5.2. Dimension de liberté et d'intimité 

Le résultat qui affiche l'attirance des enfants (Institution) vers toute aire de jeux et tout terrain de sport, permet d'identifier un aspect spécifique de l'attachement aux lieux : il s'agit de «l'attachement générique» (McAndrew, 1992). Cet auteur considère que l'attachement générique aux lieux se développe, non à l'égard d'un lieu unique et déterminé, mais envers divers espaces ayant tous des caractéristiques similaires. Ainsi, l'attachement générique aux espaces de jeux prend appui sur des qualités environnementales telles que l'opportunité d'échapper aux contraintes, l'acquisition de l'autonomie et l'expérience sociale de liberté (Fischer,1983, 1994). La carence des milieux institutionnels en autonomie et en liberté pourrait justifier la fascination exercée par des domaines plus compétents à améliorer la qualité de la vie enfantine (Chawla, 1992).

Nos statistiques montrent que l’espace intime de la chambre à coucher exerce une attraction deux fois plus vigoureuse sur les populations Maison et Village que sur le g. Institution. En effet, ce dernier ne bénéficie pratiquement pas d'espace d'intimité, du fait de la dimension collective dominante. Le cadre de vie au foyer parental et aux villages d'enfants semble privilégier et développer les facteurs d'intimité entraînant, par conséquent, les individus vers la solitude, le contrôle de l'accès et l'éviction du dérangement. Ceci montre que l'intimité est reliée à la liberté et à la quantité de l'espace disponible à l'usage de l'enfant. Les recherches de Maxime Wolfe (1978) auprès d'adolescents bénéficiant de chambres à coucher, partagées ou individuelles, montrent que le recours à la solitude et la revendication du non dérangement décroissent avec la croissance du nombre des occupants et avec la hausse de la densité humaine. Autrement dit, plus la densité humaine augmente et moins les éléments d'intimité séduisent les habitants.

Le désir d'intimité serait d'ailleurs stimulé par le celui de contrôle, à savoir le contrôle des lieux, des relations sociales et de la délimitation du champ d'accès des autres (Korpela, 1989). La valorisation de la dimension d'intimité rappelle d'autres travaux voyant dans le désir de se soustraire aux regards intrusifs, un aspect fondamental et une caractéristique essentielle de l'expérience du chez soi (Sixsmith, 1986; Sebba & Churchmann, 1986).

L'attraction exercée par la chambre à coucher atteste de la valeur de l'intimité comme élément prééminent du vécu résidentiel et comme un attribut caractéristique de l'habitat. A ce titre, Tognoli (1987)effectue une distanciation entre le foyer et le logement caractérisant de ce fait le foyer par un ensemble d'attributs dont «l'intimité». La dimension émotionnelle de l'intimité est reprise dans les recherches de Dovey (1995) démontrant que la base émotionnelle des rapports résidentiels constitue le fondement du «chez soi». En somme, les résultats, concernant l'attachement à la chambre à coucher, rendent compte de la pertinence de la notion d'espace personnel aux frontières invisibles (Sommer, 1969). L'espace personnel traduit la quantité d'espace disponible et favorable à régler le comportement spatial des individus (Moles & Rohmer, 1972).

Contrairement à nos attentes, les aspects fonctionnels et interstitiels de l'habitat (cuisine, bureau d'études, salle de bain, balcons, entrée) sont loin de fasciner les enfants ou de représenter, pour eux, des lieux et des objets d'attachement. Cette indifférence à la dimension de fonctionnalité nous étonne, plus particulièrement lorsque nous prenons conscience de la valeur symbolique et du poids architectural de la cuisine dans la société libanaise.

Nos résultats révèlent que des sentiments de refus vis-à-vis du cadre de vie se manifestent dans les trois structures résidentielles. Cependant, le rejet des lieux de vie n’est pas gratuit mais il est activé par des facteurs sociaux, psychologiques et architecturaux. Les enfants en évoquent les difficultés d’adaptation, la présence contraignante des autres, le déni des émotions et les conditions d'habitation. Nos résultats rejoignent d'autres études percevant dans les facteurs architecturaux et psychosociaux des raisons valables au rejet des lieux. Les caractéristiques des espaces les plus évités font référence à leur conception fonctionnelle, à leur visibilité excessive, leur horizon fermé et limité et à la présence envahissante d'autrui (Palmade & Lugassy, 1970). Il semblerait aussi que les formes rondes, courbes ou en bulles sont des formes inquiétantes ayant pour conséquences de repousser et d'éloigner les usagers (Ekambi-Schmidt, 1972).