3.3. Frelimo, parti marxiste-léniniste : réseaux et appareil politique

On s’est déjà consacré à l’explication de l’état de savoirs sur les partis politiques aussi bien de leur importance pour cette recherche. Selon les acquis et les contraintes de leurs époques, les études de M. Weber, R. Michels, V. I. Lénine, M. Duverger s’avèrent convergentes sur l’aspect que les partis politiques sont des instruments de combat182. De plus, elles éclairent les mécanismes d’assujettissement de l’ensemble du mouvement à un cercle intérieur de chefs professionnels. Doté de ressources lui permettant de structurer le système partisan, ce cercle s’impose par la maîtrise d’informations au sujet des exigences fonctionnelles de l’organisation politique, ce qui rend inéluctable le monopole du pouvoir par une oligarchie politique. Le pouvoir sera par conséquent exercé par ceux qui sont au sommet, les chefs.

En ce qui concerne le Frelimo, parti marxiste-léniniste et d’avant-garde, on essaye d’éclairer la structuration de ce cercle intérieur et ses efforts pour mettre en place un système politique. On s’efforce également d’illuminer l’interactivité des réseaux sociaux, le cercle intérieur et le chef du parti, dans la mise en place du système parti partisan. Ensemble de processus et de mécanismes politiques, ceux-ci seront destinés à faire converger ou à neutraliser des pluralismes sociaux irrépressibles. Ce système essayera de s’organiser, suivant G. Lavau, de façon telle qu’il permette à ses différents acteurs de proposer des buts contradictoires et de concourir entre eux, pour changer l’agencement du système ou pour modifier ses orientations, sans faire exploser l’équilibre du pluralisme183.

Ce fut dans un contexte tout autre que le FRELIMO, Front de libération, opéra sa transformation en Frelimo, parti marxiste-léniniste d’avant-garde184. Le Portugal fit le 25 juin 1975, dans un cadre où le colonialisme ne resterait pour les Mozambicains qu’une référence historique, la passation de tous les pouvoirs au Frelimo. Structuré à partir du ralliement d’éléments ethniques, religieux et linguistique hétérogènes, sa trajectoire politique explique son état de cohésion en tant que groupement politique. Le cercle intérieur se jugeant légitimé à la représentativité, à parler au nom du peuple, une tâche s’avérera pressante : « /…/ intégrer les provinces dans une Nation »185. Dans un environnement où l’Afrique australe ne pouvait s’acquitter de régimes minoritaires186, cette logique ne pouvait être réalisée sans conflits. La réussite contre toute sorte de résistances signifiait l’accès à de ressources matérielles, institutionnelles et symboliques de l’Etat, dont la régulation reviendra au chef et au cercle intérieur du parti.

A cet effet, l’institutionnalisation de l’imbrication du Parti et de l’Etat187 et l’intervention de l’Etat dans l’économie188, ont été tenue comme des ressources fondamentales de mobilisation. Dans la logique de légitimation de l’accès à de ressources politiques, le FRELIMO, jadis Front de Libération du Mozambique, se transforma, en 1977, dans son troisième congrès, en Frelimo, parti marxiste-léniniste d’avant-garde. Selon ses statuts, « le parti Frelimo dirige le peuple mozambicain... définit la politique de l’Etat... dirige les forces armées ... crée les organisations démocratiques de masse qui, sous l’orientation du Parti, garantissent la participation et intègrent les masses au processus de la transformation de la société »189.

Si ces changements se rapportent à l’entreprise de l’environnement macro-structurel, la légitimation du noyau constitutif du Frelimo, parti d’avant-garde, prit corps dans un cadre d’interactivité entre réseaux sociaux et appareil politique. Assise sur l’asymétrie des ressources disponibles190, le cercle [central] partisan se définit par rapport à un chef, S. MACHEL, dont les capitaux politiques s’avèrent constructifs du pouvoir personnel à deux égards : d’abord, ils participent à la légitimation de son poste, celui de chef ; le chef étant socialement accepté, il se trouvera dans un contexte de contraintes structurelles pour gérer les relations d’échange inégal, tout en essayant de ne pas « décevoir politiquement» d’autres acteurs, selon leurs poids politiques.

