1.1. Pouvoir et réseau-territoire

La spatialisation et l’insertion sociale du pouvoir ont été bien remarquées par G. Balandier. Pour lui, les rapports entre le politique et l’espace sont au principe des rapports sociaux : « chaque règne, même le républicain, marque d’une manière nouvelle le territoire, une cité, un espace public. Il aménage, modifie et organise, selon les exigences des rapports économiques et sociaux, dont il est le gardien /…/4. L’interactivité entre pouvoir et société est à la fois, on le voit, un rapport à son environnement matériel. Qu’il s’agisse d’un système se rapportant à la tradition, à la modernité ou à encore à ce que J.-L. Amselle tient pour « logique métisse »5, le rapport à l’environnement matériel paraît s’imposer comme le dénominateur commun des systèmes politiques6.

Il y a lieu qu’on éclaire tout d’abord le sens du concept de réseau-territoire, dans un contexte colonial, au Mozambique. S’agissant d’un construit issu de la domination coloniale, quelques traits en définissent les particularités : il est d’abord le produit de la mise en place d’un système territorial colonial, pouvant se différencier dans la structure de celui-ci des lieux centraux et ceux à statut périphérique ; en second lieu, il est vrai que son fonctionnement s’appuie sur un certain cadre infra- structurel permettant les communications entre les différentes instances du système. Mais l’efficacité de ce dernier, la nation n’y étant pas la collectivité de référence, ne peut se réaliser qu’en faisant recours au clientélisme. Il reviendra par conséquent au politique7, en tant qu’expression du pouvoir, la tâche de gérer le système8. Le politique s’y manifeste donc comme l’espace de coordination de l’interactivité et de stratégies des acteurs multiples, qui sont sans cesse dans un rapport de traduction mutuelle9. Cette pratique relie groupements à puissance et temporalités différenciées : familles, communautés locales, chefferies, espaces ethniques, syndicats, partis politiques, Eglises, etc., qui s’articulent les uns aux autres dans un ensemble territorial plus large, celui de la Colonie.

Sous sa forme moderne, comme dans nombre d’ex-Colonies, la production du territoire étatique au Mozambique tient aux projets des empires coloniaux au XIX ème siècle. Considérés comme des instruments stratégiques de leurs intérêts, le résultat fût la construction d’une espace social segmenté. On y repère de multiples espaces socio-culturels10 (ou ethniques), définis par des critères historiques, sociaux et géographiques. Ceux-ci sont relatifs aux processus de sociogenèse mis en places par des Etats et des systèmes de pouvoir traditionnels, avant la colonisation ; l’espace étatique issu de la domination coloniale avec ses frontières formelles ; l’espace social des communautés particulières, structurés par des logiques clientélistes, de solidarité fondée sur la parenté, le religieux ou des échanges économiques.

Cette segmentarité de la société mozambicaine11 vient d’en amont. C’est sans aucun doute dans les années 1890 que s’imposa en Afrique australe une conjoncture de concurrence entre les puissances coloniales, exigeant du Portugal le délaissement du mode commercial du rapport aux espaces sous son influence12. Deux facteurs en ont été à l’origine. D’abord, la Conférence de Berlin en 1884-1885 légitima un partage colonial fondé sur l’occupation et l’administration directe. Ce principe permettait à toute puissance coloniale de s’emparer des territoires dont il n’avait pas été prouvé qu’ils appartenaient à un autre Etat ; en second lieu, l’Afrique du sud était devenue un pôle de développement, dont les effets spatiaux se traduisaient par l’intégration des zones périphériques dans son espace économique.

En effet, l’exploitation industrielle des diamants à partir de 1867 (à Kimberley) puis celle de l’or dès 1886 (à Johannesburg) s’avéra restructurante. Des sociétés anonymes non seulement s’y intéressaient mais elles étaient aussi à la base de la construction des voies ferrées, des ports, des villes, etc., vu que ces infrastructures fournissaient des services auxiliaires à l’activité minière. Du fait de l’attrait de la politique salariale qui s’y observait, puisque les sociétés minières en avaient besoin, de milliers de travailleurs des pays voisins se rendaient en Afrique du sud pour y travailler, dans des fermes et dans l’industrie minière. La majorité de ceux-ci partaient à la recherche du travail salarié bien avant l’occupation administrative et politique coloniale. Pour le cas du Mozambique, ce phénomène s’explique, selon Luis Covane13, par le fait que l’emprise du capital industriel au Sud du Mozambique est survenue dans un contexte de crise pour les économies des sociétés africaines. Le commerce de l’ivoire et d’autres marchandises y prenait, lors de la 2 ème moitié du XIX ème siècle, de plus en plus du recul, en raison de sa rareté. L’agriculture et l’offre de travailleurs migrants devinrent les sources les plus importantes de revenus pour les communautés locales. C’est pourquoi les élites tant de l’Etat de Gaza que celles de chefferies environnantes se sont engages dans le système d’échanges en expansion, en assurant l’approvisionnement en main-d’œuvre. En fait, ces élites permirent que les agents du capital minier fassent le recrutement des travailleurs dans leurs Territoires, moyennant le paiement d’impôts en armes à feu, en biens manufacturés et en livres sterling.

Outre l’accroissement d’échanges entre le capital minier et la région du Sud du Mozambique, les conflits entre les Anglais et les Républiques Africanders d’Orange et du Transvaal ont été également à l’origine de la façon dont s’y sont structurés les réseaux de chemins de fer14. Dès l’établissement des premiers dans la région du Cap, entre 1795 et 1806, puis dans la région du Natal, dans les années 1840, les Africanders se sont opposés à leur hégémonie économique et religieuse. Les différences tenaient au fait que les Anglais défendaient un système social libéral et capitaliste alors que les Africanders étaient attachés au calvinisme et au régime de production fondé sur l’esclavage.

