Chapitre 5. Démocratie et espaces sociaux

5.1. Espaces sociaux et démocratie : un concept changeant ?

Les analyses politologiques au sujet de la démocratie en Afrique se révèlent partagées. Au cœur de ce débat, nous trouvons des schémas et des approches des faits politiques contradictoires : certains chercheurs sont partis à l’étude du glissement vers le multipartisme en Afrique s’inspirant de la pensée substantialiste de la démocratie. Ils essayent sur cette base d’expliquer sa causalité, en fonction de la représentation sociale du fait démocratique en Europe ; d’autres, en revanche, se sont avérés très productifs dans le sens de l’analyse comparative et anthropologique du politique. A l’appui de leur raisonnement, ils arguent que « l’Etat postcolonial est doté d’une historicité propre, et la problématique de la démocratie au Sud du Sahara doit être comprise à la lumière de celle-ci »6.

Les résultats de l’effort interprétatif concernant la démocratie en Afrique reflètent ce partage, et ils posent, à des degrés variés, des difficultés sur la saisie des stratégies régulatrices de systèmes de pouvoir dans leurs environnements. C. Coquery-Vidrovitch, qui s’oppose à la tendance d’associer l’abandon de modes autoritaires de régulation politique dans les années 80 au patrimoine culturel-politique indigène, avance que « non seulement ces sociétés n’étaient pas démocratiques, mais qu’en plus elles ne portaient en elles-mêmes aucun germe directement utilisable par la démocratie contemporaine. Les cultures politiques qui les organisent s’articulent autour de trois principes négateurs de l’idée démocratique : inégalité, consensus, confusion du politique et du religieux »7. François Furet, attaché au raisonnement plus idéologique et théorique, établit des liens entre la démocratie et la constitution de l’individualité politique, dont les sources sont renvoyées à la Révolution française : «En cessant d’être les gestes d’une classe, elle (la Révolution française) n’en est qui davantage la date de naissance de la modernité ; elle retrouve le rôle qu’on lui a attribué : celui de faire naître le monde des individus autonomes, désormais chargés de reconstruire la cité sur leurs volontés libres »8. Ce lien entre Révolution, individualité, modernité et démocratie fut repris par Louis Dumont. D’après cet anthropologue, « la modernité politique, et donc la démocratie, sont l’invention de l’individualité du citoyen libre de tout assujettissement ‘domestique’ »9. Par la suite, L. Dumont opposera « les sociétés holistes qui valorisent l’ordre social et la soumission de l’individu au tout, aux sociétés individualistes, qui ignorent ou subordonnent les besoins de la société et rendent chaque homme l’égal de son voisin »10. Ces modes de raisonnement rejoignent la pensée de Hirshman (1972)11, pour qui la modernisation s’impose comme support nécessaire à l’universalisation des rapports politiques : le centre politique s’adresse à un ensemble de citoyens avec lesquels il entend entretenir des relations directes, mais celles-ci, pour être systématiques, doivent se limiter à un espace donné, auquel en revanche les individus appartiennent de droit.

La modernisation vient ainsi affecter l’éventail des comportements politiques individuels qu’Hirschman avait dessiné, en laissant au citoyen la possibilité de choisir entre la loyauté ou la protestation ; en limitant de façon extrêmement coercitive le comportement de défection (exit). En territorialisant le politique, suivant la définition Wébérienne de l’Etat moderne, la modernisation se présente pour Hirshman comme étant conforme à l’histoire des sociétés occidentales, mais en même temps de réalisation difficile dans les espaces sociaux très communautaires, marqués par la prédominance du fait tribal.