A propos des rapports humains legitimant l’accès aux instances du pouvoir entourant le chef, celles intermédiaires ou périphériques du parti, démarche qu’on suit fait appel à des sources complémentaires : d’abord, celles offertes par l’analyse en termes de réseaux, pour retenir la strate des éligibles à partir de l’analyse relationnelle du fait politique (le poste) : partir de l’individu, mettre à jour des relations, déployer des significations, telle est bien, en accord avec M. Abèles, la démarche. Le politique, d’après lui, « est une affaire éminemment collective, mais, pour mieux saisir les différentes facettes, l’expérience individuelle est une mine191 ; en second lieu, celles identifiées, tout en s’inspirant de J. Schumpeter, par J.-P. Lacam192. Ils proposent, en ayant recours à deux notions prises du vocabulaire économique – accumulation et restructuration – le modèle de politicien investisseur, qui montre la manière dont l’homme politique gère les ressources nécessaires à la conquête ou à la conservation du pouvoir. L’hypothèse à la base de ce modèle s’annonce ainsi :

‘Tout homme politique dispose à tout moment de sa carrière d’un stock de ressources plus ou moins volumineux et plus ou moins pertinent au regard des objectifs qu’il s’est donné. Ce stock dont il a une idée plus ou moins précise, il va essayer d’en augmenter le volume (accumulation) mais aussi d’en éviter le vieillissement par usure et obsolescence (restructuration). L’accumulation passe principalement par l’accroissement du volume de ressources détenues et par l’élargissement du volume de leur variété. La restructuration passe par un mouvement maîtrisé et quasi permanent de déclassement des ressources usées ou désuètes et d’innovation193. ’

Ces ressources étant variées194, on s’intéresse pour l’instant à celles identifiées par J.-P. Lacam, même à l’intérieur du parti politique. Il s’agit de groupes socioprofessionnels, entreprenneurs, clients et sympathisants et, par voie de conséquence de leurs ressources symboliques, institutionnelles et matérielles, pour la réussite politique. Bien que dans cette partie on s’occupe de la période où le Mozambique était sous un régime à parti unique, certaines de ces ressources éclairent la place occupée par des acteurs individuels dans le Frelimo.

D’après une source, « l’ascension de S. MACHEL n’a été pas faite par hasard. Bien qu’il n’ait pas été aussi connu à l’extérieur, il avait déjà de lourdes responsabilités lorsque E. MONDLANE a été assassiné. S. MACHEL s’est consacré ardument à ses tâches. Sa promotion n’a pas résulté d’une simple projection du cercle des responsables. Il s’agissait d’un acte de confiance de la part de ses camarades »195. En effet, à la date de la réalisation du III ème congrès du FRELIMO, S. MACHEL avait déjà une trajectoire de référence. Guérillero, mobilisateur, stratège, commandant, politicien, il s’était fait des capitaux politiques pour gravir la hiérarchie du mouvement de libération et, après l’indépendance, du parti-Etat au Mozambique. Il sera ainsi élu à l’unanimité par le Comité central, Président du Frelimo, parti marxiste-léniniste (1977-1986) et, parce qu’il s’agissait d’un régime à parti unique, Président de la République Populaire du Mozambique (1975-1986)196.

On souhaiterait de relever, par l’extrait qui suit, l’ensemble de ces références, qui sont reprises par l’un des officiants du rituel politique pour légitimer le chef :

‘Dès sa fondation, l’histoire du FRELIMO est une histoire de combattants permanents et durs, au milieu desquels sont morts les meilleurs fils de notre peuple. Ces combattants se sont forgés et se sont tempérés les combattants d’avant-garde de notre révolution. Parmi nous, le camarade S. MACHEL est celui qui représente tout à fait notre combat, notre victoire, les souhaits de tout le peuple mozambicain. Le camarade S. MACHEL a conduit le peuple mozambicain à la victoire totale contre l’armée coloniale-fasciste. C’est lui qui a dirigé le combat sur le front diplomatique et des négociations ; qui, dans les moments pénibles de notre lutte, à su animer le débat et indiquer la solution juste197.’

Cette représentation sociale du leader/chef peut renvoyer au concept de M. Weber de l’autorité fondée sur le charisme. L’auteur de L’Economie et société la définit comme « assise sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu’elle se singularise par des quantités prodigieuses, par l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font le Chef »198.

On se permet néanmoins de remarquer les limites de cette pensée pour ce qui est des systèmes d’action exigeant plusieurs intervenants. Dans ce cadre d’action, leurs participants s’avèrent en état de se faire, à des degrés différenciés, des ressources politiques leurs permettant des crédits pour prendre des places dans le système de pouvoir. L’ouverture de celui-ci à l’entrée de plusieurs acteurs fera du système coalitif et collusif. Dans la construction des asymétries en termes des ressources, parce que nécessaires au fonctionnement de l’organisation, le chef fera appel à la pratique observée par M. Mauss dans les sociétés mélanésiennes du potlach : « Donner, c’est manifester sa supériorité, être plus, plus haut, magister ; accepter sans rendre ou sans rendre plus, c’est se subordonner, devenir client, devenir petit, choir plus bas (minister) »199. Le pouvoir ne se situe pas seulement dans des transactions ponctuelles ou microsociales ; il est, plus largement, la capacité d’un acteur à structurer durablement des processus d’échange, qui soient déséquilibrés en sa faveur. C’est à partir de cette perspective que l’utilitarisme méthodologique veut penser les contraintes structurelles qui gouvernent les relations particulières d’échange inégal.

