Première partie. L’Etat colonial : pouvoir, espaces sociaux et rapports politiques

Ordre social organisé, le pouvoir renvoie à une forme de domination. Qu’elle se traduise sous la forme de l’Etat ou par d’autres entreprises politiques1, la domination ne peut s’affirmer dans la durée si elle ne remplit pas les deux conditions qui en composent le socle de (re)structuration : d’abord, le contrôle des moyens de coercition ; ensuite, l’adoption d’un système de légitimation. C’est par le biais de cette relation que le pouvoir tire de la société des ressources permettant qu’il se fasse obéir. Se reportant à l’Etat-nation, l’analyse institutionnaliste du pouvoir insiste à y penser comme à une réalité contraignante et renvoie au caractère déterminant des institutions qui le régissent. Le pouvoir serait le moyen de cette détermination. Le pouvoir de l’Etat, en envahissant tous les secteurs de la vie sociale, divise les membres de la société ; d’un côté, il y aurait ceux qui détiennent les éléments du pouvoir et du savoir institué ; de l’autre, on trouverait ceux qui sont cantonnés à la périphérie de la société.

S’il est vrai que par ces références on se rend compte des rapports entre puissants et dominés dans un espace politique, elles sous-estiment néanmoins d’autres aspects qui en définissent des particularités. Il faudrait donc élargir ce cadre d’analyse. Partant de L’Etat colonial au Mozambique, l’hypothèse à vérifier s’appuie d’abord sur le fait que le pouvoir politique se réclame du rôle d’entrepreneur et de régulateur de la société globale ; en second lieu, on fait la lumière sur le fait que les entreprises du pouvoir relèvent de sa capacité de spatialisation2, reliant, par la contrainte ou par des compromis, espaces sociaux et terroirs multiples du point de vue de leurs trajectoires historique et de la culture politique.

C’est par rapport à cet espace, marqué par l’absence des modes homogènes de représentation du politique, que l’approche en termes de déconcentration politique acquiert sa logique et sa pertinence. Elle essaye d’éclairer des mécanismes par lesquels s’est entreprit tant l’insertion territoriale et sociale du pouvoir que les stratégies de régulation politique3 – la tension entre le conflit et l’intégration - dans un environnement historique et déjà structuré. Cette interactivité sociale étant assise sur des rapports de force, elle entraîne une architecture sociale, dont le pouvoir politique est le garant de continuité. Cela, en dépit du fait que des groupements se faisant présents suivent des modes d’allégeances multiples. Dans ce contexte, c’est au pouvoir comme réseau des réseaux que revient la tâche de se faire légitimer et de légitimation des relations sociales qu’il impose, afin qu’elles servent de support à la société globale.

Partant de l’hypothèse que les modes de représentation du territoire, structuré par l’ensemble de moyens techniques et des services sociaux, sont au cœur de l’interactivité du social et du politique, on cherche à soutenir que les territoires des sociétés post-coloniales ont été produits par l’assemblage d’espaces sociaux (Partie I, Chap. I) ; différenciés du point de vue de trajectoire et de développement technique, l’analyse des systèmes de rapports sociaux à Lourenço Marques et à Manjacaze montrent que ces espaces sont structurés, ce qui rend nécessaire la déconcentration politique comme stratégie de formation du collectif d’action, par le pouvoir politique (Chap. II).

Notes
1.

Des analystes s’inspirant de la pensée (neo)-évolutionniste donnent à voir des formes intermédiaires, dont la dynamique conduirait à l’avénement de l’Etat. En voici les caractérisations qui en on fait les premières entreprises politiques : a) La bande : est fondée sur la famille et fonctionne de façon égalitaire (Exemple : les Inuits, du Canada ; les Boshiman, du Botswana ; b) La tribu ou groupe local est à cheval entre les sociétés égalitaires et les sociétés à rang : elle peut connaître une organisation sous la forme villageoise mais les positions d’autorité ou de séniorité ne sont ni cumulables ni transmissibles. Les sociétés segmentaires et lignagères d’Afrique noire constituent un bon exemple (les Tiv, du Nigéria, ou encore les Tikopia, des îles Salomon d’Océanie ; c) Les chefferies connaissent un appareil plus ou moins centralisé et personnalisés et peuvent regrouper une population de plusieurs dizaines de milliers de personnes au sein d’une organisation sociale très stratifiée. Les fonctions du maintin de l’ordre, de la réglementation de la production et de l’activité rituelle sont séparées, donnent lieu à des rôles spécifiques et favorisent l’apparition de groupes spécialisés (Bamaliké ou Bamun du Camerou ). Pour ce qui est enfin de l’Etat, les chercheurs attachés à ce courant de pensée avancent les hypothèses suivantes : l’institution politique centrale (royauté et notamment sacrée, monarchie féodale) coexiste, dans les rapports parfois conflictuels, à la fois avec une division plus ou mois fonctionnelle et hiérarchique en appareils spécialisés et de nature rationnelle et bureaucratique. Sur ce sujet, on est devant deux schémas opposés : des études classiques attribuent le phénomème étatique à la sociogénèse et à la modernité politique des sociétés européennes ; celles relevant de l’Antropologie de l’Etat se reclament de l’universalité de l’entreprise étatique, les modes du pouvoir s’inscrivant sur le territoire et la société étant toutefois variés en raison des spécificités historiques et environnementiels. A la lumière de cette perspective, le processus de sociogénèse aboutit à la formation de la société Ashante, du Ghana, Hachin de Birmanie ou celles des grandes civilisations (Inca, Chine, Egypte, Ande) seraient également porteurs des phénomène étatique. Voir, à propos de ce débat, ENGELS, Friedrich, A Origem da Familia, da propriedade e do Estado, Lisboa, Ed. Presença (1884), 1980, 236p ; BALANDIER, G., Antropologia politica, ….op. cit, pp. 67-70 ; STEWARD, J., SERVICE, E., FRIED, M., cités, COPANS, Jean, Introduction à l’ethnologie et à lantropologie, Paris, éd. Nathan, 1996, 128p, pp. 63-64.

2.

Il s’agit d’un construit politique. Il est question d’éclairer la façon dont s’impose l’organisation territoriale du pouvoir aussi bien que les moyens d’action, l’utilisation légitime de la force. Il est de même important d’expliquer les logiques de l’allocation autoritaire des ressources.

3.

L’étude du pouvoir implique l’observation des mécanismes politiques par lesquels il se conquiert et s’exerce. Sous ce point de vue, il va de soi qu’on s’intéresse à la sphère d’action ou d’intervention des gouvernants, telle qu’elle peut être déterminée par les institutions existantes et par les positions ou réactions du corps social, c’est-à-dire les formes, l’étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les techniques de gouvernement ou moyens de l’exercice le pouvoir. Cf. GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales (10 ème éd.), Paris, Dalloz, 1996, 859p, p. 259.