III.2. Le foyer en tant qu'identité

Les lieux semblent liés à l'identité par deux moyens : l'identification au lieu et l'identité du lieu. L'identification au lieu traduit la manière selon laquelle une personne s'identifie à un endroit donné. Dans ce cas, l'endroit est considéré être une catégorie sociale. L'identité du lieu représente un autre aspect de l'identité comparable à l'identité sociale qui décrit la socialisation des individus avec le monde physique. S'alliant et s'associant aux propriétés physiques de l'habitat (Korpela, 1989), l'identité du foyer implique des liens affectifs d'attachement. De ce fait, le lieu prend son identité de l'usager qui, en retour, puise la sienne de l'habitat. Affectif et émotionnel, le foyer comme identité offre le bien‑être et la sécurité où l'usager «n'est vraiment bien que chez soi», [«home is where the heart is»]. En somme, un tel processus est généralement identifié par une ”quête d'identité entre une personne et son habitat” (Noschis, 1982, pp. 36). Il s'agit d'un rapport entre l'habitat offrant un modèle, et l'habitant éprouvant des tensions et des contradictions dans les rapports interpersonnels. Le concept d'identité se base sur une double dialectique : celle de la ”tension entre des liens qui, d'une part, se veulent stables et qui, en même temps, se modifient au cours du temps”, et celle d'une ”tension propre à l'habitant, qui a le sentiment de devenir ”un” avec son quartier et simultanément de s'en distancier, de s'en différencier” (Noschis, 1982, p. 37).

L'aspect personnel et l'aspect social de l'habitat s'avèrent indissociables. Ils reflètent d'une part, l'expérience personnelle authentique et, d'autre part, l'idéologie collective et universelle d'où ressort la métaphore entre le corps humain et la maison, corps métaphorique (Bâchelard, 1970). Dans la mesure où les limites corporelles établissent la séparation entre soi et les autres, les frontières du corps métaphorique, quant à elles, effectuent la distinction entre le «chez soi» et le «chez les autres». En Afrique Ouest, les maisons traduisent une corrélation entre les organes du corps et les diverses parties du foyer. Chez les «Atoni» de l'Indonésie, le plan de la maison est symboliquement conçu comme une Mandala où les points cardinaux se trouvent à la périphérie et le feu au centre. Le feu du foyer symbolise le feu du globe terrestre, en opposition symbolique avec le soleil, feu cosmique (Dovey, 1995, p. 41). Dans leur rapport symbolique, le feu privé (foyer) et le feu public (cosmos) relient le particulier à l'universel en établissant la connexion entre le microcosmos et le macrocosmos.

Le foyer représente cet espace où l'identité est continuellement évoquée en association avec le passé (Dovey, 1995, p. 42). Les expériences du monde, notamment celles du foyer portent leurs propres significations. Les espaces témoins de ces expériences s'imbibent aussi bien de sens que de souvenirs. L'environnement physique joue un rôle d'envergure - cependant inconscient - favorisant l'ancrage et la concrétisation de la mémoire à travers les associations. Par ailleurs, il facilite les interactions non seulement entre le présent et le passé, mais aussi entre les expériences et les souvenirs. Ceux - ci renforcent la construction des expériences actuelles du foyer lesquelles, en retour, jouent un rôle de protection, d'évocation et de réminiscence des souvenirs (Noschis, 1983). En tant qu'identité temporelle, le chez soi serait irréductible aux rapports du passé puisqu'il s'oriente au-delà du présent vers le futur. Il implique, donc, une certaine adaptabilité dynamique entre le passé et le futur. Il favorise, d'une part, les représentations et d'autre part, le développement dynamique et résistant de l'identité. Cet accès simultanément possible au passé et au futur à travers le présent, favorise chez les habitants une prise de conscience : être conscient de la capacité de «rester dans un espace unique et de le modifier permet par conséquent la construction de nos rêves» (Dovey, 1995, p. 43).

Afin d'évaluer l'identité sociale des propriétaires, les chercheurs ont recours au logement comme moyen de mesure. Le foyer représente un outil favorablement utilisé dans les performances de la présentation de soi (Sadalla, Vershure & Burroughs, 1987). Le choix de l'environnement résidentiel, les modifications, le décor aussi bien que l'arrangement spatial communiquent l'identité sociale des résidents. Les propriétaires peuvent - du fait même - exercer un contrôle considérable sur la quantité, la qualité et le type d'information qu'une audience peut recevoir. Ainsi, les attributs d'un foyer sont représentatifs de l'identité de ses habitants. Dans la plupart du temps, l'intérieur aussi bien que l'extérieur résidentiels communiquent l'information sur les divers aspects de l'identité des usagers.

Rappelons, de nouveau, que l'identité du lieu n'est pas limitée au foyer et qu'elle peut s'enraciner dans le rapport à d'autres espaces et prendre ainsi d'autres formes. Dans ce cadre, Marco Lalli (1992) introduit la notion de “l'identité urbaine”, [«urban‑related identity'«. L'identité urbaine résulte d'une ”association complexe entre la personnalité et l'environnement urbain” (Lalli, 1992, p. 294). Une des fonctions de l'identité urbaine consiste à effectuer la différenciation entre les résidents et les autres individus. Le sentiment du lieu nourrit la perception ”d'être différent” tout en étant cependant lié à la communauté urbaine. Il imprègne l'individu d'attributs spécifiques, associés à la ville en question. Ainsi, le sentiment d'être à sa place soutient le sentiment du ”nous” fournissant ainsi le confort et la sécurité du groupe social. La mesure de l'identité urbaine est basée sur cinq dimensions opérationnelles : l'évaluation externe, la continuité avec le passé personnel, la familiarité, l'engagement et l'attachement au lieu. (Lalli, 1992, pp. 294‑300). Toutefois, l'attachement au lieu se situe au centre de la définition de l'identité du lieu. Lié aux concepts de «l'appropriation» et des «souvenirs» (Korpela, 1989), l'attachement représente un ensemble de cognitions positives et négatives des cadres physiques.