2-Stabilité vs mobilité résidentielle

Concernant la stabilité et la durée de résidence dans l'habitat, nos résultats montrent que les chances de constance et de continuité sont très fortes dans le foyer parental. Les habitants sont rarement exposés au risque de déménagements et de déplacements excessifs. La plupart des sujets réside toujours dans la maison natale, lieu de naissance. La mobilité réduite, ne dépassant pas une seule fois dans le cas de cet échantillon, explique le degré fortement élevé de stabilité résidentielle. Faudrait‑il signaler que l’expérience de mobilité s’effectue dans des cadres résidentiels identiques, à savoir d’un habitat de structure maison à une autre maison. Les familles libanaises ont tendance à s’enraciner dans les lieux et à s’exposer rarement à la mobilité, privilégiant de ce fait la permanence résidentielle, la continuité et la cohésion socio‑familiale. Ce comportement semble être accentué par le statut de «propriétaire», largement répandu dans la culture locale.

Le cas est différent dans le cadre des Villages et des Institutions où la mobilité s'avère élevée. Elle entraîne les sujets sur la voie d'une «mobilité identitaire» (Denoux, 2002) les impliquant dans de nouvelles expériences et des parcours résidentiels complexes. En conséquence, nous observons une stabilité résidentielle faible réduisant ainsi le nombre d'enfants ayant vécu au moins six ans dans les mêmes lieux. Cette mobilité forte est due – parmi d'autres – aux revenus bas, à la précarité économique des familles, aux conflits sociaux et familiaux. Ce constat rejoint d'autres travaux présentant la continuité comme inhérente à l'expérience du foyer. Ainsi, Tognoli (1987)montre que l'expérience de continuité marque la différence entre le foyer et le logement. La discontinuité est, d'une part marquée, chez des résidents à revenus limités, continuellement forcés à effectuer des déménagements involontaires (Fried, 1963). Elle est, d'autre part, associée aux placements insatisfaisants, en l'absence d'un foyer stable et permanent (Bettelheim, 1970 ; Verdier, 1992).

D'autres auteurs soulignent, aussi, l'influence des changements fréquents de logement sur l'équilibre psychologique des individus, et plus particulièrement sur le potentiel de résistance (Chombart de Lauwe, 1969). Des études signalent que la «continuité des relations, de l'entourage et de toute l'influence qu'exerce l'environnement, est un élément fondamental au développement normal de l'enfant» (Goldstein, Freud & Solnit, 1978, p. 40).Les déménagements et les déplacements répétitifs exposent les individus au risque de perturbation et de discontinuité. Le sentiment de continuité des lieux est ainsi menacé par des sentiments de transition dûs aux déplacements entre des lieux précaires. Par ailleurs, et au niveau plus large des populations, l'attachement au foyer absent suite aux processus de distribution démographique, de dispersion et de réimplantation, expose les individus et les communautés au risque de conflit et de dysfonctionnement (Fried, 2000).L'aspect dysfonctionnel s'accentue lorsque persiste le désir de s'accrocher aux fragments et aux résidus d'un habitat détruit, physiquement ou socialement, contre tout espoir de récupération et contre toute possibilité de reconstruction et de retour. Ainsi, les études de Fried, à Boston, montrent que les classes sociales, à statut élevé et moyen, accordent peu d'importance aux conditions communautaires de l'habitation. En outre, cet environnement prend une signification ultime pour les classes sociales inférieures. Généralement, la dérogation, la discrimination, la rareté des opportunités sociales, chez des populations à niveau social réduit et chez des minorités ethniques, accentuent le besoin de partager des conditions de vie communautaires et nourrissent les sentiments d'attachement.