Orientation de la recherche

L’analyse en termes de réseaux : apports et pertinence

A ce stade, il devient aisé de retenir la stratégie de cette recherche. Elle a pour objet la définition de schémas explicatifs, dont l’enjeu est d’apporter l’éclairage sur le phénomène du pouvoir aussi bien que sur les assises de sa légitimité.

S’il est certain que l’accomplissement de la rationalité du pouvoir suppose qu’il se soit structuré comme système d’action83, on s’interroge en revanche s’il n’est pas un construit socialement et historiquement situé. Vu sous cet angle, un certain nombre de questions méritent d’être soulevées. D’abord, du fait que notre objet d’étude, le Mozambique84, se définit par une trajectoire historique et par un profil social entre tradition et modernité85 ; ensuite, qu’il se rapporte à la période coloniale ou post-coloniale, le pouvoir politique en place est en interactivité avec un espace multiethnique et multi-religieux86, donnant lieu à une société globale87.

Cette multiplicité d’espaces représente à la fois des espaces géographiques et culturels, dotés de structures de pouvoirs. La portée de la notion d’espace dans cette réflexion dérive du fait qu’elle permet de saisir l’environnement des univers sociaux aussi bien que de ses sous-groupements humains. Donnée fondamentale pour appréhender les rapports sociaux, l’espace renvoie à la proximité réelle (le voisinage), à la proximité du lieu ; à l’ensemble de pratiques qui construisent et représentent notre appartenance à un groupe social, c’est-à-dire les marques de solidarité qui signalent le lien social (ou l’exclusion) ; à la participation et à l’effectivité de l’appartenance, ainsi qu’aux processus mis en œuvre pour la formation de l’opinion, permettant à ses membres d’être pris en compte et d’être écouté. L’espace ne peut plus être défini par un seul territoire, mais comme lieu de vie ; il représente donc non seulement l’ancrage territorial de l’habitant, mais surtout le lieu où se jouent les conflits et l’effet des décisions en matière d’inégalités de touts ordres. Le lieu étant totalement pénétré par la communication, on s’y intéresse par rapport aux sens de liens existant entre les individus, aux modes de production de l’opinion politique, par référence à leur situation collective.

Etant donné que le pouvoir est en même temps relation d’interaction et de production du social, il y a donc lieu qu’on s’interroge : Comment et pourquoi le pouvoir en tant qu’organisation arrive-t-il à s’imposer comme système ? Qu’est-ce qui explique que certains individus et groupes sociaux parviennent à se placer au centre du pouvoir, et par-là, au centre de relations sociales ? L’organisation secrétant une structure hiérarchique, une différenciation structurale (réelle ou en construction ) : sur quelles bases les gouvernés interprétent, appréhendent et se font-ils une opinion du politique?

Dans le sillage du raisonnement dont on s’inspire, cette problématique n’est pas sans intérêt. Il suffit que l’on se reporte aux crises de transition à l’indépendance en Afrique. Celles qui ont été déclenchées par le modèle du développement inspiré du mythe de l’Etat-nation sont également éclairantes. Elles rendent compte de la complexité de l’interactivité du social et du politique dans bon nombre de pays africains. Le cas du Mozambique en est une illustration.

Ces conflits se sont certes déroulés dans le cadre de la lutte contre l’Apartheid en Afrique australe mais le politique était au cœur de leur développement. Ils témoignent d’ailleurs du fait que la fonctionnalité des Etats africains rend incontournable la mise en place de coalitions à variété culturelle, sur la base de transactions et de compromis. Après dix ans de lutte armée, le FRELIMO88 conquit l’indépendance politique en 1975. Par la suite, il se proclama, en 1977, Parti marxiste-léniniste et d’avant-garde de ce qui a été désigné, dans le discours officiel, par « la classe ouvrière et paysanne ». En tant que tel, le Frelimo devait diriger l’Etat et la société89. Il s’est constitué par conséquent un champ d’action sociale dont l’enjeu était la structuration de l’Etat. Tel champ d’action était marqué par des conflictualités déterminées, d’une part, par la concentration politique, et, d’autre part, par l’environnement extérieur du Mozambique. Ce fut dans ce contexte que tout un ensemble de mesures dont la réalisation, commencée en 1976, aboutit à la création d’un appareil étatique intervenant dans les sphères économique et sociale. Quant à la politique extérieure, la visée était de rapprocher le pays du système établi dans les pays de l’Est, en particulier de l’ex-URSS.

Le programme de modernisation fut mis en oeuvre. Axé sur l’édification des villages communautaires, il devait permettre aux paysans, d’après Manuel Ferreira90, de “ sortir du secteur traditionnel et de leur torpeur millénaire”. En effet, la grande partie de la population mozambicaine était constituée de paysans, appartenant à des structures lignagères, sur leurs domaines territoriaux. A la lumière du droit coutumier, la terre est à la fois un des repères identitaires, un don des ancêtres et un héritage pour les générations futures. De plus, celle-ci tenait un rôle fondamental dans la reproduction des rapports sociaux entre les communautés rurales. Au lieu du retentissement prévu, la collectivisation rurale n’a entraîné que des conflits entre ces dernières et l’Etat, dont l’élite disait paradoxalement qu’il s’agissait d’une entreprise de la classe ouvrière et paysanne.

John Saul91, Barry Manslow92 et d’autres auteurs ont identifié ce qu’ils ont appelé ‘les conflits de classes’ durant la lutte armée comme la source de contraintes obligeant le FRELIMO à évoluer vers un projet marxiste-léniniste de l’Etat. Selon Bertil Egero93, poussant ses analyses dans la même perspective, ce processus traduisait la construction du pouvoir de la classe travailleuse, de l’Etat populaire au Mozambique. Néanmoins, ces auteurs n’expliquent pas pourquoi les composants de la prétendue alliance ouvrière-paysanne se sont laissés mobiliser pour participer à la guerre civile, amenant le régime marxiste à sa chute.

En effet, de 1976 à 1992, le Gouvernement doit faire face aux conséquences de la guerre. Déclenchée comme un processus de déstabilisation mis en oeuvre par la Résistance Nationale Mozambicaine (RENAMO), au profit, d’abord, du régime d’Ian Smith en Rhodésie du sud, puis du système de l’Apartheid, en Afrique du sud, ce conflit prit, dans les années 80, la figure d’une guerre civile. Il en découla de nombreuses embûches dans la réalisation des programmes de développement et la nécessité de rechercher de nouvelles bases pour l’entretien de l’Etat. L’adhésion au FMI et à la Banque Mondiale en 1983, l’abandon en 1990, du modèle de développement d’inspiration marxiste-léniniste94, l’engagement de négociations dans le but de mettre fin à ce qui était appelé, à l’époque, la “guerre des bandits armés”, sont des démarches de rétroaction de l’entreprise étatique devant la crise économique et sociale persistante.

