II.6. Ordre

Une des propriétés du chez soi réside dans «l'ordre», à savoir un triple «ordre» : spatial, temporel et socioculturel. (Dovey, 1995). L'ordre spatial règne au centre des rapports homme - environnement où se distingue l'espace conçu de l'espace vécu. Etant abstrait, le premier espace marque l'opposition avec le second, d'ailleurs concret et, qui traduit une expérience entièrement physique et corporelle. Ainsi, le concept du «chez soi» semble être enraciné dans le mouvement du corps selon trois types de structures.

  1. La «structure triaxiale» du corps humain où s'effectuent les distinctions fondamentales de la gravité, de l'horizontalité et de la verticalité (Lévi‑Strauss, 1977).
  2. La «structure des activités» humaines et de leurs mouvements (Piaget, 1955).
  3. La «structure du monde» fortement différent dans sa géographie (Heidegger, 1971).

Les rapports de l'homme à ses espaces habités sont aussi régis par une orientation temporelle. La fréquence et la répétition des rapports rendent cet ordre familier, voire inconscient. Ce sentiment de familiarité est enraciné dans la routine physique des lieux. Il leur défère, par conséquent, un aspect prédictible. Rappelons aussi que l'expérience du chez soi s'enracine dans l'enfance où se construisent les représentations du foyer. A cet égard, Cooper‑Marcus (1992) évoque les liens entre, d'une part les expériences passées et d'autre part, les attitudes environnementales et les préférences exprimées ultérieurement, voire à l'âge adulte.

Le concept du dedans versus dehors s'applique de plus en plus aux rapports entre les individus et les espaces (Relph, 1976). Les formes à travers lesquelles se manifeste l'ordre spatio-temporel sont socioculturelles. Les croyances culturelles, les pratiques sociales, les modèles particuliers aussi bien que les rituels des expériences environnementales et comportementales représentent tous des phénomènes socioculturels. Le «chez soi» prend corps dans un ordre spatio-temporel dont le contexte est socioculturel. Les repas par exemple, tout en étant une activité commune aux sociétés, affichent des différenciations dans les manifestations temporelles et spatiales en fonction des modèles culturels. L'ordre spatial s'intéresse aux positions adéquates, aux endroits favorables; aux personnes présentes et à la place de chacun. L'ordre temporel respecte les rituels, les moments, la durée, les calendriers et les priorités (Lawrence, 1982). Le foyer révèle des différences culturelles liées au décor (design), aux apparences extérieures, aux significations et à l'usage de l'habitat. Ces différences reflètent les conventions et les valeurs culturelles et sociales (Lawrence, 1987). Ayant étudié les dimensions culturelles du foyer dans des sociétés différentes, Lawrence cite comme exemple l'usage de la cuisine en Angleterre et en Australie. Dans le premier pays, la cuisine sert à faire la cuisine, à manger aussi bien qu'à laver le linge, tandis qu'en Australie, le lavage du linge se fait dans une pièce indépendante de la cuisine.

Ainsi, les modèles du chez soi orientent les individus et les familles dans le temps, l'espace et le contexte socioculturel. Le «chez soi» comme ordre social s'avère dynamique et affiche un caractère flexible du fait qu'il s'enracine non pas dans l'aspect bâti mais dans les modèles du vécu et du comportemental. Une des qualités essentielles du foyer consiste dans l'expression de soi et dans l'édification de l'identité personnelle (Tognoli, 1987).