3.1. Outils explicatifs du fait partisan 

Sans vouloir mésestimer les spécificités des cadres sociaux africains, la reprise de certaines approches classiques du fait partisan s’avère porteuse du point de vue de l’analyse comparative. La littérature politologique qui porte sur ce domaine se présente, semble-t-il, influencée par le contexte où la citoyenneté et la nationalité étaient perçues comme des réalités au principe du rapport social au politique. Le concept de parti politique, sa structure et son rôle fonctionnel dans le système politique traduisaient, d’une part, le modèle de segmentation sociale entraînée par l’industrialisation ; d’autre part, ces études montrent que le pouvoir politique est au cœur des luttes sociales, dans le cadre du rapport entre citoyenneté et nationalité, dans l’Etat légal à Constitution représentative et de démocratie plébiscitaire.

Dans son étude sur la domination légitime et sur la professionnalisation de l’activité politique, M. Weber définit ainsi le parti politique : « Des sociations reposant sur un engagement formellement libre, ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs (et/ou) d’obtenir des avantages matériels »10.

Le cadre des rapports sociaux à la source de l’avènement de la figure du chef, dans une société où la concurrence électorale se trouve institutionnalisée, se définit par l’interactivité de deux éléments : d’une part, le système de croyances des militants ; d’autre part, la compétence et l’intérêt du citoyen éligible à l’égard de la vie politique :

‘Lorsqu’il doit y avoir élection périodique des détenteurs du pouvoir, l’entreprise est nécessairement une entreprise d’intérêts. Cela signifie qu’un nombre relativement restreint d’hommes intéressés au premier plan par la vie politique et désireux de participer au pouvoir recrutent par libre engagement des partisans, se portent eux-mêmes candidats aux élections (…), recueillent les moyens financiers nécessaires et vont à la chasse aux suffrages. L’existence de chefs et des partisans qui, en tant qu’éléments actifs, cherchent à recruter librement des militants et, par contre-coup, l’existence d’un corps électoral passif constituent des conditions indispensables à la vie électorale de tout parti politique11. ’

Mobilisant et encadrant des militants au service d’un groupe dirigeant et d’un chef, en vue de la conquête du pouvoir par la voie électorale, le parti est l’équivalent dans la sphère politique de l’entreprise capitaliste. Le parti est ainsi vu comme une entreprise dont le but est le pouvoir et dont l’un des facteurs essentiels de production est le militantisme « rétribué ».

R. Michels reprit cette problématique pour montrer la tendance oligarchique des organisations partisanes. Au moment de leur formation, la démocratie est tenue pour la valeur de référence pour l’élection des chefs. A l’origine des partis démocratiques, le chef n’est que le serveur de la masse et l’organisation du parti est fondée sur l’égalité absolue de tous ses membres. Michels se réfère également au fait que « /…/ En Angleterre, à l’origine des mouvements syndicaux, les délégués de beaucoup de trade-unions étaient soit désignés à tour de rôle par leurs associés, soit même tirés au sort »12.

R. Michels rend ainsi compte que l’acte plébiscitaire masque un rapport conflictuel à l’égard du pouvoir et que la participation des intervenants à ce processus se déroule dans la circonstance d’inégalité des ressources. Cela, parce que la tâche de délégué exige :

‘Une certaine habileté individuelle, le don oratoire et un grand nombre de connaissances objectives. On insiste sur la nécessité de former une classe de politiciens professionnels, de techniciens de la politique. /…/ dans un avenir très rapproché, les organisations ouvrières seront obligées de renoncer, à leur tour, à l’exclusivisme prolétarien et de donner la préférence à des individus munis d’instruction supérieure : économique, juridique, commerciale13. ’

Pour Michels, en d’autres termes, il y a un fatalisme des organisations qui renverse les bonnes dispositions égalitaires des origines en divisant inéluctablement tout parti en une minorité dirigeante, coupée de la majorité dirigée. Sans qu’il soit besoin, sans même qu’il soit souhaité qu’un changement de statut intervienne, le contrôle de la masse se réduit « à un minimum insignifiant ». D’après Michels, le règne de la bureaucratie succède, ainsi, au rêve de la démocratie :

‘Toutes ces institutions d’éducation destinées à fournir des fonctionnaires au parti et aux organisations ouvrières contribuent, avant tout, à créer artificiellement une élite ouvrière, une véritable caste de cadets, d’aspirants au commandement des troupes prolétariennes. Sans le vouloir, on élargit ainsi de plus en plus le fossé qui sépare les dirigeants des masses. La spécialisation technique, cette conséquence inévitable de toute organisation plus ou moins étendue, rend nécessaire ce qu’on appelle la direction des affaires. Il en résulte que le pouvoir de décision, qui est considéré comme des attributs spécifiques de la direction, est peu à peu retiré aux masses et concentré entre les mains de chefs seuls. Et ceux-ci qui n’étaient au début que les organes exécutifs de la volonté collective, ne tardent pas à devenir indépendants de la masse, en se soustrayant à son contrôle. Qui dit organisation dit tendance oligarchique14.’