Ce fut alors que, grâce à la médiation internationale, le Frelimo et la Renamo purent progresser vers un consensus global à l’égard des questions qui les opposaient. Le 4 octobre 1992, les deux Partis signèrent à Rome l’Accord Général de Paix (AGP). Pour l’essentiel, l’AGP confirma le pluralisme politique et la réalisation d’élections fondées sur le principe du suffrage universel, entendu comme étant le processus conduisant le Mozambique à la démocratie. Les résultats de ce nouveau tableau politique sont les suivants. Outre les deux formations belligérantes, 12 d’autres partis politiques95, d’inspiration ethnique, régionale ou à dimension nationale, participèrent aux élections législatives en octobre 1994.

Légitimant un nouveau modèle d’articulation du politique et du social, le scrutin qui eut lieu est à l’origine de l’Etat de partis au Mozambique96. Comme au Botswana, en Ouganda, en Afrique du sud, au Cameroun ou ailleurs, on y voit les stratégies des acteurs du politique réaménageant alliances et compromis avec une variété de forces sociales, y compris les élites traditionnelles.

Le processus politique mozambicain illustre qu’à la racine de l’interactivité du social et du politique se trouve cette quête de régimes d’échanges sociaux permettant la régulation et la durabilité de la société globale. A ce propos, Brazão Mazula et all., dans leur ouvrage intitulé MOÇAMBIQUE, Eleições, democracia e desenvolvimento97, soulignent, à l’instar d’autres chercheurs98, l’avènement de la démocratie au Mozambique.

La débâcle du régime à Parti unique s’est certes imposée de pair avec le changement du cadre institutionnel permettant la formation des partis politiques à tendances variées et l’accès au pouvoir par le rituel électoral99. Mais ce changement n’a apporté que l’ouverture des voies de l’apprentissage social d’une nouvelle culture politique. La démocratie n’est pas un ensemble de procédés d’abord. Elle est d’abord la croyance aux droits de l’homme comme système de représentations organisatrices des rapports sociaux se traduisant par plus de liberté et plus de responsabilité collective de la chose publique. Or, ce n’est pas encore le cas des sociétés entre tradition et modernité100.

On se permet donc de mettre à l’écart de la tendance pressée d’associer les multipartismes africains à la réalité d’une démocratie achevée. En revanche, ce fait social en tant que stratégie de communication et de légitimation du pouvoir dans un environnement social où le mythe d’Etat-nation n’est pas un déterminant des préférences politiques, n’est pas dépourvu d’intérêt politologique. De ce fait, on considère les multipartismes africains pour des réalités de déconcentration politique.

Par déconcentration politique, on ne représente ni des cas de fédéralismes ni des sociétés à désordre dues aux ethnicismes à l’encotre des frontières héritées du système colonial et amenant à la désintégration de l’Etat. Au contraire, on identife au Mozambique l’existence d’une société d’Etat : issue de la domination coloniale et de la Lutte de Libération, elle s’est construit un centre de pouvoir, incarné par ses appareils intégratifs (administratifs et politiques), et qui assurent l’accomplissement des rationalités du pouvoir101. C’est à ces appareils que revient d’ailleurs la tâche de faire que la société forme un tout malgré la pluralité des structures – économiques, sociales, religieuses, etc. – qui s’y combinent ; de faire que ses membres vivent ensemble en dépit des conflits qui les opposent ; de faire que des décisions qui y sont prises et coordonnés, engagent les groupes composant la société ; d’assurer que les processus centrifuges et centripètes fondant la cohérence sociétale ne débouchent pas sur la désintégration de la société globale102.

A la croisée du traitement juridique et de l’approche stratégique, la déconcentration politique sera un mode d’inscription du pouvoir dans la société à des identités multiples. Du point de vue juridique, la déconcentration n’est qu’un aménagement territorial de l’administration de l’Etat ou encore, un aménagement pratique de la centralisation. Elle se caractérise par des principes et des règles d’étroite dépendance à l’Etat. C’est lui qui nomme ses agents déconcentrés pour le représenter, pour parler et agir en son nom dans des circonscriptions qui organisent une localisation de son pouvoir, sans porter aucune atteinte à l’unité de celui-ci. Avec la déconcentration, l’administration reste aux mains du pouvoir central ou de ses agents déconcentrés dont les actes doivent être conformes ou, au minimum, compatibles avec les normes supérieures émises par le pouvoir central. C’est l’application du principe de la hiérarchie des normes. Dans ce sens, l’administration centrale et l’administration déconcentrée forment un ensemble (système) : La première instance du pouvoir et celles émanant de la déconcentration politique restent étroitement liés par des rapports de soumission et de contrôle hiérarchique. La relation qui s’établit entre l’autorité supérieure centrale et l’autorité déconcentrée est une relation de compromis et d’ordre, qui implique l’obéissance du subordonné local. La déconcentration peut donc se définir comme une technique de commandement dans laquelle l’agent déconcentré est subordonné à l’autorité de l’Etat. Ces rapports d’interdépendance seront à la racine d’un système coalitif et cliéntelaire103, dans la mise en œuvre de la politique.

Le concept de déconcentration politique cherche donc à décrire un champ de rapports sociaux et d’agencement du politique géré par un centre allocateur de ressources rares. Il se traduit par un ensemble de pratiques formelles et informelles visant à inscrire le politique, y compris le sens du rapport à l’Etat, dans la diversité des espaces sociaux composant la mosaïque humaine de l’Etat sans-nation. Par rapport à cette diversité d’espaces sociaux le regard du politique en termes de déconcentration retient de chaque espace aspects historiques, économiques, culturels et ceux relevant du domaine de croyances, qui font le substrat de la culture politique.

Par ce biais, la notion de déconcentration politique éclaire d’abord la façon dont les gens construisent l’opinion les amenant au consentement ou à l’illégitimation du système politique en place ; ensuite, elle éclaire comment dans un contexte social entre tradition et modernité, les politiques tiennent les références culturelles de chaque espace comme des ressources pour la communication et la mobilisation politique. L’analyse du politique en termes de déconcentration politique explore par conséquent des liens (conflictuels ou coopératifs) dans une chaîne d’acteurs : ceux étant parvenus au centre étatique vis-à-vis de ceux se plaçant dans les espaces de la centralité d’une multiplicité d’espaces : Ethnies, communautés, églises, chefferies, partis politiques, associations, etc. L’articulation entre le centre du pouvoir avec les instances intermédiaires de ces sous-espaces explique, en fonction du type de liens avec ceux qu’y sont les notables, les influents, les entrepreneurs, la dynamique d’accords et de désaccords politiques104.

À l’aide des outils qu’elle mobilise pour éclairer l’interactivité du social et du politique, l’approche des faits sociaux en termes de déconcentration politique rend compte, d’une part, des stratégies de l’expression des exigences par les dominés ; d’autre part, elle permet d’appréhender des ressources mises en œuvre par le politique pour le soutien du système, dans chaque espace social. De la sorte, cette démarche ne saurait être qu’un complément de l’analyse en termes de réseaux comme ressource et système d’action, dans sa dimension formelle et informelle. Car, comme le soulignent Peter Blau et Richard W. Scott, « des organisations informelles apparaissent et sont implantées dans les organisations formelles, et se nourrissent de l’aspect formel de son agencement »105. Ainsi, l’organisation réelle ne peut être appréhendée qu’en considérant l’organisation formelle par rapport à l’organisation informelle, et réciproquement.