Pour ces raisons, les Africanders amorcèrent un mouvement migratoire vers l’intérieur et se proclamèrent conquérants des territoires concernant leurs intérêts politiques. Un chasseur, Joao Albasini, s’est chargé en 1847 de prévenir les autorités portugaises de l’arrivée d’environ 8000 à 9000 Boers (Africanders) dans l’actuelle région du Transvaal d’autant plus que certains d’eux marchaient vers la baie de Lourenço Marques (Maputo)15. Les Anglais s’y intéressaient aussi car leur possession leur permettait de compter davantage sur un port au Nord-Est, facilitant ainsi le bouclage et la mise en dépendance des Africanders à l’intérieur. Bref, il s’agissait d’un conflit opposant Portugais, Anglais et Africanders au sujet de domaines coloniaux, ce qui entraînait la nécessité d’entendements frontaliers. C’est la lecture qui en est faite par d’autres sources se référant à l’époque :

Les Boers et les Portugais de Lourenço Marques souhaitaient ardemment la résolution du problème des frontières. Tavares d’Almeida, Gouverneur à Lourenço Marquês, fit voir le 22 Juillet 1861 cette nécessité au Gouvernement central, à Lisbonne /…./. Si les Portugais étaient concernés sur les repères frontaliers avec le Transvaal, ce dernier l’était davantage. Les Boers étaient conscients du différend luso-anglais quant à la question de Lourenço Marques. Les Anglais profiteraient de leur puissance afin de faire valoir leur intérêt, ce qui déboucherait sur leur appropriation de la baie en question et la perte d’une bonne marge de manœuvres de la part des Africanders16.

Ce fut en vue des enjeux de cette interactivité que Pretorius, (Président du Transvaal), adressa le premier septembre 1864 au Gouverneur général du Mozambique la demande d’un accord frontalier. Les démarches ont réussi, en juillet 1869. Portugais et Africanders se sont par la suite mis d’accord au sujet de ce dossier, la chaîne montagneuse des Libombos étant choisie comme repère frontalier entre les deux pays. Lourenço Marques, le port respectif et la région adjacente (encore sous le contrôle des potentats africains) sont restés domaines du Portugal, l’arbitrage du Président Mac-Mahon en 187517 ne venant que légitimer ce construit. Le Transvaal se contenta d’un accord lui facilitant des transactions commerciales à travers le port ‘portugais’. D’après cet accord, les deux Etats s’obligeaient de promouvoir la paix et le commerce ; les transactions entre les deux territoires devaient respecter les principes d’égalité et de réciprocité ; ces transactions incluaient toute sorte de marchandises, à l’exception des armes, dont la circulation serait assujettie à d’autres règles douanières18.

Le contexte rendant nécessaire la modernisation du port et la construction de la voie ferrée reliant la région du Sud du Mozambique à l’Afrique du sud (Transvaal) s’est ainsi créé. Le développement du commerce, qui à l’époque se faisait par des voitures à cheval, rendait la question du chemin de fer primordiale. L’efficacité des services de transport routier, qui a été à propos mis en place, est resté loin de pouvoir correspondre aux attentes, comme le témoigne Eduardo de Noronha :

Le chemin de fer de Lourenço Marques représentait l’espérance que les colons caressaient depuis longtemps mais sans croire à sa concrétisation. C’était une source de soucis pour le Gouvernement anglais ; un fantôme craignant du point de vue de la Colonie du Natal ; une perspective d’émancipation commerciale pour le Transvaal. Pour le Gouvernement portugais en particulier, le chemin de fer représentait la nature utopique de l’expansion coloniale, qui s’étudiait jusqu’alors comme une théorie mal définie ; c’était un projet dispendieux des capitaux portugais ; c’était une tentative hasardeuse, d’après les politiciens ; c’était l’objet de curiosité, un vague et abstrait construit pour le peuple19.

L’accord célébré entre Paul Kruger (Président du Transvaal) et les autorités de Lisbonne en 1876, en vue de la construction de la voie ferrée, pouvait apporter des développements souhaitables. Un blocage s’est toutefois imposé. Le Transvaal fut envahi en 1877 par les Anglais et, désireux de gérer leurs affaires, ils signèrent en 1879 avec le Portugal un nouveau traité. Par cette entremise, les Couronnes anglaise et portugaise ont convenu de mettre en valeur le port de Lourenço Marques étant donnée son utilité économique et politique pour les Territoires de l’intérieur ; le Gouvernement portugais reconnut à la Couronne britannique le droit de construire une voie ferrée jusqu’au port de Lourenço Marques ainsi que des infrastructures permettant l’établissement des services auxiliaires ; la circulation des marchandises du Port de Lourenço Marques à la frontière britannique aussi bien que dans le sens inverse ne serait pas taxée pour une période de 25 ans20.

La stratégie anglaise visait, semble-t-il, à ne pas permettre que les Africanders deviennent puissants au point de porter atteinte à leurs intérêts économiques. Les accords anglo-africanders, signés en 1881, auraient entrepris un modus vivendi qui leur était théoriquement favorable. La Couronne britannique pouvant influer sur la définition des grands axes de la politique extérieure de la communauté vaincue (Africanders), elle lui reconnut derechef en 1882 le statut d’Etat indépendant. Paul Kruger (Président du Transvaal) attribua alors la licence de construction de la voie ferrée à une Compagnie hollandaise. Les travaux débutés en 1887, huit ans après (1895), les villes de Pretoria et de Lourenço Marques étaient reliées par un service régulier de transport par la voie ferrée. Sur un total de 406 Km de longueur, 70 Km parcourent le territoire mozambicain de la frontière au Port de Lourenço Marques, ce qui le rend le plus proche et le plus économique par rapport à ceux du Cap et du Natal20.

Les conflictualités opposant Portugais, Anglais et Africanders à propos de la région Sud-Est de l’Afrique (Mozambique) ont entraîné, bien sur, des développements dans le sens de la création du territoire de l’Etat, au sens colonial du terme. Mais des divergences survenues lors de l’hégémonie anglaise entre 1888 et 1891 vers le Nord, à partir de l’Afrique du sud, a poussé ce processus jusqu’à la perfection possible, dans la perspective de ses entrepreneurs. A l’heure où les conflits entre puissances européennes à propos des Colonies ont éclaté, du fait qu’il y voyait son utilité, le Portugal s’est battu pour maintenir son statut de puissance coloniale. La reformulation de sa politique coloniale, en faveur d’un rapport plus direct à ses domaines ainsi que des alliances tactiques avec d’autres puissances, venaient dans le sillage de ce programme.

Juste après la formalisation du partage et de la colonisation effective de l’Afrique par la Conférence de Berlin (1885), Lisbonne a conçu un énorme projet colonial dans lequel il revendiquait sa souveraineté sur le territoire situé entre l’actuel Angola et le Mozambique21. Or, le projet colonial du Portugal se heurtait à celui des Anglais. Enthousiasmés par les progrès dans l’exploitation des diamants à Kimberley puis de l’or à Johannesburg (Afrique du sud), leurs investissements étaient à l’origine, on l’a déjà montré, d’un processus d’hégémonie auquel le Portugal ne pouvait nullement résister. L’essor de l’industrie minière allait de pair avec la construction de chemins de fer, des ports ainsi que l’intégration dans le marché du travail salarié des Africains venant des pays entourant l’Afrique du sud. De même, la formation des villes et de tout un réseau de services subsidiaires aussi bien que le développement du commerce, en étaient des effets secondaires.

