Section 2 : La contrainte raisonnée à l’exécution

La juridictionnalité du système mémorandaire est en passe d’être pleinement confirmée par la reconnaissance d’un processus d’exécution qui est la conséquence logique de la force obligatoire et de la force exécutoire dévolues à cette décision et qui vient consolider l’efficacité de la décision et ancrer le système mémorandaire au sein de la ‘ « dynamique du droit » 2050 considéré. L’effectivité démontrée d’une force exécutoire de la décision est suivie d’un mécanisme juridictionnel d’exécution composé de deux éléments qui sont le règlement du différend induit par l’exécution de la décision et l’intervention arbitrale sur l’imposition de mesures prises à l’encontre de la partie soumise à l’obligation d’exécuter. Or, ce mécanisme juridictionnel est à même de structurer et fonder un mécanisme de contrainte qui est l’élément manquant de l’identification d’un processus d’exécution véritable confirmatif de la juridictionnalité du système.

En effet, il a déjà été précisé 2051 que l’exécution des décisions juridictionnelles est l’aboutissement nécessaire de la juridiction qui participe ainsi de manière déterminante à cette ‘ « dynamique du droit » 2052 , que cette exécution, pour être ‘ « une fonction de droit ’ », suppose ‘ « l’existence d’un appareil de justice ’ » et ‘ « l’existence d’une "force publique" (…) c’est-à-dire d’un appareil de contrainte » 2053 et que ces deux ‘ « appareils » s’articulent selon une hiérarchisation de telle sorte que le second procède du premier. Le mécanisme juridictionnel d’exécution étant caractérisé, la structuration et la légitimation d’un mécanisme de contrainte existent ; le premier mécanisme constitue l’environnement dans lequel peut s’inscrire le second. Encore faut-il que cette contrainte soit précisément définie et identifiée puisque, étant par hypothèse une composante d’un processus d’exécution consécutif au prononcé d’une décision juridictionnelle, elle doit à ce titre avoir une physionomie particulière.

En premier lieu, le mécanisme de contrainte doit être défini, ce qui n’est pas chose aisée. La définition commune de la contrainte, ‘ « violence exercée contre qqn ; entrave à la liberté d’action ’ » 2054 , n’est pas satisfaisante dans la mesure où elle n’inscrit pas cette contrainte dans un système plus large d’exécution du droit qui est dit par l’instance juridictionnelle mais s’applique seulement à des relations interpersonnelles. Plus précisément, elle se fonde sur l’idée de violence alors même que la contrainte présentement considérée est juridiquement et ‘ « juridictionnellement ’ » encadrée pour qu’elle ne soit pas qu’une action violente du plus fort contre le plus faible, déstabilisant ainsi la société considérée à l’intérieur de laquelle les relations entre membres sont régulées par le droit.

De même, la définition de la contrainte donnée dans le cadre plus restreint de l’étude du droit n’est guère plus pertinente pour la présente démarche du fait de sa trop grande imprécision. Elle peut être la suivante : la contrainte, ‘ « dans une perspective générale », doit être entendue ‘ « au sens habituel de "pression de quelque forme que ce soit qui porte atteinte au libre arbitre d’un sujet de droit» ; ‘ « dans un sens très large, la contrainte inclut le recours à la force » ’et, concernant plus particulièrement les relations internationales, ‘ « dans un sens relativement étroit, on peut tenter de caractériser a contrario la contrainte, par opposition au "recours à la force" – au sens de "mesures militaires" de toute nature  ’» 2055 . Sans entrer dans le débat particulier de l’acception de la contrainte en droit international public, il faut constater que cette définition est axée sur le rapport que la contrainte entretient avec le droit, sur la fonction juridique que la contrainte assure ; elle tente de répondre à la problématique de l’articulation entre droit et contrainte. Certes, cette problématique est d’autant plus pertinente et centrale dans le domaine du droit international public qu’elle pose avec acuité la question de la force, y compris et surtout armée, au sein des relations interétatiques et, partant, la question de l’efficacité d’un droit qui a longtemps eu pour objectif premier la pacification de ces relations, ainsi que la question corrélative de la nature de l’ordre juridique international. De nombreux écrits doctrinaux se focalisent à fort juste titre sur le traitement de cette problématique 2056 . Mais elle n’est pas au centre de la démarche présentement adoptée dans la mesure où la juridictionnalité, objectif principal de cette démarche de recherche, fait ici écran à une appréhension globale de la matière juridique internationale.

Par conséquent, si cette dernière définition de la contrainte est pertinente en ce sens qu’elle donne une théorie générale de la contrainte, elle ne saurait suffire, du fait de sa généralité et de la problématique particulière qu’elle traite, à fonder une recherche pragmatique de son effectivité au sein du système mémorandaire. La contrainte ne doit pas être présentement appréhendée dans sa fonction juridique, dans sa contribution à la dynamique du droit, mais plus simplement en ce qu’elle accompagne, confirme et parachève une fonction juridictionnelle. Cet objectif détermine une définition particulière de la contrainte. Appliquée à l’Etat dont le comportement a été précédemment déclaré non‑conforme au droit applicable par l’instance juridictionnelle compétente, elle serait ainsi toute forme de pression d’une gravité suffisante pour pouvoir infléchir la décision de non‑conformation ou accélérer la conformation de cet Etat sur lequel cette pression s’exerce 2057 . Directement ancrée au sein du processus d’exécution de la décision, cette contrainte serait le moyen de coercition obligeant l’Etat à mettre en œuvre la décision juridictionnelle.

En second lieu, le titulaire de la contrainte doit être précisément identifié. En effet, d’un point de vue général, il est communément admis que ce mécanisme ‘ « constitue une des principales manifestations de la fonction exécutive, au côté de la fonction législative et de la fonction juridictionnelle » 2058 . Il est ‘ « au service de celui ou de ceux qui rendent la justice ’ » 2059 et il est géré par un ‘ « organe d’exécution [qui] n’est pas un organe juridictionnel mais un organe administratif » 2060 . Si cette identification générale est suffisamment claire, elle doit cependant être nuancée quand elle s’applique aux relations interétatiques. Elle est une théorie qui, a priori, peine à s’appliquer sur le plan du droit international public, car le principe du respect de la souveraineté étatique ainsi que la difficile reconnaissance d’autorités supra-étatiques susceptibles d’appliquer une contrainte peuvent faire douter de l’existence et de la viabilité d’un tel mécanisme. Ce doute infléchit souvent les propos doctrinaux tenus relativement à la contrainte dans le droit international public : la contrainte ne serait applicable qu’à la condition que l’Etat auquel elle s’applique y consente 2061 . Néanmoins, cette dernière considération n’atteint pas son objectif de description d’une contrainte contingentée, car le consentement à la contrainte n’est pas particulier aux relations internationales. Si l’Etat possède à l’intérieur de ses frontières le monopole de la contrainte, c’est parce que les individus réunis en société y ont consenti 2062 . Certes, le consentement intra-étatique est ancien et tacite et, à ce double titre, moins perceptible que celui que les Etats peuvent formuler dans leurs relations interétatiques, mais il n’en demeure pas moins avéré. En outre, le consentement à la contrainte dans le domaine interétatique peut tendre également vers le daté et l’implicite du fait du développement croissant de la gestion par les organisations internationales des différentes branches de ces relations interétatiques. Au contraire, en tentant de démontrer le caractère contingent d’une contrainte dépendante d’un consentement, il est indirectement montré le renforcement d’une contrainte consentie au détriment de la soumission à une violence imposée. Partant, se renforce le sentiment d’une juridicisation et – pourquoi pas d’une socialisation – des relations internationales, si la contrainte est nettement distinguée de la violence pour en constituer a contrario sa limite.

Par conséquent, si le mécanisme de contrainte a un visage particulier, il n’est pas pour autant irréaliste. Certains considèrent qu’il n’existe pas en droit international public d’exécution forcée à l’encontre des Etats mais cette vision est simpliste 2063 . Le visage de la contrainte est appréhendé de manière fort pertinente par MM. Combacau et Sur : ‘ « un dispositif centralisé de voies d’exécution ne peut se concevoir, car il y manque l’être supérieur aux Etats qui aurait la maîtrise de leur déclenchement comme l’a l’Etat en droit interne : ni juge pour ordonner l’exécution d’office, ni force publique pour y procéder sur sa réquisition. Il existe certes des mécanismes collectifs de garantie du respect de la légalité internationale : des groupes d’Etats, constitués ou non en organisation internationale, réagissent à la violation par un Etat qui fait partie de leur cercle ou même qui lui est extérieur des règles qu’ils se donnent pour mission de protéger ; mais il ne s’agit là que d’entreprises collectives d’Etats coalisés autour d’une vision commune de la légalité, vision subjective de grand poids sans doute mais agrégat de représentations individuelles qui ne peut se prévaloir d’aucune autorité objective comme le peut celle d’un tiers agissant au nom d’une communauté supérieure aux parties et de ses intérêts distingués des leurs. En définitive rien ne caractérise mieux l’esprit des voies d’exécution en droit international que le mécanisme des représailles ou de ce qu’on appelle aujourd’hui les contre-mesures (…). Un Etat, estimant ses droits atteints par le comportement illicite d’un autre, rétorque par un comportement même intrinsèquement illicite mais que sa qualité de réplique légitimerait au regard du droit international  ’» 2064 .

L’identité de la contrainte est donc particulière dans le cadre des relations interétatiques. Elle est étatique et consiste en l’application de contre-mesures 2065 . Ces dernières doivent être précisées d’un point de vue théorique. ‘ « La logique générale de ces mesures (…) s’inscrit dans le cadre de la dialectique des actes et comportements unilatéraux. Cette dialectique domine l’ensemble du droit international public, en l’absence d’instances autoritaires et extérieures de régulation. Elle repose sur la réciprocité des engagements entre les Etats ». Concrètement, ‘ « les contre-mesures représentent une réaction étatique unilatérale dirigée contre un ou d’autres Etats, émanant d’un Etat qui considère leur comportement comme inamical ou contraire à leurs engagements internationaux. Ces réactions peuvent se traduire par le retrait d’avantages facultatifs qui avaient été librement consentis, par l’exercice de compétences discrétionnaires d’autorisation ou de refus, mais aussi par l’atteinte à des droits juridiquement protégés ’ » 2066 . Et, plus spécialement, ‘ « la compatibilité entre mesures unilatérales et exigences du maintien d’un ordre juridique international » ’exige une réglementation qui peut prendre la forme d’une ‘ « canalisation des contre-mesures » ; dans ce cadre, ‘ « une hypothèse particulière concerne les régimes conventionnels qui comportent leur propre encadrement juridique et imposent aux parties une canalisation complète de leur comportement international, de sorte qu’ils ne peuvent recourir qu’aux procédures qu’ils organisent » 2067 .

Par ailleurs, la définition précédemment donnée de la contrainte se fonde sur l’existence d’une pression exercée sur l’Etat devant mettre en œuvre la décision juridictionnelle, et cette pression ne se résume pas forcément à la seule application, par un autre Etat, de contre-mesures telles qu’elles sont présentement définies. Toutes sortes de pressions politiques ou diplomatiques, de menaces ou autres intimidations sont de nature à infléchir le comportement ou la décision d’un Etat et, de ce fait, de constituer un moyen de contrainte supplémentaire ou supplétif de l’application de contre-mesures. Bien entendu, ces contraintes annexes ne participent qu’indirectement au processus d’exécution de la décision juridictionnelle, processus qui détermine, structure et légitime un mécanisme particulier de contrainte par un dispositif juridique particulier et par un mécanisme juridictionnel d’exécution. Elles ne doivent cependant pas être pour autant négligées. La contrainte par contre-mesures s’intègre dans le processus d’exécution mais n’en constitue que la phase finale rendue effective par la mauvaise volonté de l’Etat devant exécuter. Or, cette mauvaise volonté peut être largement atténuée préalablement, tout au long du processus d’exécution, par l’existence de contraintes qui, pour être annexes, n’en sont pas moins persuasives.

