Université LYON II - Auguste et Louis Lumière
U.F.R D’HISTOIRE
Thèse pour obtenir le grade de DOCTEUR de l'université LYON II
en Histoire
Le jeudi 18 décembre 2003
L’eau dans le monde musulman médiéval.
L’exemple de Fès (Maroc) et de sa région
Sous la direction de Monsieur André BAZZANA
Devant un jury composé de Messieurs
André BAZZANA, directeur de recherche au CNRS,
Yann CALLOT, professeur à l’Université Lyon II,
Mohammed EL FAÏZ, professeur à l’Université Cadi Ayyad, Marrakech,
Pierre GUICHARD, professeur à l’Université Lyon II,
Pierre-Philipe REY, professeur à l’Université Paris VII.

AVANT-PROPOS

Une nouvelle thèse sur Fès… Faut-il s’en (la) justifier ? En fait, pas tellement. Quand il s’agit d’une étude sur Fès, je ne sais par quelle instigation on succombe à l’impression du déjà accompli ou du déjà vu, comme si la chose était à jamais cernée ! Ce n’est point ici la défense d’un douteux mais le principe de départ de ce travail : les affirmations hâtives ne servent qu’à abuser les non-initiés et à nourrir d’illusions les intéressés. C’est en doutant qu’on construit les certitudes et c’est en cheminant qu’on trace le chemin d’une recherche. À mesure qu’on progresse, on construit sa propre langue. Autant j’ajoutais foi en la nécessité de traiter ce sujet, autant j’essayais de prendre garde aux erreurs qui peuvent guetter, à tout instant, chaque chercheur.

Outre les règles et les principes méthodologiques que j’ai essayé, tant bien que mal, de respecter, il me plaît d’évoquer ici, les outils « souterrains », qui ont fortement marqué ma démarche. Travailler sur l’eau, c’est suivre le sens de l’écoulement, c’est se trouver devant un corps qui flue, insaisissable et c’est aussi être devant un élément qui nous renvoie notre image d’être vivant.

Si Gaston Bachelard 1 , dans ses rêveries, évoquait son plaisir d’« accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui sème la vie ailleurs », l’archéologue réalise qu’il ne suffit pas de découvrir les structures qui ont permis à l’homme de dominer et de domestiquer l’eau, mais surtout, de suivre cette dernière jusqu’au cœur de la société. Ainsi, il fera parler la « mémoire de l’eau », ses fonctions, les enjeux de son utilisation et les différents acteurs qui sont mobilisés. De la même manière, quand le philosophe voit, dans l’image que renvoie l’eau, l’origine de la prise de conscience par l’homme de son humanité et le signe de son narcissisme, l’archéologue que je suis, a vu naître l’idée du vivant, de l’organisme. Étudier un élément vivant dans un cadre urbain, ne peut se faire que dans une logique qui conçoit la ville comme un organisme et non une dépouille ou une simple articulation mécanique.

Passons des rêveries du philosophe G. Bachelard à la réalité de l’artisan ou du fellah de Fès. Ma dette envers ces petites gens est tellement grande… ; elle est, à la fois humaine et méthodologique. Les fellahs que j’ai observés dans les champs et les campagnes de Fès m’ont apporté, certes, un contingent d’informations mais aussi une façon d’appréhender le terrain. Au vrai, le chercheur n’est-il pas un humble petit fellah ? J’ai mené ma recherche de la même façon que l’agriculteur irrigue et cultive son champ. Le fellah cherche son eau, lui libère l’espace, prépare son chemin, assure l’étanchéité, règle le débit, multiplie l’opération et suit la progression de l’eau. Ayant longuement observé sa démarche, je me vois répéter les même gestes. Après avoir défini mon sujet, j’ai étudié la possibilité, conduit mon plan, étayé mes lectures en leur donnant un sens, multiplié les analyses et suivi la progression de mes réflexions.

Face aux écueils de la recherche, je n’ai trouvé mieux que la vigilance et la patience du fellah, qui est toujours prêt à réparer d’éventuelles fuites et doit s’organiser pour irriguer ses parcelles dispersées ; si le débit d’eau baisse et que certaines terrasses n’ont ainsi pas pu être arrosées durant le “tour ” d’irrigation, il lui faut trouver une solution de rechange, voire transporter l’eau d’ailleurs ou tout simplement essayer de gérer la rareté.

Le parallélisme avec les études universitaires est, je crois, éloquent. Les historiens du monde musulman médiéval se heurtent fréquemment à une carence documentaire, face à laquelle ils sont obligés d’« inventer » de nouvelles archives ; les fatwa/s juridiques semblent être leur dernière découverte. L’archéologue, quant à lui, est par essence, condamné à gérer la rareté : il travaille sur les traces et les indices. En revanche, il faut l’avouer, c’est admirablement stimulant.

De ces maîtres artisans de Fès (ķwâdsiyya : canalisateurs), j’ai beaucoup appris. Tout en ayant une connaissance de l’ensemble du réseau, ils ne négligent jamais les petits détails des tâches qu’ils exercent, ils en parlent comme métier et valeur sociale, et ils n’oublient aucunement de rendre hommage à leurs anciens maîtres. Devant eux, je ne suis qu’un simple apprenti…Le présent travail leur doit beaucoup et je leur en suis reconnaissant.

Notes
1.

BACHELARD (G.), L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Librairie José Corti, Paris, 1942.