Sans rejeter le lien entre la modernisation et la démocratie en Occident, la débâcle des régimes autoritaires fait l’objet d’une interprétation rendant compte de la complexité de son avènement. D’après certains auteurs, la construction démocratique au Sud du Sahara est le résultat de l’interactivité du social et du politique, liée à sa propre histoire. A ce titre, la démocratie comme système de rapports sociaux serait déterminée par la nature de la société : elle lui donne corps et signification, à travers les acteurs, les structures, les logiques sociales mises en situation face aux enjeux internes et externes et aux défis à relever. Parmi ces auteurs, R. Otayek remarque qu’il n’est pas question de nier que l’idée démocratique sous sa forme libérale représentative soit une invention de l’Occident. Mais, dès lors que l’on admet qu’une culture politique se transforme en permanence, on se doit permettre, - poursuit Otayek - de refuser de considérer comme immanentes, immuables, des données de culture qui se sont construites dans l’histoire. Car celles-ci se remodèlent sans cesse, sous l’influence des dynamiques sociales et politiques. Pour Otayek, « Toute culture politique étant nécessairement un produit hybride, fruit du métissage entre plusieurs traditions culturelles, deux conclusions s’imposent. D’une part, aucune culture politique n’est totalement antidémocratique ou démocratique ; d’autre part, il n’y a pas de société promise, par sa culture politique, à la modernité démocratique, et d’autres vouées à l’autoritarisme »12.

J. Copans aurait repris cette thèse, pour dire que les dynamiques qui structurent et déstructurent les espaces sociaux de façon quasi permanente sont extrêmement brutales, volatiles et surtout localisées. Sous ce point de vue, ses critiques se placent aux antipodes de l’ethnocentrisme :

‘Réduire l’avènement démocratique à une théorie de l’autonomie politique des hommes égaux, c’est prendre le message de 1789 pour argent comptant. Croire que ce message n’a rien à voir avec les civilisations non modernes, c’est décider, à la place des autres, du sens de leur histoire. Ce qui est en cause ce n’est donc pas la modernité, la démocratie « pure » ou même l’individualisme politique. Ce qui est en cause, c’est une perception de l’histoire où les idées semblent plus fortes que les individus, où les relations sociales cèdent la place à la force du politique en soi13.’

La pensée développée par J.F. Bayart s’inscrit dans la perspective prenant les sociétés quelles qu’elles soient dans une perspective dynamique. La reprise de ses thèses au sujet de L’Etat en Afrique l’a conduit à interpréter la problématique de la démocratie non pas comme un produit de la conversion définitive de l’ensemble des cultures aux normes centrales issues de la tradition européenne. Pour Bayart, il convient d’appréhender la problématique de l’invention et du mimétisme dans une articulation dynamique, l’une se nourrissant de l’autre réciproquement :

Un parallèle peut être fait ici avec l’Etat : mode d’organisation hérité du colonisateur, il a été « travaillé , réapproprié, ‘indigénisé’ » par les sociétés africaines qui l’investissent de leurs codes, leurs représentations, leurs logiques. Le mimétisme, dans cette perspective se révèle différent de la duplication, en ce qu’il suppose non pas une réplication pure et simple d’une technologie mais son importation associée à une réinterprétation14

Faisant suite à son argumentaire, l’ « artificialité de l’Etat » prise en compte, F. Bayart soutient que l’idéal démocratique ne peut plus être tenu pour étranger au sous-continent. Contrairement à la pensée du projet de l’Etat homogénéisant (Etat-nation), pour le politologue français « l’ethnicité n’est pas le contraire de l’Etat moderne mais fait système avec lui ; elle n’est pas forcément contradictoire avec l’intégration nationale mais est un mode d’accès aux bénéfices matériels ; elle n’équivaut pas à la persistance de la tradition mais au partage de ressources de la modernité»15.

Pour ce qui est de la mobilisation politique, Bayart se dissocie des chercheurs établissant une corrélation entre conscience ethnique et adhésion politique : « il n’y a pas d’adéquation parfaite entre appartenance ethnique et adhésion politique »18. Cela nous renvoie à l’existence de partis politiques transethniques, dont les entrepreneurs réussissent à se « faire légitimer entre plusieurs ethnies »19. Toutefois, Bayart indique des schèmes culturels potentiellement contradictoires avec l’exigence libérale démocratique, notamment :

-l’héritage d’une civilisation de l’oralité, encore peu familiarisée avec la médiation critique que représente l’écrit, voire avec les grandes distinctions conceptuelles inhérentes à l’imaginaire politique du Livre (judaïsme, christianisme, islam) qui – pour les deux premiers d’entre elles – ont été des matrices essentielles de l’Etat démocratique européen ;