La pensée de R. Michels s’inscrit dans un débat survenu avec la monté de la tradition marxiste, au tournant du XIX ème siècle. A l’hypothèse du pouvoir des masses ou de classe, soutenue par les partis sociaux-démocrates, il opposera des remarques critiques sur le comportement collectif des hommes. Outre l’aspect de rationalité qui meut leurs actions, « le principe de la division du travail s’imposant de plus en plus, les juridictions se divisent et se subdivisent, il se forme une bureaucratie rigoureusement délimitée et hiérarchisée ». Suivant Michels, ce phénomène explique que, dans quelque organisation que ce soit, le pouvoir est exercé par ceux qui sont au sommet, les chefs15.

Michels interprète ainsi les mécanismes d’assujettissement de l’ensemble du mouvement à un cercle intérieur de chefs professionnels. Ce cercle s’impose d’abord par les exigences fonctionnelles de la croissance d’une « organisation de combat » ; puis maintenu indéfiniment parce qu’il est déjà constitué et pour assurer au développement du parti une certaine continuité ; enfin, il est perpétué par la cooptation, le népotisme et le despotisme qui s’est progressivement identifié au parti.

Contemporain de savants classiques tant sur la structure des partis politiques que sur leur rôle dans le système politique plébiscitaire, V. I. Lénine se démarquera de Michels par son modèle de parti d’avant-garde. Le modèle Léniniste prend ses racines dans un programme révolutionnaire d’organisation et d’action partisane articulée sur une théorie de la conscience de classe prolétarienne et sur une double critique idéologique : le rejet du «trade-unionisme » du mouvement ouvrier privilégiant la lutte syndicale sur le combat politique ; le refus de l’ « opportunisme » du « révisionnisme » des partis social-démocrates prônant le modèle de participation électorale et parlementaire pour réformer le système capitaliste.

Lénine proposa, comme voie alternative, la structuration d’un parti révolutionnaire, doté d’une « armée permanente » : « une organisation militaire, peu étendue (et) la plus clandestine possible, composée de détachements dévoués corps et âme à la révolution, de révolutionnaires de profession ».

Placés dans la position de centralité de la formation partisane, une tâche spéciale revient à ces professionnels de la politique : celle d’apporter à la classe ouvrière la conscience de classe et la stratégie organisationnelle pour qu’elle devienne acteur révolutionnaire, car, d’après Lénine, la conscience de classe doit être « adjugée » au prolétariat et c’est la première mission du parti révolutionnaire : « réaliser à tout moment, pour toute la classe, la figure concrète de sa conscience adjugée ». Puisque « la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat », le parti a un statut d’extériorité, une position d’avant-garde et une fonction de direction politique et d’inculcation idéologique vis-à-vis de la classe ouvrière, à laquelle il doit en particulier transmettre « l’acquis théorique de l’humanité » - dont les intellectuels et la bourgeoisie sont les héritiers -, ainsi que celui du capitalisme – notamment « le côté organisateur (discipline basée sur le travail commun, résultant d’une technique hautement développée) de la fabrique ».

Sur le plan de l’organisation du parti, le groupe de professionnels révolutionnaires et la masse apparaissent articulés par une structure hiérarchique de cellules entretenant avec le noyau partisan une relation d’autorité, formalisée dans la règle du « centralisme démocratique ». Cette pratique doit en théorie, de la base au sommet de l’organisation, concilier la liberté de discussion préalable à toute décision et la discipline d’exécution des toutes les fonctions clandestines. La division du travail selon ce schéma permettrait la traduction organisationnelle de la médiation politico-idéologique, assurée par le parti d’avant-garde entre le prolétariat, sa conscience de classe et son action historique. Le modèle Léniniste d’organisation partisane donnera lieu, en accord avec des critiques qu’on lui fait16, à un parti-Etat d’encadrement total.

