IV. L'habitat, agent de socialisation

Les résultats exploités sous le thème de l'expérience socialisante de l'habitat proviennent du dessin de la maison ainsi que de son commentaire. Ils illustrent le degré d'acquisition des lois et des normes sociales à travers les rapports à l'environnement résidentiel. L'objectif consiste à mettre en lumière le rôle «socialisant» de l'habitat et la manière selon laquelle des enfants le traduisent et l'extériorisent dans le «dessin d'une maison». Ce dernier fut l'objet d'une lecture codifiée basée sur une grille signalant l'absence vs présence des éléments dessinés. La grille est constituée de variables construites selon des modalités appropriées aux divers thèmes des variables. Ces modalités items sont sélectionnées en fonction de la problématique et des hypothèses de la recherche. L'auteur est le concepteur de cette grille dont les composantes constituent deux sortes de variables : variables positives de socialisation et variables négatives. Les premières permettent de mesurer la présence des éléments socialisants; tandis que les secondes relatent l'absence des éléments constructeurs de la socialisation et la présence d'éléments perturbateurs. La présence ainsi que l'absence d'éléments isolés ne sont guère évocatrices en soi. L'importance est toutefois accordée à la coïncidence simultanée d'indices multiples. Quant aux interprétations, elles sont inspirées de Kim-Chi Nguyën (1989) et sont, par ailleurs, complétées par notre propre documentation.

1 Les variables transmettant positivement l'aspect «socialisant»de la maison englobent l'hospitalité, la sociabilité, l'appropriation, la sécurité et l'identification.

La demeure comme espace d'hospitalité et d'accueil est identifiée par la présence des modalités suivantes : chemin fleuri ou large, balcons ou marches, fumée, rideaux, feu, lumière, poignée de la porte et ouvertures (lucarne, œil de bœuf).
L'habitat comme lieu de sociabilité où s'opère l'acquisition des normes et des valeurs sociales est reflété par la présence des indices suivants : moyens de communication, personnages, chemin, fenêtres, portes, éléments environnementaux, toit solide, ligne de sol, différenciation des sexes et renforcement des traits du soleil.
Le logis comme endroit d'enracinement est perçu à travers la variable d'appropriation. Les critères de mesure montrent l'importance qu'attribue l'individu à sa demeure à partir de la présence des indices suivants : le dessin des pièces de la maison, de la chambre de l'enfant, de sa fenêtre ou de son lit, des meubles, des fruits / légumes, des bouquets de fleurs, des animaux, des motifs de décoration et du tracé intense, à savoir visible du dessin.
La maison est également considérée comme un terrain d'identification où l'enfant prend comme modèle une personnalité adulte qui devient sa personne de référence. Il l'investit de la plus grande charge affective, l'incorpore à sa personnalité et s'identifie à elle. La variable dans ce cas est «l'identification» dont les indices proviennent de deux types de données. Premièrement, il s'agit de noter si le soleil dessiné est renforcé par l'expression ou par les traits. Deuxièmement, il s'agit de recueillir les réponses concernant les thèmes d'identification, d'évocation, de choix d'une personne significative et de chambre à soi.

2 Les variables qui reflètent négativement ou faiblement l'aspect «socialisant» de la demeure illustrent le caractère inhospitalier de la maison, le désinvestissement affectif et l'insécurité.

La maison inhospitalière est celle qui traduit le retrait, l'enfermement, l'absence de vie et l'hostilité. Elle est dessinée de manière à refléter l'absence de la plupart des éléments suivants : le chemin, la porte, les fenêtres, le feu, la lumière, les balcons ou les marches, la poignée ou la serrure de la porte, les moyens de communication. Ajoutons à ceci son aspect minuscule et la conception fortement vitrée des portes et des fenêtres.
Si la demeure est parfois vécue comme un champ d'ancrage et d'appropriation, il arrive aussi qu'elle soit absolument désinvestie par certaines personnes. Ce cas est exprimé par la variable de désinvestissement se traduisant par l'absence des indices de personnalisation tels que la porte, la ligne de sol, l'environnement, les personnages. Le désinvestissement apparaît à travers la négligence du dessin, la faiblesse du tracé, la zone restreinte occupée sur la feuille et le remplissage par des éléments ou des objets non cohérents (voitures, clefs, parachutes, avions, etc.).
Un processus réussi de la socialisation s'effectue généralement dans un cadre résidentiel et socio - familial sécurisant. Or «l'insécurisation» ressentie s'exprime par projection sur le dessin. La variable d'insécurité permet de situer l'individu dans une zone de vulnérabilité ou au contraire de confiance vis-à-vis de son habitat. Un seul élément d'insécurité nous semblerait insuffisant pour effectuer cette mesure. Le repérage de plusieurs facteurs s'avère nécessaire afin de pouvoir cerner objectivement l'insécurité ressentie. Dans cette lecture, nous mentionnons les éléments déterminants suivants : la forme curviligne des chemins ou leur multiplicité; la dominance de la dimension horizontale des murs, la coupure du mur, du toit ou du bord du dessin, le renforcement des éléments dessinés (ligne de base, mur, toit, fumée, ombre); la répétition du tracé (pluie, nuages, pierres, tuiles); l'aspect penché, ébranlé ou inachevé de la maison et enfin l'ouverture des portes et des fenêtres.

Comment les dessins traduisent‑ils l'acquisition des normes sociales, l'hospitalité, l'appropriation, l'identification et le sentiment de sécurité et d'appartenance ? Afin de rendre les résultats évocateurs, développons tout d'abord les points constitutifs des particularités de chaque groupe pour ensuite souligner ceux qui affichent des concordances entre les habitants des trois cadres de vie.