Dans cette dynamique de l’économie coloniale en Afrique du sud, une des conséquences à retenir est l’avènement d’entreprises et de Compagnies anonymes souhaitant élargir le domaine colonial britannique. La Compagnie britannique pour l’Afrique Australe (CBAA), formée par Cecil Rhodes en 1888, - à laquelle la Couronne reconnut le statut de Compagnie royale – en est un exemple. Dès lors que les Portugais revendiquaient le Territoire entre l’Angola et le Mozambique au nom de « droits historiques », C. Rhodes se chargea d’étendre l’empire britannique, afin de relier par un chemin de fer la ville du Cap (Afrique du sud) à celle du Caire (Egypte). En ce sens, la présence des Anglais en Rhodésie du sud à partir de 1888, l’obtention auprès du roi Lobengula des Matabeles du droit d’exploitation minière et d’autres concessions économiques en étaient déjà révélatrices. En outre, la conversion du Territoire des Makololos, au Sud du Nyassaland en un protectorat britannique relevait également du projet colonial de la Couronne anglaise.

L’établissement des Anglais en Rhodésie du sud aussi bien que son expansion vers d’autres Territoires au Nord souleva des problèmes logistiques et, par-là, le besoin de moyens de transport. Le port de Beira, ( le plus proche de la nouvelle possession anglaise) et ses entourages leur ont semblé les plus convenables. C. Rhodes, qui en 1890 était le Premier Ministre du Cap, donna le feu vert pour que ses agents envahissent et annexent la région de Manica et de Sofala (Mozambique) et le port respectif (Beira), à la Rhodésie du sud. Tout en se réclamant de ses « droits historiques » sur ces régions, le Portugal insista sur la formule de leur préservation, d’autant plus qu’il essaya de les défendre, dans des rapports de forces qui lui étaient très défavorables22.

L’Angleterre fut donc contrainte d’envoyer un ultimatum à Lisbonne en vue de mettre fin à ses « excès ». En effet, en janvier 1890, le Gouvernement anglais a mis les autorités de Lisbonne au courant du fait que « l’Angleterre ne permet pas le recours à la force pour établir la souveraineté portugaise dans les régions où prévalent les intérêts britanniques. Sous peine de rupture de relations diplomatiques, l’Angleterre exige le retrait des forces portugaises non seulement du pays des Makololos mais aussi de celui des Matabeles et des Mashona23.

Sachant que dans l’ordre en construction les rapports de forces lui étaient défavorables, le Portugal ne pouvait négliger que le conflit luso-anglais conduise à la signature de deux accords. Il s’agit du traité qui a été achevé en août 1890 et de celui dont la conclusion est survenue en juin 1890. A travers le premier, les Gouvernements signataires se sont entendus quant aux repères frontaliers entre le Mozambique et les Colonies voisines (Rhodésie du sud et Nyassaland). Ils ont également pris l’engagement de coopérer à propos de la nécessité de la construction de routes et de chemins de fer pour permettre la circulation de personnes et de marchandises en provenance et à destination des domaines coloniaux de Londres :

Les marchandises en circulation entre les Territoires portugais sur la Côte orientale et la sphère britannique seront assujetties au payement de 3 pour cent de droits douaniers, pour une période de 25 ans, à partir de la date de la ratification de cette convention. /…/ Il est aussi convenu que chaque puissance aura, dans les régions supra mentionnées, le droit de construire des autoroutes, des chemins de fer, des ponts, des réseaux téléphoniques, pour l’établissement des communications entre les deux domaines. /… / Quel que soit le chemin de fer, construit par l’une des puissances dans le territoire de l’autre, il sera soumis aux lois et règlements locaux, établis sur la base d’un accord entre les deux gouvernements24.

Ce fut sous l’effet de contraintes entraînées par ces rapports de forces, dans le cadre du partage colonial, que le Portugal a du changer sa politique coloniale. Antonio Enes avait été nommé au poste de Haut Commissaire pour la Colonie du Mozambique, au moment où les rapports luso-anglais traversaient leur période la plus troublée. L’entrepreneur colonial, peut-être, le plus lucide sur les problèmes de son époque, ses idéaux ont inspiré les grands axes de la politique coloniale portugaise jusqu’à la montée, en 1926, d’O. Salazar au pouvoir. Selon A. Enes, « ce ne serait pas par le peuplement colonial que le Portugal pouvait s’en sortir mais par la colonisation par le biais de capitaux. Nous avons besoin de capitaux étrangers pour l’entreprise coloniale car les capitaux nationaux ne sont pas suffisants. Au Brésil, par exemple, les étrangers sont plus entreprenants que les citoyens nationaux et cela ne porte néanmoins pas atteinte aux liens qui les attachent à la Métropole »25 .

Ceci étant le chemin suivi, la colonisation directe (portugaise) était depuis lors fondée sur trois préalables interdépendants et simultanés, auxquels est liée l’entreprise du réseau-territoire de l’Etat colonial : d’abord, la dépossession de moyens de contrainte physique qui étaient à la portée des Etats africains, par le biais d’un processus tenu dans le discours politique colonial comme « campagnes ou guerres de pacification » ; ensuite, par la mise en place d’un processus d’intégration des dominés au système d’administration coloniale ; enfin, par la structuration, au moyen de capitaux non portugais26, d’un système économique où, de pair avec des activités de la sphère primaire, le secteur de prestation de services – en exportant de la main-d’œuvre et en facilitant la circulation de marchandises en provenance et destinés aux territoires de l’intérieur - a joué un rôle fondamental. Les espaces des communautés traditionnelles, avec leurs modes de sociétation, ont été certes assujettis à l’ordre colonial à travers les réseaux administratifs. Mais les réseaux sociaux sous leurs formes multiples y tenaient un rôle important comme mécanismes de légitimation de rapports sociaux et de communication politique27.

En effet, la conjoncture de concurrence étant propice au partage colonial, les Etats africains furent détruits28. Ceux qui s’étaient structurés sur la Vallée du Zambèze virent, entre 1886 et 1892, leurs appareils militaires esclavagistes désintégrés29. On a assisté, entre 1894 et 1897, à la désintégration de l’Empire de Gaza au Centre et au Sud de la Colonie30. Le Portugal s’attaqua au démantèlement, dès 1897 jusqu’en 1913, des plusieurs entités politiques militarisées, qui faisaient partie des réseaux de commerce d’esclaves, sur la région macua-lomuè et ajaua, au Nord du Mozambique618. L‘idéal autonomiste dans un contexte où l’administration coloniale et sa politique extractive s’imposaient de plus en plus, inspira lors de première Grande Guerre (1914 –1918) des soulèvements en pays des Barwè, au Centre de la Colonie. Elle a été également à l’origine du soulèvement des Macondes, à l’extrême Nord du Mozambique31. Ces tentatives de bouleversement de l’ordre colonial à une échelle localisée ont été, elles aussi, apprivoisées.