Ce repère des modes d’interprétation du phénomène partisan ne saurait être util à notre propos sans recours à des subsides de M. Duverger. Dans le sillage des critiques R. Michels, la portée de son étude17 provient du fait d’avoir établi une typologie des partis, basée sur l’identification d’éléments structurels. Les clivages sociaux ayant été placés au cœur de ses analyses, Duverger identifia les partis d’origine électorale et parlementaire et les partis d’origine extra-parlementaire.

Par ailleurs, l’entreprise partisane n’est point tenue pour un fait achevé, « le parti de cadres » (ou de notables) étant la forme prototype des partis politiques. Ceux-ci se sont formés au cours de la première phase de l’institutionnalisation de la démocratie représentative, marquée par l’extension des droits civiques, à la base, et des pouvoirs des assemblées, au sommet. Le clientélisme sous sa forme moderne18 permettait aux notables des réseaux d’influence, grâce auxquels ils mobilisaient et encadraient un corps électoral limité lors des consultations politiques. De ce fait, le parti de cadres se présentera comme « une structure partisane légère, faiblement articulée et largement décentralisée, dépourvue de mécanismes formels d’adhésion, polarisée autour des parlementaires et essentiellement vouée à les seconder »19.

Ce type de parti est donc l’expression caractéristique et l’instrument stratégique de l’ascension politique de la bourgeoisie en lutte contre l’hégémonie traditionnelle de l’aristocratie. Intervenants dans un environnement social où l’espace public reste embryonnaire, d’après Duverger, le partis des cadres avec ses notables, qui tiennent du médiateur et du patron, sont destinés à disparaître avec la société de suffrage censitaire. Cela veut dire que les entreprises partisanes sont susceptibles d’adaptation aux conditions sociales et historiques nouvelles de la vie politique.

Duverger doit à cette approche compréhensive des partis l’identification d’autres types-idéaux de groupes politiques. Sous des variables multiples selon les contextes sociaux, les partis de masses tiennent leur origine du mouvement ouvrier, l’instrument politique des luttes économiques et sociales du prolétariat industriel européen. Les courants du socialisme constituant leur matrice organisationnelle et idéologique, les partis de masses se présenteront comme un moyen d’encadrement des groupes défavorisés, jusqu’alors exclus du système politique. Aussi, leur structure s’avère-t-elle plus complexe.

A la base, du fait qu’il leur faut pouvoir concurrencer la qualité des ressources notabiliaires par la quantité d’adhésions et de cotisations, des sections organisées à l’échelon de la commune encadrent des activités partisanes régulières. Les adhérents désignent leurs représentants aux instances délibératives et exécutives, échelon stratégique de coordination locale et d’articulation avec le centre national. A ce niveau, les délégués composent le congrès investi du pouvoir législatif, dont émanent des organes assurant le fonctionnement du parti. Il découle, de la sorte, un véritable contre-appareil d’Etat, articulé, hiérarchisé et centralisé, fréquemment greffé sur le réseau parallèle des structures d’encadrement – syndicats, coopératives, écoles et associations socioculturelles.

L’expansion économique survenue après la seconde guerre mondiale et les changements culturels à l’égard du politique ont contribué à réduire l’importance des revendications d’intérêts catégoriels. Cette tendance a eu pour effet l’affaiblissement de la rigidité des clivages et la polarisation idéologique des conflits. De surcroît, on a assisté, dans ce nouveau cadre, à la nationalisation des attentes et des demandes de l’électorat, ce qui a été de nouveaux enjeux des partis de masses à l’égard de l’action gouvernementale.

Ces changements combinés sont à la base de la métamorphose des grands partis de masses européens à vocation gouvernementale, démocrates-chrétiens ou socio-démocrates. Ils sont devenus des partis socialement multidimensionnels ou, dans le langage de Otto Kirchheimer, des « partis attrape-tout » (Catch-AllParty) car l’attraction d’un électorat diversifié en formera des supports pour l’accès au pouvoir. A ce stade, un certain nombre de traits distinguera ces partis politiques : « faible encombrement de son bagage idéologique ; une grande latitude d’action de ses dirigeants et marginalisation de ses adhérents ; des relations suivies avec la plus grande variété de groupes d’intérêts ; la volonté de mobiliser un électorat dans l’ensemble des catégories sociales et non pas dans un secteur spécifique de la société »20.