Il n’est donc pas surprenant que le cercle intérieur du FRELIMO apparaîtra comme une alliance entre égaux, parce que reliant des gens plus ou moins semblables par leurs trajectoires et par des capitaux politiques dont ils disposent ; mais ce cercle reliera également des gens inégaux, à deux égards :d’abord, ce centre se construit à partir d’un chef ; ensuite, l’examen du volume de leurs ressources met en évidence la différence de leurs trajectoires et de leurs poids politiques, selon le moment historique, dans le système. A la suite de son III ème congrès (1977), le sommet du Frelimo, - parti marxiste-léniniste d’avant-garde -, ainsi que les participants à plusieurs de ses organes, auraient été identifiés suivant cette logique.

Tableau XI : Le sommet du parti Frelimo, parti marxiste-léniniste d’avant-garde : organes et tenants-lieu00
    Organes du Parti      
Noms Lien à
L’Organisation
Membre
Comité
Central
Membre
Comité
De
Contrôle
Membre
Secrétariat
Du Comité
Central
Membre
Comité
Politique
Permanent
(Bureau politique)
Alberto CASSIMO Combattant et
Militant
Oui      
Alberto CHIPANDE Combattant veteran,
Dirigeant et
Militant
Oui     Oui201
Aly B. CANHEMBA Militant Oui      
Antonio H. THAI Combattant
Veteran
Oui      
Antonio SACORO Militant Oui      
André F. SUMANA Militant Oui      
Armando GUEBUZA Combattant veteran et
Dirigeant
Oui Oui   Oui202
Armando FAQUIRA Militant Oui      
Armando PANGUENE Combattant et militant Oui      
Artur TAIMO Militant Oui      
Assane NACIR Militant Oui      
Augusto MACAMO Militant
Clandestin
Oui      
Aurélio MANAVE Combattant veteran Oui      
Bernardo MAGALHAES Militant Oui      
Bonifacio GRUVETA Combattant
Veteran
Oui      
Caetano MASSAKA Militant Oui      
César NOVELA Militant Oui      
Daniel S. BANZE Combattant et militant Oui      
Eduardo ABACAR Militant Oui      
Eduardo NIHIA Combattant et militant Oui      
Ernesto T. WHITE Ouvrier (eléctriciste) et militant Oui      
Ernesto J. CHILAVI Comabattant
Veteran
Oui      
Fernandes BAPTISTA Militant Oui      
Fernandes MATAVELE Combattant
Veteran
Oui      
Francisco LANGA Militant Oui      
Graça SIMBINE Militante Oui      
Isabel NKAVADEKA Militante Oui      
Jacinto VELOSO Combattant et militant Oui     Oui203
Jaime ALFACE Militant Oui      
Jeremias NANECO Militant Oui      
Joao A. MALUANGA Militant Oui      
Joao A. MPFUMO Combattant et veteran Oui      
Joao F. PELEMBE Combattant veteran Oui      
Joao M. SIMANGO Militant Oui      
Joaquim A. CHISSANO Combattant
Veteran et
Dirigeant
Oui   Oui Oui204
Joaquim J. MUNHEPE Combanttant
Et militant
Oui      
Joaquim R. de CARVALHO Militant Oui      
Jorge REBELO Combattant
Veteran
Oui   Oui Oui205
José C. GANANCIO Militant Oui      
Jsé L. CABAÇO Militant clandestin Oui      
José MOIANE Combattant
Veteran
Oui      
José O. MONTEIRO Combattant
Et militant
Oui   Oui  
José P. ZANDAMELA Militant
Et
Enseignant
Oui      
José P. TORCIDAS Militant Oui      
Julio Z. CARRILHO Militant Oui      
Luciano NGUIRAZI Militant Oui      

Manuel dos SANTOS
Militant Oui      
Manuel J. ANTONIO Combattant
Veteran
Oui      
Manuel MANJICHE Combattant
Veteran
Oui      
Marcelino dos SANTOS Combattant
Veteran et dirigeant
Oui   Oui Oui206
Maria L. RAFAEL Militante Oui      
Mariano A. MATSINHE Combattant veteran Oui     Oui207
Mariano da G. MACHUNGO Militant clandestin Oui     Oui208
Matias JUMA Militant Oui      
Osvaldo A. TAZAMA Combattant veteran Oui      
Pedro G. ODALLAH   Oui      
Raimundo G. VALOI Paysan,
Secrétaire du GD
Oui      
Raimundo PACHINUAPA Combattant veteran Oui      
Salésio NALYAMBIPANO Combattant et
Militant
Oui      
Samora MACHEL Combattant veteran et
Dirigeant
Oui   Oui Oui209
Sebastiao MABOTE Combattant veteran Oui     Oui210
Sérgio VIEIRA Combattant veteran Oui      
Teresa A. NHALINGUE Militante Oui      
Teresa ROMAO Militante Oui      
Tobias DAI Combattant veteran Oui      
Tomé EDUARDO Combattant veteran Oui Oui    