Hormis quelques soulèvements localisés mais sans mettre en cause la structuration du système, il y a donc eu, dans le contexte de la mise en place du pouvoir colonial, l’occupation de l’espace comme espace étatique. Le réseau-territoire y fut construit comme une combinatoire de deux dimensions, celle de réseaux techniques et administratifs, dans un cadre de rapports politiques et économiques où l’hégémonie britannique était inéluctable. Nombreuses sont les entreprises ou Compagnies anonymes qui exerçaient simultanément leurs activités en Afrique du sud, en Rhodésie du sud, en Rhodésie, au Malawi et au Mozambique32. Dans cette dernière Colonie, le service du transport, le commerce, l’économie de plantation aussi bien que le recrutement de main-d’œuvre étaient à leur charge.

Cette tendance d’ouverture à l’entreprise du réseau-territoire tenait certes à des contraintes économiques la rendant inéluctable. Mais elle s’inscrivait, semble-t-il, dans la perspective d’A. Enes de Colonie, soutenant une entreprise coloniale, « non pas par le peuplement colonial mais par des capitaux ». Dans ce sens, le gouvernement portugais accorda un bail de grandes étendues de terres à des Compagnies non portugaises33. Celles-ci obtinrent, en échange de l’observation de certaines conditions34, des droits sur les ressources naturelles et surtout le contrôle administratif des populations vivant à l’intérieur de ces régions.

Les deux grandes Compagnies étaient la Compagnie du Mozambique (160.580 Kilomètres carrés à Manica et Sofala) et celle du Nyassa (25 % de la Colonie). Elles eurent dans la région que leur avait été attribuée, le monopole du commerce, du secteur minier, de la construction, des services postaux et le droit d’attribuer la terre à d’autres entités, ainsi que de lever des impôts. Grâce à ces droits, la Compagnie du Mozambique – à qui son contrat assignait le statut de Compagnie souveraine jusqu’en 1942 – délégua quelques-unes de ses obligations à des sous-compagnies locataires. C’est à elles qu’est revenue la responsabilité à l’égard des deux domaines d’activité de la Compagnie du Mozambique, celui de la construction et de l’exploitation du réseau ferroviaire-portuaire de Beira et celui de l’économie de plantation.

Achevé en 1899, ce réseau relia définitivement la région centre du Mozambique à la Rhodésie du sud. C’était le socle de son économie, dés lors fondée sur la prestation de services de transport aux Colonies anglaises voisines. Par ailleurs, grâce au chemin de fer, les Compagnies locataires purent débuter le développement de l’économie de plantation, axée sur la monoculture des produits d’exportation, tels que la cane à sucre, le sisal et le coprah.

La Compagnie de Nyassa – la seconde en importance – ayant obtenu le droit d’exploiter et d’administrer 25% de la Colonie, les Territoires de Cabo Delgado et de Nyassa à l’extrême Nord du Mozambique, en étaient les sphères d’intervention. Créée en 1891, bien que le statut de cette Compagnie l’oblige d’investir au profit du développement, elle ne s’est livrée qu’à ce que René Pélissier appelle le « parasitisme colonial »35. En effet, durant les 35 ans de son mandat, les sources les plus importantes des profits pour cette société anonyme se fondaient aussi bien sur le prélèvement d’impôts, le commerce avec la paysannerie que sur l’exportation de la main-d’œuvre en Rhodésie, au Nyassaland, au Tanganyika, au Congo belge et en Afrique du sud36. Encore dans le cadre de la politique concessionnaire, on note la formation de la Compagnie du Zambèze, la seule dont les supports étaient les investissements portugais. Dès les années 20, après une période où elle entreprenait les mêmes activités que celles de la Compagnie du Nyassa, cette Compagnie commença à accorder quelque importance au développement de l’économie de plantation.

On revient maintenant au réseau ferroviaire. Outre le fait qu’il a été structuré sous l’effet de besoins de l’économie des Colonies voisines, il s’est aussi créé au Mozambique un réseau de voies ferrées et routier en raison d’exigences internes. Il émana de la nécessité de relier les zones de production à ce qui étaient tenus, à partir des années 30, pour des « pôles du développement économique »37 de la Colonie38. Du Nord au Sud du pays, suivant Vasco Fortuna, ils peuvent être ainsi présentés 39 :

  • Zone Nord :

Mocimboa da Praia – Desservie par les ports de Mocimboa da Praia, Ibo et Port Amélia (Pemba) ; (2) Nacala– Desservie par les ports de Nacala, Moçambique, Lumbo, Antonio Enes ainsi que par les voies ferrées du Lumbo et de Nacala au Catur ; (3) Pebane – Desservie par les ports de Pebane et Quelimane aussi bien que par le chemin de fer de Quelimane à Mocuba. Il s’agit d’une région disposant d’importantes ressources minières, parmi lesquelles l’une des plus grandes réserves de tentalite ; (4) Vila Cabral (Lichinga) – Desservie par le dernier tronçon du chemin de fer de Nacala au Catur et par de voies routières de la partie mozambicaine du lac NYassa.

  • Zone Centrale :

(1) Tete – Desservie par le tronçon du chemin de fer de Tete et par le fleuve Zambèze. L’on y trouve abondamment des ressources hydriques et minières, propices à l’établissement d’industries lourdes ; (2) Beira – Desservie par le port de Beira, par un aéroport international ainsi que par un important réseau de routes et de voies ferrées. Cette zone est dotée de l’énergie hydroélectrique et d’une industrie en expansion.

  • Zone sud :

Mambone – Zone propice à la pèche et au tourisme. O y trouve également des ressources en sous-sol. Aucun port ni chemin de fer y fut construit ; (2) Maxixe – Desservie par le port d’Inhambane aussi bien que par le chemin de fer de Joao Belo. On se sert également d’une autoroute rendant possible des liens économiques plus intenses avec la région de Lourenço Marques, centre consommateur et distributeur le plus important du pays ; Lourenço Marques – Desservie par un grand port, un aéroport international, un complexe de voies ferrées et routiers importants. Il s’agit d’une région propice à l’activité agricole et de l’élevage. De plus, on y trouve un parc industriel en expansion.