Parti souple de compromis et de rassemblement, le « parti attrape tout » cherchera par conséquent à développer des objectifs communautaires d’importance nationale, qui dépassent les intérêts des groupes. A cet effet, ce type de parti veillera à diversifier ses relations avec tous ceux qui représentent un potentiel électoral notable, confier sa direction à des élites élus plutôt qu’aux cadres de l’appareil, soutenir un leader de type charismatique, susceptible de convaincre une majorité d’électeurs pour son aptitude à dominer demain des éléments impondérables de la politique générale.

Pour ce qui est de la théorie et de la connaissance de partis politiques, l’apport de M. Duverger ne s’est pas borné à l’identification de types-idéaux de formations partisanes. Dans le sillage de R. Michels, tout en s’appuyant sur des ressources offertes par l’école systémique, il a identifié les « cercles concentriques » constitutifs du parti et qui assurent son fonctionnement. On s’est ainsi rendu compte de la pluralité des engagements et des niveaux d’appartenance, la multiplicité des objectifs et donc de l’inégalité des pouvoirs, à l’intérieur de chaque parti.

Partant de leurs rôles fonctionnels, Duverger distingue quatre cercles de participation dans les partis. Le plus large de ces cercles englobe les électeurs qui votent pour les candidats présentés par le parti ; le deuxième enferme les sympathisants. Ce sont tous ceux qui sans être véritablement dans le parti, l’approuvent et l’appuient sur le plan des idées et même parfois sur le plan financier ; moins nombreux que les sympathisants, les adhérents jouissent d’une relative indépendance des électeurs et leur réaction aux événements du parti est plus forte; enfin le cercle intérieur réunit les militants ou les adhérents actifs, c’est-à-dire, ceux qui se considèrent comme membres du parti. Comparés aux adhérents, les militants sont en nombre beaucoup plus faible et c’est à partir de ceux-ci que se forme le noyau central du parti. L’interactivité des éléments structurant le parti politique est, pour Duverger, une réalité complexe :

‘Ainsi une oligarchie spontanée se forme au sein des adhérents : leur masse se laisse conduire passivement par un tout petit noyau de militants qui assistent aux réunions et aux congrès, qui participent aux élections des chefs, qui fournissent les cadres dirigeants. On exagère à peine en figurant le parti dans le schéma suivant : les militants dirigent les adhérents, les adhérents dirigent les sympathisants, les sympathisants dirigent les électeurs. Les membres des partis ne constituent pas une société égalitaire et uniforme, mais une communauté complexe et hiérarchique.’

Il n’y a pas de doutes que les apports théoriques de M. Weber, R. Michels et de M. Duverger se revêtent d’une valeur explicative et heuristique sur le phénomène partisan. Le fait que d’autres chercheurs s’en soient inspirés21 a ouvert un champ de débats enrichissants sur les partis politiques, entendus comme intervenants dans l’élaboration de discours de citoyenneté et de la régulation politique. A propos de leurs entreprises théoriques, il s’impose néanmoins une remarque cruciale. Elles sont certes élucidatives au sujet de la nature oligarchique des partis politiques, du rôle fonctionnel de l’articulation centralité-base dans leur agencement, dans le cadre politico-institutionnel de la démocratie représentative. Mais la boîte à outils fournie par ces auteurs s’avère déficitaire pour appréhender le fait partisan dans le contexte où l’Etat-nation n’est pas une référence pour la mobilisation politique.

D’ailleurs, l’analyse empirique ne confirme pas, dans les Etats issus de la colonisation, la coïncidence postulée entre l’élargissement du suffrage et l’apparition des partis22. Dans la plupart des pays en voie de développement, les partis apparaissent en même temps que se déroule le conflit pour la création de l’Etat postcolonial, en l’absence ou indépendamment de tout système de représentation politique. Leur genèse serait due, non pas à l’élargissement du suffrage universel, mais à un besoin et à une volonté de mobilisation politique au-delà du cercle restreint des politiciens (noyau partisan).