-La sacralisation persistante de l’autorité et de son rapport au monde des ancêtres, que le culte de la personnalité présidentielle, dans la majeure partie des pays, cherche à canaliser au profit du pouvoir, il est vrai avec un succès très variable ;

-Le répertoire de l’invisible, et spécialement de la sorcellerie, qui, pour être égalitariste, n’a rien de démocratique et ruine la conception de la « res » publique, indissociable de l’Etat institutionnel de facture weberienne, pour lui substituer une conception redistributive de la richesse et de la politique ;

-L’ethos égalitariste lignager, dans les sociétés acéphales, qui annule la conception rationnelle de l’autorité bureaucratique et parasite le fonctionnement hiérarchique des administrations publiques, notamment par l’interférence des relations de parenté et d’amitié. Pourtant, poursuit Bayart, aucun de ces schèmes n’est en soit rédhibitoire du point de vue de la problématique libérale.

On relève ici un lien entre le raisonnement de J.-F. Bayart avec la pensée d’A Diaw, pour qui « l’inclusion de l’ethnicité dans la trajectoire de l’Etat postcolonial est, en fait, de façon irréfutable, un des éléments de la modernité africaine»16. A. Touraine figurerait dans ce même cadre théorique, lorsqu’il affirme : « il est souhaitable que les minorités soient reconnues dans une société démocratique, mais à condition qu’elles reconnaissent la loi de la majorité et qu’elles ne soient pas absorbées par l’affirmation et la défense de leur identité. Un multiculturalisme radical…aboutit à détruire l’appartenance à la société politique et à la nation »17.

Il devient aisé, par ce recensement des apports théoriques sur la problématique démocratique, d’identifier l’enjeu de l’approche des faits politiques dans leurs environnements. C’est par rapport à ceux-ci que se forment les structures accordant du sens à l’interactivité du social et du politique. Les deux contextes historiques de l’avènement démocratique se présentent lourds de conséquences, traduites par des spécificités à retenir : en Europe occidentale, la problématique démocratique s’est affirmée comme un mouvement dans le but de transcender une telle division de la société en un ordre de la noblesse et un ordre de la rupture, comparable à cette dichotomie qui caractérisait l’Ancien Régime ; ce processus ayant entraîné la formation de publics libérés des allégeances particularisantes, il rendit réelle l’intégration sociale de la citoyenneté comme représentation et mode d’articulation des gouvernés au politique ; la modernité politique s’affirme comme une valeur sociale, traduite par l’individualité politique et la compétence citoyenne. Dans les Etats africains, issus de l’assemblage d’espaces sociaux par les puissances coloniales au XIX ème siècle, la démocratie se définit encore comme un processus de légitimation de l’Etat. Coexistant avec d’autres modes d’allégeance, étant donné que la politique va toujours de pair avec la mobilisation de ressources, on se heurte à des entreprises spécifiques aux espaces entre la tradition et la modernité : l’ancrage des structures dont les discours relèvent de la modernité, les partis politiques, avec celles qui s’inscrivent dans la traditionnalité. Dans l’un et dans l’autre de ces espaces, le pouvoir se présente au cœur de la compétition politique entre les fractions de l’élite. Mais les répertoires animant la mobilisation politique des gouvernés s’avèrent différenciés, en Afrique et en Occident. Car les processus de socialisation politique ne s’opèrent pas sur le mêmes bases de représentation du politique.

La démocratie doit donc être appréhendée selon le principe de sa relativité et de sa fonctionnalité, dans les espaces concrets. La politique étant un champ de rapports de forces, l’effort de mettre au clair la pratique démocratique doit également rendre compte de l’ensemble du processus mis en œuvre pour la mobilisation de ressources d’action, dans des contextes différenciés d’interaction sociale : dans les espaces où, grâce à la modernisation, la démocratie se traduit comme un rapport entre l’individualité politique, la citoyenneté et la nation vis-à-vis des espaces entre la tradition et la modernité, marqués par la co-existence de modes multiples d’allégeances (Etat, communautés, ethnies, religions), dans lesquelles la démocratie est encore un apprentissage social.

