III. Espaces et comportements agonistiques

Nous désignons par «espaces et comportements agonistiques» les réactions négatives, voire les conflits engendrées par le contact avec l'environnement. Tout espace qui suscite chez l'habitant des sentiments de gêne entravant ses déplacements et son usage des lieux, devient un espace porteur de stress. La négativité des sentiments varie entre la peur, l'évitement, l'hésitation d'aborder certains endroits et le refus catégorique d'y accéder sans compagnie. Il semblerait, tout d'abord, que les lieux favoris sont considérablement plus nombreux et plus diversifiés que les espaces refusés. Ces derniers affichent une moyenne de 0,7 en Maison et Institution et de 0,3 en Village. Il est paradoxalement frappant de constater que le rejet de certains lieux ne traduit pas toujours et exclusivement le refus de l'endroit en soi. Aussi, ce refus exprime, entre autre, le rejet d'une activité qui s'y déroule aussi bien que l'état dans lequel se trouve le lieu. Néanmoins, il arrive qu'un endroit généralement apprécié par l'enfant soit en même temps évité s'il se trouve dans un état intolérable pour l'enfant. Identifiées par les enfants, les causes du refus se classent sous trois principaux thèmes.

  1. 1 L'obscurité causée par l'interruption subite du courant électrique, la pénombre de l'endroit, l'obscurité, la nuit.
  2. 2 La présence d'insectes, ou l'appréhension de l'enfant d'en trouver dans sa chambre, sous son lit, dans les placards et dans les autres pièces de sa demeure. Il s'agit surtout de petits insectes tels que souris, rats, mille-pattes, scorpions, etc.
  3. 3 La difficulté psychologique naissante au contact avec un endroit qui dévalorise l'enfant en accentuant ses défaillances devant le groupe des copains. Pour l'exemple, citons le cas de l'enfant en difficulté scolaire qui exprime des sentiments de rejet envers l'école et les salles d'études. Sans oublier le cas des filles adolescentes qui détestent les terrains de jeux et les activités sportives parce qu'ils les exposent au regard moqueur des garçons.

S'il est vrai que les enfants manifestent un sentiment commun de refus à l'égard de certains lieux, il est aussi vrai que le rejet d'autres lieux s'avère particulier à tel ou tel groupe d'habitants.

Les endroits les plus évités du g. Maison sont successivement la salle de bain (42,5% de l'ensemble de ses citations), la chambre à coucher (26,6) et la cuisine (14,8%).Ces lieux ne sont nullement mentionnés pour eux‑mêmes mais toujours en fonction d'autres facteurs et causes.

Il est surprenant de constater que la chambre à coucher constitue une source de peur exclusivement pour le g. Maison, alors qu'elle est désignée comme l'endroit le plus prisé par le même groupe. Ces résultats prouvent, d'une manière générale, que la maison est positivement appréciée et valorisée et, que le refus manifesté est susceptible de se dissiper suite à l'élimination des causes. Ainsi, la suppression des variables d'obscurité, de solitude et d'insectes s'avère indispensable à l'anéantissement du refus vis‑à‑vis des lieux.

Quant aux lieux évités par le g. Village, ils ne sont pas toujours mentionnés. La citation explicite des motifs de rejet est substituée à la nomination des lieux refusés. Ainsi, la désignation des lieux cède la place aux causes engendrant l'éloignement et l'éviction des lieux, à savoir l'obscurité et l'isolement. Dans 21,4% des citations, la cuisine est désignée comme un lieu évité en cas d'obscurité et d'accès solitaire. Chez cette population domine la description de l'état qui envahit et les lieux (sombres, insectes)et les personnes (isolement).

Dans la citation des espaces refusés, le g. Institution, substitue tantôt le mobile du refus au nom de l'espace rejeté, et il évoque tantôt, les lieux évités en y associant les motifs d'éviction.

Figure 6. 3
Espaces rejetés en fonction du cadre de vie [tableaux croisés]

Les endroits les plus rejetés (en institution) sont la salle de bain (20% des citations), l'école (21,2%), les nouveaux lieux et la cuisine (14,7%). Ce groupe est le seul à citer certains lieux refusés tels que «l'institution sociale» dans sa globalité comme lieu de vie, les terrains de jeux, les nouveaux lieux ainsi que l'école et les salles d'études. Si la salle d'études et le terrain de sport sont cités uniquement par le g. Institution, c'est parce qu'ils constituent une partie intégrante de l'habitat dans la plupart des institutions sociales. Même si certaines institutions séparent physiquement et géographiquement le lieu de vie de celui de l'apprentissage, elles gardent, néanmoins, des salles d'études intégrées à leur structure intérieure. Par ailleurs, les causes du refus sont davantage renforcés dans le g. Institution car elles ne se limitent pas à la peur de l'obscurité, des insectes et de la solitude. La peur est aussi engendrée par d'autres événements dont nous citons les suivantes : 

  • la difficulté de l'adaptation scolaire ou le manque de motivation ;
  • le contrôle et la surveillance au cours des études ;
  • le refus de continuer à vivre dans la même demeure ;
  • le refus de tout lieu nouveau ou inconnu. Au contact de nouveaux lieux, les enfants manifestent des hésitations à y circuler et à s'y déplacer aisément ;
  • la honte, liée à la puberté, particulièrement chez les filles qui évitent les terrains de jeux.

Même si les variables d'obscurité et de solitude expliquent le refus de certains lieux institutionnels, nous considérons qu'il ne suffit pas, dans le cadre institutionnel, de supprimer ces variables pour en réduire l'effet. Les empreintes laissées par les lieux sont si fortes qu'une simple procédure de suppression des causes ne suffirait pas à éliminer les traces D'ailleurs, s'il est possible de supprimer l'obscurité par l'éclairage et la solitude par la compagnie, comment serait-il possible d'anéantir le désintérêt et la démotivation vis‑à‑vis du sport et des études ? Comment réduire le refus du contrôle et de la surveillance ? Comment changer une attitude de refus gratuite de la demeure institutionnelle ?

Le rapport entre le rejet des lieux habités et l'appartenance sexuelle s'affiche non significatif au niveau des trois cadres résidentiels. Toutefois, signalons que les terrains de jeux et de sport sont exclusivement rejetés par le genre féminin. D'une manière générale, les résultats montrent que la polémique relationnelle de l'habitat est conditionnée par des facteurs environnementaux et des caractéristiques physiques aussi bien que par des rapports psychologiques. L'éviction des espaces illustre la peur d'une situation bien définie susceptible de se reproduire dans les lieux.

Or, Il arrive que le lieu évité soit simultanément un espace favori, tel est le cas par exemple de la chambre à coucher. Celle – ci suscite une certaine peur chez les habitants Maison, mais pas dans le g. Institution. Nous nous demandons dans quelle mesure la chambre à coucher serait‑elle un espace sécurisant du fait de la fréquentation collective des lieux dans le cadre institutionnel. Dans ce cas, le groupe de compagnons, partageant un même espace de repos, serait un support encourageant pour l'individu qui puise la force et la confiance nécessaires à surmonter la peur dans le groupement et la collectivité.

Reste à savoir pourquoi le vécu émotionnel des enfants est-il perturbé par des peurs répétitives quel que soit le type d'habitat ? Cette question pourrait constituer, à elle seule, l'objet d'une recherche pertinente dont l'approfondissement n'est pas prévu dans le cadre de l'étude présente.