II.1. Centralité et continuité

En introduisant le concept de «centralité» dans la relation de l'individu à ses cadres physiques, Relph (1976) marque, par conséquent, l'importance centrale de l'habitat comme «home». La “centralité” de l'habitat englobe plusieurs acceptions dont celle du «chez soi» (Altman, 1975). Le chez soi, point central, représente ce territoire primaire où les usagers exercent un contrôle permanent. Le foyer acquiert aussi la qualité d’être une base d’activités en tant que centre géographique et physique (Hayward, 1977) d’où s’effectue le départ et vers où l’arrivée a lieu. Relph (1976) mentionne le fait que la centralité et l'enracinement représentent tous deux des processus inconscients. L'identité du lieu serait fonction du degré de centration des activités importantes dans la vie d'une personne dans et autour du foyer, à savoir du home (Buttimer, 1980).

Tuan (1980) évoque les difficultés de l'aboutissement à l'expérience de centralité et d'enracinement, plus particulièrement, dans les sociétés contemporaines. Il explique les contretemps par le déficit de curiosité envers le monde d'une manière générale et par l'inconscience du temps qui coule, en particulier. Les modes de centralité s'avèrent multiples (Ledrut, 1973) et confèrent au chez soi des abords fonctionnels, topologiques et affectifs (Gaster, 1991; Jay-Rayon, 1985).

Le sentiment du chez soi développe les sentiments de continuité, de stabilité et de durée au-delà du temps et de l'espace. Ainsi, l'expérience de continuité renforce le sentiment de sécurité (Fischer, 1983) lié à l’expérience du foyer. La sécurité représente, d'ailleurs, la qualité la plus mentionnée par de jeunes enfants concernant l'environnement de leur foyer (Sebba & Churchman, 1986). Entretenir et maintenir des liens au foyer procure un sentiment de continuité de l'image de soi et de l'identité(Guiliani, 1991 ; Lalli, 1992). Dans la mesure où l'expérience de continuité est permanente, elle serait inhérente au foyer mais nullement au logement et marque de ce fait la différence entre les deux espaces (Tognoli, 1987). La continuité de l'image de soi dans l'environnement est désignée par les notions de «continuité du lieu» et «congruence du lieu» (Feldman, 1990).

  • Le concept de «congruence du lieu « met en valeur les caractéristiques spatiales génériques et transférables d'un endroit à un autre.
  • Tandis que «la continuité du lieu» évoque l'idée de continuation à travers des lieux spécifiques ayant des significations émotionnelles. Ainsi, les liens psychologiques au foyer seraient susceptibles de survivre aux changements et à la mobilité résidentielle, de se généraliser et de s'étendre à d'autres types d'habitation.

Dans ce cadre, est introduit le concept de «l'identité d'implantation», [«settlement identity»] (Feldman, 1990, 1996). Cet auteur considère qu'à travers une implication satisfaisante et continue dans un lieu, les individus développent des idées, des sentiments, des valeurs et des comportements qui rapprochent l'identité d'un individu d'un type d'implantation. Ceci permet à l'individu de prévoir des dispositions futures qui favorisent l'engagement dans un type déterminé d'implantation. D’autres éléments de continuité interfèrent dans l’attachement social au lieu tels que l’environnement historique du lieu et les traditions locales (Gustafson, 2001).

Fried (1963)évoque l'absence de continuité chez des résidents de faibles revenus. Ces individus sont perpétuellement exposés au risque des déménagements imposés, brutaux et involontaires. Le manque de continuité est aussi fréquemment associé aux placements et déplacements insatisfaisants et continuels auxquels sont exposés les enfants en absence d'un lieu d'accueil stable (Anaut, 1991 ; Bettelheim, 1970 ; Verdier, 1992). De son côté, Sixsmith (1986) souligne le sentiment de confiance accompagnant l'expérience de continuité du foyer. Irréductible au foyer, cette expérience est susceptible de s'étendre aux environnements résidentiels (Hayward, 1977),voire au quartier, à la région et à la ville(Lalli, 1992).