Vue sous cet angle, la question qu’on a posée plus haut, « Espaces sociaux et démocratie : un concept changeant ? »,a sa pertinence. Penser à la démocratie, c’est tout d’abord se rapporter à un processus social qui fut significativement orienté dans le sens de la modernisation, dans les pays occidentaux. Neil Semelser nous fait la présentation de quelques-uns de ses effets sociaux et politiques, à partir de ses quatre caractéristiques dominantes :

Le passage d’un modèle de techniques simples à la prédominance de la connaissance scientifique fondamentale ; la substitution d’une agriculture commerciale à une agriculture de subsistance ; l’avènement de l’urbanisation et le développement d’un modèle de production de type industriel où les « hommes groupés autour de machines, mues par l’énergie mécanique, travaillent en échange d’une rémunération en argent, les produits de ce processus de fabrication entrant ensuite dans un marché, fondé sur un réseau de relations d’échange ; la formation d’un public composé d’individus libérés des allégeances communautaires de type traditionnel et la transformation des structures politiques dans le sens de leur plus forte centralisation, de manière à assurer la coordination des rôles sociaux modernes 2 0

Faut-il associer ces développements à la genèse de la conception moderne de l’Etat qui puise ses références dans le mouvement de sécularisation remettant en cause la nature sacrée de la Loi. Des critiques de Locke, de E. Coke, de Bodin et de Hobbes2 1 se sont avérées convergentes quant à la dimension rationnelle de la Loi, dont la logique est considérée aux antipodes des prescriptions de la coutume. L’activité législative devrait revenir, d’après ces penseurs, à une instance spécialisée, supérieure à d’autres types d’associations, qui est l’autorité politique. La réflexion philosophique du XVIII ème et du XIX ème siècle, inscrite dans le cadre de problématiques posées par les révolutions bourgeoises, n’a fait que parachever la pensée moderne de l’Etat. Avec la théorie des gouvernements, Montesquieu (1689-1755), nous amène à distinguer non seulement des régimes politiques, (républicain, monarchique et despotique), mais aussi les rouages de l’Etat : Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutive des choses qui dépendent du droit de gens, et la puissance exécutive de celles qui dépendent du droit civil. […] Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, de nobles ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers 2 2 .

Aboutissement de révolutions bourgeoises, l’avènement des gouvernements républicains permettra qu’on associe l’Etat à une entreprise dont la rationalité est de mener à bon terme « la volonté générale, comme l’expression de la décision collective»2 3, celle de l’Etat-nation. Cette formule s’est révélée porteuse quant à la création des assises de l’âge de la modernité politique en Occident, à bon nombre d’égards :

- Elle s’est tout d’abord placée au principe de la conception de la société globale comme une réalité assise sur des pluralismes. L’idéal de citoyenneté apporta un cadre propice à l’expression d’intérêts politiques contradictoires mais, en revanche, les allégeances particularistes (ethniques, communautaires, religieuses) ont fait l’objet d’interdictions. L’Etat-nation s’est ainsi fondé sur une vision, consciemment ou inconsciemment, régressive de l’ethnicité. Celle-ci fut considérée comme antinomique de l’idée de citoyenneté, donc de celle de la démocratie en tant que mode d’organisation du politique, reposant sur le primat de l’intérêt général et la sublimation de la diversité socioculturelle dans la nation.

L’investissement par l’ethnicité du débat sur la démocratie a induit deux réponses radicalement opposées. La première, très franco-centrée, tire sa légitimité de la valorisation du modèle jacobin, articulé autour de l’autonomie de l’individu dans son rapport à l’Etat et à la société et la négation des corps intermédiaires, de nature ethnique notamment, susceptible de « brouiller » cette relation exclusiviste2 4. La laïcité étant considérée comme fondamentale pour la promotion des liens à la société globale, le modèle français alla de paire avec le conflit entre l’Etat et l’Eglise. Le second, réservé aux pays de tradition protestante comme la Grande-Bretagne ou le Danemark, se définirait par une « transformation conjointe et progressive de la religion et des différentes sphères de l’activité sociale » ; l’Eglise protestante y est « une institution dans l’Etat, constitutive du lien politique, et assurant des responsabilités particulières, dans la subordination plus ou moins acceptée ou contestée du pouvoir politique »2 5. Cette différenciation du politique et du religieux, donnée commune au développement politique occidental, est au fondement de la démocratie. Le confinement de la religion dans la sphère privée en fut la contribution majeure.

