Méthodologie

La problématique qu’on vient de formuler ainsi que la stratégie de recherche définie, ont été possibles grâce à la mobilisation d’un ensemble de ressources. Partant des insuffisances du paradigme structuro-fonctionnaliste et des ses variantes, l’enquête s’est orientée vers la vérification de la politique comme champ d’interactivité de forces hétérogènes et des dynamiques sous-tendant le mouvement social.

En effet, la prise en compte de la dimension interactionniste des rapports sociaux a permis d’arriver au constat suivant. L’action sociale requiert certes que des sous-ensembles qui y prennent part se soient construit des repères identitaires. Cela suppose qu’ils soient mus par des rationalités et agissent comme des groupements d’intérêts. Mais ces construits surviennent toujours dans un cadre d’échanges sociaux avec d’autres structures sociales, dans un rapport coopératif, concurrentiel ou conflictuel. Cette interactivité n’exclut pas, bien sûr, le rapport avec le pouvoir en tant qu’instance à la fois régulatrice et régulable, du dedans et du dehors.

Le pouvoir en tant qu’un construit relationnel, coalitif et collusif, s’avère d’ailleurs, tout en délimitant et en articulant son centre aux espaces intermédiaires et périphériques, intrinsèque aux systèmes de domination. C’est en cela que repose la délimitation de cette étude : Pouvoir et réseaux sociaux au Mozambique. Appartenances, interactivité du social et du politique, (1951-1994).

La période en question est vaste mais elle n’est pas dépourvue d’intérêt. Le coup d’Etat de 1926 au Portugal ayant permis à O. Salazar d’accéder au pouvoir, il entraîna la reforme politique donnant naissance au régime de l’Etat nouveau. Les changements se sont rendus évidents, dans l’après-guerre : à l’encontre de l’émergeant opinion publique internationale contre les systèmes coloniaux à l’ONU, le Mozambique, à l’instar d’autres colonies, s’est vu accorder le statut de « Province d’autre-mer » ; à la suite de l’adoption en 1933 d’une nouvelle Constitution coloniale (Acto colonial), rétouché en 1951, ce qu’il fallait accomplir c’était l’intégration des colonies à l’espace métropolitain, pour qu’ils constituent un seul Etat, « l’Etat portugais » ; en ce sens, la protection des intérêts économiques aboutit à la mise en œuvre du nationalisme économique, les capitaux étrangers et les exactions économiques sur les colonisés étant mobilisés en la faveur de la promotion du capital portugais. Lors de l’Etat nouveau, dominants et dominés étaient donc engagés dans un cadre d’interactivité du social et du politique non sans répercussions sur la trajectoire du Mozambique contemporain : l’essor de la lutte clandestine et la génèse, de la part des colonisés, de nouveaux acteurs politiques, auxquels fut redevable l’organisation d’un mouvement social anti-colonial et l’avènement de l’Etat mozambicain ; les rapports entre la recherche de l’accomplissement des rationalités du pouvoir politique et le mode contradictoire de la régulation politique, basé d’abord sur le parti-Etat, Etat-néopatrimonial puis sur la démocratie répresentative après seize ans de guerre civile (1977-1992/94).

Souhaitant élucider l’interactivité du social et du politique à la base de ces entreprises, la construction de la boîte à outils aussi bien que des repères théoriques de cette thèse s’est fondée sur une lecture interdisciplinaire des faits sociaux. Pour ce faire, tout en profitant d’un séjour à Lyon pour les cursus du DEA en Science Politique (1997-1998), on a entamé l’exploration de sources bibliographiques. Pour les mêmes raisons, on s’est déplacés au Centre d’Etudes Africaines de l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHSS), de Paris (janvier 1999). En ce qui concerne la ville de Bordeaux, les recherches documentaires se sont centrées sur le Centre d’Etude de l’Afrique Noire (février 1999 et novembre 2000).

Ces recherches ont été complétées par celles réalisées sur le terrain, au Mozambique. En raison de l’extension de l’espace-objet120, l’étude s’est focalisée sur un espace-échantillon, celui du Sud du pays. La ville qui s’y trouve, Maputo (Lourenço Marques, à l’époque coloniale)121, devint la capitale politique et administrative de la colonie à partir de 1898. A cette époque se déroulait le partage colonial et se structurait le sous-système économique de l’Afrique Australe, sous la domination du capital britannique122, basé en Afrique du sud. L’indépendance obtenue en 1975, le régime alors à Parti unique accorda à cette ville le statut de capitale politique du Mozambique. Du point de vue politique, elle s’est ainsi placée au carrefour des processus de politisation des rapports sociaux, dus aux exigences de plusieurs segments sociaux et de l’environnement externe.