A ce stade de l’exposé, il devient aisé de constater la façon dont la construction du territoire de l’Etat et du réseau-territoire a été déterminée par des enjeux qui dépassèrent ceux du Portugal en tant qu’acteur de l’entreprise coloniale. Si la logique de sa mise en place a certes eu un poids dans la politique coloniale, elle n’a néanmoins pas entrepris un territoire étatique dont le fonctionnement se fondait sur la connexion des espaces par des réseaux techniques. En effet, la structuration du Territoire de l’Etat s’est structuré sur deux déterminants imbriqués.

Tout d’abord, la mise en valeur de la Colonie a été faite en y établissant des réseaux de voies ferrées et des services portuaires afin qu’ils desservent les économies de l’Afrique du sud et d’autres Colonies de l’hinterland40. C’est tout au long de ces voies ferrées que se sont bâties des villes accueillant la population coloniale, dont l’immigration fut encouragée à partir des années 30 par O. Salazar. D’autres villes, surtout au Centre et au Nord du Mozambique, ont été héritées soit des établissements portugais avant la colonisation effective soit de la transformation des hauts lieus des Etats africains en hauts lieus de l’administration coloniale. Quant aux dits « pôles du développement », le gouvernement colonial n’a jamais pensé à les relier par une voie ferrée Nord-Sud. Le politique s’est juste rendu compte du fait que la zone Nord est beaucoup plus dotée de ressources agricoles ; que, celle du centre possède des ressources minières et énergétiques ; et que, enfin, celle du Sud s’avère être un centre industriel41. Dans les années 40, la population globale du Mozambique était estimée à 4.006.011 habitants, dont 45.750 non africains dont 23.131 portugais42. Du Nord au sud de la Colonie, la population non africaine était ainsi distribuée : zone Nord, 14% ; zone centre, 12%, zone sud, 74%, ce qui traduisait bien la logique de segmentation sociale en termes de structuration de l’espace.

Le second déterminant correspond à la mise en place des réseaux administratifs ainsi que s’imposait la destruction des Etats pré-coloniaux. Structurés selon une logique de hiérarchie qui débutait du haut en bas, prenant la Colonie comme un espace global, on y distingue des instances dont les pouvoirs concernaient la province, le district, le conseil municipal, la circonscription et, en fin, la sous-circonscription43. C’est dans ce cadre qu’on s’aperçoit d’un réseau de communication plus ou moins maillé, ce qui s’expliquerait par la nécessité de rendre plus efficace le rapport dominants/dominés, dans les zones rurales. En effet, d’après les sources coloniales, on comptait, en 1939, 22.922 km des voies dans les territoires sous le contrôle de l’Etat et 6.416 km à Manica et Sofala44. La construction du territoire de l’Etat ayant débouché sur la mise en réseau des communautés relevant des temporalités et des modes d’allégeances si divers, l’interactivité du social et du politique prendra appui sur la déconcentration (politique) comme l’un de supports de sa régulation.

Tableau I : Découpage territorial de la Colonie (Province) de Mozambique 5
1-District de Lourenço Marques, siège et centre intermédiare sur la même ville 2-District de Gaza, siège et centre intermédare à Joao Belo
Conseil de Lourenço Marques Conseil de Gaza
Conseil de Matola Circonscription du Limpopo
Circonscription de Maputo Circonscription du Bilene
Circonscription de Marracuene Circonscription du Guijà
Circonscription du Sabié Circonscription de Magude
3-Districti d’Inhambane, siège et centre intermédiare à Inhambane 4-District de Manica et Sofala, siège et centre intermédiare à Beira
Conseil d’Inhambane Conseil de Beira
Circonscription de Govuro Conseil de Chimoio
Circonscription de Homoine Conseil de Manica
Circonscription de Inharrime Circonscription de Barue
Circonscription de Massinga Circonscription de Gorongosa
Circonscription de Morrumbene Circonscrition de Marromeu
Circonscription de Panda Circonscription de Mossurize
Circonscription de Vilanculos Circonscription de Sena
Circonscription de Zavala Circonscription de Sofala
5-District de Tete, siège et centre intermédiaire à Tete 6-District de Zambèzie, siège et centre intermédiare à Quelimane
Conseil de Tete Conseil de Quelimane
Circonscription de Macanga Conseil de Chinde
Circonscription de Maravia Circonscription de Guruè
Circonscription de Mossurise Circonscription d’Ile
Circonscription de Sena Circonscription de Lugela
Circonscription de Sena Circonscription de Maganja da Costa
Circonscription de Marromeu Circonscription de Mocuba
  Circonscription de Mopeia
  Circonscription de Pebane
  Circonscription de Morrumbala
  Circonscription de Namarroi
7. District du Moçambique, siège et centre intermédiare à Nampula 8. District de Cabo Delgado, siège et centre intermédiare à Porto Amélia
Conseil de Nampula Conseil de Porto Amélia
Conseil de Mozambique Conseil d’Ibo
Conseil d’Antonio Enes Circonscription de Macomia
Circonscription d’Erati Circonscription de Mécufi
Circonscription d’Imala Circonscription de Mocimboa de Praia
Circonscription de Malema Circonscription de PaLourenço Marquesa
Circonscrption de Meconta Circonscription de Quissanga
Circonscription de Mongincual 9. District de Niassa, siège et centre intermédiare à vila Cabral
Circonscription de Mogovolas Circonscription d’Amaramba
Circonscription de Moma Circonscription de Marrupa
Circonscription de Mossuril Circonscription de Vila Cabral
Circonscription de Nacala  
Circonscription de Ribaué  

Notes
4.

BALANDIER, G., Le Pouvoir sur scène, Paris, éd. Balland, 1980, 325p, p. 25

5.

On propose par ce concept de décrire la multiplicité des modes d’allégeances de divers groupements, dans une société coloniale ou post-coloniale. Elles se définissent par des schèmes et des pratiques culturelles dont la logique ne peut être saisie que par la relecture de leurs trajectoires historiques (en amont) aussi bien qu’à leurs projections (en aval), dans un environnement structuré par des rapports de domination. Au lieu de l’universalisme culturel tenu par certains chercheurs pour l’une des causes des dynamiques sociales, on met en revanche en valeur le relativisme culturel. L’on reviendra infra à ce sujet. Voir AMSELLE, Jean-Loup, Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris,Payot, 1990, 256p, pp9-69 ; ELIOU, Marie, « Erosion et permanence de l’identité culturelle », Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXVI, 1979, pp. 79-90

6.

