’existe pas différentes branches de règlement distinguées. L’Organe d’appel contrebalance cette considérable hétérogénéité formelle et matérielle des groupes spéciaux en étant un organe unique, permanent, à la mission essentiellement juridique, composé de membres à la compétence technique généraliste éminente et à l’autorité reconnue.

Ainsi les actions d’uniformisation et d’harmonisation caractéristiques d’un organe de cassation sont garanties par le Mémorandum ainsi que par sa pratique et confiées à l’Organe d’appel, instance unique et supérieure qui, du fait de sa fonction de juge du droit, joue un rôle intégrateur au sein d’un système de règlement dont le premier degré peut être source de disparités à la fois formelles et matérielles. En outre, l’Organe d’appel valorise la portée des décisions du groupe spécial en les contrôlant sans s’y substituer, en raison de son rôle de juge du droit et de ses recommandations qui se fondent sur celles du groupe spécial et ne s’en écartent qu’en tant que besoin. Au surplus, si un doute était émis sur la juridictionnalité des groupes spéciaux par rapport à un Organe d’appel clairement permanent, il serait effacé par cette articulation particulière qui attribue aux groupes spéciaux une juridictionnalité du seul fait qu’ils relèvent d’une instance de cassation. Finalement, la mission juridique de l’Organe d’appel aboutit à la légitimation des constatations et conclusions des groupes spéciaux en même temps qu’à leur uniformisation et harmonisation. Ce faisant, la mission confiée à l’Organe d’appel et pratiquée par lui peut être qualifiée de cassatoire puisque uniformisatrice et harmonisatrice, du fait qu’elle est axée sur le droit et, à ce titre, distincte de celle du groupe spécial, et du fait qu’elle est remplie par une instance unique, permanente, hiérarchiquement prépondérante et éminemment compétente.

Par conséquent, le système mémorandaire exécute bien un juris dictio unifié et peut donc bien, à ce titre, être qualifié de système de nature juridictionnelle. L’articulation organisée entre les groupes spéciaux et l’Organe d’appel assure l’expression par les premiers d’un juris dictio initial qui pourra être rationalisé et légitimé par un second juris dictio distinct issu de la seconde instance. Les rôles de chacune de ces deux instances sont à la fois distincts et complémentaires ; un rapport hiérarchique sur les questions juridiques est assuré ; une harmonisation des décisions et une uniformisation des interprétations sont garanties. De la sorte, le juris dictio initial formulé par le groupe spécial est mis en valeur par un dictio complémentaire mais non-concurrent émanant de l’Organe d’appel. Ce dernier, en raison de sa structure organique, de sa composition et de sa position au sein du système mémorandaire, ainsi que de sa mission de juge du droit, émet un dictio qui, qualitativement, précise et légitime celui du groupe spécial et, quantitativement, uniformise et harmonise les différentes décisions des différents groupes spéciaux.

Aussi le système mémorandaire organise-t-il, du fait du rôle essentiel de l’Organe d’appel, un mécanisme en deux temps ayant pour but de construire un juris dictio unique émanant de ce même système et constitué par deux juris dictio successifs complémentaires et unifiés. Séparément, ces deux dictio seraient de portée faible : celui du groupe spécial serait non-harmonisé et non-uniforme par rapport à ceux formulés par les nombreux autres groupes spéciaux, et serait, en outre, faiblement légitime ; celui de l’Organe d’appel serait inexistant car il se fonde sur le seul examen de questions juridiques et ne pourrait subsister seul, à moins de se transformer en conseil juridique. Ensemble, ces deux dictio se complètent et se renforcent tant du point de vue de la pertinence de leur contenu que de celui de la légitimité de leur portée. Même si l’Organe d’appel n’est pas saisi, le seul fait qu’il puisse l’être joue le même rôle unificateur et ‘ « légitimateur ’ » du juris dictio le cas échéant délivré par le seul groupe spécial 1637 . Un juris dictio unique est donc bien assuré au fur et à mesure du déroulement de la procédure de règlement mémorandaire. Il rejaillit même sur la phase des consultations puisque les parties menant cette phase verront leur comportement être influencé par l’éventualité d’un juris dictio solide formulé à l’issue de la phase immédiatement consécutive à l’échec des consultations. Ce juris dictio bénéficie ainsi d’une diffusion temporelle au sein de l’entier mécanisme de règlement mémorandaire du différend initial.

