Conclusion du septième chapitre

Ainsi, la demeure est donc vécue comme un espace de ressource affective. Elle se transforme en lieu d'identification, de représentation et d'aspiration. En éliminant les réponses d'identification neutre (aux pauvres, aux rois et à personne), les réponses significatives dénotent un vécu identificatoire plus fort chez les groupes Maison et Institution qu'en Village. Cette possible identification est issue de l'expérience de la demeure comme espace de parenté et de fraternité où les liens renforcés favorisent la mise en place du processus d'identification.

Tout en considérant que «la représentation de la maison est influencée par le milieu socioculturel», Ferraris (1977, p. 112) donne l'exemple des tziganes, chez qui la maison est souvent une roulotte. Les enfants Tziganes ne dessinent une maison traditionnelle que s'ils sont en voie d'intégration. A mesure qu'ils grandissent et qu'ils font l'expérience de réalités nouvelles, les jeunes Tziganes se conforment de plus en plus au modèle de la maison traditionnelle, tout en conservant certains traits de la demeure roulante (toit plat et échelle extérieure) Oliverio Ferraris estime comme habituel ou normal la présence d'un toit plat et l'absence de chemin sur les dessins des jeunes Tziganes. Cependant, dans le cadre socio‑culturel libanais, nous considérons les mêmes indices, notamment le toit plat et l'absence de chemin, comme signifiants de lacunes. Cette explication justifie notre choix des critères de mesure de l'aspect socialisant de l'habitat où l'absence de chemin constitue un indice d'hostilité et où le toit plat fragilise la maison et révèle, par conséquent, la défaillance de son rôle socialisant.

Dans le cadre d'une étude effectuée au Liban sud, des élèves du cours moyen (CM2) ont effectué des dessins sur le thème de la maison. En détaillant les résultats, l'auteur emphase sur la fermeture des portes et des fenêtres dessinées chez 82,5% de la population (Makki, 1995, p. 200-203). L'auteur interprète l'aspect clos par la fragilité relationnelle, notamment l'absence de communication entre l'enfant et les habitants de sa maison. L'interprétation attribuée aux fermetures [partagée d'ailleurs avec d'autres chercheurs] semble être inadéquate, à notre étude, pour deux raisons. Nos échantillons sont sélectionnés dans différentes zones libanaises et les résultats dévoilent le même résultat chiffré affichant la fermeture des portes et des fenêtres à un taux oscillant entre 86,3% et 90%. Ceci dit, nous nous demandons dans quelle mesure il serait acceptable d'attribuer à une population entière d'enfants un refus de communication et un repli sur soi. Rappelons que le chapitre précédent a déjà montré l'importance des liens et des rapports sociaux, familiaux et amicaux tissés dans l'environnement résidentiel. La fréquence des visites effectuées par l'enfant et celles qu'il reçoit ne permet pas d'identifier dans les fermetures une réclusion sociale quelconque. Nous estimons, donc, que les fermetures expriment plutôt une tendance à inventer son propre espace personnel, et à s'approprier son lieu de vie. Elles traduisent un désir à vivre sa vie privée et intime à côté de sa vie sociale. Rappelons, à juste titre que, socialement et historiquement, le Liban a toujours acquis le titre de pays hospitalier et accueillant. Pour ces raisons, nous considérons que les ouvertures traduisent plutôt une insécurité intérieure qui déclenche chez l'individu une tendance à la fuite et à l'évasion vers l'extérieur. Ceci explique le fait que les ouvertures soient placées parmi les indices d'insécurité et de vulnérabilité sur la grille du dessin. Enfin, signalons que la socialisation réussie active les rapports aux dimensions physiques du cadre de vie ainsi qu'à ses dimensions sociales. De ce fait, les autres et les objets, notamment la demeure, interviennent dans la dynamisation du processus de socialisation. En dépit des différences observées dans la traduction pratique de la socialisation dans les divers habitats, il semblerait que le cadre socio‑physique de la demeure libanaise s'offre comme un espace favorable à la socialisation et à la transmission des valeurs, des normes et des lois sociales.