La juridictionnalité du système mémorandaire pouvant être largement confirmée par la caractérisation d’un processus d’exécution, et la composante juridictionnelle de ce processus étant déjà établie, la détermination s’impose d’un mécanisme effectif de contrainte appliqué aux décisions rendues par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel, mécanisme qui parachèvera la reconnaissance d’un processus juridictionnel d’exécution des décisions et, partant, la juridictionnalité du système mémorandaire produisant ces décisions.

La définition d’une contrainte mémorandaire, s’appliquant lors du processus d’exécution dont le caractère juridictionnel a été précédemment établi, est floue et semble, à certains égard, ne pas être affirmée. Une fois la décision formulée par le groupe spécial et éventuellement passée au crible du mécanisme cassatoire géré par l’Organe d’appel, son exécution, fondée sur sa force exécutoire, n’est pas dictée par les instances mémorandaires, bénéficie généralement d’un délai raisonnable et fait simplement l’objet d’une surveillance de la part de l’ORD qui n’a qu’un rôle passif. Cette exécution est en outre laissée dans sa matérialité à la discrétion de la partie mettant en œuvre la décision puisque seules de rares et non-contraignantes suggestions peuvent être formulées. Ensuite, l’exécution effective peut être soumise au système mémorandaire en cas de différend nouveau sur ce point mais aucun mécanisme autre que ceux qui viennent être rappelés ne vient alimenter une contrainte nouvelle et accentuée. A ce stade, aucun mécanisme réellement contraignant ne vient appliquer à l’Etat titulaire de l’obligation de mise en œuvre une pression pouvant faire infléchir son comportement dans le sens d’une exécution effective, car aucune mesure concrète prise à l’encontre de cet Etat n’est susceptible de lui appliquer une réelle contrainte. Enfin, l’issue du délai raisonnable ouvre l’éventualité d’un recours à des mesures de compensations et suspensions et ce recours est porteur de l’espoir d’une contrainte avérée puisqu’il consiste en l’application de mesures concrètes. Néanmoins, ce recours ne semble pas, à la lecture du Mémorandum, intégrer un mécanisme contraignant au sein du processus d’exécution.

En effet, l’article 22 du Mémorandum prévoyant ces dernières mesures ne consacre pas explicitement un mécanisme contraignant effectif. Il dispose que ‘ « la compensation et la suspension de concessions ou d'autres obligations sont des mesures temporaires auxquelles il peut être recouru dans le cas où les recommandations et décisions ne sont pas mises en oeuvre dans un délai raisonnable ’ » 2068 et que ‘ « la suspension de concessions ou d'autres obligations sera temporaire et ne durera que jusqu'à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée, ou que le Membre devant mettre en oeuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l'annulation ou à la réduction d'avantages, ou qu'une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue » 2069 . Cet article 22 organise ainsi un mécanisme double : ‘ « la compensation est volontaire » 2070 et elle est issue de négociations entre les deux parties, négociations qui sont à l’initiative de la partie plaignante et qui sont encadrées par des conditions strictes de délais 2071  ; la suspension se substitue à la compensation défaillante et elle est autorisée par l’ORD sur demande du plaignant, avec intervention éventuelle de l’arbitre de l’article 22 : 6 en cas de conflit sur le niveau de la suspension, sur la procédure suivie ou sur la conformité de la suspension aux règles de l’OMC 2072 . En outre, l’article 22 précise que ce mécanisme double est temporaire et calqué sur le temps de mise en œuvre de la décision puisqu’il s’arrête au jour de la mise en œuvre effective et le niveau de la suspension que ce mécanisme induit ‘ « sera équivalent au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages » 2073 .

Or, il est difficile de considérer qu’une ‘ « compensation » fixée d’un commun accord entre les parties puisse constituer une mesure de contrainte efficace obligeant le défendeur à exécuter la décision prise par les instances mémorandaires. De même, il est malaisé de considérer, par voie de conséquence, que la suspension puisse être une véritable mesure de contrainte dans la mesure où elle pallie simplement le défaut d’accord entre les parties et semble donc répondre au même objectif de ‘ « compensation ’ ». Par conséquent, ce mécanisme ne paraît pas contraignant mais semble davantage fondé sur une démarche pragmatique. Cette dernière se fonderait sur la constatation selon laquelle un comportement étatique peut n'être pas conforme aux règles de l’OMC et que cette éventualité induit un déséquilibre entre les parties quant aux avantages qu’elles tirent réciproquement de la bonne application des règles de l’OMC. Cette démarche consisterait alors simplement à compenser ce déséquilibre en attendant que l’Etat concerné rende effectivement conforme ledit comportement au droit de l’OMC. Il faut donc accueillir avec une certaine prudence les analyses doctrinales constatant trop immédiatement la prévision de contre-mesures consécutives à un véritable pouvoir de contrainte exercé contre l’Etat concerné par la mise en œuvre de la décision, sans préciser que la lettre du Mémorandum traite de compensations et non de rétorsions 2074 .

Nonobstant, cette affirmation doctrinale immédiate de l’effectivité d’une contrainte mémorandaire ne saurait être fermement condamnée ; elle est au contraire particulièrement pertinente même si elle néglige parfois l’analyse de la lettre du Mémorandum. La raison de cette pertinence est simple et a déjà été donnée : le pragmatisme est constant dans la lettre d’un Mémorandum soucieux de ne pas froisser les susceptibilités étatiques et de ne pas installer une rigidité rédhibitoire ; il doit être dépassé dans le cadre de l’étude du système mémorandaire afin que celle-ci ne reste pas superficielle et, partant, peu pertinente. Et, au même titre que ce pragmatisme n’a pu jusque là ni cacher ni empêcher la reconnaissance d’une juridictionnalité formelle et matérielle du système qu’il organise, il faut supposer qu’il ne puisse dissimuler bien longtemps l’effectivité d’une contrainte caractéristique de l’exécution des décisions prononcées par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel. Cette supposition doit dès à présent être confirmée afin que soit parachevée la démonstration d’une juridictionnalité du système de règlement des différends interétatiques que le Mémorandum organise.

Une difficulté majeure doit d’emblée être déminée : l’application d’une contrainte n’est pas, à première vue, évidente du fait d’un environnement particulier qui lui est peu propice, et ce même s’il a déjà été montré que la décision initiale du groupe spécial et de l’Organe d’appel est dotée de force obligatoire et de force exécutoire. En effet, la décision des instances mémorandaires se contente de déclarer compatible ou incompatible tel comportement étatique avec les règles de l’OMC ; elle ne contient d’autre prescription que la demande de mise en conformité du comportement de l’Etat concerné 2075 , demande au mieux assortie de rares et simples suggestions. Aussi n’est-il pas question pour ces instances de prononcer une sanction, une réparation ou encore une astreinte qui seraient, par leur nature même, des injonctions pour l’Etat concerné. Par conséquent, la contrainte ne peut provenir directement de la décision initiale.

En bref, le mécanisme de contrainte ne découle pas directement de la décision initiale en ce sens que le contenu de la contrainte n’est pas fixé par le juge initial. La décision initiale ne contient pas de mesures concrètes et précises guidant une contrainte ainsi clairement déterminable. Il est question de prononcer une demande de mise en conformité, ce qui rend l’effectivité d’une contrainte plus complexe puisque cette dernière doit forcer ledit Etat à prendre une décision à même de régler cette incompatibilité, étant alors entendu que la matérialité de cette décision peut être variable, voire non-concrétisée, puisque déterminée par l’Etat en question qui a seul compétence en la matière. Plus clairement, la contrainte doit déclencher une prise de décision étatique et doit contingenter la liberté de décision étatique de telle sorte que l’exécution de la décision juridictionnelle soit non seulement effective mais également adéquate. N’étant pas l’outil de concrétisation de l’injonction adressée par la décision initiale à l’Etat concerné, cette contrainte est de mise en œuvre difficile ; son objectif ne sera pas vraiment d’infléchir une décision étatique mais de provoquer une telle décision et d’orienter son contenu. Partant, une contrainte mémorandaire peut être victime, à la fois dans son existence et dans sa viabilité, de cette complexité théorique avérée.

Néanmoins, et paradoxalement, cette complexité supposée de la contrainte loin de la fragiliser, la rend plus solide. Le processus d’exécution ne peut se résumer à une contrainte directement fondée sur la décision initiale mais doit organiser une prise de décision sur le contenu de cette contrainte, afin que tout risque soit écarté d’une inexécution rendue possible par l’évanescence de cette contrainte. La nécessité d’un mécanisme décisionnel d’exécution est de nature à autonomiser et consolider la contrainte par l’organisation d’un mécanisme juridictionnel d’exécution rigoureux et complet, à garantir au justiciable une fixation et une concrétisation de l’exécution plus proche et plus juste, en bref à assurer au processus d’exécution et, partant, à cette contrainte, une légitimation accrue. Aussi la contrainte n’est-elle donc pas la victime mais la bénéficiaire de l’imprécision de la décision initiale quant aux mesures d’exécution. Au surplus, il faut constater que le mécanisme de contrainte est d’autant plus remarquable qu’il ne se contente pas d’agir directement sur le comportement litigieux mais que, au contraire, il doit influencer la décision d’un Etat souverain qui est le seul compétent pour modifier le comportement qui lui est propre. Par conséquent, la difficulté précédemment remarquée d’un environnement peu propice à l’effectivité d’une contrainte n’est pas réaliste.

Cette barrière étant levée, l’effectivité d’une contrainte parachevant le processus d’exécution mémorandaire et, partant, la juridictionnalité du système peut être recherchée. Le discours en apparence pragmatique et confus du Mémorandum sur la réalité d’un mécanisme de contrainte ne condamne pas l’effectivité de ce mécanisme mais permet au contraire de le reconnaître et de le renforcer. La contrainte est l’outil de coercition inclus dans le processus d’exécution et qui oblige l’Etat à la mise en œuvre de la décision condamnant son comportement. Elle est toute forme de pression d’une gravité suffisante pour pouvoir infléchir la décision de non-conformation ou accélérer la conformation de cet Etat sur lequel cette pression s’exerce. L’étude du Mémorandum et de son application permettent de la révéler.

Il a déjà été implicitement établi que le processus juridictionnel de règlement du différend initial était de nature contraignante, et que cette nature contribuait de manière déterminante à lui conférer cette juridictionnalité. En effet, la construction organique du système mémorandaire, son cheminement procédural, la juridicité du raisonnement et de la décision ainsi que les effets obligatoires et exécutoires de cette décision se fondent sur divers mécanismes appliquant une pression sur les parties pour que celles-ci parviennent, sur différents points, à un accord amiable se substituant à la volonté commune défaillante de ces parties le cas échéant. Une contrainte croissante – à l’intérieur de chacune des phases du règlement et également au fur et à mesure de la succession de ces phases – est appliquée à l’encontre des parties ne parvenant pas à un accord amiable. Bien entendu, cette contrainte s’exerce principalement sur le défendeur qui est soumis à une attraction obligatoire et qui ne pourra freiner ou bloquer durablement le bon déroulement du processus de règlement ; cependant, elle s’exerce également sur le plaignant qui pourra se voir imposer des choix organiques et procéduraux du fait de la non-obtention d’un accord amiable. Il n’est guère nécessaire d’insister sur le caractère contraignant du processus de règlement menant à la décision des instances mémorandaires, dans la mesure où cette contrainte apparaît en filigrane tout au long du présent travail et où ce caractère contraignant est consacré comme une caractéristique nouvelle et majeure du système mémorandaires, et ce dès les premières analyses doctrinales sur ce point 2076 .