Si l’on se reporte à la pensée juridique, cette réalité peut bien concerner à une communauté ou à un ordre étatique, la zone géographique de ce dernier étant l’espace où se déroule l’interaction des forces sociales. Dans ce cas de figure, le pouvoir politique y impose des frontières servant de répères à son individualité en tant que sujet et acteur de droit public international. Sur le plan interne, le territoire devient l’espace permettant la validité spatiale de l’ordre politique car le pouvoir y revendique et exerce la contrainte légitime.

7.

On tient pour Le politique ce qui fait qu’une société forme un tout malgré la pluralité des structures – économiques, sociales, religieuses, etc – qui s’y combinent ; ce qui fait que ses membres vivent ensemble en dépit des conflits qui les opposent ; ce qui permet que des décisions qui y sont prises et coordonnées et qu’elles engagent le groupe comme tel. Les représentions d’appartenance ou de non appartenance déterminent selon les situations des individus ou des groupes les phénomènes de fission et de fusion. Ce sont précisément ces processus centrifugues et centripètes qui assurent la cohérence et le degré d’intégration de la société global. Cf. POUILLON, Jean, cité, ABELES, Marc, Anthropologie de l’Etat…. Op.cit., p.123-124 ; DUVERGER, Maurice, Sociologie de la Politique…op. cit., pp. 71-79

8.

Cette capacité coordinatrice est redevable à la mise en œuvre d’un ensemble de ressources : En premier lieu, on y compte des ressources qui assurent le fonctionnement du système de production. C’est au moyen de celui-ci que les groupes au pouvoir se dotent de moyens d’action. Ceux-ci leur apportent une certaine capacité distributive et, ainsi, la capacité à susciter des allégeances, à récompenser des dévouements, à assurer des fidélités, selon la position des leurs agents. Deuxièmement, les ressources provenant de la production et de la gestion des outils de la communication tiennent sa place. La mise en place de langages permettant une intercompréhension minimale entre les individus ; les savoirs, les valeurs, les croyances et les références qui cimentent l’unité du groupe. Elles supposent la maîtrise des vecteurs d’information et permettent que le pouvoir se récrie la notoriété et le légitimité en manipulant des schèmes de représentation des rapports sociaux. Enfin, les ressources qui relèvent de la production et monopolisation de la coercition. Elles requièrent d’abord le contrôle de l’emploi des forces de l’ordre et de l’armée, devant le sommet de la pyramide de l’exécutif en être le seul responsable ; ensuite, le système légal s’avère un outil indispensable à l’imposition de contraintes aux sujets mettant l’ordre public. Voir BRAUD, Philippe, Sociologie politique … op. cit.., pp. 59-60.

9.

Cela ne vaut pas dire que notre argumentaire contredit la thèse du déterminisne du politique par les réseaux techniques. Nous nous mettons certes d’accord avec cette pensée pour dire que l’interactivité du social et du politique n’acquiert pas du sens que par rapport à un réseau-territoire. Désignant la partie du territoire structuré à la suite de la mise en œuvre d’une politique d’aménagement, le réseau construit l’espace économique et social d’un pays. Matérialisé par un ensemble de moyens techniques et de nombreux équipements collectifs, le réseau devient un processus de désenclaver les espaces les rendant ouverts aux échanges. Aussi le réseau s’avère-t-il non seulement un outil de transformation du rapport de l’Homme à l’espace mais également des rapports des groupes sociaux au politique. On y voit donc l’une des sources de l’émergence de nouveaux environnements sociaux. Toutefois, il semble pertinent de distinguer le cadre territorial d’un pays industrialisé de celui issu de la domination coloniale. Dans ce dernier cas, le réseau-territoire entendu, d’après G. Dupuy, M.-F. Noue et al. et J.-C.. Marquis, comme source d’accords et des désaccords, (entraînant, ainsi, des dysfonctionnements du système) reste une entreprise à accomplir. De ce fait, la représentation de l’espace n’y se réduit qu’à celle de l’Etat. Etant donné de l’intérêt de ce débat, voir MARQUIS, J.-C., Amenagement du Territoire et Urbanisme, Paris, Ester, 1991, 126p, p.11 ; DUPUY, G., Systèmes, réseaux et territoires : principes réseautiques territoriales, Paris, Presses de l’Ecole nationale de ponts et chaussées, 1985, 137p, pp. 6-55 ; NOUE, M.-F. et al., Réseaux et territoires : rapport du groupe d’étude et de mobilisation, Montpellier, Reclus, 1993, 175p, pp. 103-108.

1.

0 Il y a un certain nombre de chercheurs qui en font l’analyse. Voir par exemple MEDEIROS, E. –CAPELA, J. –CAPELA, J., O tráfico de escravos e a estruturação política no Norte de Moçambique no século XIX, Maputo, AHM, 1993 ; MEDEIROS, E., « Etnias e etnicidade em Moçambique : notas para o estudo da formação de entidades tribais e étnicas entre os povos de língua(s) emakhua e o advento da etnicidade macua e lomwé », Africana, n°18, Setembro de 1979, pp20-43 ; FIALHO, J.F., Antropologia económica dos Thonga do sul de Moçambique (Dissertação de Doutoramento em Antropologia Económica), Lisboa, Universidade Técnica de Lisboa, 1989, 793p

1.

1 Ce concept peut être remis en cause. La pensée holiste et structuro-fonctionaliste situe dans la Nation, cadre de l’homogénéisation culturelle, les seules origines de la société. Pour le propos de cette étude, on préfère d’en prendre distance car elle ne recouvre pas la diversité de cas de sociogènese. On suivra donc le schèma théorique soutenant que « la segmentarité n’est jamais entièrement résorbable, ni dans l’Etat traditionnel, ni dans l’Etat moderne » (Cf. Balandier, 1985 :321). De ce fait, la société peut se présenter comme un agrégat organisé et structuré institutionnellement et territorialement, mais pas forcement homogène. A propos du débat autour des notions de ‘Nation’ et ‘Société’, voir SMITH, Anthony, The Ethnic Origins of Nations, New York, Basil Blackwell, 1986, 356p ; BALANDIER, Georges, « Le politique des anthropologues », LECA, Jean – GRAWTZ, Madeleine (Sous la direction de), Traité de Science politique,Vol. I,Paris, PUF, 1985, 722p, pp. 319-342.

1.

