I. Symbolique du foyer

La symbolique sociale, intime et personnelle du foyer et de ses environnements fait l'objet d'une multitude d'études théoriques aussi bien que pratiques. La maison constitue, pour l'homme, le «ventre protecteur» et la «sécurité primordiale» (Kaufmann, 1989). Elle représente son berceau, sa citadelle et son cosmos. Elle est l'une des grandes puissances d'intégration pour les pensées et les souvenirs (Bâchelard, 1970) alimentant, par conséquent, les rêves de l'homme et ses rêveries (Noschis, 1983). Même habitées au passé lointain, les maisons s'éternisent impérissables en tout être humain à travers sa mémoire et ses souvenirs. Elles abritent les souvenirs humains transformant ainsi caves, greniers, coins ou couloirs en refuges, selon Bâchelard.

Apprivoisée, la maison devient un lieu chargé affectivement et susceptible de véhiculer des significations, des images et des symboles. Ceux‑ci se rattachent au contexte socio-familial, à la structure architecturale, à l'identité et au self. C'est autour et par rapport au Moi, «centre du monde», que «s'organisent toutes choses, s'échelonne le monde en coquilles successives perspectives subjectives» (Moles & Rohmer, 1972, p. 8). Il s'agit du monde environnant, sphère imaginaire séparatrice du monde extérieur.

Le foyer est merveilleusement analysé sous l'angle de l'investissement psychologique qui lui est inhérent. Il est «le reflet de la vie des hommes, de leur effort physique, de leur peine, de leur état social, de leur degré d'évolution» (Deffontaines, 1972, pp. 9‑10). Il constitue, par conséquent, une «intensité, une affectivité, un être dont les éléments matériels, meubles, équipement sont la parure seulement» (Ekambi-Schmidt, 1972, p. 25). Ainsi, il condense en lui une multitude de symboles personnels, sociaux et physiques (Sixsmith, 1986). Le foyer devient, de ce fait, une «entité multidimensionnelle définissant et définie par des facteurs culturels, sociodémographiques, psychologiques, politiques et économiques.» (Lawrence, 1987, p. 155).

Malgré leurs diversités, les approches identifient des objets évocateurs du self et de l'identité des résidents, dans le foyer aussi bien que dans ses environnements. Planifiés, construits, manipulés et décorés, ces objets expriment la classe sociale des habitants, les traits de leur personnalité, leurs préférences artistiques aussi bien que leurs histoires résidentielles. Par l'usage du système symbolique des objets, les individus se construisent un autoportrait établissant ainsi ou améliorant leur propre image au regard d'autrui (Sadalla, Vershure & Burroughs, 1987). Ainsi les symboles interviennent dans le renforcement / perfectionnement aussi bien que dans la modification de l'image de soi, voire de l'identité de l'habitant. De par sa fonction symbolique, le foyer se transforme en lien et en lieu de médiation, incarnant les divers aspects de la personnalité (Rapoport, 1982). Il représente simultanément un aveu du soi et une révélation de l'identité (Cooper, 1974).

L'exploration de la manière selon laquelle les individus conceptualisent et catégorisent leur habitat fait ressortir plusieurs catégories. Celles-ci reflètent non seulement le style architectural, mais aussi les caractéristiques personnelles et sociales du foyer et des propriétaires. Ainsi, des lieux divers seraient susceptibles de prendre la valeur d'un foyer au regard de certains individus. Le foyer est transitoire pour les uns, cependant stable et permanent pour les autres. Sixsmith a dressé une liste de 19 catégories de lieux considérés comme foyers par les sujets tels que la maison familiale, la maison de campagne, la maison des amis, la maison de l'enfance, la maison partagée des amis ou des parents, la chambre individuelle, la maison de l'avenir, la halle de la résidence, aussi bien que le campus universitaire et le centre ville (Sixsmith, 1986, pp. 271‑296).

Nombreuses sont les populations à établir des analogies entre l'habitat et les organes du corps. Evoquons à juste titre les Esquimaux en Arctique où prend place l'analogie entre l'habitation et l'utérus (Paul-Lévy & Segaud, 1983, p. 57). En Kabylie, le pilier principal de la maison - tronc d'arbre - est identifié à l'épouse. Les Kabyles usent aussi fréquemment d'un proverbe qui dit : »La femme, c'est les fondations, l'homme la poutre maîtresse» (Paul-Lévy & Segaud, 1983, p. 201). Rappelons également le cérémonial religieux précédant ou accompagnant la fondation de la maison aussi bien que les rituels d'inauguration. A titre d'exemple, Dans la région de Puna, sur le haut‑plateau argentin, les rites d'inauguration nécessaires avant l'habitation d'une maison prennent la forme d'une fête organisée par le propriétaire (Bugallo, 1999, p. 62-76). Il s'agit d'un rituel inaugural composé de deux parties : la «challada» et la «flechada». La «Challada» est basée sur la présentation des offrandes (mélange de boissons et d'herbes) à la terre pour remercier, demander la protection et attirer les esprits bénéfiques. Quant à la «flechada», elle nécessite le recours aux œufs qui doivent être, au préalable, attachés avec de la laine rouge au plafond de la pièce principale. Les participants lancent des flèches pour percer les œufs dont le contenu coule jusqu'au sol en terre battue. L'objectif est que cette offrande alimentaire puisse être reçue par la maison et par la terre (Bugallo, 1999). Rappelons, à ce propos, que tout habitat est profondément marqué par la dualité des éléments de structuration, de séparation et de délimitation de l'intériorité par rapport à l'extériorité (Fischer, 1981), du profane et du sacré. Cette démarcation séparatrice est matériellement symbolisée par une diversité d'éléments et d'objets dont nous signalons à titre d'exemple les murs et les ouvertures.