Les partis, en accord avec Jean et Monica Charlot, sont rarement crées d’en bas, même s’ils ne sont plus fondés à partir de l’institution parlementaire ou gouvernementale. Ces remarques ne font qu’apporter un regain d’intérêt à l’analyse du phénomène partisan dans les Etats issus des luttes anticoloniales et cela à bien des égards. D’abord, la dimension multi-ethnique de la mobilisation sociale autour d’un cercle restreint, qu’elle se rapporte à une cause anticoloniale ou d’une autre nature, rend opportun qu’on s’interroge sur les enjeux reliant les gens si diversifiés du point de vue culturel ; ensuite, si l’on fait appel à C. Coulon, les partis de masses et la personnalisation du pouvoir s’étant avérés illusoires en Afrique, il y a lieu qu’on éclaire les stratégies auxquelles cette élite a recours pour faire face à des groupes et à des espaces culturels qui gardent une autonomie importante, dans leur organisation ; enfin, il serait utile d’élucider les ressources permettant à cette élite de gérer la contradiction entre la logique de la concentration du pouvoir (oligarchie) à la base du fonctionnement partisan et celle des espaces sociaux façonnés par l’histoire.

L’analyse en termes de réseaux, du fait qu’elle est compatible avec l’approche du politique sous l’angle de la déconcentration politique, apparaît, à ce propos, un choix susceptible d’apporter des éléments de réponse.

Notes
1.

0 Cf. WEBER, M., Economie et sociétéop. cit., pp. 292-293.

1.

1 Cf WEBER, M., Le Savant et le politique, Paris, Plon (1919), 1959, 185p, pp. 135-136.

1.

2 Cf. MICHELS, R. Les partis politiques….op. cit.

1.

3 Ibid., p. 9.

1.

4 Ibid., pp. 15-16.

1.

5 R. Michels associe la tendance oligarchique dans les organisations à l’effet de la « loi d’airain oligarchique », dont les conséquences seraient nuisibles à la démocratie : « Les chefs ont existé à toutes les époques, à toutes les phases du développement, dans toutes les branches de l’activité humaine. Il est vrai que certains militants, surtout parmi les marxistes orthodoxes du socialisme allemand, cherchent à nous persuader aujourd’hui que le socialisme n’a pas de chefs, mais tout au plus des employés, parce qu’il est un parti démocratique et que l’existence des chefs est incompatible avec la démocratie. Mais une pareille assertion, contraire à la vérité, ne peut rien contre une loi sociologique. Elle a, au contraire, pour effet de fortifier la domination des chefs, en dissimulant aux masses un péril qui menace réellement la démocratie », cf. MICHELS, R., op. cit., p. 17.

1.

6 Voir à ce propos des critiques de MICHELS, R., op. cit. ; Luxembourg, R., TROSKY, L., cit., DENNI, Bernard-LECOMTE, Patrick, Sociologie politiqueop. cit.

1.

7 DUVERGER, M., Les Partis politiques, Paris, A. Colin, 1951, 476p

1.

8 En migrant de l’ethnologie à la science politique, des sociétés primitives aux sociétés plus avancées et plus complexes, le concept de clientélisme a perdu – par adaptations successives et multiples – de sa précision initiale. Des acteurs individuels de la dyade traditionnelle on est passé à l’idée d’acteurs collectifs, élargissant ainsi la relation de clientèle aux groupes (parti-patron/groupes d’intérêts-clients) voire aux Etats (Etat-patron/Etat-clients dans les relations de type néocolonialiste et impérialiste, sans parler des administrations publiques (où il est parfois difficile de dire qui du groupe de pression ou du service administratif est le patron ou le client. La structure clientéliste, du même coup, s’est compliquée. De la dyade primitive on est venu aux « chaînes de clientèles », par l’intervention de « médiateurs » ou « courtiers » (« patrons » dont la seule ressource est d’avoir des relations qu’ils mettent au service de leurs « clients », en s’entremettant) ou par une hiérarchisation du type « patrons de patrons/patrons intermédiaires ou patrons-clients ». Il suffit d’une nouvelle extension du concept, avec l’admission d’alliances horizontales entre patrons, pour glisser de la clientèle aux factions. Les ressources échanges ont également connu une mutation d’importance : dans le clientélisme traditionnel les notables disposent pour leur patronage de leur prestige social et de leur patrimoine personnel, notamment foncier, dont ils peuvent tirer argent, emplois, influence ; dans le « nouveau clientélisme », les hommes de pouvoir se servent de l’argent et des emplois publics pour alimenter leurs faveurs. Quant aux « clients » modernes ils ont la ressource nouvelle du « vote » comme dispensateur de pouvoir. Dans cette optique, le clientélisme – en glissant de la structure dyadique simple de ses origines à celle plus complexe des machines politiques – demeure caractérisé par une association bilatérale et inégale fondée sur un échange de faveurs. Cf. CHARLOT, Jean et Monica, « Les groupes politiques dans leur environnement », in GRAWITZ, M.-LECA, J., Traité de science politique (3. L’action politique)…op. cit., pp. 438-469, pp. 438-439.