La combinaison d’un ensemble de démarches s’est avérée utile comme support de cette entreprise théorique. La recherche historique et anthropologique s’est appuyée sur des sources concernant l’administration coloniale, déposées aux Archives Historiques du Mozambique (AHM). Rédigées lors de la période coloniale, elles constituent une source de références non négligeables sur l’articulation des réseaux du pouvoir, du centre politique à ses espaces intermédiaires et périphériques. Elles se repportent d’ailleurs aux modes d’articulation entre pouvoir et réseaux sociaux, sur le plan formel et informel. Ces sources sont également utiles car elles présentent des données statistiques concernant la vie économique et politique. De la sorte, on les a trouvées utiles pour restituer les contextes de la construction d’intérêts convergents et divergents.

Pour ce qui est de la période post-coloniale, cette recherche s’est de même étayée sur des sources bibliographiques. Celles offertes par la presse locale et internationale se sont également avérées non sans importance. L’observation ethnographique et les enquêtes menées sur le terrain ont également fait partie de notre approche. Il a fallu, à ce propos, passer des séjours à la campagne et dans des petites villes pour sonder les représentations que se font les interviewés du pouvoir et le rapport qu’entretiennent ces groupes d’appartenance avec le politique. Ces procédés se sont présentés comme utiles pour éclairer l’interactivité du politique et du social, en ce qui concerne la dernière période coloniale et post-coloniale.

Ces démarches se sont avérées importantes dans l’effort de retenir l’ensemble de ressources mises en oeuvre par le pouvoir afin de se structurer des réseaux d’action. Cela, tant au niveau microsocial qu’au niveau macrostructurel. A cet égard, les apports et les limites des sources offertes par l’Anthropologie et la Sociologie ont été évaluées, dans le but d’éclairer la problématique formulée. Des entreprises théoriques d’inspiration holiste et celles relevant du structuro-fonctionnalisme, ont été critiquées dans le dessein de réévaluer leurs apports à la compréhension des rapports entre pouvoir et société.

Tout en tenant compte des aspects théoriques citées ci-dessus citées,on s’est employé à l’analyse des études dont l’approche a servi à éclairer la dynamique des rapports sociaux. L’accent s’y est tout d’abord placé sur la notion d’acteur social ; ensuite, on s’est penché sur celle d’acteur- réseau. Tout en qualifiant ces concepts comme descriptifs du phénomène du pouvoir dans des différents contextes sociaux, on les a considérés comme des outils pour comprendre les situations de domination.

La littérature portant sur l’analyse des faits sociaux en termes de réseaux a été fondamentale. Son apport a permis d’éclairer tant le phénomène de formation des collectifs d’action que les déterminants conduisant à sa différenciation structurelle. De la sorte, on s’est intéressé aux appareils et aux stratégies qui permettent d’entretenir la domination. C’est à cela que se doit l’interactivité du social et du politique. A la base de sa dynamique, l’on trouve donc la construction d’intérêts convergents et divergents, se traduisant dans les divers modes de liens et de rapports au politique. A ce propos, on relève que l’action repose sur trois présupposés fondamentaux : d’abord, l’individu ou le groupe concerné doivent se fixer des buts à accomplir, selon leurs contextes situationnels ; ensuite, elle requiert l’accès à des ressources variées ; enfin, il est indispensable que les acteurs éprouvent un attachement à un système de représentations ou à des normes guidant les rapports entre eux et entre ceux-ci à d’autres structures. Sur cette base, l’interactivité de structures sociales a merité une place centrale dans cette analyse, tant sur le plan des espaces (micro et macro) sociaux que du point de vue formel et informel. Le but est de comprendre la dynamique de la société globale entre tradition et modernité et par-là, les différents modes de domination pendant la période coloniale et post-coloniale.

Notes
1.

20 Voir l’annexe 1 et 2 : Le continent africain et la localisation géographique du Mozambique

1.

21 Voir l’annexe 5 : La ville de Lourenço Marques

1.

22 Il y a un certain nombre de traits distinctifs de ce sous-système. Depuis que des agents Anglais ont pu restructurer l’économie de l’Afrique du sud d’alors (Colonies britanniques, au Sud, et Territoires africanders, au Nord) en industrialisant l’exploitation minière, elle devint l’épicentre de l’économie sous-régionale. Ce fut d’ailleurs en fonction de ses besoins que ont été érigés des infrastructures situées dans des Colonies voisines. Tel est le cas du réseau férrovière et routier, des ports ainsi que des villes construites autour de ces dernières. Par ailleurs, des milliers de travailleurs immigrants originaires de Colonies voisines, y furent engagés moyennant d’abord des biens manufacturés puis des salaires un peu plus attractifs que ceux qu’ils recevaient dans leurs pays. Lorsque, après la seconde Grande Guerre l’Afrique du sud connut la tendance à l’industrialisation, les colonies périfériques devinrent des sources de matières prémières. Voir l’annexe 6 : Le sous-système économique de l’Afrique australe. Pour les détails, Ministério da Educaçao – Departamento de Historia da Universidade Eduardo Mondlane, Manual de Historia da Africa Austral, Maputo, Divisão Gráfica da Universidade, 1980, 182p, pp3-20 ; COVANE, Luis, As relaçoes economicas entre Moçambique e Africa do Sul : Analise dos acordos e regulamentos principais, 1867-1964, Maputo, AHM, 1985, 175p