Il doit être maintenant établi que la contrainte caractérise également et au premier chef le processus d’exécution des décisions mémorandaires. Le processus d’exécution débute dès l’adoption de la décision initiale par l’ORD du fait de la force exécutoire dévolue à cette décision ; il doit s’achever soit immédiatement soit dans une période assortie d’un système de surveillance de l’ORD, délimitée par un délai raisonnable déterminé par les parties ou par l’arbitrage contraignant de l’article 21 : 3 c) et partant de la date de cette adoption ; en outre, tout différend né de la mise en œuvre de la décision sera réglé selon le même mécanisme par les mêmes instances mémorandaires qui prononceront une décision elle aussi exécutoire par adoption de l’ORD. De la sorte, une pression politique existe sur l’Etat chargé de la mise en œuvre de la décision du fait de la centralité passive de l’ORD, ce qui constitue déjà l’application d’une contrainte de nature politique à l’encontre de l’Etat soumis à l’obligation de mise en œuvre. Cette contrainte est structurée, en cas de désaccord des parties, par deux mécanismes juridictionnels : l’arbitrage contraignant de l’article 21 : 3 c) fixe le délai raisonnable, ce qui a pour effet non seulement d’ancrer une obligation d’exécution sur une période donnée mais aussi d’enclencher le processus de surveillance de l’ORD dans les conditions prévues par le Mémorandum 2077  ; le mécanisme de l’article 21 : 5 permet le contrôle juridictionnel de la pertinence de la mise en œuvre de la décision initiale et, ce faisant, fonde la fin de la contrainte par décision de conformité ou justifie la continuation de cette contrainte par décision de non conformité.

Il reste que cette contrainte du processus d’exécution reste pour l’instant politique. Dès le prononcé de la décision initiale, une pression politique est structurée par deux mécanismes juridictionnels d’exécution et réalisée sur l’Etat concerné essentiellement par le biais de l’ORD. Mais cette contrainte politique ne peut être qu’insuffisante à faire infléchir le refus d’exécution de l’Etat concerné car elle n’inclut aucune mesure contraignante concrète à même de constituer une pression plus directe et concrète sur l’Etat concerné par la mise en œuvre. Aussi le dispositif de l’article 22 peut-il amener cette concrétisation qui fait pour l’instant défaut dans la mesure où il organise l’application de compensations et suspensions de concessions ou autres obligations à l’encontre de l’Etat en question, ces compensations et suspensions pouvant très bien être de telles mesures de contrainte. Encore faut-il que ces mesures puissent réellement être considérées comme des moyens de pression efficaces susceptibles d’obliger l’Etat à exécuter. Pour qu’elles soient contraignantes, ces mesures 2078 doivent, d’après la définition précédemment donnée de la contrainte, répondre principalement à trois caractéristiques : elles doivent constituer une pression sur l’Etat concerné donc être décidées et appliquées contre le gré de cet Etat défendeur ; elles doivent infléchir le comportement dudit Etat donc répondre à cet objectif particulier ; elles doivent être, pour ce faire, d’une gravité suffisante donc être évaluées de manière précise.

La première caractéristique pose en réalité deux conditions : l’Etat destinataire de la contrainte doit se voir appliquer une mesure contraignante qui lui est extérieure ; ce même Etat ne doit pas pouvoir y échapper. La première condition n’est pas, a priori, facilement identifiable. En effet, le dispositif de l’article 22 organise la mise en place de mesures de compensation ou de suspension qui sont à même d’exercer une pression sur l’Etat soumis à l’obligation d’exécuter, et ce par deux moyens alternatifs : une mesure volontaire décidée par accord entre les parties, qui consiste en une compensation ; une mesure imposée, si cet accord est infructueux, qui consiste en la suspension de concessions ou d’autres obligations. Or, le caractère volontaire de la première semble peu en phase avec la notion même de contrainte dans la mesure où l’Etat auquel la mesure s’applique participe à l’élaboration de cette mesure. Néanmoins, la compensation reste une contrainte dans la mesure où elle s’intègre dans un système qui organise une contrainte imposée en cas d’ineffectivité de la mesure volontaire. L’absence d’accord sur la compensation ne bloque pas toute application d’une contrainte mais au contraire enclenche la suspension qui, elle, est imposée. De même, cette menace d’une contrainte imposée pèse sur les Etats négociant les compensations et encourage le défendeur à faire des concessions, ce qui peut accélérer et légitimer l’application effective de cette contrainte. La contrainte est donc bien réelle malgré son caractère pour partie volontaire. La participation de l’Etat à l’élaboration et l’activation de la mesure qui lui est appliquée n’enlève en rien le caractère contraignant de cette mesure, à partir du moment où celle-ci s’insère dans un système de contrainte imposée. Par ailleurs, si un doute pouvait être émis sur le caractère contraignant de la compensation volontaire, il doit être levé par l’observation de la pratique du système mémorandaire : une seule compensation au titre de l’article 22 a pu, jusqu’à présent, être formellement convenue entre les parties 2079 . Cette application unique montre que la compensation n’a pas la faveur des Etats et qu’elle ne peut, par conséquent, induire la conclusion d’une absence de contrainte, conclusion qui serait fondée sur la constatation d’un recours trop fréquent à un mécanisme volontaire préféré aux suspensions de nature ‘ « unilatérale ’ ».

Une autre procédure peut remettre en cause cette première condition d’une mesure extérieure à l’Etat auquel elle s’applique. Cette procédure n’est pas prévue par le Mémorandum mais a été établie par la pratique. Elle consiste en la détermination d’un ‘ « mémorandum d’accord entre [les parties] concernant des procédures au titre des articles 21 et 22 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends ’ » 2080 . Ce ‘ « mémorandum ’ » n’est pas une pratique isolée mais semble au contraire une pratique en expansion 2081 . Il est une convention établie entre lesdites parties avant même que toute procédure au titre de ces articles ne soit engagée ; il décrit le déroulement procédural particulier qu’elles comptent suivre concernant l’application des articles 21 et 22 et leur comportement respectif face aux différents mécanismes procéduraux que le Mémorandum propose. En particulier, ce ‘ « mémorandum ’ » établit l’articulation, convenue entre les parties, des articles 21 et 22 puisque le Mémorandum ne l’organise pas et qu’elle peut être source de complexité, d’incohérences et de conflits, allant même jusqu’à déroger d’un commun accord à des conditions mémorandaires de délais qui ne sont pas adaptées à cette articulation. Ainsi, ce ‘ « mémorandum ’ » pallie une certaine imprécision du Mémorandum et indétermination des instances mémorandaires sur ce point, alors que la question de cette articulation est centrale, ‘ « reste (…) ouverte, promettant de nouveaux épisodes dans cette saga de l’exécution ’ » 2082 .

Or, le caractère bilatéral de ce ‘ « mémorandum ’ » fonde le recours à une éventuelle suspension sur un accord entre parties et non sur une décision unilatérale du plaignant, atténuant ainsi l’extériorité normalement caractéristique d’une mesure contraignante. Cependant, cet accord n’enlève pas l’unilatéralisme formel de l’enclenchement et de l’application de la suspension. En outre, l’apparence d’une contrainte atténuée ne peut cacher, en réalité, le renforcement de cette contrainte puisque la menace d’une suspension est accrue du fait d’un recours prévu par avance. Le défendeur est certain que le plaignant n’hésitera pas à enclencher la procédure de suspension quand les conditions convenues entre les parties seront réunies, qui plus est sans passer par la négociation préalable d’une compensation 2083 . Cette certitude pèse forcément sur le comportement de l’Etat devant exécuter. Si la suspension n’est pas automatique, en pratique, à chaque fois qu’un tel ‘ « mémorandum ’ » est convenu, elle reste néanmoins une contrainte, du seul fait de la menace renforcée qu’elle constitue à l’intérieur de cet accord.

Quant à la seconde condition, à savoir l’impossibilité d’échapper à la contrainte, son effectivité implique l’organisation d’une procédure rigoureuse et complète, que le Mémorandum organise comme telle. D’abord, les négociations en vue d’une compensation sont d’initiative unilatérale confiée au plaignant. Le défendeur est soumis à une attraction obligatoire, déclenchée par le plaignant, au sein de ces négociations 2084 . Ensuite, des conditions strictes de délais empêchent que ne s’enlisent les négociations menées en vue de la fixation d’une compensation : le défendeur ‘ « se prêtera, si demande lui en est faite et au plus tard à l'expiration du délai raisonnable, à des négociations ’ » et ‘ « si aucune compensation satisfaisante n'a été convenue dans les 20 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration, toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends pourra demander à l'ORD l'autorisation de suspendre, à l'égard du Membre concerné, l'application de concessions ou d'autres obligations au titre des accords visés » 2085 . Et, de la sorte, le plaignant dispose des suspensions pour pallier un désaccord sur la compensation, mesures qu’il décide de manière non-bilatérale 2086 . La suspension est donc la voie unilatérale ouverte au plaignant si les négociations tendant à établir une compensation échouent, et ce dans un délai assez bref. Enfin, l’autorisation de suspendre donnée par l’ORD ne représente pas pour le défendeur une opportunité de se soustraire à cette suspension que le plaignant décide unilatéralement d’appliquer. L’ORD doit respecter une stricte condition de délai 2087 et cette autorisation est décidée par la voie du consensus négatif 2088 ôtant ainsi tout droit de veto qui aurait pu être dévolu au défendeur et, surtout, donnant à la mesure de suspension un caractère unilatéral au bénéfice du plaignant.

Aussi le défendeur ne peut-il que se voir imposer une mesure de suspension décidée unilatéralement par le plaignant, à moins que ces deux parties aient réussi lors des négociations enclenchées par ce même plaignant à ‘ « trouver une compensation mutuellement acceptable » 2089 , exceptionnelle en pratique. Néanmoins, le Mémorandum ne consacre pas un unilatéralisme inconditionnel car le défendeur peut avoir recours au mécanisme juridictionnel de l’arbitrage de l’article 22 : 6 s’il conteste le niveau de la suspension, le respect des principes et procédures de l’article 22 ou encore le respect des dispositions du droit de l’OMC autorisant ces suspensions 2090 . Ce recours à l’arbitrage est en pratique systématique à partir du moment où le plaignant décide de demander l’autorisation de suspension à l’ORD 2091 .

