3-Fréquentations des lieux et interactions

Les résultats obtenus révèlent que les dimensions psycho‑socio‑écologiques du rapport à l'habitat affectent le comportement des habitants et influencent, par conséquent, la nature et la qualité de leurs interactions sociales. Le rapport enfant - cadre de vie est influencé par l'interaction des facteurs internes (besoins, prédispositions, sensations) et des facteurs externes à un moment donné (Rivolier, 1992). De ce fait, des rapports conflictuels, similaires versus opposés, émergent dans les trois cadres de vie. La similarité apparaît dans les conflits avec l’autorité éducative et disciplinaire ainsi que dans le refus du style éducatif parental, de l’exigence scolaire et des sollicitations émanant des pairs. Les comportements agonistiques observés dans chacun des cadres de vie font la distinction entre les trois populations. Dans le g. Maison, dominent des comportements d'anxiété et de violence consistant à déranger autrui et à détruire des objets. Les difficultés du g. Village se font jour vis‑à‑vis de soi - même et des autres. L’enfant manifeste, d’une part, un refus de soi, de ses propres limites et, d’autre part, un refus des comportements d'autrui. Dans le g. Institution, le conflit est activé, d’un côté, par les désirs insatisfaits et les besoins inassouvis et, d’un autre côté, par l’absence des personnes significatives et des objets de désirs.

Les stratégies positives de «coping» sont presque communes aux enfants lorsqu’il s’agit de résilience, de courage, d’objectivité et de sollicitation de l'aide. Par ailleurs, dans le cas d’une approche négative des difficultés, dite approche de «débordement», le g. Maison adopte une attitude d’indifférence. La population Village tend à privilégier la révolte et le refus, tandis que les habitants Institution privillégient le recours à l’agressivité.

Toutefois, il semblerait que refus et insatisfaction sont aussi bien en rapport avec le contexte socio‑affectif qu'avec le cadre physique. Ce résultat va dans le sens d'autres travaux identifiant dans l'ambiance d'amour et de sécurité affective une nécessité de premier ordre. Il s'agit d'un besoin irremplaçable et irréductible aux satisfactions palliatives correspondantes aux conditions physiques de l'habitation. Ainsi à Nebraska, Flanagan, le fondateur de «Boys Town» [foyer pour enfants orphelins, défavorisés et délinquants] accordait une importance première aux effectifs de tendresse et d'amour. Par delà la nourriture, la couverture et le toit, il faut chercher à satisfaire un besoin humain fondamental, voire le besoin d'amour. Flanagan jugeait inutile les travaux des centres d'éducation tant qu'ils n'aboutissent pas à compenser la perte ou l'absence parentale par la tendresse (Oursler & Oursler, 1955). Ce constat constitue un objet d'observation chez René Zazzo soulignant le fait qu'au-delà de la nourriture et des besoins matériaux, le corps humain a principalement besoin de la présence, de l'affectivité et de l'amour d'autrui (Zazzo, 1979). Rappelons aussi les expériences de René Spitz qui ont mis en évidence la priorité de l'affection par rapport aux conditions physiques, même excellentes. Les études de Spitz font apparaître le danger d'hospitalisme qui guette «l'enfant‑hôte» à qui rien ne manque matériellement. En outre, bénéficiant d'une ambiance parentale affective et attentive, l'enfant est susceptible d'évoluer plus favorablement en dépit des circonstances physiques insatisfaisantes (Spitz, 1976). L'amour et l'acceptation inconditionnelle favorisent l'équilibre affectif sinon, «privé de cette affectivité, l'enfant vivra un sentiment d'insécurité source de réactions négatives de sa part» (Hummon, 1972, p. 130). Winnicott ne manque pas d'insister sur le grand apport de l'affectivité dans la vie d'un homme en évoquant la contribution des soins d'une mère dévouée (Winnicott, 1971). Il repère dans l'amour maternel une condition favorable à l'épanouissement et au bonheur humain, impliquant de ce fait que «toute personne heureuse, doit infiniment à une femme» (Winncott, 1971, p. 205).

Les rapports de l'homme à son cadre de vie ne sont pas compréhensibles sous l'unique aspect des facteurs sociaux mais aussi sous l'influence des mécanismes de stress. Ainsi, pour rendre compte des facteurs de stress, Annie Moch (1989) évoque la perception de l'environnement dont le rôle est déterminant dans les interactions humaines avec le cadre de vie. Cependant, des études New-yorkaises autour du stress montrent que les facteurs d'inconfort proviennent de pôles multiples. Le premier comprend les impressions, les sentiments et les intuitions, tandis que le second relève des caractéristiques physiques des lieux (Ittelson, 1976). La nature exploratoire de nos résultats ne permet pas d'identifier définitivement les sources de stress dans le rapport enfant – habitat, ce qui nécessitera des études basées sur des échelles de mesure spécifiques. Toutefois, il semblerait que les caractéristiques physiques des lieux aussi bien que les aspects cognitifs sont responsables, à des degrés différents, des réactions du stress observées, dans le cadre de la présente étude.

Les fréquentations de l’environnement résidentiel proche sont influencées par la structure de l'habitat. Au foyer parental, deux ensembles d’espaces affichent un haut niveau de fréquentations et de visites : il s’agit, d’une part, des lieux socio‑affectifs et, d’autre part, des aires sportives et ludiques. Au niveau du Village, apparaît la fréquentation des espaces d’ordre historico‑culturel et aquatique. Dans le cadre institutionnel, la fréquentation de l’extérieur avoisinant semble limitée, c'est pourquoi les enfants citent des lieux fréquentés à partir de la maison parentale tels que l’environnement naturel et les espaces «socio‑émotionnels» (maisons de la famille proche, village natal). Toutefois l’environnement naturel est indiscutablement fréquenté par les trois groupes résidentiels. Par ailleurs, la structure résidentielle semble affecter, faiblement, les rapports aux espaces intérieurs de l’habitat sauf dans certains cas, tels que le salon et les lieux de prière.