Certes, ce mécanisme d’un juris dictio double unifié donnant au système mémorandaire un caractère juridictionnel est très imparfait et éminemment critiquable si la grille de lecture tirée du modèle juridictionnel de droit interne est utilisée. En effet, un seul degré de juridiction est effectif avant le recours à l’instance cassatoire. L’unicité du degré de l’instance préalable à l’instance cassatoire ne garantit pas un traitement très attentif et crédible des questions posées par le différend de l’espèce. Un second degré de juridiction sous la forme d’un appel véritable 1638 rapprocherait davantage les décisions non-cassatoires de l’idée de justice en améliorant leur objectivité et leur légitimité, car le traitement des faits, l’analyse juridique et la formulation de constatations et conclusions bénéficieraient d’un second traitement alternatif ou confirmatif sur la confrontation entre les faits de la cause et le dispositif normatif de l’OMC. ‘ « Le principe du double degré de juridiction (…) concourt à l’élimination du risque d’erreur juridictionnelle, en permettant qu’un litige soit tranché une deuxième fois, en appel, par une juridiction supérieure à celle qui s’est prononcée en première instance. Exception notable : les "petits litiges" sont écartés de cette possibilité de contestation afin que les juridictions d’appel ne soient pas encombrées » 1639 . En outre, de nombreux autres avantages peuvent ressortir de l’organisation d’un second degré comme, par exemple, une expression des parties plus complète et plus rigoureuse de leurs positions ou encore une rapidité de règlement moins grande favorisant la sérénité du juge.

Reprendre l’ensemble des avantages inhérents à l’organisation d’un appel dans tout système juridictionnel serait fastidieux et inutile, et ce d’autant plus que des inconvénients sont également notables et que les débats doctrinaux sont récurrents sur des points qui apparaissent pour certains comme des avantages et pour d’autres comme des inconvénients. Il suffit de constater, à l’appui du présent propos sur l’intérêt d’une procédure d’appel véritable, combien les différents systèmes juridictionnels nationaux affectionnent et promeuvent un double degré de juridiction communément considéré comme une garantie pour le justiciable d’une justice plus juste. Il suffit de constater également que l’organisation d’un appel est généralisée pour les juridictions de droit commun et que l’inexistence de ce second degré se justifie davantage par souci matériel de ne pas engorger les juridictions d’appel 1640 que par la garantie d’une plus grande Justice. Aussi le système mémorandaire peut-il apparaître comme peu soucieux de garantir aux Membres de l’OMC un traitement le plus juste possible de leurs différends.

Dans la phase de réexamen intérimaire faisant partie de la procédure du groupe spécial, ‘ « certains (…) voient le risque de faire juger deux fois l’affaire par le panel, une partie au vu de la première position de celui-ci pouvant décider de modifier ou compléter son argumentation (stratégie contentieuse classique en cas de multiplication des phases de procédure) » 1641 . Ce réexamen intérimaire pourrait donc bien constituer la phase d’appel manquante. Néanmoins, il ne peut constituer un second degré de juridiction pour nombre d’évidentes raisons. D’abord, ‘ « le calendrier ne laisse guère de temps pour les tergiversations ’ » 1642 . Ensuite, si le Mémorandum semblait insister sur la centralité de ce réexamen, la pratique montre au contraire que ce réexamen s’insère dans la phase plus large du groupe spécial d’un point de vue procédural et qu’il n’a pour but que ‘ « d'examiner des aspects spécifiques et particuliers du rapport intérimaire  ’» et non ‘ « de soulever de nouvelles questions juridiques et de présenter de nouveaux éléments de preuve, ni d'engager un débat avec le Groupe spécial » 1643 . Enfin, l’instance d’appel que constituerait la phase de réexamen intérimaire serait identique à la première instance, ce qui viderait de son intérêt toute organisation d’un appel.