Mais, là encore, ce recours n’est pas une opportunité offerte au défendeur de bloquer ou de retarder indûment l’application d’une suspension car la composition de l’arbitre est déterminée en dehors des parties 2092 , l’arbitre est soumis à un délai strict à l’issue duquel il doit avoir rendu sa décision 2093 , la suspension de la procédure arbitrale est parfois pratiquée mais elle ne peut être le fait du seul défendeur 2094 et la décision arbitrale est définitive et sans recours 2095  ; elle n’est même pas soumise à la condition d’une adoption par l’ORD, même par la voie du consensus négatif. Simplement, la suspension décidée unilatéralement par le plaignant sera, si elle respecte les prescriptions du Mémorandum et des accords de l’OMC applicables en la matière, déterminée quant à son niveau par l’arbitre et non par le plaignant, puis autorisée par l’ORD automatiquement par le biais d’un mécanisme de consensus négatif 2096 . Par conséquent, les compensations et suspensions sont bien des mesures de contrainte en ce sens qu’elles sont décidées et appliquées par le plaignant contre le gré du défendeur qui ne peut que préférer la compensation ou encore recourir à l’arbitrage pour atténuer l’unilatéralisme étatique en question. Le caractère contraignant des mesures de l’article 22 est donc établi par l’organisation d’un unilatéralisme juridictionnalisé de l’enclenchement et du déroulement de la procédure de cette dernière disposition ; encore la contrainte implique-t-elle, en sus, deux autres conditions qui sont l’objectif particulier et une gravité suffisante de la mesure.

La deuxième caractéristique de la mesure de contrainte est son objectif, qui est l’infléchissement du comportement de l’Etat auquel cette mesure s’applique. Cet infléchissement peut être obtenu par l’exercice d’une pression sur l’Etat considéré alors que ce dernier n’a pas encore modifié son comportement, et ce dans le but qu’il le modifie. Il ne peut donc être réalisé par l’exécution d’une sanction stricto sensu 2097 qui, elle, vient punir le comportement dudit Etat parce que ses agissements passés sont considérés comme contraires et préjudiciables à l’ordre établi 2098  ; la pression sur l’infléchissement comportemental des justiciables n’est appliquée que sur les agissements futurs de l’ensemble des justiciables car la sanction a, en sus de sa fonction répressive, une fonction préventive. L’infléchissement ne peut non plus être réalisé par l’exécution d’une réparation du préjudice subi par la victime puisque cette réparation a pour objectif le dédommagement consécutif à un préjudice qui n’est pas actuel mais passé et entièrement évaluable.

En revanche, le recours à la force armée étant à la fois trop extrême et exceptionnel, écarté par principe par le droit international public qui s’efforce de pacifier les relations interétatiques et concurrencé par d’autres contraintes pour ce qui est des relations commerciales interétatiques, l’infléchissement peut être réalisé par un mécanisme d’astreinte. Celle-ci consiste à infliger à l’Etat considéré des mesures diverses pour retard dans l’exécution de la décision initiale, et ce jusqu’à ce que la mise en œuvre de cette décision soit effective. Ces mesures sont généralement, selon une acception commune de l’astreinte, l’exigence périodique d’une certaine somme d’argent ; mais elles peuvent être dans le cadre international toute contre-mesure appliquée à titre provisoire, comme par exemple ‘ « le retrait d’avantages facultatifs qui avaient été librement consentis, (…) l’exercice de compétences discrétionnaires d’autorisation ou de refus, mais aussi (…) l’atteinte à des droits juridiquement protégés  ’» 2099 .

Et cet objectif d’infléchissement doit caractériser les mesures de compensations et de suspensions prévues par l’article 22 du Mémorandum. Il peut être déterminé a contrario,par une constatation double. D’abord, ces mesures n’ont pas pour objet de faire exécuter une sanction prononcée par le juge chargé du règlement du différend initial puisque la compensation est volontaire, la suspension est temporaire et indexée sur le préjudice subi par le plaignant et ces deux mesures sont au bénéfice du justiciable plaignant et non d’une quelconque autorité extérieure et supérieure aux parties, au nom d’un ordre établi. Ensuite, elles ne s’attachent pas à l’exécution d’une réparation puisque ce même juge ne fixe initialement ni la compensation ni la suspension, qu’elles ne sont pas consécutives au comportement initial non-conforme du défendeur mais au dépassement du délai raisonnable d’exécution, qu’elles varient en fonction de la durée de la mise en œuvre et qu’elles sont équivalentes aux pertes dues au retard de mise en œuvre et non à un quelconque precium doloris.

Cet infléchissement peut également être déterminé positivement par la constatation d’une similitude entre ces mesures mémorandaires et le mécanisme de l’astreinte. En réalité, il s’agit davantage d’une similarité que d’une similitude. Ces mesures ne réalisent pas une astreinte stricto sensu puisqu’elles sont davantage un équilibrage qu’une punition. En effet, elles consistent à compenser le déséquilibre actuel créé par le comportement étatique en question ; elles sont un dédommagement rattrapant les pertes consécutives au maintien d’un comportement irrégulier et non une peine récurrente à laquelle serait condamné le défendeur pour son retard dans la mise en œuvre. Le terme même de ‘ « compensation ’ » est à cet égard éloquent ; et la suspension est également compensation dans la mesure où ‘ « le niveau de la suspension de concessions ou d'autres obligations autorisée par l'ORD sera équivalent au niveau de l'annulation ou de la réduction des avantages » 2100 . En outre, ces mesures sont au bénéfice direct de l’Etat victime du déséquilibre ; elles ne sont pas des sanctions dont le fruit matériel irait à une autorité supranationale ayant pour fonction la gestion globale des relations entre justiciables, comme peut l’être l’Etat dans le cadre national.

Cependant, ces mesures de compensation et de suspension ont par certains aspects un caractère astreignant. D’une part, elles sont ‘ « temporaires » 2101 et calquées sur l’évolution de l’obligation d’exécuter puisqu’elles ne dureront ‘ « que jusqu'à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée, ou que le Membre devant mettre en oeuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l'annulation ou à la réduction d'avantages, ou qu'une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue » 2102 . D’autre part, elles ne s’appliquent qu’en raison d’un retard manifeste dans l’exécution de la décision initiale par le Membre concerné : il est recouru à ces mesures ‘ « dans le cas où les recommandations et décisions ne sont pas mises en oeuvre dans un délai raisonnable » 2103  ; et les conditions de délais applicables à l’enclenchement, la durée et la fin des négociations sur la compensation 2104 , à la demande d’autorisation de suspension 2105 , à la décision d’autorisation prononcée par l’ORD 2106 et au prononcé de la décision arbitrale 2107 , se fondent toutes sur la date d’expiration de ce délai raisonnable. Enfin, elles s’appliquent exclusivement à l’Etat soumis à l’obligation d’exécuter, même si la modification qu’elles entraînent se trouve dans le comportement de l’autre partie : la compensation et la suspension de concessions ou d’autres obligations ne sont pas forcément des prestations fournies par le défendeur mais elles peuvent consister en l’absence de fourniture de prestations normalement fournies par le plaignant, puisqu’il s’agit, par exemple pour la seconde mesure dont le contenu est plus clairement défini parce que non-négocié, de concessions suspendues et non de compensations attribuées ; nonobstant, la logique astreignante est la même car, dans ces deux cas, il est question de mesures allant à l’encontre des intérêts de la partie soumise à l’exécution.

Ainsi, les mesures de compensation et de suspension sont très proches de l’astreinte et peuvent être considérées comme lui étant fortement similaires. Certes, elles peuvent être par certains aspects identifiées au modèle de la réparation dans la mesure où elles tentent de mettre fin à un déséquilibre en permettant un dédommagement qui est, soit adressé à la partie victime par la partie dont le comportement est condamné, soit pris par la victime même sur les relations normales entre les Etats parties, en n’exécutant pas des obligations qu’elle aurait pourtant dû assurer en temps normal. Néanmoins, l’identification à la réparation s’arrête ici car ces mesures sont davantage astreignantes que réparatrices. En effet, des mesures allant à l’encontre des intérêts de l’Etat devant exécuter lui sont temporairement appliquées jusqu’à ce que la mise en œuvre de la décision soit devenue effective.

Et les différences par rapport au modèle de l’astreinte tiennent davantage à la nature particulière des relations interétatiques de manière générale, qui plus est dans le domaine particulier des échanges commerciaux internationaux. Ces mesures ne peuvent constituer une sanction stricto sensu, car ‘ « l’absence d’une autorité supérieure dans la société internationale ’ », et plus précisément le fait qu’‘ » à l’heure actuelle les organisations internationales ne peuvent prétendre être des autorités superétatiques ’ » 2108 , justifient l’impossibilité d’infliger des sanctions autrement que par l’intervention des Etats qui sont eux-même des justiciables. Par voie de conséquence, la contrainte ne peut que connoter le dédommagement dans la mesure où l’Etat victime sera amené à participer à cette contrainte 2109 . Par ailleurs, la régulation des échanges commerciaux est construite en terme d’équilibres et de réciprocité, de telle sorte que tout comportement condamné crée un déséquilibre et que toute mesure visant à le supprimer est un rééquilibrage. Il n’est donc pas anormal que l’astreinte présentement considérée soit moins une punition qu’un rééquilibrage, soit moins supranationale qu’étatique.

Par conséquent, un mécanisme d’astreinte est concrétisé par les mesures de compensations et de suspensions prévues à l’article 22. Il est à même de caractériser l’objectif particulier de ces mesures qui est l’infléchissement du comportement étatique. Partant, il participe, au même titre que l’unilatéralisme juridictionnalisé précédemment montré, à définir le caractère contraignant de ces mesures de compensation et de suspension. Ne manque que la troisième et complexe condition de ce caractère contraignant, qui est la gravité suffisante de ces mesures, afin que ces dernières puissent effectivement remplir leur fonction d’infléchissement.

Cette troisième et dernière caractéristique est l’impact réel de ces mesures sur l’Etat auquel elles s’appliquent. Pour être caractérisée, la gravité de la mesure doit être évaluée. Elle doit l’être en considérant la teneur de cette mesure, teneur variant selon deux paramètres : le contenu de la mesure et son niveau. En réalité, la gravité de la mesure doit être relativement équilibrée. Si la gravité était insuffisante, il est évident que la mesure serait rendue inefficace et, par voie de conséquence, non-contraignante ; l’Etat auquel la mesure s’applique ne ressentirait pas une pression telle que la nécessité d’un changement de son comportement devienne évidente. En revanche, une gravité trop accentuée ne serait pas acceptée par l’Etat auquel elle s’applique, Etat qui pourrait ainsi refuser de s’y soumettre, voire ne pas pouvoir s’y soumettre ; il serait fondé dans son refus par l’illégitimité de la mesure acquise par cette excessivité et cette inadéquation mettrait en péril non seulement l’exécution effective de la décision mais également et surtout la viabilité même du système de règlement dans son ensemble. La force de la contrainte doit donc être simplement ‘ « suffisante ’ ».

Et le Mémorandum prend un soin particulier à fixer et le contenu et le niveau de la suspension que le plaignant peut infliger au défendeur. Bien entendu, il ne fixe pas la teneur de la compensation puisque celle-ci est le fruit d’un accord entre les deux parties. Cependant, la fixation de la teneur de la suspension intéresse implicitement la compensation. En effet, l’échec de la négociation sur la compensation menant à la suspension, le contenu et le niveau de cette dernière vont avoir une influence conséquente sur chacune des deux parties. Celles‑ci fixeront leurs prétentions et concessions, formulées lors de ladite négociation, en fonction des principes d’évaluation appliqués lors de la détermination de la teneur de la suspension pouvant remplacer un accord de compensation défaillant. De même, cette fixation du contenu et du niveau de suspension va inciter chacune des deux parties à mettre en balance la teneur de la compensation et l’intérêt d’une rapidité de son application. Aussi cette connexion implicite entre la teneur de la compensation et celle de la suspension ne doit-elle pas être négligée, même si la présente analyse de l’évaluation de la gravité des mesures de l’article 22 se focalise sur la suspension. Ceci étant, il faut tenter de déterminer le degré d’impact de la teneur de la suspension, à la fois dans son contenu et dans son niveau.