Vu que le champ politique est par essence un champ d’intervention et d’interactivité d’acteurs hétérogènes, il y a lieu qu’on s’interroge sur le phénomène de groupe. Compte tenu de ce rapport inéluctable entre aspects informels et organisations, l’enjeu est, d’une part, d’y mettre en valeur des cadres de formation de groupe en tant que support culturel, cognitif, affectif et stratégique ; le groupe étant une source de normes, on cherche, d’autre part, à saisir l’articulation entre la conformité des individus à leurs appartenances sur le plan affectif et rationnel (stratégique) avec leurs rapports au politique. Par ce biais, on envisage de retenir ce qui est à la base de la construction du sens dans les rapports sociaux.

En effet, tout en ajoutant à notre grille d’analyse l’approche en terme de réseaux, notre visée est de rendre compte de la complexité des relations sociales ainsi que des rapports entre celles-ci et la formation du pouvoir. Nous admettons d’avance, à la suite de H. Hannerz, que la notion de réseau peut être la plus porteuse. Car elle permet de saisir les rapports entre la diversité des acteurs sociaux dans leurs univers, en conformité à ce qu’ils envisagent comme « des normes pratiques »106 de leurs cadres de vie. C’est d’ailleurs par rapport à ces derniers qu’ils se définissent des enjeux politiques et deviennent des forces interactives dans le but d’acquérir de nouveaux statuts ou de conserver les anciens. Néanmoins, la diversité des acteurs sociaux entreprend et interagit dans un système d’action collective apportant des avantages matériels et symboliques différenciés, tant par le poids que par la qualité des uns et des autres. De la sorte se réédifient les assises du pouvoir.

Tout en privilégiant la notion de relation, l’approche en terme de réseau pourrait faire la lumière sur ces phénomènes, dans un contexte d’interactivité de la tradition et de la modernité. En effet, le réseau peut être saisi comme une agrégation de membres, à l’aide de liens qui peuvent être multiples et variées. Mais pour que cette agrégation de membres soit constitutive de la première propriété du réseau, elle doit être connexe et connective107. L’état de la connexité signifie l’ampleur de la densité des relations entre les membres du réseau. Il traduit la capacité du réseau à solidifier ou non des liens entre divers membres en assurant la condition minimale de sa cohésion. La connexité permet à un réseau d’évaluer la multiplicité des relations assurées. Cette évaluation concerne les possibilités de relations directes constitutives du réseau, et les possibilités de relations alternatives qu’il peut entraîner.

La notion de projet exprime l’idée selon laquelle, pour qu’un réseau soit viable, il est nécessaire qu’il y ait une volonté de faire recours à l’organisation comme ressource d’action. Le fonctionnement du réseau et sa logique doivent d’ailleurs être connus et clairement reçus par les membres. Cette propriété est capitale. Si le projet n’existe pas ou comporte des confusions, le réseau se fragilise et risque de perdre sa raison d’être. C’est pourquoi le projet doit être cohérent et homogène. Celui-ci exclut l’idée de hiérarchie et traduit la nécessité d’accroître la communication et la solidarité entre les membres. L’agrégation de membres d’un réseau autour d’un projet cohérent et homogène doit être continue. La notion de continuité au sens dynamique et non statique, est aussi importante dans la définition du réseau. En effet, si l’ensemble des relations qui forme un espace articulé autour d’un projet est discontinu, il n’y a plus de réseau. La rupture désagrège les relations et dissout le réseau.

La perspective analytique en termes de réseaux108 permet certes de saisir les faits sociaux sur le plan de la microsociologie. Mais les difficultés font surface lorsqu’on s’interroge, selon cette approche, le niveau macrosociologique, pour comprendre les rôles joués par diverses sortes de réseaux, en fonction de leurs capitaux sociaux, par rapport aux couples politique/territoire et pouvoir/société.

Si l’on fait appel à Denis Constant-Martin pour éclairer cette question, on risque de déboucher sur une certaine fluidité aussi bien que sur la difficulté de rendre opératoire notre raisonnement. A ses yeux :

‘Sous le terme générique de réseau, on envisage des groupements sans règles explicites ni frontières fixes, mis en mouvement dans une conjoncture particulière. Les réseaux traversent les partis et les syndicats, les associations et les coopératives. Les réseaux cherchent à mobiliser les soutiens en faisant jouer les solidarités d’origine au profit d’intérêts essentiellement transtribaux (….) et utilisent fréquemment des mécanismes clientélistes qui transcendent les oppositions de classe (dans le cas présent, on parlera aussi des frontières). Ils peuvent également être constitués à partir de structures religieuses. Enfin, jetant des passerelles entre l’institutionnel et l’informel, entre le politique et l’économique, entre l’affectivité (les liens d’origine ou de confession) et la rationalité (les avantages recherchés), jouant le rôle de lubrifiant du passage à la modernité, il n’est pas étonnant qu’on retrouve ces réseaux dans ce qu’il est convenu d’appeler le secteur ‘non structuré’ 109 ’

Tout en contestant les démarches traditionnelles de la sociologie des organisations, les critiques entreprises par Henri Amblard et all.110 semblent s’être heurtées au mêmes limites. Suivant leurs termes, le réseau est le concept clé permettant de dégager le sens aussi bien que la compréhension du phénomène organisationnel. Le réseau est une « méta organisation rassemblant des humains et non humains mis en relations les uns avec les autres ; c’est en saisissant les situations comme un ensemble d’entités humaines et non-humaines, individuelles ou collectives, définies par leurs rôles, leur identité, leur programme. En le retrouvant sous forme de réseau, on peut avoir l’accès à leur compréhension ». C’est encore grâce à leurs apports qu’on apprend que « reconstituer un réseau présuppose la mise en rapport de tous les éléments qui participent à sa structuration. Cet acte d’enchaîner les facteurs impliqués dans un processus socio-technique aide à éviter la question du découpage en tranches d’une réalité ».

Cette pensée apporte sans aucun doute une certaine portée à notre propos. Par son intermédiaire, on franchit un pas important dans cette recherche sur la problématique politiste de réseaux. Les réseaux peuvent certes se définir par la mise en relation physique et/ou sociale d’éléments dispersés, sa dynamique étant indifférente à la notion de frontière111. Mais cela ne suffit pas pour rendre compte (i) de ce qui s’échange dans les réseaux ; (ii) de ce qui se passe dans les interactions ; (iii) de ce qui détermine l’appartenance à un réseau. A ce propos, tout en se donnant le souci de comprendre la transversalité et la systématicité des réseaux, Nadel constate : « Par le terme de réseau, je ne veux seulement indiquer les liens entre les personnes ; le terme de relation suffit à cela. Je veux plutôt indiquer qu’il y a liaison entre les liens eux-mêmes, ce qui a pour conséquence que ce qui arrive, pour ainsi dire, entre une paire de « nœuds » ne manque pas d’affecter ce qui arrive entre paire adjacent »112.