Par ailleurs, en sus de l’unicité d’un degré unique de juge du fond, l’absence de renvoi qui caractérise le mécanisme cassatoire peut également prêter le flanc à des critiques. En effet, si l’uniformisation des interprétations par les différents groupes spéciaux concernant les faits et les dispositions juridiques des accords OMC est assurée, l’harmonisation des décisions n’est pas aboutie. L'intérêt de l’existence d’un renvoi est non seulement d’imposer le respect par le juge du fond des conclusions de l’instance cassatoire qui lui est hiérarchiquement supérieure, mais aussi et surtout de créer un dialogue entre les juges du fond et le juge de forme. Le juge du fond, saisi après cassation avec renvoi, va la plupart du temps se plier aux conclusions juridiques formulées par l’instance de cassation sur sa décision puisque celle-ci lui est supérieure et qu’elle a relevé une erreur de forme que le juge du fond reconnaît comme telle. Néanmoins, ce même juge du fond peut également persister dans les aspects de sa décision pourtant infirmés par l’instance cassatoire et ne pas se ranger à la décision de cette instance. Ce faisant, le juge du fond – souvent distinct du juge du fond à l’origine de la décision infirmée – signifiera son désaccord profond avec les conclusions de l’instance de cassation. De la sorte, cette dernière sera confrontée à un choix : persister dans ses conclusions et imposer définitivement son point de vue – par une cassation sans renvoi ou par une cassation avec renvoi et décision conforme – ou bien prendre en considération la résistance des juges du fond et infléchir ses conclusions 1644 .

Ainsi, la procédure de cassation avec renvoi permet une collaboration, ou tout du moins un dialogue, entre les juges du fond et le juge de cassation, et favorise une certaine légitimation des décisions prises par l’instance de cassation la plus élevée dans la hiérarchie des juridictions composant le système prétorien considéré. La cohérence et la pertinence des décisions sont assurées par le contact ainsi créé entre le sommet de la hiérarchie des juridictions et la base des prétoires confrontés quotidiennement à des réalités pouvant échapper à l’instance suprême unique. Or, le système mémorandaire ne prévoyant que des cassations sans renvoi, il ne peut assurer une harmonisation équilibrée du juris dictio. Aucune procédure ne permet à l’Organe d’appel de se laisser éventuellement influencer ou du moins d’être informé, sur une même affaire, par la résistance de groupes spéciaux. Le dictio final peut donc être inadapté ou perdre en crédibilité. Cette situation justifie les critiques qui peuvent être formulées à l’encontre de l’absence de renvoi caractérisant le mécanisme cassatoire de l’Organe d’appel.

Seul un mécanisme de réunions périodiques entre membres de l’Organe d’appel peut favoriser le contact entre cette instance et certaines réalités auxquelles les groupes spéciaux peuvent seuls être confrontés. Il est prévu par les Procédures de travail pour l’examen en appel qui disposent que, ‘ « pour assurer l'uniformité et la cohérence de la prise de décisions, et pour tirer parti des compétences individuelles et collectives des membres, les membres se réuniront périodiquement pour examiner les questions de politique, de pratique et de procédure » 1645 et que ‘ « les membres se tiendront au courant des activités de règlement des différends et des autres activités pertinentes de l'OMC » 1646 . Ces réunions peuvent être l’occasion pour les membres de l’Organe d’appel de réfléchir à certaines tendances ou interrogations en provenance des groupes spéciaux ou à certains problèmes factuels auxquels ces groupes spéciaux seraient confrontés et, ainsi, de décider plus ou moins explicitement d’infléchissements ou d’invariabilité des positions dans les futures constatations et conclusions de l’Organe d’appel. Cependant, cette occasion ne peut être qu’induite car ces dispositions sont issues d’une règle qui a pour intitulé ‘ « collégialité » et qui s’attache à l’harmonisation entre les sections d’appel.

Nonobstant, les critiques liées à l’absence d’appel et à l’absence de renvoi après cassation doivent être relativisées par la situation du système mémorandaire. En effet, l’écrasante majorité des juridictions internationales n’est pas incluse dans un système de double degré de juridiction, et encore moins dans un système dominé par une instance juridictionnelle de cassation. A cet égard, le système mémorandaire apparaît comme révolutionnaire dans la mesure où il organise clairement une articulation entre, d’une part, un mécanisme de première et unique instance de nature apparemment juridictionnelle et, d’autre part, un organe permanent à l’autorité assurée qui est hiérarchiquement prépondérant et qui assure un rôle cassatoire sur le plan du droit de l’OMC. Par conséquent, si le système mémorandaire peut à bien des égards apparaître comme perfectible, il reste néanmoins clairement de nature juridictionnelle puisqu’il ne se contente pas d’organiser le fonctionnement d’une juridiction mais a construit un véritable ordre de juridiction par systématisation organique, procédurale et matérielle. Cette systématisation est renforcée par la diffusion temporelle, externe au différend de l’espèce, du juris dictio.