D’une part, le contenu de la suspension est précisément défini et il fait l’objet d’un encadrement somme toute assez rigoureux. Certes, le Mémorandum donne l’impression première d’une indétermination quand il désigne l’objet de la suspension qui est la concession ‘ « ou d’autres obligations ’ » 2110 . Néanmoins, il s’agit moins de formuler un propos confus que d’utiliser une expression générique pouvant désigner l’ensemble des objets de suspension possibles rigoureusement prévus par ledit Mémorandum. En effet, le contenu de la suspension est prévu par le long paragraphe 3 de l’article 22 qui dresse une liste des ‘ « principes et procédures » que la partie plaignante devra appliquer ‘ « lorsqu’elle examinera les concessions ou autres obligations à suspendre  ’». Il n’est pas présentement pertinent de décrire de manière détaillée l’ensemble de ces principes et procédures car cette démarche serait non seulement fastidieuse du fait de la longueur et la précision conséquentes de cette disposition, mais également redondante du fait des nombreuses analyses doctrinales ayant déjà traité ce point 2111 .

Tout juste faut-il rappeler quelques aspects du contenu de la suspension tels que prévus par le Mémorandum. D’abord, la suspension est à trois paliers, partant de la suspension de concessions ou autres obligations du même secteur que celui dans lequel s’inscrit le comportement litigieux, passant par la suspension dans d’autres secteurs du même accord pour aller jusqu’aux ‘ « rétorsions croisées » 2112 . Ensuite, ‘ « l’Etat qui envisage de prendre des mesures de rétorsion doit en calculer l’impact économique » 2113 et indiquer dans sa demande d’autorisation de suspension les raisons de cette demande 2114 . De même, la suspension ne peut être effective si l’accord concerné l’interdit 2115 . Enfin, l’arbitre de l’article 22 : 6 peut être amené à contrôler la bonne application de ces principes et procédures ainsi que la non-interdiction de la suspension par divers accords OMC 2116 . Par conséquent, le contenu de la suspension est strictement encadré par des principes et procédures prévus par le Mémorandum et contrôlé le cas échéant par un mécanisme juridictionnel.

Toutefois, cette rigueur du Mémorandum n’empêche pas un impact conséquent du contenu de la mesure de suspension sur l’Etat auquel elle s’applique. En effet, le texte ne fait que fixer des bornes que le Membre initiateur de la suspension ne doit pas dépasser. A l’intérieur de ces limites, ce Membre possède une liberté certaine dans la détermination du contenu de cette suspension. Pour preuve, il est précisé que l’arbitre de l’article 22 : 6 ‘ « n’examinera pas la nature des concessions ou des autres obligations à suspendre » 2117 , ce qui laisse à ce Membre une marge de manœuvre assez grande. Surtout, cette liberté est rendue possible par la gradation du contenu de la suspension, gradation en trois points assurée par le Mémorandum : la suspension doit, par principe, concerner le même secteur que celui dans lequel la ‘ « violation ou autre annulation ou réduction d’avantages » 2118 a été constatée par la voie juridictionnelle, mais elle peut s’appliquer à d’autres secteurs du même accord si la première suspension n’est ‘ « pas possible ou efficace » 2119 , voire à d’autres accords par le système de la rétorsion croisée si la deuxième suspension n’est ‘ « pas possible ou efficace » et si ‘ « les circonstances sont suffisamment graves » 2120 . Ainsi, cette gradation permet d’assurer une gravité suffisante pour infléchir le comportement du Membre réticent à l’exécution, dans la mesure où elle gomme – même imparfaitement – les disparités de puissance entre les Etats et où elle permet de cibler la suspension pour un effet optimal. Les Etats peuvent ‘ « agir dans les domaines où ils sont les plus puissants et/ou (…) choisir des domaines où l’Etat "sanctionné" est le plus sensible » 2121 . Certes, ‘ « une certaine absurdité des sanctions ’ » peut être reconnue dans la mesure où, par le mécanisme de l’extension des secteurs et par celui des rétorsions croisées, ce sont ‘ « les exportateurs forts dont le comportement est compatible avec l’OMC [qui] sont sanctionnés » 2122  ; néanmoins, c’est le comportement de l’Etat qui est visé et cette absurdité peut se muer en efficacité, voire en dissuasion.

D’autre part, le niveau de la suspension doit être évalué. Si la diversité du contenu de la suspension autorise un impact ciblé à l’encontre de l’Etat contraint à l’exécution, encore faut-il que le niveau de suspension soit suffisamment conséquent pour que cet impact soit décisif. Celui-ci est strictement défini par le Mémorandum : ‘ « le niveau de la suspension de concessions ou d'autres obligations autorisée par l'ORD sera équivalent au niveau de l'annulation ou de la réduction des avantages » 2123 . En outre, le respect de ce niveau est assuré par le mécanisme juridictionnel de l’arbitrage de l’article 22 : 6 qui a pour principale fonction de déterminer ‘ « si le niveau de ladite suspension est équivalent au niveau de l'annulation ou de la réduction des avantages  ’» 2124 . Cette équivalence est une limite supérieure qui a un double avantage : le niveau de la suspension est relativement conséquent pour être significatif ; le niveau est acceptable pour l’Etat qui est soumis à cette suspension car découlant directement de son comportement objet du différend. De la sorte, cette équivalence donne un niveau de suspension équilibré puisque d’une gravité conséquente sans être outrancière, c’est-à-dire d’une gravité suffisante. De plus, cette équivalence n’est pas le signe d’une faiblesse si l’on admet avec Mme Ruiz Fabri que ‘ « le principe d’équivalence peut être vu comme la traduction dans le droit de l’OMC de l’exigence de proportionnalité que le droit international général pose comme condition de licéité des contre-mesures » 2125 .

Pourtant se pose la question de la pertinence de ce principe d’équivalence et, partant, la force contraignante effective d’une mesure de suspension dont le niveau respecte ce principe. En effet, le risque est que ‘ « les Etats puissent "acheter" leurs violations des accords ’ » 2126 , qu’il y ait ‘ « pérennisation des rétorsions comme des compensations ’ » 2127 . Certes, le Mémorandum tente d’écarter cette pratique en insistant sur le caractère temporaire des mesures de compensation et de suspension 2128 et en affirmant clairement que ‘ « ni la compensation ni la suspension de concessions ou d'autres obligations ne sont préférables à la mise en oeuvre intégrale d'une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords visés » 2129  ; mais ce principe n’est assorti d’aucun mécanisme particulier permettant de garantir son respect donc d’éliminer ce risque. Néanmoins, ‘ « ce type de dérapage est (…) réservé à ceux qui peuvent se l’offrir et, pour le moment, est essentiellement le fait des plus puissants, témoignant de la tentation récurrente d’échapper aux disciplines communes quand il faut en payer le prix » 2130 . En outre, l’observation de la pratique montre que le dévoiement du caractère temporaire des compensations et suspensions est plutôt rare.

En réalité, seule l’affaire Hormones 2131 en constitue une illustration pertinente : dans cette affaire, le défendeur a affirmé vouloir offrir une compensation en attendant de mettre en œuvre la décision initiale 2132 et cette proposition a été suivie par une demande de suspensions formulée par le plaignant et accordée par l’ORD le 26 juillet 1999. Une mesure de suspension est toujours en application à la fin de l’année 2003, le défendeur refusant toujours de mettre en œuvre la décision initiale et acceptant de ‘ « payer ’ » en échange de la pérennisation de son comportement fautif 2133 . Trois autres affaires montrent une durée d’application relativement importante des mesures de compensation ou de suspension 2134 et le Secrétariat, dans son Etat des différends soumis à l’OMC de juin 2003, ne précise pas si les compensations ou suspensions sont toujours d’application. Quant aux affaires plus récentes, deux d’entre elles doivent être surveillées car des suspensions y ont été récemment adoptées 2135 .

Il faut donc conclure que le risque de pérennisation des compensations et suspensions est en pratique relativement minime, d’abord parce que rares sont les affaires aboutissant à l’application de telles mesures 2136 , ensuite parce que, parmi elles, rares sont les parties qui résistent longtemps à l’imposition de telles mesures, soit qu’elles ne le veulent pas soit, peut-être, qu’elles ne le peuvent pas. Par conséquent, la pratique montre que le niveau de suspension est d’une gravité suffisante pour rendre contraignante cette mesure de suspension. Certes, la pérennisation des compensations ou suspensions est toujours possible, et cette possibilité rend discutable le caractère suffisant de la contrainte. Cependant, cette occurrence est trop rare pour pouvoir fonder le rejet d’une gravité suffisante de la mesure de contrainte.

Aussi les mesures que prévoit l’article 22 du Mémorandum peuvent-elles être qualifiées de contraignantes du fait de l’établissement des trois caractéristiques précédentes issues de la définition préalablement donnée de la contrainte. Elles constituent l’aboutissement du mécanisme contraignant de l’exécution. Cependant, leur centralité au sein de ce mécanisme est discutable. En effet, il apparaît peu rigoureux et faiblement pertinent de ne considérer comme une contrainte effective que le seul mécanisme des compensations et suspensions. L’article 22 n’est pas le seul indice de la réalité d’un mécanisme contraignant, même si cet indice est sans doute le plus saisissant en raison de l’identité des justiciables auxquels ce mécanisme s’applique et du gigantisme des sommes en jeu 2137 . De plus, en pratique, l’exécution des décisions des instances mémorandaires ne parvient que rarement au stade de la compensation ou de la suspension de concessions ou d’autres obligations.

Aussi faudrait-il croire que l’exécution quasi-systématique des décisions n’est pas essentiellement due à l’application de mesures de compensation ou de suspension mais qu’elle découle de l’action peut-être plus implicite de la contrainte politique, appuyée par une légitimation juridictionnelle, qui s’exerce sur les Etats parties préalablement au recours éventuel à l’article 22. Cependant, la faible fréquence d’application du mécanisme de l’article 22 ne doit être associée ni à une difficulté procédurale de mise en œuvre ni à une inefficacité marginalisante. Au contraire, son inapplication fréquente montre son caractère dissuasif : les Etats préfèrent une exécution rapide et pertinente afin d’éviter d’être soumis à de telles mesures qu’ils savent graves et inéluctables par la seule volonté du plaignant. Cette inapplication montre également la bonne santé du système mémorandaire et plus largement de la régulation des échanges commerciaux par le droit : en ne recourant ni à la compensation ni à la suspension, les Etats ne cherchent ni n’acceptent de monnayer des violations pérennes des accords OMC mais préfèrent le respect du droit international aux arrangements bilatéraux amiables.

