8-Aspirations et désirs résidentiels

Nos résultats montrent que la qualité de l’expérience résidentielle module les aspirations des individus en fonction du cadre de vie. Toutefois, les trois types d'habitants relatent des expériences communes telles que la présence conjointe des aspirations à la réussite et à l’évasion par le voyage.

Le g. Maison axe ses aspirations sur deux principaux domaines : la propriété et le bonheur familial. En fait, ces enfants aspirent à l’appropriation et à la possession d'objets diversifiés, simples ou complexes, et inconsommables, allant de l’acquisition d’objets à usage momentané jusqu’à la possession d’une demeure à soi. Quant à l’aspiration au bonheur, elle sous-tend le désir de préserver, dans le temps, la continuité de la sécurité et du bonheur positivement expérimentée par l’enfant au sein de sa propre famille. Les enfants illustrent les garanties d’une telle situation par la longévité parentale, la préservation de la santé et la réunion permanente des membres de la famille.

Les aspirations du g. Village touchent aux investissements affectifs et artistiques. Elles sont centrées sur l’enfant lui-même, mais nullement sur les autres. Il s’agit, d’une part, de l’aspiration à vivre une vie amoureuse et une vie familiale future en ayant des solutions magiques. D’autre part, l’aspiration à l’investissement artistique et sportif est renforcée par le désir d’une reconnaissance sociale issue d'une réussite héroïque (championnat).

Les aspirations des habitants Institutions se rapprochent, d’une part, de celles du g. Maison et se différencient d’elles, d’autre part, pour prendre un aspect spécifique et particulier. Le rapprochement s’effectue au niveau de deux types d’aspirations : 1) la conquête et l’acquisition permanente et personnelle des objets inconsommables, notamment de maisons à soi, et 2) l’aspiration à la sauvegarde de la famille et du bonheur familial moyennant la prière, l’intervention Divine, la chance et la proximité physique et visuelle. Des aspirations particulières soulignons, la satisfaction des besoins élémentaires de base et la vie d’altruisme consistant à aimer Dieu et le prochain.

La répartition des aspirations selon l’appartenance sexuelle des enfants révèle que les filles sont plus portées que les garçons à aspirer à la réussite, à la sauvegarde de la famille, à l’évasion et à la reconnaissance sociale. Cependant, les garçons aspirent davantage à devenir doués d'intelligence et de force ainsi qu'à la conquête et à la possession des objets. Chombart de Lauwe (1976) attribue aux aspirations un aspect de non nécessité et de non obligation, ce qui est le cas des habitants Maison et Village. Cependant, cet auteur considère qu'elles sont susceptibles d'afficher un caractère contraignant et de se fixer en besoins. La population Institution illustre ce cas de figure par la formulation d'aspirations visant l'accessibilité à des besoins humains de base.

Nos résultats montrent que la structure de l’habitat affecte les désirs des habitants modulant ainsi leur élan à améliorer la qualité du cadre de vie. Toutefois, comme nous l'avons signalé préalablement, les désirs liés à l’environnement naturel constituent un point commun entre les trois populations. Les enfants expriment des désirs consistant à intervenir sur l'environnement naturel des paysages afin de l'améliorer et de l'embellir. Ils proposent des moyens adéquats à la modification souhaitée : effectuer de nouvelles plantations d’arbres, sauvages et fruitiers, multiplier la plantation de fleurs, renforcer la végétation des légumes, semer des tapis de pelouse, créer des parcs et concevoir des jets d’eau et des piscines. Bref, ils désirent intensifier la présence des éléments naturels, notamment la verdure et l'eau. Ces résultats sont renforcés par d’autres recherches internationales approuvant l’attraction qu’exerce l’environnement sur les individus. Ils mettent en relief son rôle constructif et son influence sur la récapitulation des énergies et la restructuration de la réflexion.

Tout d'abord, les paysages naturels constituent l'objet des aspirations enfantines beaucoup plus que l'environnement bâti (Kaplan, 1987).

Ensuite, les environnements naturels sont dotés d'un pouvoir «restaurateur» puisqu'ils favorisent la détente et la liberté des individus. Kaplan voit dans les espaces de verdure des puissances favorables au déclenchement de la détente et de la réflexion, voire à la contemplation de la nature.

Le concept de compatibilité évoque trois types d'environnements pourvus de pouvoir «regénateur», appropriés aux activités et contrôlables (Kaplan, 1983). Selon Kaplan, l'environnement sert d'une part, de «support» aux activités humaines par lesquelles les individus participent aux événements de la vie. D'autre part, l'environnementexerce un effet réparateur sur l'individu qui y trouve un moyen d'éviter les astreintes et les pressions sociales. Le contact avec la nature favorise, non seulement, la restructuration des énergies et le contrôle des lieux, mais il dote aussi les individus de forces nécessaires pour répondre à des environnements plus stressants.