On s’aperçoit ici du même phénomène dont la conceptualisation a été esquissée par R. Michels et, puis, approfondie par M. Duverger : la structuration oligarchique de l’appareil partisan, entreprise dont la légitimité a « mérité » le concours de divers acteurs sociaux. Suivant un commentaire se rapportant à cet événement, un total de 237 délégués provenant de touts les espaces ethniques du pays ont participé au Congrès. Parmi ceux-ci, 79 (33,3%) appartenaient à la classe ouvrière ; 54 (22,7%) représentaient des paysans organisés en coopératives. Ce groupe parfaisait 55,9% des mandats des délégués. D’autres délégués, totalisant 66 mandats (27,8%), provenaient de la fonction publique –enseignement, santé - et 48 (20,2%) mandats représentaient les femmes (cela, bien que l’univers féminin soit plus de 50% de la population du pays)211.

L’assise relationnelle et hétérophile des entreprises du pouvoir sont, à l’instar de pratiques d’autres contextes sociaux, tenues pour des ressources incontournables de l’action. On s’aperçoit de la mise en réseau d’individus ou des groupes divers, qui coopèrent, sur la base de l’intérêt commun d’agir ensemble dans l’action politique. De plus, l’action collective comporte en soi des facteurs produisant entre ses participants des inégalités d’influence et de pouvoirs. Cela explique que les plus puissants réussissent à se légitimer comme des aspirants au commandement de la société globale.

La construction sociale de cette inégalité des acteurs a été faite, dans le contexte historique mozambicain, par référence à un ensemble de pratiques et de ressources symboliques, constituant le référentiel politique de l’organisation, dès la lutte anticoloniale. Des acteurs portant dans leurs biographies des expériences vécues, des trajectoires se confondant à celle de l’organisation anticoloniale, réussissent à faire l’entrée dans l’espace de représentativité. Les candidats pouvant s’identifier, dans le contexte de l’époque, comme militants et combattants ne disposaient pas, semble-t-il, de mêmes atouts que les militants engagés dans le contexte de l’euphorie entraînée par la débâcle du régime colonial. Les militants qui ont eu une trajectoire de combattants et dirigeants, - ou d’entrepreneurs -, disposent d’autres moyens de réussir, et de prendre des positions respectives dans le système.

Ce cadre de rapports sociaux serait, peut être, mieux décryptable à la lumière de l’effet de réseau. Car, il est important dans la constitution d’une légitimité politique, plus particulièrement, dans la capacité à être reconnu pour représenter les citoyens, et donc dans le statut d’éligible, puisque l’éligibilité n’est accessible qu’à une minorité de postulants. D’après M. Abèles, l’éligibilité n’est conférée qu’à « des individus en qui les membres d’une société peuvent se reconnaître des représentants légitimes, et cela ne tient pas seulement aux qualités et aux compétences attribuées à ceux-ci. Le processus de reconnaissance porte sur l’affiliation réelle ou présumée de ces individus à l’un ou à l’autre des réseaux qui trament la vie politique212 ».

En effet, si un total de 237 délégués a participé au Congrès donnant naissance au Frelimo, parti marxiste-léniniste, il n’a laissé passer que 66213 délégués pour le Comité central, dont 10214 pour le Comité politique permanent (CPM). Parce qu’en cela se trouvait le fondement de son fonctionnement comme organisation, le parti s’est ainsi structuré de manière oligarchique. Ce processus a également donné lieu à un réseau, c’est-à-dire à un système stabilisé d’interdépendances entre ses organes, fondé sur la multipositionnalité des acteurs, la communauté et la différenciation de ressources politiques.

