I.2. Symbolisme de la maison libanaise / Rituels

Au Liban, en matière de propriété, l'objet le plus précieux que le libanais tente de posséder en premier, est la maison. Le libanais s'identifie à sa maison, y projette ses rêves et lui attribue une valeur affective considérable. La maison est catalyseur des sentiments personnels, notamment du sentiment d'être chez soi. Celui – ci est soutenu par les sentiments de familiarité, de confort et de bonheur, et par le sentiment d'expression de soi renforcé par l'intimité et la continuité. Ainsi, la maison constitue une source et un objet de poèmes, de chants et de proverbes. D'ailleurs, cette valorisation s'exprime par le proverbe qui dit : »al baît, awal mouchtara, wa akher mabï». Ce proverbe traduit l'idée que «la maison est le premier achat à effectuer et le dernier objet à vendre». Les personnes aimées et estimées sont fréquemment identifiées à la maison, d'où l'expression «ya baïti» (en libanais), à savoir «tu es ma maison». Par l'usage de cette interpellation, l'individu situe autrui au même niveau de valorisation et d'amour que son «chez soi». La maison libanaise prend aussi la signification de la famille, voire du nom de famille. Ainsi, pour l'exemple, la famille «Cardin» est appelée, couramment, la «maison Cardin».

La partie la plus considérable des pièces ou de la maison libanaise est appelée «Al sadr» qui signifie «la poitrine». A leur arrivée, les visiteurs sont invités à prendre place au «sadr», voire dans la meilleure place de la maison en signe d'estime et d'hospitalité.

Généralement, un cérémonial religieux accompagne ou précède la fondation de la maison aussi bien que des rites d'inauguration. A titre d'exemple, le projet de construction nécessite la bénédiction des lieux afin d'obtenir la bénédiction du Ciel, de garantir la réussite du projet et de tenir loin le mal. Ainsi, des objets bénis sont introduits dans les fondations de la maison, dans un coin de la construction ou dans les quatre coins. Ce rituel basé sur la dualité du sacré et du profane, tente de concilier les deux aspects. Le sacré (prières, bénédictions) règne sur le profane (constructions, pierres), réduit la force du mal et assure, de ce fait, la sauvegarde et la sécurité des habitants. Aussi, l'inauguration de la maison nécessite sa bénédiction par les prières et l'arrosage des pièces par l'eau bénite.

Signalons encore l'accession des nouveaux mariés à leur nouvelle maison. Cet événement est précédé d'un rite de passage avant de franchir le seuil de la maison conjugale. Une pâte au levain, «khamireh» est préparée, au préalable. La mariée plaque la pâte au linteau du portail principal de la maison et la garnit de pièces de monnaie. Ce rituel, très apprécié dans certaines régions libanaises, rend ainsi «possible le franchissement de la frontière»(Depaule & Arnaud, 1985, p. 98) séparant l'état du célibat de celui du mariage et de l'engagement. Accompagné de chants et de cris de joie de l'assemblée, notamment des femmes, la pose du 'khamireh» signifie aussi «la continuité du mariage et sa prospérité»(Frayhat, 1999, p. 174).

D'autres rites de passage se réalisent dans la limite spatiale et symbolique de la maison tels que la sortie du nouveau - né de la maison, au quarantième jour de sa naissance. Représentant une nouvelle naissance, ce rite introduit l'enfant dans le cosmos à travers sa présentation à l'autel de l'église où il reçoit la bénédiction par la prière. Comme si le sujet devrait traverser un double passage, voire «une double naissance» : la première l'introduit dans la spatialité du «chez soi» et la seconde le connecte à la spatialité cosmique.

Quant au feu de la maison libanaise, notamment le poêle, il possède une force symbolique organisatrice des désirs et de l'image de soi. D'une part, le poêle est investi comme élément structurant des désirs, et d'autre part, «le feu au centre, chaleur et lumière qui donnent origine et remplissent de vie une maison, est en même temps l'image de soi»(Noschis, 1983, p. 452). Dans le champ symbolique, le feu rejoint simultanément les valeurs profondes de la collectivité et celles de l'individu. Symbole d'accueil et d'hospitalité, le feu était, autrefois, continuellement entretenu dans l'environnement de la demeure, notamment la nuit, chez les tribus nomades. Il servait de repère aux visiteurs, de signe d'espoir social et d'accueil aux exclus des tribus et aux perdus. Il atteste, par sa présence, de la disponibilité hospitalière des collectivités. Dans la société libanaise, le visiteur est non seulement accueilli chaleureusement, mais il est aussi introduit au fond de la pièce réchauffée où il est invité à s'installer aussi près que possible du feu.