Pour conclure, il faut considérer la personnalité du titulaire de la contrainte mémorandaire. Si le processus d’exécution des décisions issues du système mémorandaire de règlement des différends inclut bien un mécanisme de contrainte, il ne faut pas oublier que cette contrainte se caractérise également, et ce de manière très remarquable dans le domaine des relations interétatiques, par la personnalité particulière du titulaire du pouvoir de contrainte. En effet, il a déjà été dit que la contrainte était une fonction exécutive confiée à la force publique, classiquement l’Etat qui, dans le cadre national, dispose du monopole de la contrainte à l’encontre des justiciables. Cependant, dans le domaine des relations interétatiques, le justiciable est l’Etat et, en l’absence d’une autorité ‘ « superétatique ’ », la contrainte s’incarne dans le justiciable : l’Etat. L’organisation de la contrainte d’exécution au sein du système mémorandaire ne dément pas ce schéma. C’est l’Etat victime de l’inexécution, par un autre Etat, de la décision mémorandaire, qui enclenche et applique en personne et à l’encontre de ce dernier le mécanisme de contrainte que l’article 22 prévoit. En outre, la contrainte politique préalable à l’application des mesures de compensation ou de suspension est également de nature étatique puisqu’elle ressort de la fonction particulière de l’ORD, réunion des représentants de tous les Etats Membres de l’OMC, qui ne tire son autorité que de sa composition particulière qui est la somme de l’ensemble des Membres souverains. De la sorte, cette contrainte mémorandaire correspond, du point de vue de son identité, au schéma classique de la contrainte en droit international public général.

Cependant, l’identité de cette dernière contrainte doit être précisée. L’absence d’autorité superétatique confie la ‘ « force publique ’ » à l’Etat mais celui-ci doit être considéré de manière générale. Il n’est pas forcément et uniquement l’Etat victime, et tend même à ne pas l’être du fait de l’évolution contemporaine du droit international public qui institutionnalise par le mode organisationnel des aspects de plus en plus importants et diversifiées des relations interétatiques, qui juridicise les rapports entre Etats et qui ‘ « collectivise ’ » l’exécution de ce droit. En effet, il faut ici rappeler le propos déjà cité de MM. Combacau et Sur, propos selon lequel ‘ « il existe (…) des mécanismes collectifs de garantie du respect de la légalité internationale : des groupes d’Etats, constitués ou non en organisation internationale, réagissent à la violation par un Etat qui fait partie de leur cercle ou même qui lui est extérieur des règles qu’ils se donnent pour mission de protéger ; (…) il ne s’agit là que d’entreprises collectives d’Etats coalisés autour d’une vision commune de la légalité, vision subjective de grand poids sans doute mais agrégat de représentations individuelles qui ne peut se prévaloir d’aucune autorité objective comme le peut celle d’un tiers agissant au nom d’une communauté supérieure aux parties et de ses intérêts distingués des leurs ’ » 2138 . Or, si la contrainte mémorandaire répond bien à ce schéma quand elle est de nature politique, elle s’en écarte foncièrement quand elle est plus juridique avec l’application des mesures de compensation et de suspension de l’article 22 du Mémorandum. Cet écart est d’autant plus remarquable que ces mesures sont déterminantes à caractériser une contrainte : elles sont les seules à s’appliquer concrètement et directement sur l’Etat devant exécuter et à exercer une pression matérialisée et ciblée sur cet Etat en visant explicitement ses intérêts propres.

La contrainte s’incarne dans le seul Etat victime de l’inexécution. Cette incarnation a deux conséquences particulières qui peuvent faire douter de la réalité d’un mécanisme contraignant d’exécution capable de constituer un processus d’exécution complet. D’une part, sur le plan pratique, cette incarnation induit un risque d’inefficacité de la contrainte du fait des disparités de puissance entre les Membres, et ce malgré le système des rétorsions croisées. D’autre part, sur un plan plus théorique, cette incarnation éloigne sensiblement la contrainte de son acception contemporaine commune et, partant, le système mémorandaire du modèle de justice dans lequel sa juridictionnalité aurait pu logiquement l’intégrer. Nonobstant, ces conséquences ne sont que des hypothèses : l’inefficacité de la contrainte est un risque qui peut très bien ne pas se réaliser ou être compensé en pratique ; une acception particulière de la contrainte est indispensable à la caractérisation d’un modèle de justice précis mais elle ne suffit pas à le déterminer de manière indiscutable. Aussi la réalité de ces deux conséquences doit-elle être précisément évaluée.

D’autre part, l’inefficacité potentielle de la contrainte étant due à l’unilatéralisme de son titulaire, il manquerait à cette contrainte d’être ‘ « multilatéralisée ’ » afin que disparaissent ce risque d’inefficacité et, partant, pour que le processus d’exécution soit complet. Ce manque est souvent relevé ; comme le remarque Mme Ruiz Fabri, ‘ « l’idée est parfois avancée d’un système de sanctions collectives, appliquées par toutes les parties, ce qui en répartirait la charge, permettrait de neutraliser les différences de puissance, d’atteindre les Etats les plus puissants et supprimerait l’aspect "justice privée" du système actuel  ’» 2139 . Cette faille importante paraît de nature à fortement atténuer la reconnaissance d’une contrainte véritable et effective, alors même que cette dernière contribuait grandement à définir le processus d’exécution qui lui-même pouvait confirmer de manière déterminante la juridictionnalité du système mémorandaire

Nonobstant, la ‘ « collectivisation ’ » de la contrainte n’est pas une idée exempte de toute critique. Il faut d’abord convenir avec Mme Ruiz Fabri que ‘ « l’idée est intéressante mais (…) il serait curieux de trouver au stade de l’exécution une objectivation que l’on élude au stade de l’initiation, en conférant un caractère subjectif de principe à tout non-respect d’une obligation ’ » 2140 . Il faut surtout constater qu’une sanction collective n’est pas forcément une sanction effective. L’exemple de la CIJ est, à cet égard, éloquent : l’organisation d’une sanction collective n’est pas gage d’efficacité accrue de la contrainte. En effet, l’exécution forcée de ses décisions juridictionnelles est en principe assurée par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’organe exécutif d’un groupe d’Etats réunis au sein d’une même organisation internationale. Or, même si peu de décisions de la CIJ n’ont pas été respectées par la partie condamnée et même si la rédaction de l’article 94 de la Charte prévoyant cette exécution est assez ‘ « permissive » 2141 , il faut constater que jamais ce principe d’une exécution forcée n’a été appliqué effectivement. Les raisons de cette ineffectivité sont sans doute politiques : soit le justiciable victime de l’inexécution ne souhaite pas recourir au Conseil de sécurité, soit cet organe ne peut agir du fait de contingences politiques internes à son fonctionnement.

Dans le cadre du système OMC, le mécanisme d’une sanction collective n’a que peu de chances de fonctionner. Il impliquerait une action collective difficilement applicable au sein d’une Organisation qui comprend un nombre très important de Membres. Il faut croire que toute sanction collective serait dépendante de contingences politiques d’Etats peu soucieux de l’application d’une contrainte efficace parce que s’estimant faiblement concernés par l’exécution effective d’une décision ne les concernant pas directement. Par ailleurs, la pratique du système mémorandaire ne semble pas montrer pour l’instant, et malgré le nombre important de différends déjà soumis à l’OMC, une défaillance de la contrainte individuelle : soit, dans la grande majorité des cas, la menace d’une contrainte suffit à assurer l’exécution ; soit les plaignants pour une même affaire sont multiples et les plus puissants soutiennent les plus faibles 2142 , soit les plaignants n’estiment pas nécessaire d’aller jusqu’à la suspension 2143  ; soit, enfin, il est trouvé par l’arbitre de l’article 22 : 6 – certes difficilement parfois – suffisamment de secteurs de suspension différends pour que la contrainte soit la plus efficace possible 2144 . Aussi faut-il croire que la contrainte ne peut être effective que dans le cadre unilatéral dans la mesure où le système mémorandaire est récent et en voie de consolidation et de légitimation. La ‘ « multilatéralisation ’ » de la contrainte ne peut que découler d’une maturité juridictionnelle que le système se forge au fur et à mesure des différends traités mais qui n’est pour l’instant ni complète ni assumée.

En réalité, les problèmes d’efficacité de la contrainte viennent moins de l’identité particulière du titulaire de cette contrainte individuelle que d’autres facteurs inhérents à la nature même du système OMC et à la nature des contraintes possibles dans ce cadre. Par exemple, de nombreux Etats, sans doute par manque de compréhension et de maîtrise des procédures mémorandaires, à moins que ce ne soit pas manque d’intérêts, sont totalement absents de ces procédures mémorandaires de règlement des différends, même en qualité de tierce partie. Par ailleurs, non seulement ‘ « les sanctions économiques produisent facilement des effets pervers » 2145 , mais elles sont aussi ‘ « proportionnellement plus coûteuses pour les pays économiquement moins puissants ’ » 2146 et surtout peuvent être finalement plus contraignantes pour l’Etat qui les applique que pour l’Etat qui les subit. D’autres critiques peuvent encore être formulées, qui tiennent davantage au système de contrainte qu’au titulaire de cette contrainte 2147 . Aussi le caractère individuel du titulaire de la contrainte n’est pas un obstacle majeur à l’efficacité de cette contrainte.

Pour autant, il n’est pas certain que la solution ‘ « individuelle ’ » soit la meilleure sur le long terme. Si elle paraît actuellement la plus efficace, elle peut tout de même apparaître comme une régression des relations interétatiques dans la mesure où la collectivisation de la contrainte a pour justification la lutte contre l’unilatéralisme et pour la pacification des relations interétatiques, c’est-à-dire comme une résurgence de l’unilatéralisme étatique. Certes, dans le processus d’exécution mémorandaire, la contrainte est structurée et légitimée par un mécanisme juridictionnel spécifique, ce qui limite l’unilatéralisme étatique. Certes, la ‘ « guerre ’ » qui découlerait des problèmes d’exécution ne serait ‘ « que ’ » commerciale. Il n’empêche que l’efficacité pérenne et systématique de cette contrainte individuelle n’est pas très assurée, même si elle paraît jusqu’à présent réelle en pratique : elle varie en fonction des Etats concernés et des domaines commerciaux considérés ; elle peut induire une guerre commerciale aux effets dommageables par ricochet sur des biens et des secteurs, voire sur des personnes, non-directement concernés par la relation commerciale objet de l’exécution. Par conséquent, s’il semble que ce caractère individuel de la contrainte soit un gage d’efficacité de celle-ci, il ne l’est que de manière précaire, du fait de la variabilité des titulaires de la contrainte, et peu légitime, du fait de l’unilatéralisme latent de cette contrainte.

Il reste que cette précarité et cette illégitimité sont fortement atténuées par une collectivisation mesurée de cette contrainte, et ce sur trois points : d’une part, le système du consensus négatif qui préside à l’autorisation de suspendre prise par l’ORD permet une légitimation du recours à la contrainte par la collectivité des Membres ; d’autre part, l’encadrement juridictionnel du processus d’exécution donne à la contrainte une constance, une efficacité et une légitimation qui ne sont pas celles d’un Etat esseulé ; enfin, et bien que de manière embryonnaire et inconstante, la pratique courante d’une pluralité de plaignants au stade de la procédure initiale de règlement peut permettre de retrouver au stade de l’exécution une pluralité de titulaires de la contrainte de telle sorte que, par coalition entre Membres, la contrainte sera accentuée et les ‘ « petits ’ » Etats plaignants verront leur force décupler.

Ainsi, l’incarnation particulière de la contrainte mémorandaire n’est pas source d’inefficacité, et ce pour trois raisons principales : un mécanisme juridictionnel d’exécution vient structurer et légitimer cette contrainte ; les Etats, en pratique, n’hésitent pas à se constituer en une pluralité de plaignants pour une même affaire ; ils évitent la plupart du temps une inexécution trop tardive les condamnant à subir des mesures de compensation ou de suspension. Certes, cette efficacité est, à certains égards, précaire. Mais cette précarité est pour l’instant essentiellement théorique et il faut croire que l’assise juridictionnelle de la contrainte et la pratique juridictionnalisée du système sont autant d’instruments de la pérennisation progressive d’une efficacité réelle.