La distinction qu’Amblard et all. font entre la notion de réseau et celle d’organisation, suggère que l’on cherche leurs facteurs structurants. Notre hypothèse se fonderait sur des apports de Ronald Burt, pour situer le pouvoir sous ses formes variées au centre d’organisations sociales et/ou des réseaux et, par-là, des modes réticulaires de l’action sociale113. Cela tient au fait que le système d’action qui est immanent à n’importe quelle organisation repose sur une chaîne de transactions s’appuyant sur le plan matériel aussi bien que symbolique. Si l’on tient compte de la double nature de l’action, force est de conclure que le réseau devient l’une des ressources de l’action sociale.

Qu’elles soient menées sur la base formelle ou informelle, les actions sont accomplies dans le but instrumental ou expressif. Les actions expressives peuvent être considérées comme menées afin de conserver des ressources existantes, alors que les instrumentales le seraient afin de gagner de nouvelles ressources. L’acte d’entretenir ou de gérer des ressources sociales suppose par conséquent l’interactivité croisée sur les deux plans : celui des intéractions, qui tendent à suivre le principe d’homophilie, en ce sens que les chances d’interaction augmentent avec le nombre de caractéristiques communes, à la fois psychologiques et sociales des acteurs ; celui des interactions hétérophiles, avec d’autres acteurs aux ressources différentes. Les relations homophiles sont normatives au sens où elles sont cohérentes du point de vue du principe de la congruence cognitive et du point de vue des attentes structurales. Les relations hétérophiles, en revanche, ne le sont pas et induisent des tensions parce que sortent de l’ordinaire.

L’une des implications de cette analyse est que les actions expressives sont « attendues » parce qu’elles entretiennent l’identification et la stabilité du groupe, alors que les actions instrumentales les dérangent, bien que ces dernières soient fondamentales pour la mobilité sociale. De la sorte, la problématique politiste de réseaux renvoie à la question des rapports sociaux qui y prennent place, tout en tenant compte des ressources sociales de ses acteurs. Dans un système de multiniveaux, tel que le sont les systèmes de pouvoir, les acteurs sont confrontés à des contraintes. Celles-ci sont variables en fonction du nombre de niveaux hiérarchiques (le différentiel de niveau), la distribution des occupants par niveau (le différentiel de taille) et la distribution des ressources disponibles par niveau et parmi les occupants (le différentiel de ressources).

Trois conséquences peuvent être retenues de ces variations. D’abord, pour ce qui est du différentiel de la taille, une organisation peut être décrite en partie par le nombre de ses niveaux hiérarchiques. Un niveau est défini par un ensemble de positions qui contrôlent des ressources similaires et dont les occupants ont accès à des ressources sociales équivalentes.

Ensuite, au regard du différentiel de la taille, on se heurte à une situation paradoxale. Dans une structure de niveaux de taille égale, les opportunités d’interactions hétérophiles sont maximales parce que, comme le soutiennent Blau et Schwartz114, l’association intergroupe serait plus grande pour un petit groupe dans la mesure où chacun de ses membres a plus de chances de s’associer avec un nombre du groupe plus large. Au fur et à mesure que les deux groupes se rapprochent de la même taille, ils tendent à s’égaliser. Lorsque le différentiel de taille augmente, les membres du groupe le plus grand, et aussi le plus bas, ont de plus en plus de chances d’interagir, réduisant la probabilité d’interaction avec un membre du plus petit groupe, qui est aussi le plus haut placé dans la hiérarchie. On peut donc pouvons s’attendre à ce que le différentiel de taille soit négativement corrélé avec l’effet-lien et positivement avec l’effet-position. Le paradoxe est que, à mesure que les différentiels de taille augmentent dans une structure hiérarchique pyramidale, plus le niveau devient proche du sommet. Y ayant moins d’occupants, l’éventail de contacts étant plus vaste, plus ils bénéficient des interactions hétérophiles pour l’accomplissement de leurs actions instrumentales. Au contraire, à la base de la structure, les opportunités pour les occupants, qui ont besoin d’interactions hétérophiles pour leurs actions instrumentales, sont restreintes par la grande taille de leur niveau.

Enfin, relativement au différentiel de ressources, la structure hiérarchique repose sur la distribution des ressources à différents niveaux. Ce différentiel peut être minimal (lorsqu’il est le même pour chaque couple de niveaux contigus) ou grand - dès lors qu’il est différent. Le premier cas s’appuie sur une équidistance en ressources. Dans le second, il suppose que le différentiel s’accroisse au fur et à mesure qu’on rapproche du sommet de la structure. On envisage que la structure équidistante augmente l’importance de l’effet-lien. Dans une structure à distance inégale, il est plus difficile pour les occupants de niveau plus bas de dépasser les écarts de ressources entre niveaux, en particulier vers les plus hauts niveaux. C’est le contraire quant à l’effet-position. Au fur et à mesure que le différentiel de ressources s’accroît, l’importance de la position d’origine pour la réussite augmente également. Dans une structure à grand différentiel de ressources, toute mobilité ascendante est difficile. Mais, dans un tel système, lorsque la mobilité ascendante a néanmoins lieu, c’est la position d’origine plutôt que l’utilisation de liens faibles qui devrait rendre compte de ce mouvement.

Vus sous l’angle de la sociologie des organisations, les réseaux sociaux -qu’ils soient formels ou informels – suggèrent que l’on s’interroge sur les raisons de leurs performances ou dysfonctionnements. Envisager ces phénomènes à la lumière de la théorie de ressources sociales115 renvoie au débat sur les relations entre structure et action. Plus spécifiquement, il y a lieu que l’onn sache davantage si l’action a un sens dans le contexte de la structure. Ce sens de l’action peut être compris de deux manières : premièrement, dans quelle mesure l’action a-t-elle un sens sous contrainte structurelle116 ; deuxièmement, dans quelle mesure l’action conduit-elle à la structure.

En d’autres termes, du fait que l’action entreprise par les réseaux se crée dans un contexte où interagissent de différentes structures sociales, la tâche d’expliquer les assises de l’action collective devient alors inéluctable. Par conséquent, l’enjeu de notre recherche portera sur la façon dont les règles de l’action collective sont (re)construites dans un contexte de société où la production du politique tient pour environnement la tradition et la modernité. A ce sujet, notre hypothèse prend pour support les conditions de la création de la règle et la constitution de l’acteur collectif, à savoir :

Premièrement, les règles n’ont de sens que lorsque rapportées aux fins d’une action commune. C’est parce qu’elles sont liées à ce projet qu’elles sont obligatoires. En ce sens, elles sont toujours instrumentales ; deuxièmement, un ensemble de règles est lié à la constitution d’un groupe social ou d’un acteur collectif. Elles constituent son identité. Elles fixent aussi ses frontières. Elles déterminent qui y appartient, mais aussi qui en est exclu. Leur champ de validité est dépendant des frontières de l’acteur et de l’environnement qui les détermine ; troisièmement, sauf dans les cas très rares où un groupe social est isolé ou dans un cas particulier, de l’ensemble le plus englobant (la société globale, l’Etat-nation), un ensemble de règles est lièe à la position d’un acteur collectif dans un ensemble plus vaste. Il s’élabore donc dans un cadre de rapports sociaux - d’alliance, d’opposition, de hiérarchie.

