chapitre II : L’exécution confirmative de la juridictionnalité

La décision juridictionnelle a pour effet, en sus de son opposabilité, son exécution. Celle-ci est par principe spontanée, du seul fait de la force exécutoire dont la décision est dotée. Cependant, elle peut au contraire être ineffective si la partie concernée par l’obligation d’exécuter refuse une telle exécution spontanée. Aussi la force exécutoire de la décision ne suffit-elle pas à assurer une exécution réelle. Si elle existe seule, l’exécution de la décision est effective mais elle ne l’est que dans la mesure où la partie concernée accepte d’exécuter ; son refus de se soumettre à cette obligation d’exécution entraîne l’inexécution de la décision juridictionnelle. En revanche, si elle s’accompagne d’un mécanisme de contrainte capable de suppléer la défaillance de volonté de la partie concernée par l’exécution, elle devient le fondement dudit mécanisme et contribue, à ce titre, à la réalisation d’un processus d’exécution plein garantissant en toute circonstance l’exécution effective de la décision.

La force exécutoire apparaît donc comme une condition nécessaire mais non suffisante de l’effectivité du caractère exécutoire de la décision juridictionnelle. Pour être effective, l’exécution nécessite un processus de contrainte favorisant en sa qualité de repoussoir l’exécution spontanée de la décision, voire obligeant à l’exécution la partie concernée récalcitrante, car ‘ « aucun droit ne peut compter uniquement sur sa force morale pour se faire respecter » 1948 . Dans ce cadre, l’exécution des décisions se compose de deux parties indissociables : une force exécutoire dévolue à la décision et un mécanisme d’exécution forcée assurant cette force exécutoire, voire l’imposant. Ces deux parties ont une articulation particulière puisque le processus d’exécution est essentiellement fondé sur l’organisation d’un mécanisme d’exécution capable de contraindre ladite partie à exécuter effectivement cette décision mais il se fonde sur la force exécutoire qui en constitue le prélude et la source.

L’intérêt de l’étude d’un processus d’exécution peut paraître limité dans la présente démarche d’établissement d’une juridictionnalité du système mémorandaire. La question de savoir si un processus d’exécution complet vient assurer l’effet exécutoire de ce système peut sembler peu en phase avec l’objectif majeur de caractérisation d’une juridictionnalité, dans la mesure où l’exécution de la décision émanant des instances de règlement mémorandaires ne constitue a priori qu’un effet de cette décision qui peut être qualifiée de juridictionnelle même en l’absence de son caractère exécutoire. Cependant, le processus d’exécution d’une décision visant à régler un différend peut renforcer la juridictionnalité du système générant cette décision : la fonction juridictionnelle n’est pas seulement de dire le droit applicable au différend de l’espèce mais également de participer à l’activation et à l’évolution du droit considéré ; elle ne pourrait être réalisée si l’absence d’un mécanisme solide d’exécution affectait l’effectivité de la décision qui en est le support.

Aussi l’analyse d’un éventuel processus d’exécution des décisions formulées par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel est-elle indispensable à la caractérisation complète d’une juridictionnalité et ne saurait-elle constituer simplement une étude des effets d’une décision à la juridictionnalité déjà avérée. Le processus d’exécution d’une décision de règlement ne saurait se résumer à cette force exécutoire qui n’en constitue que le fondement ; il doit apporter plus généralement un caractère exécutoire à la décision considérée par l’organisation d’un mécanisme d’exécution. Il a déjà été posé que ce mécanisme d’exécution se décompose en deux ‘ « appareils ’ », l’un juridictionnel et l’autre de contrainte, et que leur articulation fonctionne selon une hiérarchie particulière : la contrainte est structurée et encadrée par la juridiction. Le mécanisme de contrainte (Section 2) est étroitement dépendant, concernant son impulsion, son contenu et sa légitimité, du mécanisme juridictionnel d’exécution (Section 1).

Notes
1948.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 933.