Notes
1580.
Cette idée est l’objet de la première Partie.
1581.
Une fois le différend traité, se met en place un mécanisme d’exécution ayant pour but d’assurer l’effectivité du règlement précédemment opéré. La phase de l’exécution peut mobiliser également les groupes spéciaux et l’Organe d’appel qui, cette fois, traiteront le différend induit par la résolution du différend initial au titre de l’article 21 : 5. Cette exécution est l’objet du Titre suivant. Elle n’a que peu à voir avec le règlement du différend initial puisqu’elle ne s’attache qu’à l’effectivité de son règlement et non à la teneur matérielle de ce règlement. Aussi fera-t-elle l’objet de l’entier Titre suivant et ne sera-t-elle pas présentement traitée, sauf en ce qu’elle concerne l’action des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel.
1582.
Si la lecture du Mémorandum montre, à bien des égards, la complexité du système de règlement des différends au sein de l’OMC, une simplicité découle de l’étude formelle de la pratique, menée dans la Partie précédente.
1583.
Voir sur ce point le Mémorandum, articles 4, 6, 7 et 8.
1584.
Voir le Mémorandum, articles 7 et 11.
1585.
Article 16 : 4 du Mémorandum.
1586.
Article 17 : 1.
1587.
Voir l’article 17 : 14.
1588.
Voir l’article 16 : 4.
1589.
Voir les articles 7 et 11 du Mémorandum.
1590.
Article 17 : 12.
1591.
Article 17 : 13.
1592.
Le terme de « substitution » est ici préféré à celui d’» annulation » car, selon Kelsen, « si une juridiction décide un cas concret, et si elle affirme avoir pour le faire appliqué une certaine norme générale, la question est décidée dans un sens positif, et elle demeure décidée aussi longtemps que la décision n’est pas annulée par celle d’une juridiction de rang supérieur. Car (…) la décision d’une juridiction de première instance (…) n’est pas nulle, même si elle est considérée ultérieurement "comme contraire au droit" par la juridiction d’appel (…). Elle ne peut être annulée que par une procédure prévue et réglée par l’ordre juridique : elle est donc simplement annulable. C’est seulement lorsque l’ordre juridique prévoit une telle procédure d’annulation que la décision peut être attaquée par les parties ». Voir H. Kelsen, op. cit. p. 265.
1593.
Cette considération déboucherait sur la constatation d’un juris dictio monopolistique du premier degré si la saisine facultative de l’instance du second degré n’est pas effectuée.
1594.
En effet, d’après M. Bergel (in Théorie générale du droit, op. cit., pp. 325-326), selon les Etats, cette hiérarchie n’est pas la même. Le sommet est différent, n’est pas forcément qu’une cassation, les tribunaux de première instance varient en nombre, répartition et missions, etc. Par exemple, le mécanisme de cassation avec renvoi est ignoré dans certains pays.
1595.
Il n’y a guère que le système juridictionnel du droit communautaire qui prévoit deux degrés de juridiction, avec la CJCE qui constitue le second degré du Tribunal de première instance. Encore cette double détente n’est-elle pas généralisée mais dépend-elle des caractéristiques du différend soumis. Encore cet exemple n’est-il pertinent que dans la mesure où le droit communautaire ne serait pas considéré comme sui generis et sorti de la sphère du droit international public. D’autres exemples localisés exceptionnels peuvent être cités : certains tribunaux comme le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail admettent qu’un appel puisse être fait devant la CIJ, de même que certaines décisions arbitrales. Néanmoins, les conditions de cet appel sont restrictives et il n’est pas question de voir dans cette articulation la mise en place d’un système juridictionnel autonome. En outre, ces exemples ne concernent que des domaines somme toute annexes du droit international public général. Ni la CIJ ni la CPI ni les grandes cours internationales consacrées aux droits de l’homme, ni le Tribunal du droit de la mer n’appartiennent à un système juridictionnel à double niveau de juridiction. Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie partagent la même chambre d’appel mais, là encore, ces juridictions sont provisoires et de compétence très contingente puisque consacrée au droit pénal international appliqué dans une région délimitée.