D’autre part, l’incarnation particulière de la contrainte mémorandaire peut éloigner sensiblement cette contrainte de celle communément considérée comme la confirmation d’une juridictionnalité. En effet, ayant pour seul titulaire le justiciable victime de l’inexécution, les mesures de contrainte mémorandaires peuvent immédiatement caractériser le processus d’exécution des décisions des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel comme étant un système de vengeance privée. Certes, cette vengeance est déclenchée par l’inexécution d’une décision de nature juridictionnelle mais cette seule considération laisse la contrainte libre de tout fondement juridictionnel propre. La décision initiale est un prétexte mais elle n’est pas un cadre. Ainsi, la juridictionnalité du système mémorandaire serait de la sorte mise à mal car les décisions de ce système ne seraient pas exécutées du fait de leur force exécutoire mais du fait du seul prétexte qu’elle fournissent ; en outre, cette exécution serait parfaitement aléatoire dans son effectivité comme dans son contenu et l’Etat initialement défendeur serait entièrement soumis à la violence de l’Etat plaignant, violence sans autre légitimité que la libre décision de ce dernier et sans autre borne que le seul rapport de force entre ces deux entités.

Cependant, cette conclusion ne peut être retenue car elle omet la réalité d’un mécanisme juridictionnel d’exécution constitutif du processus d’exécution des décisions mémorandaires. Il n’est guère nécessaire d’insister sur les constatations déjà établies selon lesquelles les mesures de contrainte sont structurées et légitimées par le juge de l’exécution, de telle sorte que la contrainte ne s’insère nullement dans le modèle de la vengeance privée mais dans celui de la justice privée. Le justiciable victime étant le titulaire de ces mesures de contrainte, il n’est pas possible de conférer au mécanisme d’exécution des décisions le qualificatif de mode de justice publique. Néanmoins, ce qualificatif n’est pas important pour la confirmation d’une juridictionnalité du système mémorandaire. Il suffit que le processus d’exécution soit au minimum un processus de justice privée, c’est-à-dire un système dans lequel la contrainte est encadrée et légitimée par un mécanisme juridictionnel ou, mieux dit, un processus dans lequel le titulaire de la contrainte n’est pas livré à lui-même. Or, tel est bien le cas présentement dans la mesure où la date d’applicabilité et l’application effective de mesures de contrainte à l’encontre du défendeur sont soumises au juge de l’exécution si les parties ne parviennent pas à un accord dans les délais stricts qui leur sont impartis.

Au surplus, il faut noter que cette justice privée est le degré minimal du modèle de justice caractéristique du système mémorandaire car ce dernier organise préalablement à l’application de mesures contraignantes appliquées par la victime une contrainte de nature plus politique, ces mesures n’en étant que l’aboutissement. L’Etat soumis à l’obligation d’exécuter n’est donc pas seulement confronté à l’Etat victime mais subit une pression de la part de la communauté des Membres de l’OMC. Il faut ajouter à cette pression la collectivisation relative des mesures de contrainte fondée, d’une part, sur le système du consensus négatif et la juridictionnalité du processus d’exécution légitimant le recours à la contrainte par la collectivité des Membres et, d’autre part, sur la pratique relativement courante d’une pluralité de plaignants. Ainsi, la contrainte est publicisée de telle sorte qu’elle n’est pas exactement caractéristique du modèle de la justice privée mais qu’elle tend vers la détermination d’une justice publique.

Par conséquent, loin de susciter des doutes sur la réalité d’un mécanisme contraignant d’exécution capable de constituer un processus d’exécution complet, et ce du fait de son incarnation particulière, la contrainte mémorandaire de l’exécution est une dernière confirmation de la juridictionnalité du système mémorandaire. Elle parachève cette juridictionnalité en conférant par sa seule présence un caractère novateur, dans le paysage des juridictions internationales, au système mémorandaire. Celui-ci se caractérise par sa juridictionnalité subliminale révélée, et par le Mémorandum, et par le comportement des acteurs de ce système.

