TITRE II : La garantie de l’efficacité 
juridictionnelle

La démonstration de la juridictionnalité du système mémorandaire peut être dès à présent considérée comme achevée : la structure mémorandaire, de nature juridictionnelle, a bien une fonction juridictionnelle. Cependant, cette conclusion omet de prendre toute la mesure du dictio. La juridiction fait connaître le droit applicable et sa décision possède, à ce titre, une portée double : sur le différend qu’elle tranche ; sur l’effectivité et l’évolution du droit dont elle a en charge le dictio. Ainsi, ne pas considérer l’efficacité de la décision juridictionnelle revient à laisser planer un doute sur l’effectivité de cette portée et, par voie de conséquence, sur l’effectivité du dictio donc de la juridictionnalité du système considéré.

Bien entendu, cette approche faisant la part belle aux suites données à la décision juridictionnelle peut être discutée. Identifier une juridiction peut tout à fait consister à identifier un organe particulier, qui selon une procédure spécifique, tranche le différend par application du droit. Nonobstant, cette dernière démarche laisse de côté une caractéristique fondamentale du juris dictio : son autorité. Celle-ci peut, certes, être considérée comme acquise puisque émanant des propriétés juridictionnelles de l’organe, de la procédure et de la fonction : la permanence et l’indépendance de l’instance, l’attraction obligatoire et la procédure contradictoire, ou encore la fonction de trancher les différends et d’énoncer un juris dictio, sont autant de caractéristiques juridictionnelles établissant et renforçant l’autorité de la juridiction. Mais s’arrêter à cette autorité immanente revient à réduire la portée de l’activité juridictionnelle, à marginaliser l’autorité de la juridiction.

En théorie, cette démarche réductrice n’est pas rédhibitoire à l’identification d’une juridiction. Elle constitue en revanche un frein à l’analyse de la juridiction par rapport à l’ordre juridique et sociétal dans lequel elle évolue. Et, dans le cadre des relations interétatiques, il est tout à fait notable d’appréhender la portée entière d’un mécanisme juridictionnel de règlement des différends, dans la mesure où les souverainetés étatiques sont traditionnellement et durablement hostiles à toute autorité supra-étatique et à toute contrainte non-librement consentie. En outre, la démonstration de la juridictionnalité mémorandaire n’a pas besoin de cette réduction. Au contraire, l’affirmation d’une telle juridiction est fragile car elle découle de l’étude d’un texte et d’une pratique qui dissimulent la juridictionnalité tout en l’acceptant. Elle doit donc être renforcée par l’analyse de l’autorité dans sa globalité : la seule autorité immanente est déjà caractérisée et suffit à la reconnaissance d’un mécanisme juridictionnel ; la garantie d’une autorité juridictionnelle par-delà la décision de règlement assoira la centralité de la juridiction mémorandaire dans la régulation des rapports interétatiques et fixera la place du système de règlement de l’OMC au sein de la catégorie hétéroclite des juridictions internationales.

Il serait, par conséquent, particulièrement remarquable de constater que le juris dictio produit par le système mémorandaire est doué d’efficacité. Celle-ci doit s’entendre dans son sens premier de ‘ « caractère de ce qui est efficace », c’est-à-dire ‘ « qui produit les effets qu’on en attend » 1739 . Dès lors se pose la question de la caractérisation de ces effets attendus. La réponse est simple : la juridiction ayant pour fonction de trancher le différend par application du droit, les effets juridictionnels attendus de cette fonction sont ceux qui permettront le règlement effectif du différend. Ces effets sont donc de deux ordres car cette effectivité doit être proposée puis imposée. Le premier est l’effet décisionnel : une autorité doit être conférée à la décision de telle sorte que le règlement du différend qu’elle prévoit soit considéré comme obligatoire. Le second est consécutif au premier : un mécanisme d’exécution doit renforcer cette autorité et imposer, le cas échéant, un règlement effectif si cette obligation n’est pas respectée.

Ces deux effets garantissent la portée effective du juris dictio prononcé et leur reconnaissance parachèverait, en la confirmant, la démonstration de la juridictionnalité du système mémorandaire. L’effet décisionnel aurait une portée qualifiée de juridictionnelle puisque contenue dans la décision juridictionnelle tranchant le différend (Chapitre 1). L’exécution confirmerait la juridictionnalité mémorandaire en assurant la concrétisation du règlement juridictionnel du différend (Chapitre 2).

Notes
1739.
Voir les définitions des termes « efficacité » et « efficace », in P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 810.