1596.
Voir sur ce point l’article 17 : 6 du Mémorandum, à lire à la lumière des paragraphes 1 et 12 de cet article 17.
1597.
C.-D. Ehlermann, « Six Years on the Bench of the "World Trade Court" – Some personal Experiences as Member of the Appellate Body of the World Trade Organization », J.W.T. 36(4), 2002, pp. 621. Comme le précise cet ancien Membre de l’Organe d’appel, la première affaire ayant fixé cette ligne est l’affaire Hormones (DS26 et 48).
1598.
Voir pour exemples les conclusions de l’Organe d’appel dans ses rapports WT/DS34/AB/R, WT/DS58/AB/R, ou encore WT/DS70/AB/RW.
1599.
Moins du quart des rapports de groupes spéciaux suivis d’un appel font l’objet d’une confirmation générale de la part de l’Organe d’appel, soit, au 26 juin 2003, 11 rapports sur les 54 qui lui ont été soumis, qu’ils soient initiaux ou de l’exécution. Ce dernier chiffre ne tient pas compte du désistement d’appel de l’affaire DS146 et 175 qui n’a pas empêché la rédaction d’un rapport de l’Organe d’appel le constatant.
1600.
Voir pour exemples les rapports WT/DS108/AB/R et WT/DS121/AB/R.
1601.
V. pour ex. le Rapport WT/DS136 et 162/AB/R.
1602.
V. pour ex. le Rapport WT/DS121/AB/R.
1603.
V. pour ex. le Rapport WT/DS108/AB/R.
1604.
V. pour ex. le Rapport WT/DS108/AB/RW.
1605.
V. pour ex. le Rapport WT/DS18/AB/R.
1606.
V. pour ex. le Rapport WT/DS136 et 162/AB/R.
1607.
V. pour ex. le Rapport WT/DS161 et 169/AB/R.
1608.
Certes, ces considérations omettent le rôle en apparence central de l’ORD mais, en pratique, ce dernier n’a qu’un rôle symbolique puisque le mécanisme du consensus négatif annihile toute influence décisive sur l’adoption ou encore la teneur des rapports rédigés par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel.
1609.
Voir pour exemples J.-L. Goutal, « Le rôle normatif de l’Organisation mondiale du commerce », Les Petites Affiches, n° 5, 11 janvier 1995, p. 26, ou encore H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, p. 742.
1610.
H. Ruiz Fabri, « L’appel dans le règlement des différends de l’OMC : trois ans après, quinze rapports plus tard », R.G.D.I.P., Tome 103, 1999, pp. 52-53.
1611.
Voir sur ce point ibid. : la réformation y est définie comme consistant « pour le juge d’appel à modifier en tout ou en partie la décision de la première instance, considérant qu’elle n’a pas donné au litige la solution justifiée par les faits de l’espèce et les règles de droit applicables », et l’annulation comme sanctionnant « l’irrégularité du jugement rendu, donc sa nullité résultant des vices de procédure ou de forme qui l’entachent ».
1612.
Article 17 : 13.
1613.
Voir pour exemples les articles 19 : 1 et 26 : 1.
1614.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, p. 742.
1615.
Article 627 du Nouveau code de procédure civile (N.C.P.C.).
1616.
Article L131-5 al. 1 du Code de l’organisation judiciaire (C.O.J.) et article 626 N.C.P.C.
1617.
Article L131-5 al. 2 C.O.J.
1618.
Voir pour exemple le paragraphe 133 et les conclusions du Rapport WT/DS108/AB/R.
1619.
Voir pour exemple les conclusions du Rapport WT/DS108/AB/RW ou encore celles du Rapport WT/DS122/AB/R.
1620.
WT/DS18/AB/R, paragraphe 117.
1621.
Ibid., paragraphe 118.
1622.
Le Rapport WT/DS166/AB/R, dans son paragraphe 127, va dans le même sens que le Rapport susmentionné et il donne une liste assez conséquente de références des rapports allant également dans ce sens. Voir sa note 119, même paragraphe.
1623.
H. Ruiz Fabri, « L’appel dans le règlement… », op. cit., p. 106.
1624.
WT/DS135/AB/R, paragraphe 78.
1625.
Ibid., paragraphe 79.
1626.
Voir la note 48, paragraphe 78, ibid.
1627.