Comprendre ainsi le réseau, c’est montrer qu’il est un instrument conceptuel qui permet de lier l’analyse localisée ou microsociologique à l’analyse globale du changement. L’on peut donc associer étroitement la forme des réseaux avec les stratégies de l’action sociale de ceux qui en sont les acteurs. A cet égard, on a affaire à la mobilisation des ressources comme une entreprise politique. Elle consiste à étudier la façon dont une organisation ou un acteur politique utilise les ressources dont il dispose afin d’augmenter son pouvoir ou sa participation aux décisions. Cette organisation ou cet acteur agit dans un environnement changeant dont il essaye de contrôler des secteurs en s’efforçant de faire coïncider ses objectifs avec les intérêts matériels des membres du secteur. Dans ce cas, mobiliser n’est plus seulement rassembler et utiliser des ressources, mais susciter des engagements. Autrement dit, la mobilisation est le processus qui consiste à augmenter la possibilité d’agir d’un acteur en construisant la loyauté d’un secteur social à son égard117.

Par souci de clarté, on note les similarités, les différences aussi bien que la pertinence des apports réciproques au sujet de notre objet. Cela semble d’autant plus inéluctable que notre propos est aussi de saisir le pouvoir comme système de rapports hiérarchisés, assis sur des échanges inégalitaires dont la régulation prend appui sur un ensemble de moyens d’exercice de la contrainte. En effet, le réseau se définit par des propriétés de non-hiérarchisation, d’ouverture et d’acentrisme. Un réseau présuppose une mise en rapport des être humains et non humains dans un contexte déterminé. Pour ces raisons, la notion de réseau se distingue de certaines acceptions du concept de système ou de structure. Le concept de système peut supposer la hiérarchisation et celui de structure un centre ou plus précisément une fonction-centre. Mais ce sont surtout l’exigence des frontières clairement spécifiées et l’impossibilité de situer l’analyse à un niveau macro-social qui différencient le concept de réseau de celui de système.

Nous souhaiterait attirer l’attention sur la complexité de ce cadre conceptuel conduisant à une situation où l’on se heurte à la valeur polysémique de la notion de réseau. Pour cette réflexion, la nature multidimensionnelle des réseaux n’est point à mésestimer car ils obéissent à des logiques comportementales multiples, selon les finalités et les cadres organisant leur existence. Ils peuvent se produire à partir de liens entre individus appartenant à un groupe homophile ou bien hétérophile.

Pour ce qui est du premier exemple, le réseau peut avoir comme référence un groupe d’amis ayant une trajectoire commune, définie par référence à l’âge, scolarité, quartier, statut social, appartenance religieuse, convictions politiques. Dans ce cas, il n’est nullement surprenant que le réseau de relations se présente comme des construits flou, l’indéfinition de la centralité étant le facteur de son existence. Mais les réseaux peuvent également se fonder sur l’articulation de groupes hétérophiles. Ce cas de figure donne à voir une situation d’interactivité entre groupes secondaires s’articulant dans le but d’accomplir une action collective. Logiquement, il s’y produira en l’occurrence un centre politique. Il lui reviendra la définition de la règle, la structuration d’un système de rôles pour les sous-ensembles composant le réseau ainsi que les buts de l’action collective. Quant à cette dernière figure d’un réseau, on se convient avec G. Simmel, Michel Forsé, A. Degenni, pour l’associer à une dimension du pouvoir. Ce dernier est un construit toujours assis sur une stratégie de coalition et collusion entre individus et groupes sociaux. On s’efforce par conséquent d’en identifier le centre politique, ses espaces intermédiaires et périphériques. Leurs relations coopératives et conflictuelles seront également l’objet de notre étude.

Cela explique le recours aux apports de la démarche stratégique, telle qu’elle est construite par M. Crozier et E. Friedberg118 . La notion de système se rapporte à l’interaction d’acteurs animés par leurs intérêts. L’acteur est donc au centre du processus : il peut s’agir d’individus mais plus généralement de groupes qui disposent des ressources, d’une capacité relative à formuler des objectifs et d’une rationalité « limitée ».

En effet, si la rationalité dépend de la position que l’acteur occupe dans un contexte d’action donné et qui conditionne son accès aux informations pertinentes, elle dépend également des dispositions mentales, cognitives et affectives de ce même acteur qui sont préformées par la socialisation passée. Ces acteurs sont impliqués dans des systèmes d’action qui les contraignent et les orientent dans leurs comportements. Dans ce cadre, le concept de stratégie s’applique aux comportements et aux jeux auxquels se livrent les acteurs, tandis que le concept de système s’applique aux résultats de ces comportements. Enfin, la notion de pouvoir reste une donnée invariable. Répertoire indéniable de la Sociologie de l’interaction, l’analyse stratégique place donc l’acteur au centre de l’appréhension des phénomènes sociaux. S’il est vrai qu’il évolue dans un univers de contraintes (milieu d’origine, ressources) il n’en est pas moins certain que l’acteur dispose également de marges d’autonomie, profitant des « sources d’incertitude à l’intérieur de tout système d’action ».

Si l’analyse en termes de réseau met l’accent sur la convergence entre les acteurs et leurs compromis, sa stabilité étant due à des actions convergentes et coordonnées, un système, en revanche, peut trouver son équilibre dans la dysharmonie des tensions, relatives aux luttes de pouvoir. Différant, les deux concepts sont néanmoins complémentaires. Pris comme des schémas interprétatifs, les notions de réseau et de système apportent à l’orientation de cette recherche la possibilité d’éclairer l’interactivité entre pouvoir et réseaux sociaux, dans le contexte de la tradition et de la modernité.

La question centrale n’est plus de savoir comment un acteur politique rassemble et utilise des ressources. Ce dont il est question c’est de savoir, d’une part, comment il parvient à mobiliser les individus ou des acteurs sociaux pour l’action collective ; d’autre part, inversement, il s’agit de savoir pourquoi les individus ou les groupes sont amenés à soutenir ou légitimer cet acteur. L’existence de réseaux crée les conditions favorables à la mobilisation tant d’agents que d’intéressés, alors que leur attachement à un système politique permet l’accomplissement des entreprises politiques.

Dans cette interactivité de groupes sociaux animés par des schémas immanents à leurs trajectoires historiques, repose l’entreprise du pouvoir. Reflétant d’après E. Friedberg, l’assymétrie fondamentale des ressources sur lesquelles les acteurs peuvent s’appuyer dans leurs transactions les uns avec les autres, le pouvoir se traduit comme la capacité d’imposer un ordre à l’ensemble de la collectivité. A ce titre, il s’avère comme une entreprise hiérarchisée de rapports sociaux inéluctablement liés à la production du politique, pouvant cette dernière prendre trois dimensions.

D’abord, cette production peut tenir comme protagoniste le pouvoir aux prises avec l’orientation stratégique des acteurs, de jeux effectifs, d’intégration de ces jeux et de leur stabilisation. Ensuite, le système de représentations et de croyances qui lui sert de support n’étant plus soutenable, le politique peut se manifester comme espace de conflictualités opposant des mouvements sociaux au pouvoir, en vue de nouveaux compromis concernant la redistribution de ressources sociales. Enfin, paradoxalement, le champ politique peut également se distinguer comme l’espace de concurrence entre réseaux d’action oppositionnels visant à destructurer et, par la suite, à structurer des régimes de rapports sociaux idéalisés comme transcendants.

