VI.1. Espace personnel

La notion de territoire et de comportement territorial a fait, au départ, l'objet d'étude des expériences du monde animal. Les expériences effectuées sur des animaux en captivité et des rats exposés à la densité, ont révélé que la restriction de l'espace pourrait être destructive et conditionner, par conséquent, le comportement de l'animal. La base spatiale s'avère également nécessaire au comportement humain et à l'équilibre des individus et des sociétés vu l'interdépendance existante entre l'individu et l'environnement. Tout «être humain s'abrite, se crée un espace personnel, un territoire mobile ou immobile dont il marque les frontières par des limites symboliques matérialisées par certains objets rituels ou par l'existence de toits et de murs opaques et résistants» (Ekambi‑Schmidt, 1972, p. 13).

L'usage de l'espace personnel a été abordé au moyen de divers modèles tels que les modèles de sur - stimulation du stress, les modèles de contrainte comportementale et les modèles éthologiques. Certains auteurs proposent d'autres moyens de mesure de l'espace personnel tels que les méthodes de ”simulation”, de ”stop - distance” et «d'observation naturelle” (Gifford, 1987, pp. 108‑112).

L'espace personnel est défini comme étant la «quantité d'espace autonome» ou disponible aidant à «régler le comportement spatial des individus» (Moles & Rohmer, 1972, p. 11). Dans sa définition de l'espace personnel, Fischer (1992) se base sur la place occupée par le corps et sur la relation qui se développe avec l'environnement extérieur immédiat.

  • Etre chez soi signifie disposer d'une zone d'intimité enrichie de calme et de liberté (Fischer, 1994, p. 144).
  • L'espace personnel est conçu en termes de place et de mode d'occupation du lieu (Fischer, 1992), incluant son usage, son sens et les activités qui s'y déroulent.
  • L'espace personnel renvoie aussi à l'idée de distance préférée séparant l'individu de ses correspondants. Il représente ainsi une «aire aux frontières invisibles» (Sommer, 1969, p. 26) entourant le corps d'une personne et réglant, par conséquent, la distance et l'accès d'autrui.
  • L'espace personnel est aussi qualifié de zone tympan, de «bulle protectrice» (Hall, 1971), de «coquilles de l'homme» (Moles & Rohmer, 1972) et aussi «d'enveloppe psychique protectrice» (Fischer, 1992, p. 40). Ce halo entourant le corps est de l'ordre de 20 à 50 cm. Toute tentative d'invasion provoque chez l'individu des réactions de défense. Les éléments d'influence agissant sur l'espace personnel sont regroupés sous trois catégories (Gifford, 1987, pp. 112‑118) : 
  1. 1 Les facteurs personnels tels que le sexe, l'âge, la personnalité et les troubles psychologiques. Les mâles utilisent des espaces plus larges que les femelles. Les jeunes adultes ont besoin d'espace personnel plus que les enfants. L'espace personnel des individus cordiaux et non anxieux est plus réduit que celui des autres.
  2. 2 Les influences situationnelles telles que les situations sociales d'invalidité, de coopération, de compétition et d'amitié et les aspects physiques de l'environnement. Des relations de coopération, d'attraction et d'amitié nécessitent un espace personnel plus réduit que dans le cas contraire. L'individu a tendance à exiger un espace personnel plus large lorsqu'il vit dans un cadre limité et réduit.
  3. 3 Les variations culturelles et ethniques telles que la distance tolérée par une culture donnée et le langage utilisé. Hall (1985) a montré que les relations sociales des peuples arabes et latino - américains exigent moins de distance entre les individus que celle autorisée dans les sociétés anglaises.

L'usage de l'espace personnel diffère d'une culture à une autre. Dans «la dimension cachée», Hall (1971) présente une série qualitative d'observations anthropologiques sur les modes d'utilisation de l'espace des divers groupes culturels. L'élément prépondérant est l'écart constaté entre les cultures dans l'usage des lieux. Hall fait la distinction entre deux grands types de cultures : les «cultures de contact» et celles de «non contact».

  • ––Les cultures de contact sont fortement sensorielles. Elles maintiennent des distances proches entre les interlocuteurs et montrent un haut degré d'implication dans les communications tels que la proximité corporelle et les regards directs.
  • ––Cependant, les cultures de non contact affichent un haut degré de réserve dans les relations et des distances considérables entre les individus. Dans ces cultures, les populations comptent sur l'environnement physique pour préserver «leur propre espace». Signalons aussi une étude photographique des conversations des adultes dans les rues européennes montrant l'écart entre les distances interactives : en Europe du Sud, les distances interactives sont plus rapprochées que celles observées chez les européens du Nord (Aiello & Thompson (1980). De ce fait, l'espace personnel remplit une double fonction de protection et de communication.

L'espace personnel protège du stress, de l'agression et d'un possible envahissement social, physique et psychique. Il agit, d'une part sur la régulation de l'intimité (Fischer, 1992) et, d'autre part, sur la régulation de la quantité de stimulation à recevoir d'autrui (Gifford, 1987, p. 125).

L'espace personnel communique «l'information concernant les rapports entre les individus et les formalités de l'interaction» (Aiello & Thompson, 1980, pp. 113-114). Ainsi, il favorise un ”équilibre d'affiliation” garanti d'une ambiance de ”confort” et de sécurité sociale (Gifford, 1987, p. 125).

Des classifications des territoires humains ont été dégagées ainsi que leurs modes d'utilisation (Altman, 1975, Altman & Rogoff, 1987). Ces auteurs désignent trois types de territoires définis selon le degré de contrôle exercé par les occupants et par la durée d'occupation. Premièrement, les territoires primaires sont occupés de manière stable et durable. L'investissement affectif qui y est fortement élevé s'exprime par la personnalisation et le rejet des intrusions. Dans ce territoire, la maison est vécue comme étant le prolongement de soi-même. Deuxièmement, les territoires secondaires représentent des espaces semi–publics ou semi–privés régis par des règles d'accès et d'usage plus ou moins strictes. Enfin, les territoires publics sont ceux gérés par des règles et des lois strictement rigides. Hall (1971) distingue quatre sortes de territoires : intime, personnelle, sociale et publique.