Ibid. A la suite de cette phrase, l’Organe d’appel donne en exemple des références de rapports précédemment rédigés.
1628.
Voir la note 49, paragraphe 78. Cette liste ne comporte que 3 rapports qui sont, certes, de pertinentes illustrations mais qui ne sont que des exemples. En réalité, au 12 septembre 2002, le nombre des rapports faisant état d’analyses non complétées était de 6, sur les 39 rapports ne confirmant pas totalement les constatations et conclusions formulées par les groupes spéciaux.
1629.
Voir pour exemple les conclusions du Rapport de l’Organe d’appel WT/DS18/AB/R. Ce Rapport est une illustration pertinente des justifications très similaires données par l’Organe d’appel dans ses autres rapports signifiant l’impossibilité de compléter l’analyse juridique menée par le groupe spécial.
1630.
Voir sur cette justification donnée par l’Organe d’appel son rapport, largement cité précédemment, WT/DS135/AB/R, paragraphe 78.
1631.
Voir pour exemples les propos conclusifs des rapports WT/DS2/AB/R et WT/DS24/AB/R.
1632.
Voir pour exemple les recommandations finales des rapports WT/DS69/AB/R, WT/DS138/AB/R, WT/DS161 et 169/AB/R et WT/DS202/AB/R, qui adoptent tous une formulation largement similaire.
1633.
Voir sur le point l’article 16 : 4.
1634.
H. Ruiz Fabri, « L’appel dans le règlement… », op. cit., pp. 106-108. Voir pour étude détaillée des « questions de droit » appartenant au « champ du contrôle » de l’Organe d’appel ce même article, pp. 106-110.
1635.
Si certains auteurs appellent de leurs vœux une procédure de renvoi au groupe spécial, ils ne remettent pas en cause de caractère juridictionnel de l’Organe d’appel. Voir J. Lebullenger, « La Communauté européenne face au processus de réexamen du système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », R.M.C.U.E. n° 422, 1998, p. 631.
1636.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, p. 741.
1637.
En pratique, au 26 juin 2002, 46 des 71 rapports de groupes spéciaux initiaux ont fait l’objet d’un rapport de l’Organe d’appel adopté. Il faut ajouter 1 appel en cours de traitement.
1638.
Ici encore est appliquée, par souci de clarté, la grille de lecture de l’organisation juridictionnelle française. Dans celle-ci, il est courant de ne constater que deux degrés de juridictions formés d’un côté par les tribunaux de première instance et, de l’autre côté, par les cours d’appel, c’est-à-dire par les juges du fond, et ce qu’il soit question de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif. Cour de cassation et Conseil d’Etat – sauf concernant ce dernier quand il agit comme juge du fond - ne sont pas un troisième degré de juridiction dans la mesure où ne leur sont déférés que les jugements et arrêts des deux premières instances qu’ils vont juger en droit, en leur qualité de juge de forme. Globalement, le système français conçoit les premiers et seconds juges du fond comme constituant les deux degrés de juridiction et l’instance suprême, qui est de cassation, comme extérieure à ces deux degrés. C’est cette dualité assortie d’une cassation qui est présentement prise pour modèle dans l’étude de l’organisation du système mémorandaire.
1639.
M. Gaillard, L’Intelligence Du Droit, Les Editions D’Organisation, Paris, 1992, p. 136.
1640.
Voir Ibid.
1641.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 738-739.
1642.
Ibid., p. 738.
1643.
Rapport WT/DS8, 10 et 11/R, paragraphe 5.2. Voir pour des références supplémentaires et surtout pour une étude plus détaillée de la phase de réexamen intérimaire en général, et de cette conclusion en particulier, la Section consacrée au contradictoire (Première Partie, Titre II, Chapitre II).
1644.
Diverses modalités de renvoi peuvent être organisées. Conformément à la grille de lecture choisie dès le début de la présente Section, le présent propos se fonde largement sur l’exemple français du mécanisme complet du pourvoi en cassation.
1645.
Document WT/AB/WP/7, règle 4 1).
1646.
Ibid., règle 4 2).