D'autres études montrent aussi que l'intensification des éléments de verdure affecte, d'une part, l'utilisation de l'environnement et les réponses affectives vis-à-vis de lui et modifie, d'autre part, la perception de la qualité de vie (Sheets &Menzer,1991). Les espaces naturels protègent les individus des regards de contrôle et leur procurent l'opportunité d'agir en liberté et de sentir la fascination des lieux. Le fait que les enfants perçoivent dans l'environnement de proximité un prolongement du foyer rejoint le concept de «l'extension du chez soi», voire [«home range»] (Caster, 1995). L'environnement naturel proxémique représente ces espaces fascinants, accessibles et «appropriables» par les enfants. Il est également possible de rapprocher ce résultat de celui de Ratiu (1996)qui a relevé l'importance accordée au «home range» dans un contexte urbain de la région parisienne chez des familles ayant des enfants en bas âge.

Les désirs du g. Maison sont axés sur le renouvellement (meubles, équipement, fourniture) et sur la conception d’espace personnel. Les espaces stimulateurs d’un grand nombre de désirs sont la chambre à coucher, la salle de séjour et le salon.

  • Les désirs profonds des enfants visent, en fait, une amélioration possible du «déjà  là ». Ils souhaitent accéder à une qualité de vie meilleure et plus confortable, moyennant le perfectionnement et le renouvellement des objets «mis en service». Ce résultat permet d'avancer l'idée que le rapport aux objets, malgré ses apparences d'utilité, reste au fond un rapport esthétique cherchant le confort, le plaisir et le bonheur au quotidien (Moles, 1972).
  • La recherche de l'espace personnel correspond au désir de se mettre à l'abri des regards et de vivre dans une zone d'intimité. L'intimité du chez soi acquiert généralement des qualifications de sérénité et de liberté essentielles à l'expérience du foyer (Sebba & Churchmann, 1986; Sixsmith, 1986).L'espace personnel semble aussi lié au concept de contrôle (Korpela, 1989), aux modes d'occupation du lieu (Fischer, 1992), incluant de ce fait son usage, ses significations et les activités correspondantes. Il s'agit de l'envie de se sentir dans un «chez soi» attitré, favorable à la démarcation territoriale et à l'appropriation.

Les principaux désirs des habitants Village illustrent la symbolique du relationnel. Signalons, principalement, le désir de s'entourer d'objets et de multiplier leur présence autour de soi. Il est possible de situer les objets désirés dans un champ bipolaire : transitionnel et «dévotionnel.» Les jouets et les peluches peuplent le premier, tandis que les statuettes, les icônes et les bibelots constituent le second. Leur localisation idéale est la chambre à coucher et la salle de séjour. Les modes de rapports à ces objets sont d'ordre possessif‑accumulateur et d'ordre esthétique.

  • Le rapport possessif aux peluches et aux jouets implique un lien de domination ou d'aliénation entre l'individu et les objets. L'importance est accordée à la quantité des objets accumulés.
  • Quant au rapport esthétique, il s'intéresse aux aspects plastiques de la vie quotidienne, à la beauté et au plaisir. Moles (1972)rapproche ce type de rapport à l'idée du «kitsh» qui a des influences sur le bonheur des individus. Le rapport «kitsh» privilégie l'effet des caractéristiques physiques à l'aspect fonctionnel des objets.

L'amélioration du cadre institutionnel est axée sur les désirs de combler un manque et de satisfaire aux besoins élémentaires dont la caractéristique essentielle est la fonctionnalité et l'utilité. Le mot clé des désirs réside dans l'obtention du strict nécessaire à la survie quotidienne. En effet, il s'agit de disposer de matériaux et d'accessoires suffisants. Les premiers sont constitués d'objets utilitaires, et les seconds d'objets intermédiaires et décoratifs. Les premiers satisfont aux besoins de protection écologique (soleil, repos et lumière); les seconds visent à embellir et à rendre gai la réalité quotidienne. La nature de ces désirs rend compte du mode fonctionnaliste du rapport aux objets (Moles, 1972). En dévoilent le désir de rapport cumulatif versus qualitatif aux objets, les résultats rappellent, en général, la distinction posée entre «mieux et «davantage» (Rocheberg & Halton, 1981).

La dimension symbolique, fonctionnelle et esthétique dégagée de l'étude rappelle la catégorisation des objets où Moles considère les objets comme des «médiateurs de la relation entre chaque homme et la société»(Moles, 1972, p. 9).

Finalement, certains de nos constats trouvent un écho dans des travaux portant sur les dimensions de la situation d'habitation (Amérigo & Aragonès, 1990). Ces auteurs déterminent neuf dimensions de la situation d'habitation qui sont susceptibles de prédire la satisfaction résidentielle chez les populations à statut social bas. Ces dimensions sont l'attachement au lieu d'habitation, les relations avec le voisinage, l'infrastructure de base du logement, la sécurité, la détérioration de l'environnement, la connexion avec l'extérieur, les activités, le bruit, la variété des espaces urbains et des espaces naturels.