IV.1. Phases des mouvements graphiques

L'environnement avoisinant est offert à l'observation du bébé dès les premiers jours. Les objets sont soumis à ses manipulations à partir du troisième mois. Plus tard, le bébé commence à apercevoir les traces engendrées par ces objets et à en produire par lui-même. Par l'intermédiaire des mouvements de balayage (Lurçat, 1970), il produit les premières traces vers dix huit mois. Il griffonne tant que son corps entier ne sera pas investi dans l'activité graphique. Toutefois le gribouillis désordonné et chaotique représente pour l'enfant une source de fascination, de plaisir et de joie.

La notion de griffonnage regroupe «une quantité de manifestations graphiques qui diffèrent de forme et de signification, et dont les différences sont dues à des facteurs individuels et évolutifs» (Oliverio Ferraris, 1977, p. 19). Plus tard, apparaît la diversité dans les mouvements et les lignes qui prennent des formes verticales et horizontales. Le griffonnage devient circulaire et angulaire. Le développement progressif du système moteur favorise l'examen des tracés et, par conséquent, le contrôle des gestes. Le contrôle s'accentue vers trois ans et laisse apparaître des dessins en spirales et des cercles multiples. A cette période, l'enfant commence à attribuer des noms aux gribouillis et parfois même des significations puisées dans son environnement extérieur. Le signe et la fonction symbolique des objets sont d'ores et déjà introduits dans le processus graphique. Le griffonnage (3 ans) prend des significations croissantes du fait qu'il commence à traduire et à représenter des sensations internes vécues avec intensité. Certains auteurs évoquent une «intention de représentation» (Ferraris Oliverio, 1977, p. 22) où l'enfant cherche (3-4 ans) à représenter quelque chose, généralement une personne, à partir d'éléments réduits et schématiques. La pauvreté figurative est due non seulement à l'insuffisance psychomotrice ou à l'absence des techniques, mais également à «l'image que l'enfant de cet âge se fait de son corps, image dont le dessin est la projection.» (Ferraris Oliverio, 1977, p. 35). La représentation du carré - nécessitant le passage par quatre points d'arrêt et d'accrochage - entraîne celle des figures pareilles aux ébauches de maison ou de soleil. L'enfant parvient ensuite à reproduire des figures humaines schématisées. Avec l'apparition de ces dernières, le griffonnage disparaît relativement et la phase figurative ou le schématisme voit le jour.

L'enfant accorde une importance énorme au visage qui exerce une attraction sur lui d'où l'ampleur que prend le dessin du visage du bonhomme, le «céphalopode». A quatre ans et demi, l'enfant réalise une ébauche du tronc humain. A cinq ans le bonhomme devient reconnaissable et s'enrichit davantage vers six ans. L'enrichissement progressif des dessins est favorisé par le schéma mental que se fait l'enfant de son propre corps et qui se complète progressivement. Plus tard, la maturité du schéma mental conduit l'enfant à la réalisation de profil pour ensuite parvenir à tracer un portrait. L'autonomie croissante du geste dépend non seulement du contrôle moteur mais aussi du «contrôle idéatoire et émotionnel». (Raffier-Malosto, 1996, p. 21). Jusqu'à cet âge, l'enfant dessine ce qu'il sait des objets : d'une part, il néglige des éléments visibles et d'autre part, il accorde son intérêt à d'autres éléments invisibles, cependant importants pour lui.

Après cinq ou six ans, l'observation de la réalité devient plus aiguisée sous l'influence de la culture «euclidienne» où l'enfant prend conscience des inconvenances apparentes dans ses figures. Ainsi Il commence, d'une part, à dessiner ce qui est visible d'un point de vue donné et, d'autre part, à tenir compte des proportions métriques des objets et de leur disposition selon un point d'ensemble (Piaget & Inhelder, 1981). Dès lors, la structuration spatio-temporelle des paysages devient possible. L'apparition des paysages marque un point important de l'évolution graphique et psychologique, prouvant une capacité d'organisation et d'intégration. Cette évolution dévoile le passage d'un vécu global à un vécu intégratif (Oesterrieth, 1976). Du monde perçu comme une collection d'éléments isolés, l'enfant accède à la perception du monde composé d'un ensemble d'éléments en relation entre eux du fait de leur localisation dans un espace commun. Dès lors, et dans ses représentations, l'enfant n'est plus un observateur mais un élément de l'environnement. La structuration spatiale et, parallèlement à elle, la structuration temporelle font jour. Les objets ainsi que les personnes prennent place dans le paysage entre la ligne de sol et la ligne de ciel. Les représentations se multiplient - en élévation, en profil - et les points de vue se montrent différents jusqu'à l'incompatibilité visuelle. Par la présentation de ce qu'il voit, l'enfant abandonne le réalisme intellectuel et accède à la phase du réalisme visuel (Luquet, 1991).

Entre 10 et 12 ou 14 ans, l'enfant consolide son réalisme visuel et marque ainsi la phase terminale du dessin d'enfants avec ses particularités et ses aspects insolites. A l'époque où le dessin perd de sa spontanéité, Aubin (1977, p. 18) évoque une «curieuse régression» ou plutôt une «détérioration» du dessin spontané.

S'étant intéressée aux dessins du bonhomme et de la maison chez les enfants, Royer (1995) en a relevé les caractéristiques, les perfectionnements et les différences marqués par le sexe et l'âge. Elle a schématisé l'évolution du dessin par cinq stades caractérisant chacun une tranche d'âge déterminée : préliminaire (3 ans), éparpillé (4‑5ans), localisé (6‑8ans), temporalisé (9‑12 ans) et critique (12‑13 ans).

En guise de récapitulation, signalons que la représentation graphique est sujette à l'influence d'un ensemble de facteurs tels que l'appareil moteur et la perception. Cette dernière est basée sur deux processus fondamentaux : l'identification et la différenciation (Vurpillot, 1972). Le processus d'identification explique le fait que l'attention de l'enfant et son choix soient portés sur les points de ressemblances dans ses figurations entre l'objet et le schéma mental. Ainsi, il identifie certains objets par des formes et des attributs constants et formels. Cependant, par le processus de différenciation, il est aussi attiré par les différences entre les objets et les situations perçus par rapport aux objets et aux situations connus.

Sous l'influence de l'identification et de la différenciation, l'enfant parvient à présenter uniquement quelques aspects de la réalité des objets. Il s'agit plus particulièrement de ses besoins et de son affectivité(Ferraris Oliverio, 1977). Le dessin devient une double réflexion des deux aspects voire une projection d'un élan intérieur. Les besoins, l'affectivité et les désirs s'infiltrent dans la rêverie comme dans le rêve. Ils fournissent à l'individu ce que la réalité n'accorde pas et, par conséquent, l'incitent à conquérir de nouveaux domaines par l'imaginaire.