IV.4. Rapports préférentiels aux lieux

Les valeurs constantes liées à l'attachement aux lieux de l'enfance ont été abordées au moyen de techniques variées englobant l'autobiographie environnementale, les histoires personnelles, les récits et les extraits aussi bien que les dessins et les entretiens. Il semblerait que le regard rétrospectif constitue une dimension capitale dans le concept d'attachement. Le plaisir éprouvé par les souvenirs d'un lieu aussi bien que la nostalgie ressentie à sa perte attestent - tous deux - de l'édification et de la présence d'attachements permanents et irrésistibles. Le phénomène de préférence des lieux semble être rattaché à deux sources empiriques (Chawla, 1992, p. 73). Celles – ci consistent dans l'amélioration de la qualité de la vie enfantine à un moment donné et dans les empreintes durables. Les recherches récentes révèlent l'influence de certains facteurs sur les choix préférentiels tant positifs que négatifs. Soulignons‑en le contenu environnemental, les conditions personnelles et les données sociétales et culturelles.

Premièrement, la comparaison des réactions envers les paysages naturels, d'une part, et envers l'environnement construit, d'autre part, montre que les paysages naturels exercent une attraction, sur les individus, plus considérable que celle de l'environnement bâti (Kaplan, 1987). Cependant, la fascination reste sujette à des variations marquantes d'un paysage naturel à un autre. Ces fluctuations dépendent d'un ensemble d'indicateurs tels que le feuillage, les traits dissimulés, la lueur, l'information supplémentaire que le paysage incite à rechercher, la symétrie et la répétition.

En plus de l'environnement construit, les espaces évités sont souvent représentés par le trafic, la circulation intense et la foule, voire l'entassement (Korpela & Hartig, 1996). Ainsi, les paysages naturels semblent bénéficier d'un pouvoir de prédiction déterminant dans les préférences environnementales. Ce pouvoir est régi par les prédicteurs de complexité, de mystère et de cohérence (Kaplan, 1987). Rappelons aussi que l'expérience environnementale est considérablement marquée par les effets reconstituants des lieux. Ces effets sont renforcés, d'une part, par la richesse pittoresque des espaces de verdure et des zones aquatiques, et d'autre part, par les caractéristiques environnementales de cohérence, de fascination et de compatibilité favorisant la solitude et le recueillement des individus (Korpela & Hartig, 1996). Des études norvégiennes plus récentes, à partir d'une échelle de mesure, ont aussi prouvé l'effet reconstituant des paysages naturels aux dépens de l'environnement bâti. Le score des éléments naturels favorisant le recueillement et la relaxation est beaucoup plus élevé que le score des éléments de l'environnement bâti (Laumann, Garling & Stormark, 2001).

Deuxièmement, des facteurs d'ordre personnel interviennent fortement dans le conditionnement des préférences environnementales. Dans ce cadre, l'autonomie individuelle, l'absence de contraintes, la liberté et la tolérance (Chawla, 1992) constituent des éléments déterminants. Les espaces offrant l'opportunité d'échapper aux contraintes sont ceux qui attirent davantage les individus ayant ainsi la «possibilité de vivre de façon un peu plus autonome» dans des espaces «assimilés, à des degrés différents, à des expériences sociales de liberté» (Fischer, 1983, p. 31).

Les expériences des lieux préférés sont fortement caractérisées – et par ordre d'importance - par la cohérence, la compatibilité, la solitude ou l'isolement et la fascination (Korpela & Hartig, 1996). En conséquent, ces quatre aspects font la différence entre les espaces préférés et ceux évités; ils sont fortement présents dans les lieux préférés et quasiment absents dans les lieux rejetés.

Troisièmement, la différence entre les choix préférentiels est aussi décrite en termes d'émotions. Les sujets associent aux espaces préférés un degré élevé d'affects positifs et un degré inférieur de colère, de peur et d'agression et vice versa. Les lieux préférés deviennent sources et supports aux expériences émotionnelles reconstituantes des ressources et représentent, par conséquent, des aspects constructifs dans l'autorégulation environnementale (Korpela & Hartig, 1996, pp. 221–231).

Les concepts d'émotion et d'autorégulation font le lien entre le concept de l'identité du lieu et la théorie de l'environnement restructurant (Korpela, 1989, 1992, 1995). La régulation des émotions serait irréductible au seul processus intérieur, car elle implique aussi une interaction environnementale. Ainsi, la régulation émotionnelle se définit en référence aux «facteurs internes et externes de l'organisme par lesquels les émotions sont contrôlées, modulées et modifiées afin de permettre aux individus de fonctionner avec adaptation dans des situations émotionnelles» (Cicchetti & al., 1991, p. 15).

Dans le système de «l'émotion régulatrice», l'usage de l'environnement physique comprend l'intentionnalité et d'auto–initiation de l'émotion (Izard & Kodak, 1991). Ceci nécessite le recours aux techniques de modification, d'une part, de l'expression comportementale et des jeux, et, d'autre part, de la perception cognitive (auto–instruction, auto–gestion). Dans la même visée de l'auto–régulation, Epstein (1995) considère que les êtres humains construisent leur propre théorie et celle du monde en vue de réaliser quatre objectifs. Il s'agit 1) d'intégrer et de maintenir les données du terrain dans un système cohérent ; 2) de maximiser l'équilibre entre le plaisir et la peine ; 3) de préserver favorablement l'estime de soi, et 4) d'entretenir des liens et des rapports sociaux avec autrui significatif.