Dans tous ces cas de figure de la production du politique, la notion de réseau, en complément avec la démarche stratégique, permet de faire connaître la façon dont les acteurs se procurent des ressources d’action. Tout en tenant compte des entreprises de l’action sociale, le réseau et le système, en tant que démarches complémentaires d’analyse, illustrent - paradoxalement - tant le cercle vicieux du champ politique que son essence dynamique.

A l’aide de ces outils théoriques, le déploiement de notre raisonnement cherchera à montrer l’hypothèse suivante. L’interactivité entre pouvoir et structures sociales se déroule, en ce qui concerne la société mozambicaine, dans un environnement complexe. Historiquement, des groupements ayant pour référence la tradition et/ou la modernité (hybridation) ne peuvent se dispenser d’entrer dans le jeu d’échanges sociaux, sur le plan interne et international119. Ceux-ci traduisent simultanément des échanges au sens matériel et un acte de production symbolique. Recevables ou illégitimés, les échanges sociaux sont donc un mécanisme à la racine tant des modes de liens que de changements dans l’interactivité entre structures sociales et pouvoir politique. La diversité des modes de liens qui s’y développent se manifeste sous la forme d’acteurs-réseaux concurrentiels ou coopératifs avec l’ordre politique. La remise à jour du processus politique, et par-là des assises du pouvoir comme un construit spécialisé dans la gestion des rapports sociaux, dérive de cette interactivité structurale. Pour en présenter l’illustration, on se penche ici sur ce mouvement lors de l’ordre politique colonial et post-colonial, au Mozambique.

Notes
8.

3 On souhaiterait faire remarquer la polysémie dont se revêt le concept de système dans le champ de la Sociologie. Il fait l’objet d’explications différenciées, d’après la tradition d’analyse mise en valeur. En effet, des chercheurs d’inspiration holiste, structuro-fonctionnaliste, actionniste ou encore de la démarche stratégique en présentent des lectures contradictoires. Talcott Parsons en donne la conception suivante : « Un système consiste en une pluralité d’acteurs individuels en interactions les uns avec les autres dans une situation qui a au moins un aspect matériel d’environnement, acteurs dont la motivation repose sur la tendance à l’optimisation de la satisfaction et dont les relations entre acteurs, sont définies et assurées par un système de symboles culturellement structurées et collectif » ; D’après G. Lavau, « Un système politique est un ensemble de processus et de mécanismes destinés à faire converger ou à neutraliser des pluralismes sociaux irrépressibles, et qui, de plus, est organisé de façon telle qu’il permet à ses différents acteurs de proposer des buts contradictoires et de concourir entre eux pour changer l’agencement du système ou pour modifier ses orientations sans faire exploser l’équilibre du pluralisme » ; Pour le propos de notre recherche, on se contente avec la définition de M. Crozier et E. Friedberg, qui envisagent le système d’action comme un instrument de contrôle et théorie du changement : « /…/ le système d’action que l’on rencontre dans la réalité sont dominés par des structures d’influence telles les ajustements mutuels qui s’y développe ont beau constituer la meilleure solution à l’intérieur de cette structure, ils tendent à renforcer les caractéristiques de cette structure, en particulier les dysfonctions et ses inégalités. /…../ la notion de système d’action concret peut nous permettre /…../ de mieux poser le problème pratique et théorique qui constitue la décision. Une décision est, en effet, toujours le produit d’un système d’action concret, que ce soit une organisation ou un système organisé d’action sociale ou un système temporaire élaboré pour la circonstance. Aucune décision ne peut être considérée comme rationnelle en soi, elle n’est rationnelle que par rapport au système d’action qui la produit. L’analyse des systèmes d’action doit donc nous permettre d’apporter une contribution à la théorie du changement ». Voir PARSONS, Talcott, cité, LAPIERRE, Jean-William, L’Analyse des systèmes politiques, Paris, PUF, 1977, 268p, p. 27 ; LAVAU, G., cit., LECOMTE, P. –DENNI, B., op. cité, pp. 18-19 ; CROZIER, M. – FRIEDBERG, E., L’Acteur et le système, …. Op. cit.,p.302 et 314

8.

4 Voir l’annexe 1 et 2: Le continent African et la localisation géographique du Mozambique

8.

5 Voir l’annexe 3, Mozambique : Points de repères

8.

6 Voir l’annexe 4 : La carte ethnique et religieuse du Mozambique.

8.

7 Voir le chapitre II

8.

8 Front de Libération du Mozambique.

8.

9 Cf. : Constituiçao da Republica Popular de Moçambique. Maputo, Tempografica, 1983

9.

0 FERREIRA, Manuel (Il était alors le Ministre de l’agriculture), cité par CAMPBELL, Bonniek, Libération nationale et construction du socialisme en Afrique (Angola, Guiné-Bissau et Mozambique), Montréal, Editions nouvelle, 1977, 163p, p. 110

9.

1 SAUL, John S. a écrit un article dont le titre est “FRELIMO and the Mozambique Revolution” in ARRIGHI, Giovanni and SAUL, John S. (Editors), Essays on the Political Economy of Africa, London, Monthly Review Press, 1973, pp. 52-87

9.

2 MUNSLOW, Barry était très attaché au paradigme de la lutte de classes, ce qui est d’ailleurs bien évident dans son livre MOZAMBIQUE, The Revolution and its origins. Harlow: Longman, 1983, 195p. Toutefois, il semble avoir fait un saut vers le courant réevaluative, du moins par le chapitre introductif, duquel est l’auteur, en éditant l’ouvrage qu’il a intitulé AFRICA: Problems in the transition to socialism, London, zed books, 1986, 220p

9.

3 EGERO, Bertil, “Peoples Power: The case of Mozambique”, in MUNSLOW, Barry (édit), op. cité., pp. 114-139

9.

4 Cf. Constituiçao da Republica de Moçambique

9.

5 Il s’agit des partis dont les sigles sont les suivants : UD; Frelimo, Renamo, AP, SOL, FUMO/PCD, PCN, PIMO, PACODE, PPPM, PRD, PADEMO, UNAMO, PT. Voir plus de détails au chapitre V.

9.

6 Cf. MAGODE, José, La formation de l’Etat postcolonial au Mozambique : structures sociales, conflits et changements, (DEA Science politique) Lyon, Institut d’Etdudes Politiques-Université Lumière Lyon 2, 1998, 174p, p. 149

9.

7 MAZULA B. et all., MOÇAMBIQUE, Eleições, Democracia e Desenvolvimento, Maputo, edição B. Mazula, 1995, 672p. On se référira à cet ouvrage de façon plus approfondie lors de ce travail.

9.

8 La lectrice (le lecteur) peut se reporter aux pages 1-2 de ce chapitre.

9.