2 Le Portugal s’est créé, entre le XV et XVIII ème siècles, une vaste zone d’influence qui allait de l’Amérique Latine (Le Brésil), à l’Afrique (région côtière de l’actuelle l’Angola, à l’Ouest, et zone côtière du Mozambique, sur le Sud-Est ), jusqu’à l’Extrême Orient (Goa, Damao et Diu). A l’exception du Brésil, et de tentatives échouées de peuplement colonial le longue du Vallée du Zambèze, au Mozambique, le mode d’articulation du Portugal à ces espaces ne consistait que de l’économie de traite, laissant aux forces politiques indigènes la responsabilité d’organiser leurs activités économiques. Les systèmes politiques qui en faisait la gestion restait également intacts. Pour les détails, voir PAPAGNO, Giuseppe, Colonialismo et Feudalismo,Lisboa, Editora a Regra do Jogo/Historia, 1980, 189p.

1.

3 COVANE, Luis, As relações económicas entre Moçambique e África do Sul….op. cité, p. 23.

1.

4 Voir l’annexe 7 : Les réseaux des chemins de fer vers l’extérieur.

1.

5 Voir REGO, A. da Silva, « Relaçoes entre Moçambique et África do Sul (1652-1900», Moçambique. Curso de Extensao Universitaria. Ano lectivo de 1964-1965. Lisboa, Instituto de Ciências Politicas, 1965, 695p, pp. 43-76, p. 64.

1.

6 Ibid., pp. 64-65.

1.

7 L’Anglaterre n’a pas reconnu l’accord luso-boer de 1868. La question du port de Lourenço Marques, pour elle, restait à régler. Cet état des choses entraîna le différend entre Anglais et Portugais. Ce conflit a été surmonté grâce à l’arbitrage de Patrice Compte Mac-Mahon, Président (1873-1879) de la République française, dont la décision, favorable aux revendications de Lisbonne, a été rendue publique le 24 juillet 1875.

1.

8 Cf. Le traité luso-boer de 29 juillet 1869, cité, REGO, A. Silva, op. cité, p. 68.

1.

9 NORONHA, Eduardo, cité, REGO, A. Silva da, « Relações entre Moçambique e Africa do sul (1652-1900) »….Op. cit., p. 71.

2.

0 Traité luso-anglais de 30 mai 1879, cite, MACHADO, J., « O Caminho de Ferro de Lourenço Marques », Boletim da Sociedade de Geografia de Lisboa, 3 a série, n° 1, 1882, pp. 5-21, p.11.

2.

0 Voir JUNIOR, Rodrigues, Transportes de Moçambique, Lisboa, Editorial Ultramar, 254p, pp. 77-82 ; MACHADO, J., op. cit., p. 9.

2.

1 Si ce projet avait été mené à bien, le Portugal aurait exercé ses droits de puissance coloniale sur un vaste Territoire en Afrique centrale et australe. Des Territoires suivants y feraient partie : l’Angola et le Mozambique actuels ; La Rhodésie du Sud (le Zimbabwe), la Rhodésie du Nord (la Zambie), le Nyassaland et le Botswana.

2.

2 D’après une source, « Lorsqu’en 1890 la police de l’Afrique du sud a par surprise envahit Manica et Sofala (zone centrale du Mozambique) elle réussit à occuper Massikesse. Au Cap, des expéditions se préparaient pour débarquer au port de Beira. Cette possibilité leur permettrait le contrôle des chemins d’accès au Rhodésie du sud. Le Gouvernement central (Lisbonne), ne disposant pas de ressources pour le faire, a alors instruit au Gouverneur général de la province pour se défendre. Sur le budget, il comptait des dépenses concernant des bataillons et des officiés, du polvoreum et des armes ; de square et de légions de militaires ; mais, en fait, parmi l’ensemble de ses ressources il n’y avait un groupe d’hommes armés et disciplinés tellement qu’il pouvait résister, non pas à l’armée anglaise – qui pouvait y oser ! - mais à un groupe d’aventuriers qui désiraient imposer à la diplomatie anglaise les plans usurpateurs de C. Rhodes. Il n’y avait rien pour la moindre action défensive /…./. Il a fallu que un contingent de l’armée du royaume s’occupe pour le moins de la défense de Beira et qu’un groupe de volontaires en provenance de Lourenço Marques érige des blocages sur les chemins vers le port de Beira alors si convoité. Cf. ENES, Antonio, Moçambique. Relatorio, Lisboa, Sociedade de Geographia de Lisboa, 1913, 516p p.91 ; FERREIRINHA, F., « Antonio Enes e o seu pensamento colonial» (Discutida em sessao do dia 8-9-1947 na secçao de Litteratura, Historia e Sociologia), Soc. De Estudos de Moçambique. Teses Apresentadas ao 1° Congresso realizado de 8 a 13 de Setembro de 1947, Lourenço Marques, Tip. Minerva Central, 1947, pp. 2-7.

2.

3 Voir Documents….1890, Negocios da Africa Oriental e Central, Lisboa, 1890, cités, AXELSON, H., Portugal and the Scramble for Africa, Johannesburg, 1967, p. 203

2.

4 Cf. Article XI du Traité célébré entre le Portugal et l’Angleterre, daté le 11 juin 1891, ratifié plus tard par les Parlements de deux Pays, cité, LIMA, Alfredo, P. de, Historia dos Caminhos de Ferro de Moçambique, Lourenço Marques, Ed. da Admin. dos Portos, C.F. e Transportes de Moçambique, 1971, 303p, pp. 104-105.

2.

5 Cf. ENES, A., Moçambique. Relatorio….op. cit., p. 48-49.

2.

6 Certains auteurs qualifient cette politique de “féodalisme moderne” ; d’autres se contentent d’une lecture utilitariste du nouveau rapport portugais aux Colonies, pour soutenir que le Portugal a pu ainsi se maintenir comme puissance coloniale pour « profiter et en faire profiter ». Voir NEWITT, Malyn, Portugal in Africa. The last handread years, London, C. Hurst & Co. (Publishers) Ltd., 1981, 201p (voir Chapter 4 : The rule of the concession Compagnies, pp. 72 – 91).

2.

7 Voir infra (Chapitre II) l’exposée plus approfondie sur ce sujet.

2.

8 L’approfondissement de l’occupation militaire portugaise de l’actuel territoire du Mozambique n’étant opportun à ce sujet, on ne s’inscrit pas dans le cadre de chercheurs tenant la thèse que les Africains n’y ont pas opposé aucune résistance. En fait, les dites « guerres de pacification » illustrent bel et bien qu’elles se sont faites comme conséquence d’un processus conflictuel. Les systèmes de pouvoirs en conflits faisaient recours à touts les ressources à leur portée a fin de faire prévaloir leurs intérêts divergents. Voir littérature ci-après.