Ces asymétries entre acteurs en fonction de ressources disponibles sont au principe de la distinction du cercle intérieur et de la figure du chef/leader. Elles sont également un support du phénomène de la multiappartenance et de l’entrecroisement entre des sous-ensembles d’acteurs, qui se manifestent par le fait que certains membres du CPM aient à la fois des sièges dans d’autres organes du parti. Cette pratique renvoie à la réalité qui a fait l’objet des analyses de R. Burt215 et E. Lazega216 dans le domaine de relations intra et inter-oganisationnelles. Bien que leurs études s‘inscrivent dans une approche du politique en termes de marché, leurs apports nous semblent éclairants pour ce qui est de la stratégie des acteurs lorsqu’ils se relient à des multiples instances d’une ou de plusieurs organisations. Ils cherchent à mobiliser des ressources relationnelles et informationnelles, tout en se connectant à divers acteurs, dans le but d’exercer du contrôle conjoint, de nature coopérative ou du contrôle unilatéral. Cet exercice leur permet d’ailleurs d’aller et de venir entre les niveaux de l’organisation, sans perdre l’information les caractérisant. Les informations ainsi retenues s’avèrent être des atouts du contrôle exercé par des acteurs se plaçant dans des positions centrales de l’organisation. Ces acteurs parviennent de la sorte à entreprendre l’articulation de l’individuel, du groupal et de l’organisationnel, ressources nécessaires à la structuration de l’appareil politique et au contrôle oligarchique de l’organisation.

Dans le cas du Frelimo, parti marxiste-léniniste, l’appartenance simultanée de certains de ses acteurs à plusieurs instances de l’organisation aurait obéit à cette logique. Ceux qui constituent la strate d’éligibles se structurent dans des réseaux dont les ramifications qui dessinent à la fois un espace de représentativité politique et de traduction mutuelle des acteurs. Ressource à laquelle des acteurs font recours pour légitimer un cadre donné de relations sociales, la traduction permet d’établir une équivalence, constamment renégociée, entre des intérêts distincts, incommensurables, mais surtout incertains et instables ; elle passe fréquemment par la construction de nouveaux acteurs et de nouveaux intérêts. La traduction réussie permet que les parties prenantes s’empreignent du sens de ce qu’est fait, d’une compréhension entre des univers au début étrangers, ceux-ci étant progressivement reconfigurés en même temps qu’ils soient connectés. Dans ce processus, il y a tout un travail d’intéressement, d’enrôlement, d’alliance, permettant qu’une utilité soit constituée pour d’autres, qui dans le cours de la traduction changent très souvent d’identité. C’est pourquoi l’interactivité sociale donne lieu à la construction de nouveaux acteurs.

L’appartenance simultanée d’acteurs individuels à plusieurs instances du parti n’est donc pas dépourvue d’intérêt. Dans la perspective de la construction de l’appareil politique, cette pratique permet l’identification d’acteurs individuels éligibles pour la prise en charge des organes qui sont constitutifs de l’organisation partisane et/ou étatique. Le sommet du parti apporte à ceux qui y parviennent des atouts leur permettant d’être éligibles à des postes, dans le cadre du parti ou du Gouvernement, au niveau central ou provincial ou encore à l’Assemblée populaire217 : le pouvoir se structurera ici comme un réseau, dont la centralité et la coordination reviendra au chef et à la minorité appartenant au Comité politique permanent. Ce processus allant de pair avec la construction et la légitimation des asymétries des acteurs en termes ressources disponibles, il ne peut que déboucher sur le contrôle oligarchique du parti-Etat. Par la mise en place d’un système de rapports sociaux obéissant à une logique clientélaire, le Frelimo essayera d’entreprendre la mobilisation sociale pour l’organisation du système politique post-colonial.

Notes
1.

82 Voir supra.

1.

83 Cf. LAVAU, G., cit., in LECOMTE, P. - DENNI, B., op cit., p. 18-19.

1.

84 Dorénavant, on se référera au parti par le terme ainsi écrit, Frelimo, pour le différencier du concept de FRELIMO, qui se rapporte au Front de libération.

1.

85 Cf. « Présidente Samora em Cabo Delgado : Hà uma exigência de lutarmos contra as estruturas herdadas » Tempo n° 308, …art. cit., p. 20/

1.

86 Les rapports de forces à l’époque étaient très défavorables aux pays émergeants. Dépendants du pont de vue économique de l’Afrique du sud, à l’époque sous le régime de l’Apartheid, la Rhodésie du sud en était un allié important. Les deux Malgré les sanctions internationales, les deux Etats s’étaient coalisés pour maintenir la domination des régimes minoritaires en Afrique australe. La Namibie était encore sous la domination de l’Afrique du sud.

1.

87 Cela était le corollaire de ce que prescrivait l’article 3 de la Constitution: « la ligne politique est définie par le FRELIMO, qui est la force dirigeante de l’Etat et de la société, qui dirige et supervise l’action des organismes étatiques afin d’assurer la conformité de la politique de l’Etat avec les intérêts du peuple » Cf. Constituição da República Popular de Moçambique. Maputo, 1978.

1.