1.

9 Cf. DENNI, B.-LECOMTE, P., Sociologie politique…op. cit., p. 177.

2.

0 Cf. KIRCHHEIMER, Otto, cité, CHARLOT, Jean et Monica, « Les groupes politiques dans leur environnement », in GRAWITZ, M.-LECA, J., Traité de science politique (3. L’action politique)…op. cit., p. 458.

2.

1 Daniel-Louis Seiler a, à ce propos, l’ambition de saisir, par l’analyse comparative, l’invariant qui permettraient de définir l’essentiel partisan et de faire une véritable théorie des partis. Cet invariant partisan, il le trouve dans la triade projet-organisation-mobilisation. Tous les partis s’organisent et se mobilisent pour réaliser un projet politique global, ce qui fait leur spécificité. Ce projet fondateur, pour Seiler, est beaucoup plus qu’un programme, qu’un discours justificatif, voire d’une doctrine. C’est une certaine idée de l’intérêt général, du bien public, née concrètement et historiquement de conflits sociaux majeurs. Pour Seiler, tout parti est en même temps le vecteur d’un conflit, d’un clivage social, qu’il institutionnalise, et le médiateur, le modérateur politique de ce conflit initial. S’appuyant sur la typologie de clivages sociaux, Seiler définit sept familles de partis, qui sont ainsi institués en représentants et en gestionnaires politiques d’un conflit social majeur : le partis bourgeois et le partis ouvriers (sur le clivage possédants/travailleurs) ; les partis cléricaux et les partis anticléricaux (sur le clivage Eglise/Etat) ; les partis centralistes et les partis autonomistes (sur le clivage centre/périphérie) ; les partis agrariens enfin ( sur le clivage villes/campagnes) ;

Kay Lawson soutient que seuls les partis aspirent ouvertement à « assurer la connexion (to link) entre les masses et le pouvoir politique en plaçant les représentants de leur organisation à des postes où ils peuvent exercer ce pouvoir au nom des masses ». D’où l’idée de « parti-connexion » (Partis and linkage) : « Leur raison d’être est de créer une connexion autonome entre gouvernants et gouvernés ». Par ailleurs, Kay Lawson n’ignore pas que les partis sont un cocktail d’intérêts publics et privés : « Ce sont des agences pour la conquête du pouvoir et non pas des versions désintéressées de la Croix-Rouge, auprès desquels les citoyens peuvent aller pleurer en cas de besoin. Les partis prétendent servir d’agents de connexion parce que c’est une façon pour eux de maintenir leur légitimité, d’attirer des voix, qui sont leur monnaie sur les marchés de pouvoir ».

A. Schumpeter, M. Offerlé et D. Gaxie empruntent l’idée complémentaire que les partis constituent des entreprises politiques dans la mesure où ils « produisent », de façon quasi exclusive, l’ « offre » politique. Contrairement à Kay Lawson, du côté des politologues, et de nombreux économistes, ils n’attribuent d’ailleurs aucun rôle à la demande dans la structuration du marché politique. D’où l’insistance sur les conditions historiques et sociales de la construction du fait partisan, de la mobilisation politique et de l’échange électoral : « Un parti n’est pas un tout donné une fois pour toutes. Le mode du fonctionnement d’un parti est à référer tout à la fois à l’ancienneté de son institutionnalisation, aux types de capitaux sociaux et politiques qui y sont investis et aux profits collectifs et individuels que ses portes-paroles reçoivent sur le marché politique, et plus particulièrement électoral », Voir SEILER, Daniel-Louis , LAWSON, Kay, SCHUMPETER, A., OFFERLE, M., GAXIE, D., cités, CHARLOT, Jean, « Partis politique : pour une nouvelle synthèse théorique », in MENT, Ives (Textes réunis par), Idéologie, Partis politiques et Groupes de pression…op. cit.

2.

2 C’est ainsi que sur 72 partis africains recensés par Kenneth Janda, 3 seulement sont d’origine parlementaire, la majorité ayant été fondée, au départ, à l’initiative de chefs ethniques ou pour la défénse d’un enjeu précis et unique. Cf. JANDA, Kenneth, cit., CHARLOT, Jean, « Partis politique : pour une nouvelle synthèse théorique », in MENT, Ives (Textes réunis par), Ibidem., p. 444.