9 Dans la recherche d’un compromis avec la RENAMO qui menait une guerre civile (1976-1992), le FRELIMO a dû faire approuver un projet de reforme de la Constitution à l’Assemblée de la République, en 1990. Par la suite, le pays se désignera République du Mozambique au lieu de République Populaire du Mozambique. Le multipartisme adopté par le système, le FRELIMO, qui jusqu’alors affichait le drapeau de Parti d’avant garde et Marxiste-léniniste s’appellera FRELIMO-Parti Social Démocrate. Le rituel électoral a été mis en place, d’abord en 1994 puis en 1999, comme procédés légitimation de l’accès au pouvoir. Jusque là, l’on n’a pas assisté à l’avènement de l’alternance dans l’exercice du pouvoir, car, depuis l’indépendance, le FRELIMO est toujours au pouvoir.

1.

00 Un raisonnement similaire a été développé par MARTIN, D.-C., « Le multipartisme pour quoi faire ? Les limites du débat politique : Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe », in Politique africaine, 43, Oct. 1991, pp. 21-30. Voir également BAYART, J.-F., « La problématique de la démocratie en Afrique noire : la baule, et puis après ? », Politique Africaine, 43, Oct. 1991, pp. 5-20. S’il est vrai qu’on constate au Mozambique l’existence de groupes dont la parole témoigne de l’incorporation du discours de la modernité politique, il n’en est moins vrai que cela ne concerne qu’une minorité. La plupart de ces personnes qu’on appelle les « citoyens » restent attachés à leurs cultures de Terroir. Notables et entrepreneurs politiques s’identifiant à certains espaces ethniques, ils sont les gardiens des intérêts des sous-ensembles sous leur influence. Leurs rapports au politique ont beaucoup à avoir avec la représentation religieuse et communautaire qu’ils se font de l’instance politique.

1.

01 Voir supra notre analyse sur “Le pouvoir : cadre théorique et problématique ».

1.

02 Cette caractérisation du rôle du politique s’inspire de DUVERGER, Maurice, Sociologie de la politique, Paris, PUF, 1973, 445p, pp. 71-79 ; POUILLON, Jean, cité, ABÉLÈLS, Marc, L’Anthropologie de l’Etat, Paris, A. Colin, 1990, 183p, p. 79.

1.

03 Le concept de clientélisme ou de patronage, du fait peut-être de son origine ethnologique, a connu chez les politistes un succès aussi grand que tardif. C’est autour de lui que s’articulent les débats sur la modernisation politique. Dans la littérature ethnologique le rapport de clientèle est défini de façon précise comme une relation directe entre deux personnes (bilatérale ou dyadique), asymétrique (c’est-à-dire inégale – un patron et un client), mais d’échange (affectif et matériel) donc réciproque. Le « patron » offre protection – militaire ou judiciaire (assistance), alimentaire, économique et intercession en cas de besoin ; le « client », en contrepartie, rend des services bénévoles, fait des dons en nature, témoignage reconnaissance, fidélité, soutien à son patron. Ainsi défini, le clientélisme est en principe caractéristique de la société traditionnelle et étranger à la société moderne. Cf. CHARLOT, Jean et Monica, « Les groupes politiques dans leur environnement », in GRAWITZ, M.- LECA, J., Traité de science politique (3. L’Action politique), Paris, PUF, 1985, p. 438

1.

04 Qu’elle se rapporte aux appareils partisans ou étatiques, l’analyse des rapports politiques en termes de déconcentration politique territorialise les sphères d’action des fidèles puis en établit leur articulation par des dispositifs d’ordre juridiques aussi bien que par des relations clientélistes. Les ressources symboliques et relationnelles détenues par ces notables et entrepreneurs sont mis en valeur comme moyens d’échange avec le centre du pouvoir étatique ou avec les appareils partisans. Ces ressources sont mobilisées tantôt pour les rassembler, au niveau de leurs sphères ou Territoires d’influence, des soutiens nécessaires à l’exécution de leurs programmes politiques, tantôt, dans un contexte de désaccord, pour s’y opposer.

1.

05 BLAU, Peter et SCOTT, Richard W., cités, PETIT, François, Introduction à la psychosociologie des organisations, Toulouse, Editions Privat, 1984, 371p, p. 30

1.

06 A ce propos, il y a lieu de reprendre J. –F. Bayart, pour rappeler l’une des particularités des rapports sociaux : « les dominants et les dominés mais aussi éventuellement les dominés entre eux n’évoluent pas nécessairement dans le même épistème. Les groupes sociaux dominés se définissent par rapport à d’autres espaces, déterminés par les temporalités autres ». Voir BAYART, J.-F., “L’enonciation politique”, RFSP, Vol. 35, n°3, 1985, p. 350 ; DJOUDEM, Mohamed, “Le local en réseau », Quaderni, n°13-14, Printemps 1991, pp. 25-37, p. 25.

1.

07 Voir DUPUY, G., cit., DJOULDEN, M., op. cit.., p. 29.

1.

08 Dans la littérature sociologique, il y a différentes manières de concevoir les réseaux. On souhaiterait en retenir quelques-unes. Les unes apportent des éléments supplémentaires, d’autres, en revanche, nécessitent une certaine distance. Dans leur ensemble, les notions d’« équipe », « club », « cercle » ou « système de relations » sont prises indifféremment. Cela a donné à des définitions peu claires, qui traduisent les quatre sens repertoriés par F. SAWICKI :

Le réseau désigne une chaine de relations personnelles de caractère formel et informel, afin de rendre compte de la façon dont des individus, aux intérêts et aux propriétés sociales, se trouvent néanmoins en relation entre eux. Une des principales justifications de l’emploi du terme réseau est le souci d’éviter certains travers des analyses purement organisationnelles en termes de conflits de rôles.

Mais le réseau peut renvoyer à une réalité davantage maîtrisée par les acteurs, c’est-à-dire un système d’affinités durables fondées sur des intérêts communs, des liens de dépendance ou d’obligations entre les individus qui font alliance au sein d’un secteur de l’activité sociale et dans le contexte des concurrences internes qui sont propres à lui.

Le réseau permet également de désigner des relations stabilisées entre les individus occupant des positions différentes dans des secteurs d’activités différents.

Le terme « réseau » traduit un système stable d’interdépendance entre des organisations, fondé sur la multiposionnalité des acteurs, la communauté d’habitus et homogénéité des ressources politiques.

Ces quatre sens de la notion de réseau comportent des risques de banalisation, notamment un usage non contrôlé pour remplacer purement et simplement des mots comme « système » ou « équipe ». Le critère relationnel tant pour les relations inter-individuelles que pour les relations inter-organisationnelles est insuffisant et peut conduire à une définition simpliste du réseau. Voir DJOULDEN, M., art. cit., pp. 28-29.

1.

09 Cf. CONSTANT-MARTIN, Denis, cité, SALL, Ebrima, Senegambie : Territoire, frontières, espaces et réseaux sociaux, Bordeaux, Institut d’Etude Politiques-Université de Bordeaux I, Série travaux et documents, n°36, 1992, 28p, p. 13.

1.

10 Voir AMBLARD, Henri, Les nouvelles Approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil, 1992, 244p, pp. 129-131.

1.

