IV.2. Intensité et modalités de l'attachement au lieu

L'attachement au lieu est susceptible de prendre des formes variées et de s'exprimer plus ou moins intensément. Le degré d'attachement à un lieu se traduit particulièrement par «un système d'identification au lieu»(Fischer, 1983, p. 41)dans lequel l'individu se déplace. Ainsi, les auteurs identifient des niveaux différents et tracent les traits caractéristiques en fonction de l'intensité. Rubenstein (1989) évoque quatre niveaux d'attachement aux lieux.

  1. Au niveau le plus faible, les individus font usage de leur «savoir» et de leur connaissance des lieux, pensent à eux sans toutefois en faire l'expérience émotionnelle.
  2. L'attachement 'personnalisé» s'applique aux individus évoquant les souvenirs des lieux devenus une partie intégrante de leurs expériences personnelles.
  3. Concernant l'attachement en extension, les lieux évoquent des souvenirs émotionnels et / ou deviennent des objets investis.
  4. Au plus haut niveau, l'attachement devient tellement «fort» que la distinction entre l'identité de l'individu et celle du lieu devient pratiquement irréalisable (Howell, 1983).

D'autres auteurs soulignent des attachements spécifiques au cadre de vie. Ceux‑ci sont basés soit sur des liens géographiques, [«geographic place dependance»] (Stokols & Shumaker, 1981), soit sur des liens génériques [«generic place dependence»] (McAndrew, 1992).

L'attachement géographique exprime un lien excessivement fort à un lieu spécifique tel que la maison, le centre ville, l'ancienne ville, etc. Tandis que l'attachement générique aux lieux se base sur le rapport à des espaces variés, cependant, présentant tous des caractéristiques identiques. Toutefois, l'attachement se manifeste au niveau individuel aussi bien qu'à des niveaux plus élargis.

L'attachement individuel (microsocial) a été examiné à des niveaux divers tel l'attachement des femmes au foyer (Ahrentzen, 1992), l'attachement des personnes âgées à leurs résidences (Rubenstein & Pamelee, 1992), ou encore l'attachement des enfants aux lieux (Chawla, 1992) et aussi l'attachement des individus aux différents aspects des paysages naturels et construits (Riley, 1992).

L'investigation de l'identité communautaire est issue de diverses disciplines particulièrement basées sur l'observation participante et l'entretien. Ces techniques permettent de présenter un aperçu des points de vue fondamentaux de la phénoménologie des significations et du sentiment communautaire au niveau macrosocial des populations, des ethnies et des communautés. Le sentiment du lieu affiche des intensités plus ou moins fortes. Il marque par conséquent des niveaux d'attachement oscillant entre le simple et le complexe. Dans une étude sur les migrants et les résidents de la presqu'île «Banks» en Nouvelle Zélande, Hay (1998) constate la graduation du sentiment du lieu où il identifie six échelons. Les niveaux faibles sont représentés par les «liens superficiels» et les «liens partiels». Ensuite, les liens «personnalisés» propres aux nouveaux résidents sans racines dans les lieux. Puis, les liens «ancestraux» des résidents nés dans les lieux et s'enracinant progressivement avec l'âge. Le plus haut degré est celui des liens «culturels» présents chez les indigènes résidents enracinés dans les lieux. Ceux‑ci nourrissent des liens spirituels les unifiant aux lieux à tel point qu'ils se sentent une partie intégrante des lieux.

Aux niveaux communautaires et culturels, l'attachement a été soumis à des perspectives d'études différentes. Celles‑ci évoquent, d'une part, l'attachement à la communauté et au voisinage dans le contexte des rituels annuels (Lawrence, 1992). D'autre part, elles étudient l'attachement aux places et aux centres des localités. Cet attachement est régi par des significations culturelles partagées et des rapports sociaux. (Low & Altman, 1992). Les recherches concernant l'attachement et l'identité communautaire révèlent plusieurs constats.

L'expérience d'un lieu est susceptible de transformer le paysage local en une extension symbolique de «soi» et de l'identité personnelle particulièrement imprégnée de significations et des expériences de la vie (Hummon, 1992 ; Cochrane, 1987). Dans ce cadre, Rowles (1983) analyse la manière selon laquelle les personnes âgées de la communauté Appalachian expérimentent le sentiment d'appartenance à la cité [«insidedness»].

Le voisinage et la communauté s'imprègnent de significations publiques et deviennent symboles des lieux aux identités culturelles distinctes (Hummon, 1990, 1992). D'autres auteurs analysent la manière selon laquelle de grandes villes telles que New york, San Francisco ou Los Angeles accumulent de riches traditions locales. Ces traditions servent à définir l'identité du lieu et procurent simultanément une rhétorique commune aux sentiments collectifs et à l'identification locale (Suttles, 1984).

Le sentiment communautaire est en lien complexe avec la mobilité résidentielle et le statut résidentiel (Hay, 1998). Les études sur les catastrophes naturelles expulsant, involontairement, les individus hors de leurs résidences, révèlent que ceux qui sont le plus fortement attachés aux lieux sont vraisemblablement ceux qui éprouvent beaucoup de peine. Les sentiments de peine et de désorientation sont dûs à la perte de l'intégration sociale et à la séparation traumatisante d'avec un contexte communautaire riche de significations (Erikson, 1994 ; Fried, 1963). En somme, les études axées sur le sentiment communautaire contribuent aussi à expliquer l'attachement aux lieux.

L'attachement communautaire traduit des liens émotionnels avec le territoire local. Il représente une facette du sentiment communautaire où les sentiments et la satisfaction s'expriment à travers les identifications communautaires.

Le «sentiment de la communauté» est défini avec complexité comme étant simultanément formé de l'environnement bâti et de l'environnement social. La compréhension du sentiment du lieu est nécessairement multidisciplinaire et profondément sociale.

Les différentes dimensions du sentiment de la communauté sont liées à des configurations diverses à composantes psychologiques, sociales et environnementales (Hummon, 1992, p. 262). Par ailleurs et en contrepartie, des auteurs signalent un dysfonctionnement possible d'advenir à l'attachement aux lieux (Fried, 2000). Fried montre que les attachements intenses sont susceptibles de produire et d'attiser des conflits inter - ethniques, régionaux et nationaux.