V.2. Emotions résidentielles

Le vécu émotionnel des enfants s'exprime à travers la fable de la maison. Dans celle – ci, l'enfant imagine les raisons qui poussent quelqu'un de son âge à désirer ardemment changer de maison, et il exprime aussi les émotions qui accompagnent ce désir. Les sentiments sont traduits par l'ennui, la tristesse, la peur, le sentiment d'être mal aimé, le conflit avec autrui et le refus de continuer à vivre dans l'habitat actuel.

Type d'habitat
Attributs de l'habitat / sentiments de l'enfant
Maisons parentales Villages d'enfants Institutions sociales
1 - Habitat froid / étroit / obscure 25 % ( 10) 15 % ( 6) 38,9% ( 37)
2 - L'enfant rejette son habitat actuel 2,5% ( 1) 42,5% (17) 18,9% ( 18)
3 - Habitat triste, sans liberté ni paix 0 % ( 0) 35 % ( 14) 21,1% ( 20)
4 - Ennui de l'enfant 30 % ( 12) 30 ( 12) 9,5% ( 9)
5 - Tristesse ou peur de l'enfant 27,5% ( 11) 10 % ( 4) 17,9% ( 17)
6 - Désaccord avec quelqu'un 10 % ( 4) 45 % ( 18) 5,3% ( 5)
7 - Habitat exigu / laid / désordonné 17,5% ( 7) 15 % ( 6) 13,7% ( 13)
8 - Habitat sans luxe 40 % ( 16) 2,5% ( 1) 7,4% ( 7)
9 - Habitat carencé en environnement 42,5% ( 17) 2,5% ( 1) 5,3% ( 5)
10 - Enfant mal aimé 0 % ( 0) 30 % ( 12) 3,2% ( 3)
Total des citations ( 78) ( 91) 134)
Question ouverte‑texte. (%) calculés en fonction des observations de chaque groupe.

Afin d'exprimer leurs sentiments et ceux de la demeure, les trois groupes d'habitants ont recours à un vocabulaire identique, cependant utilisé à des fréquences différentes (tableau 5.18).

L'habitat est qualifié de froid, de minuscule et d'obscure principalement par le g. Institution (plus du tiers du g.), ensuite par le quart du g. Maison, et uniquement par une minorité du g. Village (14,6%).

Le logis est presque également qualifié de laid, ancien et désordonné par les trois populations. Ces qualifications minimes sont évoquées par une minorité d'enfants variant entre 13% et 17%.

La demeure constitue un lieu de «tristesse» et «d'absence». L'absence de «paix et de liberté», est principalement ressentie par le g. Village (35%) et Institution (21,1%).

L'habitat manquant d'environnement est exclusivement éprouvé par le g. Maison (42,5%). Ce dernier souffre du fait que l'environnement naturel soit carencé en étendues de verdure, en zones aquatiques et en espaces libres. En fait, cet habitat est particulièrement frustrant car les marques de confort, voire de luxe y sont rarement intégrées.

La maison est vécue comme un lieu de désaccord et de conflit relationnel forçant, par conséquent, l'enfant à rechercher une demeure «ailleurs». Le conflit est activé par diverses raisons telles que : 

Signalons que certains sentiments sont exclusivement évoqués par les groupes Village (40%) et Institution (21,1%) tel que le fait de se sentir «mal aimé», «maltraité» et «triste» dans un habitat souffrant de l'absence ”parentale et amicale”. Le pire de tout est que l'enfant qui rejette son habitat, a le sentiment d'être aussi rejeté à son tour. Quant à la peur ressentie par une minorité, elle est justifiée, d'un côté, par la présence de chiens et de fantômes, et d'un autre côté, par le risque de destruction de la maison et de son effondrement. Enfin, l'ennui (tableau 5.18) semble être une expérience résidentielle particulièrement partagée par les groupes Maisons et Village (30%). Le faible taux d'ennui manifesté dans les institutions pourrait être expliqué, d'une part, par l'organisation globale du temps et des activités quotidiennes, et d'autre part, par la présence permanente d'autres enfants impliquant la participation à des tâches collectives.

En guise de récapitulation, et mise à part les sentiments de peur et d'ennui, généralement communs aux enfants (Gratiot-Alphandéry & Zazzo, 1970), retenons quelques conclusions.

  1. 1 - Les sentiments du g. Maison sont axés sur les propriétés et les attributs physiques de l'habitat. En dénonçant les sentiments négatifs favorisés par les lacunes résidentielles, ce groupe cherche un habitat dont les caractéristiques matérielles sont esthétiquement plus satisfaisantes et plus luxueuses que celles qu'il expérimente. Les mots d'ordre de cette strate sont les apparences esthétiques, l'accessoire et le luxe. Les attributs de l'habitat recherché devront, donc, répondre aux critères physiques suivants :
  1. 2 - En étant peu centré sur l'aspect physique des lieux, le vécu du g. Village est principalement touché par les propriétés psychiques de l'expérience résidentielle. Les sentiments négatifs expriment la tristesse, la haine, le refus et dénoncent la laideur psychique des lieux. De ce fait, ce groupe recherche une expérience émotionnelle intérieure. Celle‑ci s'appuie sur des critères d'ordre psychique, tels que l'amour, l'entente, la joie, la paix et la liberté. Il est surprenant de constater que ce résultat est axé sur les attributs psychiques des lieux, en comparaison avec les sentiments du g. Maison qui sont totalement basés sur des aspects environnementaux physiques. Lorsque nous réalisons que, d'une part, le g. Village bénéficie d'un cadre résidentiel riche en beauté physique, et que, d'autre part, la majorité des enfants est privée de présence parentale, nous nous demandons lequel des deux faits serait à la base de la quête des émotions intérieures de paix, d'amour et de joie.
  2. 3 - Quant au g. Institution, rappelons que ses sentiments sont favorisés par un mélange de lacunes résidentielles psychiques et physiques. D'une part, il expérimente les aspects physiques des lieux habités où il vit l'expérience de la froideur, l'exiguïté, l'obscurité, la laideur, le désordre et l'absence d'espace. D'autre part, il exprime la tristesse et le manque de liberté de l'habitant comme de son habitat en les justifiant par des événements tels que : 

En somme, à travers l'expression de son ressenti émotionnel, ce groupe dégage une sensibilité marquante à tout genre de beauté tant physique que psychique. Il est simultanément à la quête d'ordre, de lumière, de chaleur et de disponibilité spatiale, voire de territorialité, aussi bien que de joie, de liberté, de paix et d'amour.

La carte (figure 5. 2) placée ci‑dessous illustre les caractéristiques commentées plus haut. Son intérêt est de donner en une seule fois toute l'information sur les sentiments de l'enfant et les attributs de son habitat. L'axe vertical explique 69,1% de la variance. Au nord de la carte, se situent les modalités proches de la population «Village». Au sud nous trouvons les modalités les plus rapprochées de la population «Maison». La géographie de cette carte est essentiellement caractérisée par les contrastes nord / sud. Selon l'axe vertical, le g. «Villages d'enfants» est opposé au g. «Maisons parentales» et dans une moindre mesure au g. «Institutions sociales».