Notes
2050.
H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 238. Ce raisonnement est explicité dans la dernière Section du Chapitre précédent.
2051.
Se reporter à la Section consacrée à la force exécutoire (Section 2 du Chapitre précédent).
2052.
Ibid.
2053.
M. Virally, « Sur la prétendue ‘primitivité’ du droit international », in Le droit international en devenir, op. cit., pp. 93-94.
2054.
P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 515.
2055.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 929.
2056.
Voir en particulier : M. Virally, « Sur la prétendue ‘primitivité’ du droit international », Recueil de travaux, publié à l’occasion de l’Assemblée de la Société suisse de juristes à Genève, du 3 au 5 octobre 1969, (mémoires publiés par la Faculté de Droit de Genève, N° 27) Librairie de l’Université Georg & Cie, Genève, 1969, pp. 201-213 ; M. Virally, « Un tiers droit ? Réflexions théoriques », Le droit des relations économiques internationales. Etudes offertes à Berthold Goldman, Litec, Paris, 1982, pp. 373-385 ; J. Touscoz, Droit international, P.U.F., coll. Thémis Droit Public, Paris, 1993, pp. 52-58 ; P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 929-1034.
2057.
Cette définition reprend le propos tenu par MM. Daillier et Pellet, in P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 929. Cependant, elle ne fait que s’inspirer de celle donnée par ces éminents auteurs, car ces derniers considèrent en réalité la contrainte comme « toute forme de pression autre que le recours à la force, d’une gravité suffisante pour pouvoir infléchir la décision de la personne physique (représentant de l’Etat) ou de la personne morale (l’Etat même) auxquelles cette pression est appliquée » ; et cette définition particulière est entièrement tournée vers la distinction entre la contrainte et le recours à la force, la première étant définie par opposition au second. Or, cette démarche n’est pas celle qui anime le présent propos axé davantage sur la fonction de confirmation d’une juridictionnalité que sur la fonction de caractérisation du « cadre juridique des relations internationales » (pour reprendre le titre général choisi par ces auteurs, p. 735). Aussi la définition présentement formulée ne peut-elle aller au-delà de la seule inspiration, dans la mesure où il n’est pas ici question de traiter de la pacification générale des relations interétatiques ou encore de la réalité du recours à la force mais bien plus modestement de constater une contrainte susceptible de permettre l’exécution effective des décisions rendues dans le cadre du règlement des différends organisé par le Mémorandum.
2058.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 933.
2059.
M. Virally, « Sur la prétendue ‘primitivité’ du droit international », in Le droit international en devenir, op. cit., p. 94.
2060.
H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 261.
2061.
Voir pour exemples : J. Charpentier, Institutions internationales, Dalloz, coll. Mémentos série droit public – science politique, 14ème édition, Paris, 1999, pp. 3-4 et 25-27 ; V. Pace, L’Organisation Mondiale du Commerce et…, op. cit., p. 225.
2062.
La conception rousseauiste du Contrat social fonde cette réflexion. Il serait peu pertinent de s’attarder présentement sur une telle conception somme toute classique et connue.
2063.
Voir pour exemples : J. Sette-Camara, « Les modes de règlement obligatoire », in M. Bedjaoui (rédacteur général), Droit international – bilan et perspectives, t. 1, Pedone Unesco, Paris, 1991, pp. 548-549. ; J. Charpentier, op. cit., pp. 3-4.
2064.
J. Combacau, S. Sur, op. cit., pp. 27-28.
2065.
La centralité de ces contre-mesures ne fait pas l’unanimité. Si MM. Combacau et Sur considèrent que la contre-mesure a tendance à regrouper, actuellement, d’autres mesures contraignantes comme les représailles ou encore les rétorsions, il faut préciser qu’aucune classification juridique unique et unanime n’est consacrée. Sur ce point, voir infra.
2066.
J. Combacau, S. Sur, op. cit., p. pp. 209-211. Voir pour un exemple d’une étude détaillée de ces contre-mesures, et en particulier le traitement de la problématique de leur définition, de leur fonction et de leur réglementation, pp. 209-218.
2067.
Ibid., p. 215.
2068.
Paragraphe 1.
2069.
Paragraphe 8.
2070.
Article 22 : 1.
2071.
Le mécanisme précis de ces négociations est prévu à l’article 22 : 2.
2072.
L’article 22, paragraphes 2, 6 et 7, organise le mécanisme de la suspension.
2073.
Article 22 : 4.
2074.
Voir pour exemples : Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », op. cit., pp. 786-787 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends… », J.D.I. 3, 1997, p. 747.
2075.
En réalité, les instances recommandent que l’ORD demande à cet Etat de mettre en conformité son comportement avec le droit de l’OMC. Cette démarche n’est cependant que formelle dans la mesure où le système du consensus négatif présidant à l’adoption des décisions de ces instances transforme la recommandation en décision et écarte tout rôle décisionnel de l’ORD.
2076.
Voir pour exemples : Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », op. cit., pp. 776-791 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 709-755 ; G. Guibert, « L’Organisation mondiale du commerce (OMC), continuité, changement et incertitudes », op. cit., pp. 805-819 ; V. Pace, L’Organisation Mondiale du Commerce et…, op. cit., pp. 195-261.
2077.
Ces conditions sont prévues à l’article 21 : 6.
2078.
Le choix de considérer des « mesures contraignantes » est fondé sur un souci de clarté et de précision. En effet, cette expression est un terme générique qui regroupe, par exemple, les contre-mesures, les mesures de rétorsion ou encore les mesures de représailles, toutes n’étant pas synonymes. Toutes ces mesures de contraintes ont une acception plus large que celle des seules mesures contraignantes d’exécution d’une décision juridictionnelle dans le cadre d’une organisation internationale. Voir un exemple d’étude détaillée de ces « techniques de mise en œuvre du droit international » in J. Combacau, S. Sur, op. cit., pp. 209-216. Voir également P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., pp. 954-962. L’absence d’unanimité de la catégorisation de toutes ces mesures peut d’ailleurs se supposer par l’observation des variations de traitement des rétorsions et autres contre-mesures par ces deux manuels de droit international public. L’objectif étant présentement de rechercher l’application d’une contrainte au sein du système mémorandaire et non de contribuer à l’étude générale de ces « techniques de mise en œuvre du droit international », il n’est pas nécessaire d’entrer dans le débat de la catégorisation juridique de ces techniques. Aussi le simple choix de ne désigner que par l’expression « mesures contraignantes » les compensations et les suspensions prévues à l’article 22 du Mémorandum semble-t-il pertinent. De même, les termes « contre-mesures » et « rétorsions » seront présentement employés avec la plus grande prudence, contrairement à la plupart des études doctrinales consacrées au système mémorandaire qui ne semblent pas sensibles à l’absence d’une définition et d’une catégorisation indiscutables et n’hésitent pas à employer ces termes sans doute à la fois trop précis et trop vagues.
2079.
Il s’agit, au 26 juin 2003, de l’affaire DS34. Voir plus particulièrement le document WT/DS34/13 faisant état de cette compensation. Se reporter également au bilan, dressé par le Secrétariat de l’OMC, de l’état d’avancement des rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel adoptés, in l’» état des différends soumis à l’OMC », document WT/DS/OV/14, point VI. Cette constatation doit être relativisée par la considération de compensations qui ne sont pas formellement signifiées aux organes de l’OMC mais qui restent fort peu nombreuses, comme par exemple dans les affaires DS 8, 10 et 11 ou encore DS56, comme signalées in H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution dans le règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 2000 n°3, p. 633, note 59.
2080.
Voir pour exemple l’intitulé du document WT/DS103/14. Ce qualificatif est souvent, en pratique, celui de la procédure considérée, même si quelques variations peuvent exister.
2081.
Au 26 juin 2003, 12 affaires distinctes ont vu se concrétiser un tel accord entre parties concernant les procédures des articles 21 et 22. Voir pour exemples les documents WT/DS34/13, WT/DS103 et 113/14 et WT/DS103 et 113/24, WT/DS108/12, WT/DS141/11 et WT/DS155/12. Aussi cette pratique n’est-elle pas marginale puisqu’elle concerne au total environ une affaire sur cinq ayant fait l’objet d’un rapport adopté du groupe spécial et éventuellement de l’Organe d’appel. S’il est encore trop tôt pour parler de généralisation, il faut quand-même constater une certaine augmentation progressive du recours à cette pratique toujours actuelle.
2082.
H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., p. 645. Se reporter pour une étude détaillée et fort pertinente de la problématique de l’articulation des procédures mémorandaires à ce même Article, pp. 642-645.
2083.
Ces accords de « mémorandum » ne prévoient pas, en général, le recours à la compensation mais seulement la possibilité d’une procédure de suspension. Il reste que compensation et « mémorandum » ne sont pas incompatibles, comme le prouve l’affaire DS34 qui est la seule dans laquelle des compensations ont pu, jusqu’à présent, être convenues et qui a vu l’élaboration d’un tel « mémorandum ».
2084.
Article 22 : 2.
2085.
Ibid.
2086.
Le recours à la suspension n’est pas automatique mais bien d’initiative unilatérale. D’ailleurs, dans certaines affaires, la fin du délai raisonnable n’est pas suivie de l’enclenchement d’une procédure au titre de l’article 22, et ce malgré le défaut d’exécution de la décision initiale par le défendeur. Il faut supposer que le plaignant considère que l’exécution effective est en bonne voie et ne nécessite pas d’être soumise à une contrainte supplémentaire. Voir pour exemple l’affaire DS56.
2087.
Comme le prévoit l’article 22 : 6, « l'ORD accordera, sur demande, l'autorisation de suspendre des concessions ou d'autres obligations dans un délai de 30 jours à compter de l'expiration du délai raisonnable ».
2088.
L’application du mécanisme du consensus négatif à la décision d’autorisation de la suspension est prévue à l’article 22 : 6 qui dispose que « l'ORD accordera, sur demande, l'autorisation de suspendre (…), à moins qu'il ne décide par consensus de rejeter la demande ».
2089.
Article 22 : 2.
2090.
Voir pour détails les paragraphes 6 et 7 de l’article 22.
2091.
Au 26 juin 2003, la volonté exprimée du plaignant de suspendre des concessions ou autres obligations conformément à l’article 22 : 2 a toujours déclenché en réaction une demande d’arbitrage au titre de l’article 22 : 6 formulée par le défendeur. Si cet arbitrage a pu parfois être ineffectif (voir pour exemple l’affaire DS18) ou suspendu (voir pour exemple l’affaire DS103 et 113), aucune suspension concrètement appliquée ne l’a été sans qu’une décision arbitrale n’ait été au préalable formulée sur ce point. Cette constatation ne prend pas en considération le cas unique de compensations effectives de l’affaire DS34.
2092.
Voir sur ce point l’article 22 : 6.
2093.
Ce délai est, conformément à l’article 22 : 6, de « 60 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration ».
2094.
La suspension de l’arbitrage est toujours convenue entre les parties. Voir pour exemples les documents WT/DS103 et 113/24, WT/DS108/18, WT/DS136/18 et 162/21, et WT/DS160/22. Cette convention est même parfois prévue par avance dans les accords que passent les parties concernant des procédures au titre des articles 21 et 22 (voir pour exemple le document WT/DS103/14, p. 3, paragraphe 9).
2095.
Voir sur ce point le paragraphe 7 de l’article 22.
2096.
L’article 22 : 7 prévoit explicitement une telle autorisation et un tel mécanisme de décision à l’issue du prononcé de la décision arbitrale, et ce « dans les moindres délais ».
2097.
Le terme de « sanction » est communément employé comme un terme générique désignant toute mesure prise à l’encontre d’une entité, que cette mesure soit une rétorsion, une coercition, des représailles ou encore, par exemple une peine. Cependant, cet emploi générique ne peut être présentement consacré du fait de son imprécision. Il lui est ici préféré le sens strict de la sanction qui est la mesure civile ou pénale réprimant des agissements passés et achevés considérés comme contraires à un ordre juridique établi.
2098.
Comme le souligne Mme Chemillier-Gendreau, l’usage de l’expression « sanctions commerciales » est impropre (in « La notion de sanction en droit international », in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser, Presses Universitaires de Grenoble, 1995, p. 124). Pour étude détaillée de la sanction en droit international, voir ce même Article, pp. 115-126.
2099.
J. Combacau, S. Sur, op. cit., p. p. 211. Ces contre-mesures ne sont que des exemples eux-mêmes puisés dans une illustration doctrinale les traitant.
2100.
Article 22 : 4.
2101.
Article 22 : 1.
2102.
Article 22 : 8. Cette disposition ne concerne en réalité que la suspension et non la compensation. Cela ne signifie par pour autant que cette dernière n’est ni temporaire ni calquée sur l’évolution de l’exécution de la décision initiale. En effet, la compensation est « temporaire » au même titre que la suspension, d’après l’article 22 : 1. De plus, elle est volontaire puisque négociée entre les parties et il faut croire qu’un accord sur ce point ne pourra être trouvé que si la compensation est bien compensatoire et ne dure que jusqu’à la mise en œuvre effective de la décision initiale. Le défendeur n’aura, en effet, aucun intérêt à accepter de délivrer une compensation plus durable à partir du moment où l’échec des négociations mènerait à l’imposition de suspensions qui, elles, sont clairement temporaires et limitées par la mise en œuvre effective, du fait même du Mémorandum. L’imprécision de l’article 22 : 8 sur la délimitation temporelle de la compensation est aisément explicable par la nature volontaire de cette mesure et par le souci de laisser aux parties la liberté la plus grande dans le contenu de l’accord qu’elles pourraient trouver sur la fixation de compensations.
2103.
Article 22 : 1. Voir dans le même sens le paragraphe 2 de cet article 22.
2104.
Voir sur ce point l’article 22 : 2.
2105.
Ibid.
2106.
Voir sur ce point l’article 22 : 6.
2107.
Ibid.
2108.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 934.
2109.
Cette connotation ne peut, certes, pas se transformer systématiquement en une identité entre contrainte et dédommagement. Cette identité n’est pas forcément souhaitée, et même à supposer qu’elle le soit, elle nécessiterait plus concrètement un mécanisme d’évaluation rigoureux qui n’est pas simple à obtenir. Cependant, l’idée de dédommagement n’est pas étrangère à la contrainte dans la mesure où cette contrainte peut être exercée par l’Etat victime et que ce dernier en retirera des « bénéfices » pour son compte propre.
2110.
Tous les paragraphes de l’article 22 parlent de « concessions ou d’autres obligations ».
2111.
Voir en particulier : Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », op. cit., pp. 786-787 ; H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., pp. 632-634 ; H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », J.D.I. 3, 1997, pp. 747-748.
2112.
L’existence de ces rétorsions croisées est communément établie et cette expression est couramment utilisée. Voir pour exemple la bibliographie de la note précédente. Il reste que l’emploi de cette expression est discutable dans la mesure où la rétorsion n’est pas l’exact synonyme de la mesure contraignante et où sa définition subit souvent quelques variations. Aussi la caractérisation de « rétorsions » n’est-elle pas satisfaisante en théorie ; elle est cependant fort pertinente dans le but d’expliciter le fonctionnement du système mémorandaire et c’est pour cette seule raison pragmatique qu’elle peut être présentement utilisée.
2113.
H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., p. 633. Voir sur ce point l’article 22 : 3 d).
2114.
Voir sur ce point l’article 22 : 3 e).
2115.
Voir sur ce point l’article 22 : 7.
2116.
Ibid.
2117.
Article 22 : 7.
2118.
Article 22 : 3 a).
2119.
Article 22 : 3 b).
2120.
Article 22 : 3 c).
2121.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends… », J.D.I. 3, 1997, p. 748.
2122.
G. Marceau, « Table ronde – La Communauté et l’organisation mondiale du commerce » (Participation à la), in Société Française pour le Droit International, Droit international et droit Communautaire, perspectives actuelles, Colloque de Bordeaux, Pedone, Paris, 2000, pp. 422.
2123.
Article 22 : 4.
2124.
Article 22 : 7. Pour les raisons précédemment évoquées, la compensation ne fait pas présentement l’objet d’un traitement particulier quant à son niveau. Etant volontaire mais sous la menace de la suspension, la compensation aura un niveau inférieur ou égal à cette équivalence entre le niveau de la suspension et le niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages. En effet, si les parties peuvent en théorie parfaitement convenir d’un niveau supérieur à cette équivalence, elles s’y refuseront en pratique car l’Etat soumis à cette mesure préférera que les négociations échouent et que lui soit appliquée cette équivalence, au besoin imposée par la voie de l’arbitre que ce même Etat peut unilatéralement saisir.
2125.
H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., p. 634.
2126.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends… », p. 746.
2127.
H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., p. 607. Voir dans le même sens Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », op. cit., p. 789.
2128.
Se reporter en particulier au paragraphe 8 de l’article 22.
2129.
Article 22 : 1.
2130.
H. Ruiz Fabri, « Le contentieux de l’exécution… », op. cit., p. 607.
2131.
Affaire DS26 et 48.
2132.
Voir sur ce point le compte-rendu de la réunion de l’ORD du 28 avril 1999, pp. 4-7.
2133.
Voir pour une étude détaillée de cette affaire dans le cadre de la problématiquede l’inexécution pérenne V. Pace, « Cinq ans après… », op. cit., pp. 640-642.
2134.
Il s’agit des affaires DS27, DS34 et DS46.
2135.
Il s’agit des affaires DS108 et DS222.
2136.
Au 26 juin 2003, sur 71 examens de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel terminés, seuls 7 décisions concernant 6 affaires distinctes ont abouti à l’application de compensations (1) ou de suspensions (6).
2137.
Il suffit, pour se persuader de ce gigantisme de consulter les décisions des arbitres de l’article 22 : 6.
2138.
J. Combacau, S. Sur, op. cit., p. 27.
2139.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends… », J.D.I. 3, 1997, p. 748.
2140.
Ibid., p. 748.
2141.
P. Daillier et A. Pellet (N. Quoc Dinh †), op. cit., p. 907. Se reporter à cette même référence pour une étude plus détaillée de l’exécution forcée des décisions de la CIJ.
2142.
Voir pour exemple l’affaire DS27.
2143.
V. pour ex. les affaires DS136 et 162 et DS160.
2144.
V. pour ex. la décision arbitrale WT/DS27/ARB/ECU.
2145.
H. Ruiz Fabri, « Le règlement des différends… », J.D.I. 3, 1997, p. 747. Se reporter pour une illustration éloquente de ces « effets pervers » la note 94, pp. 747-748.
2146.
Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », p. 790.
2147.
Voir pour exemples : Y. Renouf, « Les mécanismes d’adoption… », pp. 776-791 ; V. Pace, « Cinq ans après… », op. cit., pp. 615-658.