2.

9 Voir ISAACMAN, Allen, A tradiçao de resistencia em Moçambique : O Vale do Zambeze, 1850-1921, Lisboa, Afrontamento, 1987, 338p ; PELISSIER, René, História de Moçambique. Formação e oposição, 1854-1918, vol.I, Lisboa, ed. estampa, 1987, 506p, pp. 200-248

3.

0 Voir à ce sujet CRUZ, Miguel, A Historia da Formaçao da Classe Trabalhadora em Manica e Sofala, ao Sul do Pungue, (Dissertaçao de Licenciatura), Maputo, Universidade Eduardo Mondlane, Dezembro, 1982, 313p, pp. 94-137

61.
3.

1 Voir MEDEIROS, Eduardo - CAPELA,J., op. cité. NEWITT, M., “The early history of the sultanate of Angoche”, Journal of African History, XII, 3 (1972), pp. 397-406

3.

2 En effet, au début du XX ème siècle, nombre d’entreprise ou de Compagnies anonymes anglaises opéraient au Mozambique. Dans le domaine de navigation, il y avait l’Union Castle Co., la British Indian Strem Navigation Co., La Harrison Rennie Line, La Natal Direct Line-Bullard King & Co., l’Indian African Line et d’autres organisations ; Quant aux voies ferrovières, 339 Km parmi les 539 Km disponibles étaient exploités par The Beira and Mashonaland & Rhodésie Railaway Co. En ce qui concerne la sphère agticole, y opérait l’Incomati Sugar Estates Ltd, le Mutamba Sugar Estates et la Sena Sugar Estate. Dans le champ de l’exploitation minière, l’entreprise concernée était le Mozambique Macequece. A Lourenço Marques, la Capitale de la Colonie depuis 1897, les Anglais contrôlaient, à travers la Delagoa Bay Développement Corporation Ltd. La fourniture d’eau et de l’électricité ; l’exploitation du port était partagée entre la Delagoa Bay Stevedorig Co., The Lourenço Marques Forwarding Co., Ltd., et entre la Delagoa Bay Agency Co. Cf. MADUREIRA, Arnaldo, A Colonizaçao portuguesa en Africa, 1890 –1910. Retrospectiva e diagnostico.Lisboa, livros horizonte, 1988, 111p, p. 6.

3.

3 ENES, A. Cit., SANTOS, José G. H., « A agricutura indígena e o commércio dos seus produtos », Boletin da Soc. de Estudos da Colonia de Moçambique,Lourenço Marques, Tipografia popular, Out. 1933, Ano II, n°11, pp8-27, p17. Voir l’annexe 8 : Territoires sous le contrôle des compagnies étrangères à l’époque coloniale (1890-1942).

3.

4 En ce qui concerne la Compagnie du Nyassa, elle devait, du moins théoriquement, laisser à la disposition de l’Etat portugais 10% de ces dividendes aussi bien que 7,5 des revenus obtenus chaque année. Cf. PELISSIER, René, op. cit., p. 173

3.

5 Ibid., p. 174.

3.

6 L’exportation de la main-d’œuvre dans ce dernier pays ne fut courant que jusqu’en 1912. Dès lors, la Compagnie passa sous le contrôle du capital allemand, envisageant, semble-t-il, une éventuelle annexion de la région au Tanganyika, à l’époque sous la domination germanique. En effet, entre 1915 et 1917 l’extrême Nord du Mozambique fut occupé par les Allemands. Leur expulsion n’a été possible qu’en 1918, par le biais de l’offensive de la coalition militaire luso-portugaise. Etant donné la défaite de l’Allemagne, suite aux accords de paix de Versailles, le Tanganyika passa sous le contrôle anglais. Ainsi s’est définitivement établi la frontière Nord du Mozambique.

Reprise par les Anglais jusqu’en 1929, la Compagnie du Nyassa n’a plus poursuivi l’exportation de la main-d’œuvre vers l’Afrique du Sud. Cela tenait au fait que le capital sud-africain avait obtenu en 1913 le monopole de son recrutement au Sud du Mozambique.

3.

7 Cf. FORTUNA, Vasco, “Estruturas economicas de Moçambique”, Moçambique. Curso de Extensao Universitaria. Ano Lectivo de 1964-1965. Lisboa, Instituto de Ciências Politicas, 1965, 695p, pp. 201-229, p. 205

3.

8 Voir l’annexe 9 : Pôles du développement économique.

3.

9 Cf. FORTUNA, Vasco, op. cit., pp. 205-207.

4.

0 Voir l’annexe 7 : les réseaux des chemins de fer vers l’extérieur.

4.

1 Voir FORTUNA, Vasco, op. cit., p. 207

4.

2 Cf. MENDES, Mario J. F., “Comunicaçoes e transportes”, Boletim da Sociedade de Estudos de Moçambique, V. 1939-1940, Lourenço Marques, n°39, Julho 1939, pp. 39-54.

4.

3 Voir ci-contre la présentation du découpage territorial mis en place. On s’efforce de tenir compte de la façon dont le clientélisme colonial a permis d’entretenir cette structure territoriale.

4.

4 L’on rappellerait que, dans le cadre du nationalisme qui inspira les politiques suivies par O. Salazar, les Compagnies souveraines ne pouvaient plus continuer d’administrer les Territoires que leur concernaient, d’après les concessions qui leur ont été faites. La Compagnie du Nyassa, par exemple, cessa ses activités en 1929 et il y resta la Compagnie du Mozambique. Suivant le contrat, celle-ci devrait mettre fin à ses prérogatives politiques et administratives en 1942. C’est pourquoi, à propos des moyens de communications, cette source fait noter qu’en 1939, il y en avait 22.922 km dans le Territoire sous l’administration directe de l’Etat et 6.416 km en Manica et Sofala. Celles du Territoire de l’Etat se distribuaient de la manière suivante : 5.164 km au Sud du Save ; 5.840 en Zambézie ; 5.918 Kms au Nyassa. Cela, en plus de 6.000 Kms de chemins et de voies non qualifiées, dispersées par toute la Colonie. Voir MENDES, Mario J. F., op. cit., p. 43.

4.

5 D’après l’arrêt n° 39.858, du 20 Octobre 1954, cité, COELHO, A. Vasconcelos Pinto, « A divisao Administrativa da Provincia de Moçambique », Revista da Junta das Missoes Geographicas e de Investigaçao do Ultramar, Lisboa, Ministério do Ultramar, vol. IV, n°1, 1956, p. 98-99