I. Problématique

La maison parentale représente principalement le premier cadre de vie accueillant et protecteur des intrusions et des agressions du «dehors». Avec elle, l'homme noue une relation affectivo‑émotionnelle valorisante. Il y projette ses rêves et ses fantasmes exprimant ainsi ses besoins et ses désirs les plus profonds. Il fréquente les divers espaces de sa maison et en fait des usages quotidiens ou occasionnels, ce qui augmente l'attraction de certains espaces ou réduit, par contre, l'attirance vers d'autres. La maison constitue, généralement, un champ ambiant aux mécanismes d'identification et à la construction de l'identité. La famille y œuvre à la socialisation de ses membres par la transmission des valeurs et par l'apprentissage des normes et des lois sociales. Cette acquisition des règles impliquent les individus dans un lien socialisant non seulement avec autrui mais aussi avec les objets en usage notamment la maison et son cadre physique. Le rapport a la maison comme objet est susceptible, lui aussi, de se transformer en lien socialisant. De ce fait, le cadre habité participe à la socialisation des sujets et à l'expansion des sentiments vis‑à‑vis des lieux.

Les sociétés conçoivent généralement d'autres structures destinées à épauler ou à se substituer à la maison parentale dans ses fonctions socialisantes. Elles constituent alors, autant des espaces construits que des milieux vécus et symboliquement marqués. Dans la société libanaise, les Institutions Sociales et les Villages d'Enfants sont imaginées, principalement, dans un objectif de continuité et de remplacement de la Maison Parentale dans ses dimensions physiques et sociales.

Les visites et les entretiens exploratoires effectués sur le terrain libanais, notamment dans les divers cadres de vie, révèlent des divergences au niveau de l'emplacement géographique, de la capacité d'accueil et des apparences architecturales. Ils décèlent aussi un écart concernant la densité sociale, les activités, l'organisation intérieure des lieux et leur usage. Cet aperçu exploratoire déclencha l'interrogation de base consistant à cerner l'impact de l'habitat sur les rapports que les individus entretiennent avec leur cadre de vie. Il s'agit de déterminer si la différenciation organisationnelle de l'habitation sous ses différentes formes [Maison parentale, Village d'enfants, Institution sociale] influence les interactions résidentielles et produit, par conséquent, des rapports distincts aux lieux.

La conception de départ est établie sur le constat suivant : l'impact d'un habitat est loin d'être statique et, en psychologie sociale l'importance est accordée à l'interaction et à l'action réciproque des facteurs et des individus. La problématique est surtout centrée sur la dynamique relationnelle entre l'enfant et son espace aménagé, voire son habitat, et sur la manière selon laquelle ce milieu est représenté, identifié, intériorisé ou rejeté. Ainsi, l'interaction, enfant‑habitat, serait appréhendée, en fonction de l'usage que fait l'enfant de son cadre, et de l'influence qu'exerce ce dernier sur les comportements et les représentations de l'usager.

La dynamique des interactions s'institue sur un duo conceptuel impliquant, d'une part, les concepts d'espace personnel, de fréquentation et d'appropriation des lieux et, d'autre part, les émotions et les concepts de représentations, de besoins, de désirs, d'aspirations et d'identifications.

L'objectif vise à définir si l'interaction Homme–Habitat produit un vécu résidentiel identique ou plutôt spécifique et unique à chaque cadre d'habitation. Il s'agit de préciser si l'usage de l'habitat, l'appropriation des lieux et les aspirations nourries vis‑à‑vis d'eux dépendent du type de l'habitat. Cet intérêt manifesté aux interactions résidentielles sous‑entend un ensemble de questionnements.

Un cadre de vie tel le Village d'enfants ou l'Institution sociale représente‑t‑il, pour l'enfant, un foyer et plus précisément un chez soi sécurisant ? Soutient‑il l'individu pour affronter les contrariétés et les obstacles de la vie avec «résilience», avec cette «capacité à réussir, à vivre, à se développer» ? (Cyrulnik, 1999, p. 110 ).

Au sein d'une densité humaine résidentielle élevée, l'enfant trouve-t-il un espace personnel, une place qui lui soit particulièrement réservée, à savoir «une bulle» (Hall, 1971) lui permettant d'expérimenter les lieux sans contrainte et, de se mouvoir en liberté ?

Prévue pour le fonctionnement des collectivités, l'architecture des Institutions sociales influence-t-elle le rapport de l'enfant à l'espace habité ? Conditionne‑t‑elle la fréquentation des lieux et la relation personnalisée à certains d'entre eux ?

Le sentiment d'appartenance aux lieux serait‑il susceptible de se développer si l'habitant manque de pouvoir et de contrôle sur son lieu de vie ?

Les divers cadres résidentiels offrent‑ils aux usagers l'opportunité de nouer des liens de prédilection et de complicité ? Seront‑ils investis, par conséquent, comme des espaces régénérateurs, à savoir «restructurants» des ressources personnelles ?

La valorisation de l'habitat dépend‑elle des caractéristiques physiologiques correspondantes ou plutôt des qualités symboliques et sociales ?

Les caractéristiques physiques du cadre de vie influencent‑elles le processus de socialisation, et contribuent‑elles, par conséquent, au même titre que la famille, à la socialisation de l'enfant ?

La représentation de la maison, au moyen de la technique du dessin, afficherait‑elle des similitudes entre des dessinateurs résidant dans des cadres de vie disparates ? Ou bien révélerait‑elle des dissemblances dues à l'écart entre des conditions résidentielles multiples ?

A tous ces questionnements, correspondent des débuts de réponses par anticipation. Toutefois, à ce stade de la recherche, elles ne peuvent être que des conjectures, des hypothèses.