Le réseau-territoire témoigne de la matérialité du rapport du pouvoir à l’espace. Il illustre aussi bien la mise en place d’un système de rapports sociaux dont l’agencement dans un cadre relationnel et interactif serait entreprenant dans deux sens : d’abord, il lui procure le rôle d’être l’entrepreneur légitimé de l’action collective ; ensuite, Il sera, à l’égard de cette dernière, le gestionnaire des rapports entre l’ensemble des groupements hiérarchiques dans le sens où leurs relations d’alliance, d’opposition et de hiérarchie ne portent pas atteinte à l’activité sociale. Si l’on suivait la thèse du primat du pouvoir, cela veut dire qu’au pouvoir reviendrait la responsabilité de créer la contrainte sociale, qu’elle soit sous la forme physique ou juridique. C’est de même au pouvoir qui concernerait la justification des buts poursuivis si bien que les règles guidant l’action sociale seraient rapportées aux fins d’un projet, devenant, par conséquent, obligatoires. Ainsi finalisée l’action collective, elle va de pair avec la mise en place d’appareils de contrôle, dont l’activité témoigne de la constitution du groupe ou du bloc au pouvoir qui fournirait l’essentiel de la régulation.
Très inspiré de la pensée juridique et institutionnaliste, cette approche ne saurait éclairer l’environnement social de l’entreprise des systèmes de pouvoir, dans le Mozambique colonial et post-colonial. Elle ne pourrait également pas rendre compte des stratégies du pouvoir envisageant la formation des collectifs d’action dans la société globale, morcelée en de nombreux sous-espaces culturels46. En interrogeant le rapport conflituel ou coopératif à la stratégie du politique d’incorporer le pouvoir dans chaque espace social, on s’est heurtés aux causes de la différenciation mises en oeuvre. En effet, le cadre matériel et idéal de la formation des systèmes de représentations et d’implications affectives, étant à la base des comportements sociaux, est diversifié. On a remarqué, d’une part, des particularités du territoire de l’Etat colonial en comparant la ville de Lourenço Marques47, siège de la Colonie et espace-habitat bien convoité par la population coloniale (chrétienne) et, d’autre part, des terroirs à culture swahili et Islamique dans la région Nord-Est du Mozambique48. Ces singularités peuvent également s’observer dans les communautés à économie agricole-familliale de l’intérieur, au Sud et au Nord49 car, résistant aux influences coloniales, elles sont restées attachées aux religions syncrétiques ou totémiques.
Ethnies | Sous-groupes ethniques | Territoires respectifs | ||||||||||
A) Tsonga |
|
|||||||||||
B) Ba-Tonga | Ba-Tonga | -Sud du Mozambique : Autour de la baie d’Inhambane | ||||||||||
C) Ba-tswa | -Lhengue : Tshauke .Mbenzane .Hlongonu .Lhenbengwane -Nwanati : Yngwane .N’Kumbi .Makwakwa .Khambane .Ndindane |
-Sud du Mozambique : Entre le Sud du fleuve Save et le Nord du groupe Ba-Shopi. | ||||||||||
D) Chona-Karanga | Chona-karanga : .Tawaras .Massingires .N’daus .N’senga .Nhungwès .Barwès .Manycos et Machonas |
Centre du Mozambique :-Nord du fleuve Save et le longue du Zambèze. | ||||||||||
E) Macuas | Macuas : .Macua .A-lomwè .Moria .Maihane .Maganjas |
-Nord-Est du Mozambique | ||||||||||
F) Populations islamisées de la Côte | -Angoche -Sangage -Ki-mwane |
-Nord-Est du Mozambique | ||||||||||
G) Populations islamisée de l’intérieur | -A-Jaua |
-Nord-Ouest du Mozambique et au tour du Lac Niassa | ||||||||||
H) A-Nianja | A-Nianja | -Nord-Ouest. Au tour du Niassa | ||||||||||
I) Macondes | Macondes | -Nord du Mozambique : sur le plateau des macondes | ||||||||||
J) Marave | Marave : -Massingire -Cheua -Macanga -A-Dzimba |
-Nord du Mozambique : Au Nord di fleuve Zambèze. | ||||||||||
L) A-ngoni | A-ngoni | -Nord du Mozambique : Au Nord du fleuve Zambèze. |
Les recherches sur ce terrain ont certes éclairé la capacité du pouvoir politique de donner naissance à la société globale, -la société coloniale. Mais les sources exploitées51 ne sont pas néanmoins porteuses à l’explication des ressources mises en œuvre pour l’accomplissement des buts si paradoxaux : d’une part, la recherche d’accomplire les rationalités du pouvoir52 ; d’autre part, l’effort pour l’inéluctable inscription du pouvoir dans ces sous-espaces, si bien que le pouvoir politique construit un rapprochement entre l’ordre politique et l’ordre social, en vue de se faire accepter par les dominés.