88 En ce sens, outre le fait que cela dérivait de la croyance de l’élite de la possibilité de faire de l’Etat un moyen de changement, il y aurait donc un lien étroit entre la stratégie mobilisatrice du FRELIMO et les nationalisations. En effet, entre 1975 et 1976, la terre, les hôpitaux, les écoles, les immeubles locatifs furent nationalisés ; l’exercice de la médecine et les bureaux privés, eux aussi, ont été interdits. Au fur et à mesure que s’annonçait l’abandon d’entreprises, industrielles ou agricoles, l’Etat y intervenait afin d’assurer la poursuite de la production, en mettant en place ce qui fut pris pour des conseils de production pour s’occuper de leur fonctionnement. Tous ces services et biens ont été mis à la portée de ce qui, dans le discours officiel, était nommé comme la “classe ouvrière-paysanne”.

1.

89 Article 5 des Statuts, in Frelimo: Estatutos e programa do partido Frelimo. Maputo, INLD, 1983, pp. 6-7. Voir aussi CAHEN, M., “Etat et pouvoir populaire au Mozambique”,…. art. cit., p. 39.

1.

90 Pour Peter Blau, les relations entre les individus se situent en termes d’échanges réciproques d’avantages : une marchandise en contrepartie d’argent, dans la relation vendeur/acheteuse ; un travail, en contrepartie d’un salaire, dans la relation employeur/employé ; un avantage moral comme par exemple la gratitude, en contrepartie d’un service bénévolement rendu. C’est le déséquilibre de l’échange qui signale l’importance du pouvoir de l’une des partis sur l’autres. Si le consommateur accepte de payer un prix très élevé, c’est qu’il est en position de faiblesse face au vendeur ; si un cadre supérieur obtient d’une entreprise une rémunération particulièrement forte, c’est qu’il dispose d’une grande puissance de négociation. Il se peut que l’échange soit rendu particulièrement ardu en raison du déséquilibre radical entre ce que A demande et ce que B peut offrir en compensation, Voir BLAU, P., cit., BRAUD, P., Sociologie politique…pp. 31-32.

1.

91 On s’inspire ici d’ABELES, Marc, « Les espaces politiques français », op. cit., p. 809.

1.

92 LACAM, J.-P., « Le politicien investisseur : um modèle d’interprétation de la gestion des ressources politiques », RFSP, Vol.38, n°1, Fév. 1988, pp. 23-46.

1.

93 Ibidem, p. 38.

1.

94 J.-P. Lacam en présente les suivants : ressources personnelles-coerctives ; ressources personnelles rétributives ; ressources personnelles persuasives ; ressources contextuelles-coercitives ; ressources contextuelles-rétributives ; ressources contextuelles persuasives ; ressources institutionnelles-coercitives ; ressources institutionnelles-rétributives ; ressources institutionnelles-persuasives, Cf. LACAM, J.-P., idem.

1.

95 Cf. MARTIN, Leslie et al. « Perfil de um dirigente : dirigentes e personalidades relatam à Tempo expériências comuns com Samora Machel », Tempo n°677, 2 de outubro de 1983, pp17-31, p. 31.

1.

96 La carrière de S. MACHEL peut ainsi se résumer : responsable pour l’entraînement des guérilleros du FRELIMO à Nachingwea (Tanzanie) et chef-adjoint du département de la défense du FRELIMO (1964-1966) ; chef du département de défense du FRELIMO (1966-1969) ; Membre de la présidence collégiale du FRELIMO (1969-1970) ; Président du FRELIMO (1970-1977). A la réunion du CC du FRELIMO tenue avant l’indépendance, à Tofo (Inhambane), a été aprouvée la future Constituition de la République Populaire du Mozambique. Il a été également décidé que S. MACHEL serait le Président du pays. Voir l’article « Presidente Samora em Cabo Delgado : Hà uma exigência de lutarmos contre as estruturas herdadas », Tempo n°308,….art. cit., pp. 19-26.

1.

97 Voir « Eleiçao do Presidente do Presidium e leitura do Relatorio do CC », Tempo n°332, 13 de Fevereiro de 1977, p. 8.

1.

98 Cf. WEBER, M., Le savant et le politique…op. cit., p. 102.

1.

99 Cf. MAUSS, Marcel, « Essai sur le don » (1923), réédition avec un avant propos de Claude Lévi-Strauss in MAUSS, Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1991, p. 269.

2.

00 Cf. Comité Central (saido do 3° Congresso), Tempo n°332, 13 de Fevereiro de 1977, p. 6 ; « Situar no espaço e no tempo o 3° Congresso da Frelimo », Tempo n°332, 13 de Fevereiro de 1977 ; « Composiçao do Presidium do III Congresso », Tempo n°332, 13 de Fevereiro de 1977, p. 14. Pour la saisie de l’évolution de ce système en 1983, l’année de la réalisation du 4 ème Congrès du Frelimo, parti marxiste-léniniste et d’avant-garde, voir l’annexe n° 19 : Le sommet du parti Frelimo, parti marxste-léniniste et d’avant-garde : organes et tenanants-lieu, d’après le 4 ème congrès (1984).