11 Cf. MARTIN D., C., cité, NEGRIER, Emmanuel, “Réseau, Régulation, Territoire », Quaderni, n°7, 1989, pp. 55-59, p. 55.

1.

12 Cf. NADEL, cité, FORSE, M. et al, op. cit., p. 72.

1.

13 Voir BURT, Ronald, “Le capital social, les trous structuraux et entrepreneurs », Rev. Franç. Sociol. 1995, pp. 599-628, pp. 600-604.

1.

14 Cf . BLAU et SCHWARTZ, cités, REMY, J., op. cit., p. 697.

1.

15 La théorie des ressources sociales décrit les actions individuelles dans un contexte structurel. Fondant le support des relations sociales dans un réseau, les ressources sont perçues comme aussi utiles que les ressources personnelles possédées par les acteurs. En accédant à ces ressources sociales et en les utilisant, les acteurs peuvent atteindre des buts instrumentaux ou expressifs.

Cependant, l’articulation des intentions d’action et des modèles d’interaction requiert des avantages de position et/ou d’alternatives dans l’action. Ainsi, la théorie des ressources sociales tient en trois propositions : 1) Les ressources aident l’acteur à parvenir à ses fins (propositions de ressources sociales) ; 2) Les positions sociales d’origine facilitent l’accès aux ressources sociales et leur usage (proposition de la force de la position) ; 3) Les choix de relations plus faibles et hétérophiles facilite l’accès aux ressources sociales et à leur usage (proposition de la force des liens).

Depuis les travaux de G. Simmel pendant les années 1960, la théorie des ressources sociales s’est en quelque sorte enrichie en explorant l’aspect des interactions sociales, Ainsi, elle se présente avec des caractéristiques suivantes: 1) ses concepts sont relationnels ; ils ne peuvent être réduits à un niveau psychologique ou individualiste. 2) Elle est intrinsiquèment liée à l’idée de structure hiérarchique, sans laquelle elle n’a, en fait, pas de sens. 3) Elle implique des actions de la part des individus, exigeant ainsi un niveau de l’analyse micro-sociologique. 4) Son développement est dû à l’intégration de la théorie et du travail empirique, évitant ainsi à la fois la spéculation sans fin et l’empirisme sans distance.

La manière dont les individus agissent et interagissent sous la contrainte d’une structure sociale constitue l’un des programmes de recherche les plus importants de la sociologie. Deux principales directions théoriques ont dominé cette entreprise. Selon la première, les individus sont affectés par la structure au sens large. Aux Etat-Unis, les travaux de Cooley et de Mead établissent clairement les premisses de cette approche, poursuivie plus tard par l’école de Chicago et le modèle de l’influence de l’Ecole de Columbia. Leur position, selon laquelle ces effets doivent être démontrés au niveau d’analyse micro, continue à dominer les travaux micro-sociologiques contemporains. Le problème de cette orientation théorique réside dans cette premisse même, selon laquelle les individus sont subsumés dans la structure. L’action individuelle est vue comme résiduelle ou sans pertinence, dans la mesure où le processus et la destinée sont déjà prescrits par la position des individus dans la structure plus large. La seconde direction est emprunté à la tradition de la psychologie sociale. Elle postule que les stimulis sont organisés ; au sens congnitif du terme, de manière non conflictuelle.

La théorie de ressources sociales rejoint à celle de capital social, développée notamment par Bourdieu (1980, 1983/1986), puis reélaborée par Coleman (1988, 1990). Ces deux auteurs se rencontrent sur les ressources contenues dans les réseaux de relations. Pour tous les deux, ces ressources sont utilitaires car elles facilitent les résutats des actions entreprises. Cependant, selon l’utilisation de ce terme par Bourdieu et Colemen, le capital social comprend bien davantage que les ressources contenues dans des réseaux sociaux. Il implique aussi des relations individuelles de tous les aspects de l’environnement social qui procurent des revenus. Le capital social décrit aussi des relations individuelles et au niveau agrégé. Bourdieu (1983/1986) et Colemen (1990) définissent tous deux des organisations sociales, des clubs, des associations, etc., comme du capital social.

Lors de ce travail, on s’écartons d’une part de la perspective s’appuyant sur le déterminisme structuraliste et sur le réductionnisme psychologique. Car la mise en rapport d’éléments si disparates dans un système de rapports de pouvoir comprend toujours des contradictions résultant de conceptions politiques opposées. Elles sont également dues aux aléas de changement de programmes, engagés dans des rapports inconciliables avec des groupes sociaux dont les intérêts ne sont pas identiques. Dès lors, les systèmes d’action sont sans cesse en quête d’une unité fragile et souvent illusoire. D’autre part, on soutient que les réseaux eux-mêmes, surtout lorsqu’ils se présentent sous forme hétérophiles, constituent des moyens d’action. Voir LIN, Nam, « Les ressources sociales : une théorie du capital social », Rev. Française de Sociologie., XXXI, 1995, pp. 685-704, p.685 ; LAGROYE, Jacques, Sociologie politique, Paris, Presses de Science Po et Dalloz, (3 ème éd. revue et mise à jour), 1997, 510p, p. 474.

1.

16 La contrainte de réseau mesure le capital social type de réseau. En particulier, la contrainte est fonction de la taille du réseau, de sa densité et de sa hiérarchie – qui mesure la concentration des relations directes en un seul contact. Un contact qui concentre des relations est un « nœud » dans le réseau, qui empêche de mener des négociations indépendantes avec des relations séparées. Les réseaux contraignants ( la contrainte est créée par des choix relationnels qui s’entrecroisent – les nœuds de transaction – et qui mettent en relation des contacts qui, autrement, seraient séparés par des trous structuraux) laissent peu de marge de manœuvre pour des initiatives individuelles et peu de chances pour l’acteur de se soustraire à des relations difficiles. Les relations problèmatiques persistent parce qu’elles sont entremêlées avec des relations de coopération., Cf. BURT, R. S., op. cit., p. 605.

1.

17 Cf. LAPAYRONNE, D., “Mouvements sociaux et action politique », RFSP, n°XXIX, 1988, pp. 608-610.

1.

18 CROZIER, M., et FRIEBERG, E., L’Acteur et le système : contraintes de l’action collective… op. cité. Voir aussi LAFARGUE, Jérôme, La protestation collective,Paris, Edition Nathan, 1998, 128p, pp. 76-77.

1.

19 Cela va de pair avec des flux d’échanges de ressources techniques, financiers, informationnels dans le contexte de la globalisation. Les Historiens ont d’ailleurs bien saisi l’effet de l’entreprise des espaces interdépendants dans les processus sociaux contemporins. D’après eux, « Lorsqu’on examine de façon retrospective l’évolution de l’histoire de l’Afrique et de l’Asie /…./ le fait le plus surprenant c’est la manière dont elle s’est sortie de l’isolement. /…./ L’on assiste de nos jours à un réel intérêt à l’égard de l’histoire asiatique et africaine, tenue, non pas comme un mouvement clos mais comme une partie integrant celui de l’histoire mondiale », Voir BARRACLOUGH, Geoffrey, A Historia, Lisboa, Liv. Bertrand/Unesco, 1976, 267p, p. 100.