Par ces soucis d’ordre méthodologique, on est parvenu à montrer qu’au moment du colonialisme tardif53, le système politique tenait certes les moyens de contraintes pour des ressources très importantes. Mais il ne pouvait pas s’acquitter des compromis avec ceux qui, n’appartenant pas aux appareils du pouvoir formel, avaient du pouvoir symbolique et d’influence auprès des dominés, dans chaque espace social. C’est bien cette stratégie qu’explique la déconcentration politique comme démarche d’inscription du pouvoir dans le social, dans un contexte de diversité culturelle. En tant qu’outil d’analyse des faits sociaux, elle s’efforce d’abord d’élucider comment dans les espaces répertoriés les liens créés sur la base d’affinités variées sont au principe de l’organisation des relations sociales. Ensuite, qu’elles se rapportent à des relations familiales, professionnelles, amicales, associatives, à des espaces communautaires, à des organisations religieuses, etc., on a affaire aux différentes ressources permettant à un individu/un groupe54 l’accès à la centralité de rapports sociaux. Cela apportera, semble-t-il, des données éclairant la production sociale des notables et, en cette qualité, l’ensemble de ressources leur permettant d’être des acteurs sociaux. La ville de Lourenço Marques et la circonscription des Muchopes sont des espaces de référence pour illustrer notre propos.
6 Voir le Tableau II : Ethnies et Chefferies
7 Voir des photos infra.
8 Voir l’annexe 4 : carte ethnique et religieuse du Mozambique
9 Voir infra des photos se repportant à Manjacaze
0 Adaptation personnelle à partir des registres de ces sources : JUNOD, Henri, ORNELAS, Aires d’Ornelas d’ , CABRAL, Augusto, BIVAR et al. cités, SEQUEIRA, A. de M., « Populaçao », Boletim da Sociedade de Estudos da Colonia de Moçambique, Lourenço Marques, Junho de 1933, ano II, n°9, pp38-61
1 Focalisées sur la période où se déroulait la guerre anticoloniale, elles témoignent bien la façon dont les jeux de pouvoir et la construction de compromis entre dominant et dominés étaient au cœur de l’agencement du politique. De la sorte, le pouvoir s’est avéré comme l’effet de l’interactivité d’une chaîne d’acteurs reliant dominants et dominés. Si les uns bénéficiaient d’un statut de responsables, d’autres, en revanche, jouaient le rôle de clients. La circulation des informations, les prérogatives attachés à des postes, les biens matériels et symboliques, formaient l’infrastructure de cette articulation entre le « pouvoir supérieur » et celui des chefs de multiples espaces ethniques et communautaires. Outre la dimension relationnelle du pouvoir, ce cadre de rapports sociaux traduit le fait que le pouvoir ne peut qu’émaner de sa structuration comme une organisation. On reviendra infra à ce sujet.
2 Voir sur cet aspect le chapitre introductif.
3 Le terme est de Michel CAHEN. Il se reporte ainsi à des reformes mises en œuvre comme rétroaction systémique à des exigences des Mouvements de libération. C’est dans ce context qui est devenu pensable et souhaitable l’ouverture du système à des compromis précaires avec certains segments des forces socio-politiques en vue de la réalisation des rationalités du pouvoir. Voir CAHEN, M., « Le colonialisme tardif et la diversification religieuse au Mozambique (1959-1974), Lusotopie : Des protesntantisme en ‘lusophonie catholique », Paris, Karthala, 1998, pp. 377-396.
4 “Celui ou celle qui suscite chez les membres potentiels d’un groupe, par des relations émotionnelles à son égard, des processus de formation de groupe », Cf REDL, Fritz, Emotions de groupe et leadership (trad. Fr.), cité, PETIT, François, Introduction à la psychologie des organisations….op. cit., p.112.