2.

01 Membre du FRELIMO depuis 1962 ; On lui reconnaît comme le héros vivant parce que c’est lui qui a tiré le premier coup, signalant ainsi l’éclatement de la guerre anticoloniale ; Chef national des opérations (militaires) du FRELIMO depuis 1966 ; Chef du Département de la défense ; Membre du Comité Central et du Comité Exécutif du FRELIMO. A la date du 3 ème congrès, il était le Ministre de la Défense. Outre son appartenance au CC et au Comité Politique Permanent, Alberto CHIPANDE a dirigé durant le Congrès le Bureau des Commissions . Voir Mozambique Revolution n°60, July-Septemeber 1974, p. 9.

2.

02 Son initiation à la vie politique est débutée dans le NESAM (Organisation des étudiants), à Lourenço Marques ; il a entreprit la fuite à l’exil ( Tanzanie), en 1965, joignant ainsi le FRELIMO, dont il était déjà membre clandestin depuis 1963. Membre du C C du FRELIMO, Il a été successivement Chef du département de l’éducation, Commissaire politique nationale durant la lutte anticoloniale. A la réalisation du Congrès, A. Guebuza était le Ministre de l’Intérieur. Lors du Congrès, il a dirigé le groupe qui s’est occupé des statuts du parti. Voir Mozambique Révolution n°60, July-September 1974, p. 9.

2.

03 Blanc, Il a connu S. MACHEL à Lourenço Marques où se sont devenus amis. J. VELOSO a dû interrompre ses études universitaires à Coimbra (Portugal) parce que le régime d’O. SALAZAR l’a fait entrer dans l’armée. C’est là où J. VELOSO a été formé dans le pilotage d’avions militaires. A ce titre, accompagné de son ami, Joao FERREIRA, il a atterri en mars 1963 à Dar Es-Salaam, pour adhérer au mouvement de libération. Membre du FRELIMO depuis 1963, enseignant à l’Institut Mozambican (1963-1968), J. FERREIRA a été désigné représentant du FRELIMO en Algérie (1968-1974). Voir l’article « FRELIMO : Uma politica de classe, uma politica anti-racista : decisoes do IV Congresso », Tempo n°663, 26 de Junho de 1983, pp. 44-46 ; Mozambique Revolution n° 60, July-September 1974, p. 9.

2.

04 Etudes universitaires au Portugal et en France (Inachevées). Son départ à l’exil à été précédée par l’engagement dans l’action protestataire contre le système colonial dans le Noyau des Etudiants de l’Enseignement Secondaires du Mozambique, dont il est devenu le Président (1959-1960) et dans le Centre Associatif des Noirs du Mozambique. Forcé de quitter le Portugal à cause de persécutions, il s’est exilé en France, où il essaya de poursuivre des études à Poitiers. Dans cette ville, J. CHISSANO, en association avec Pascoal MOCUMBI et d’autres étudiants Mozambicains, ont donné naissance à l’Union des Etudiants Mozambicains (UNEMO), dont les membres ont intégré le FRELIMO en 1962. Membre du FRELIMO depuis 1962, J. CHISSANO a été en charge de plusieurs responsabilités : membre du C. C. et du Comité Exécutif ; Représentant du FRELIMO en Tanzanie ; Secrétaire du Président E. MONDLANE ; A la suite des accords de Lusaka en septembre 1974, qui ont légitimé la formation du Gouverment de Transition pour la passation des pouvoirs au FRELIMO, il en devient le premier-ministre. En 1977, il était le ministre des affaires étrangères. J. CHISSANO a dirigé le groupe qui s’est occupé de résolutions spéciales lors du Congrès. Voir CHISSANO, J., « Génese da Frente de Libertaçao de Moçambique », SAVANA, 12.4.2002 ; LANGA, Carmélia, QUEM É QUEM NO GOVERNO DE MOÇAMBIQUE, Maputo, BIP, 2000, 102p, p. 26-29 ; Mozambique Revolution n°60, July-September 1974, p. 9.

2.

05 Diplômé en Droit à l’Université de Coimbra (Portugal), J. REBELO est parti en 1962 à l’exil en Tanzanie lorsqu’il était fourrier de l’armée portugaise. Militant du FRELIMO depuis, il a intégré la mission représentant l’Organisation anticoloniale en Algérie. J. REBELO a été désigné, à partir de 1964, comme responsable du département d’information et propagande. En 1977, l’année de la transformation du FRELIMO en parti d’avant-garde il était le ministre de l’information et le responsable pour le travail idéologique. Outre la participation à d’autres organes du parti, lors du Congrès , J. REBELO s’est occupé du programme du parti. Voir « FRELIMO : Uma politica de classe, uma politica anti-racista : decisões do IV Congresso », Tempo n°663, 26 de Junho de 1983, pp. 44-46 ; Tempo n°335, 6 de março de 1977, p. 9.

2.

06 Etudes universitaires au Portugal et en France. Diplôme en Sociologie politique à la Sorbonne (Paris), M. dos SANTOS est issu d’une famille qui s’était affiliée à l’Association Africaine, à Lourenço Marques. Ce serait à partir de sa famille qu’il s’est sociliasé pour se battre pour les droits civiques. Au Portugal, cette pratique fut poursuivie au tournant des années 50, soit sous la forme de production littéraire soit sous d’autres formes, à la maison des Etudiants de l’Empire portugais. Affilié à cette maison, il a appartenu au cercle relationnel d’A. CABRAL, de Guinée-Bissau, A. NETO, d’Angola, et d’autres étudiants. Il se placera avec ceux-ci au centre des efforts pour la fondation do Conseil de Coordination de la lutte anti-coloniale, dans les Colonies Portugaises (CONCP), dont le siège a été établit à Rabat (Maroc). Persécuté par la police, il s’est exilé en France, où il participa à la fondation de l’Union des Etudiants Mozambicains. Membre du FRELIMO depuis sa fondation, M. dos SANTOS a exercé dans l’organisation anticoloniale les suivantes responsabilités : membre du Comité Central, Secrétaire des Affaires Etrangères et, à ce titre, membre du Comité Exécutif. A la suite de la mort d’E. MONDLANE, il a été choisi comme membre du Collège Présidentiel (1969-1970). Urias Simango étant expulsé, il devient en 1970 le vice-Président de l’Organisation anticoloniale. A l’heure de la création du Parti Frelimo, M. dos Santos était ministre de la Planification économique. En plus de participer à plusieurs organes, il fut le responsable pour les directives économiques du parti. Voir, CHISSANO, J., « Génese da Frente de Libertaçao de Moçambique », SAVANA, 12.4.2002 ; MANGHEZI, Nadja, O meu coração está nas mãos de um negro : uma história de Janet Mondlane ….op. cit. « Dr. Marcelino dos Santos », O Brado Africano n°1757, 16 de Janeiro de 1960, p. 1.

2.

07 Etudes universitaires (inachevées) au Portugal. Il s’est engagé dans le FRELIMO en 1963 en Tanzanie, où devient membre du Comité Central et son premier représentant, en Zambie. A la date du Congrès, il était le ministre du Travail. Voir Mozambique Révolution n°60, July-September 1974, p. 9

2.

08 Etudes universitaires au Portugal et diplômé en économie. Militant clandestin du FRELIMO depuis 1964, l’Organisation anti-coloniale lui a chargé de répérer le mode du fonctionnement du système bancaire colonial et de rechercher des informations d’intérêt stratégique. Cf. « FRELIMO : Uma politica de classe, uma politica anti-racista : decisões do IV Congresso », Tempo n°663, …art. cit., pp. 44-46 ; Voir Mozambique Révolution n°60, July-September 1974, p. 9.

2.

09 Voir la note 196 supra.

2.

10 S. MABOTE est parti en exile après avoir terminé le service militaire portugais. Membre du FRELIMO depuis 1963, il s’est remarqué par les avancées de la guerre dans la province de Niassa. Aux prises avec le commandement de la guerre dans cette province, il y fut le Commissaire politique et le chef des opérations militaires entre 1965 et 1967. A la suite du II ème Congrès, S. MABOTE a été nommé membre du Comité Central et chef national des opérations (1968-1974). A l’heure du Congrès, il était vice-ministre de la défense. Cf. Voir Mozambique Révolution n°60, July-September 1974, p9. Voir aussi MOYANA, Salomao, « Em memoria de Sebastiao Mabote : Devemos distinguir guerrilha do terrorisme », in SAVANA, art. cit.

2.

11 Cf. « Comentarios », Tempo n°332, 13 de Fevereiro de 1977, p. 17.

2.

12 Voir le Chapitre 2 : « dynasties… », § « circulateurs et politique », in ABELES, Marc, Jours tranquilles en 89. Ethnologie d’un département français, Paris, Odile Jacob, 1989

2.

13 Voir le Tableau XII.

2.

14 Idem.

2.

15 BURT, R., cité, VINCENT, L., Les réseaux d’acteurs sociaux….op. cit. p. 77.

2.

16 LAZEGA, E., « Analyse de réseaux et sociologie des organisations », artc. cit…. pp. 307-308.

2.

17 On parle ici de l’époque où le Mozambique était un régime à parti unique (marxiste-léniniste et d’avant-garde). Lors du chapitre suivant, on présentons une analyse plus poussée du rôle de réseaux relationnels dans la structuration de ce système de pouvoir.