-En second lieu, l’idéal de rendre l’Etat efficace pour l’accomplissement de la « volonté générale » rendit inéluctable l’institutionnalisation et la différenciation des rôles. Une institution est d’autant plus performante qu’elle s’autonomise de la structure sociale et des acteurs sociaux. Les chercheurs attachés à l’approche institutionnaliste2 6 voient dans l’Etat et le droit public modernes le parachèvement du processus d’institutionnalisation. Celle-ci se caractérise par la mise en place de rôles stables autonomes et régulateurs. L’institutionnalisation consacre de la sorte l’indépendance progressive des rôles sociaux par rapport à leur titulaire, ce qui rejoint la thématique Weberienne de la bureaucratie. Elle permet de distinguer clairement entre les formations sociales traditionnelles, faiblement institutionnalisées en ce qu’elles dépendent entièrement du chef et les formations de type rationnel-légal. Celles-ci sont, au contraire, dotées d’un principe régulateur qui s’impose à tous, à l’ensemble des individus composant la société.

-Enfin, du fait de la nature composite de la société globale, le pluralisme de valeurs qui lui est intrinsèque ne saurait s’y manifester que sous la forme de compétition, exigeant une procédure formelle de choix collectif. Moment de l’objectivation de la responsabilité individuelle par rapport aux enjeux collectifs ainsi que de l’allégeance à la nation, la démocratie ne peut néanmoins devenir réalité :

‘Sans un système de garanties de libertés pour tous, sans enfin une reconnaissance d’organisations et d’associations réellement indépendantes de l’Etat et des pouvoirs publics pouvant défendre, sans recourir à la violence physique, les intérêts et les droits les plus divers ». Si l’Etat ne réunit ces éléments, un régime politique ne peut être considéré démocratique. (…) un régime où n’existe plus aucun espace de liberté et de sécurité pour aucun individu et aucun groupe et le pouvoir ne soit partagé 2 7 . ’

A ce stade, on revient à Jürgen Habermas 2 8 , pour noter que la construction d’un espace public et la pratique démocratique ont été à la source de la modernité politique. Pour lui, la solidarité est la véritable ressource de l’intégration sociale. Menacée par la modernité, elle peut néanmoins se développer à la fois grâce à des espaces publics autonomes, largement ouverts et aux procédures institutionnalisées par l’Etat de droit, grâce auxquelles l’opinion et la volonté démocratique parviennent à se former. Le principe de discussion, continue J. Habermas, doit prendre la forme juridique d’un principe démocratique, c’est-à-dire être complété par des droits de communication et de participation, garantissant l’usage public, à chances égales, des libertés communicationnelles.

Dans cette optique, le droit devient le moyen par lequel le pouvoir communicationnel se transforme en pouvoir administratif. L’Etat de droit n’est alors que l’exigence d’unir le système administratif orienté selon le code du pouvoir avec le pouvoir communicationnel producteur de droit, en essayant de libérer ce dernier des influences du pouvoir social agissant par la force des intérêts privilégiés. Le pouvoir administratif ne doit jamais, pour Habermas, se fermer lui-même en s’autoreproduisant, mais au contraire se régénérer constamment en transformant le pouvoir communicationnel en pouvoir politique. A terme, l’Etat de droit doit justement réguler cette forme de transformation et par-là intervenir activement dans l’autorégulation du système administratif lui-même. Cela pour établir un équilibre entre les diverses ressources de régulation sociale, qui sont, d’après Habermas, l’argent, le pouvoir administratif et la solidarité.

L’inscription de la démocratie dans le contexte de la communication entre « pouvoir administratif » et « pouvoir communicationnel » aurait permis à J.A. Schumpeter de rendre compte de la relativité et de la fonctionnalité des droits démocratiques. Suivant Schumpeter, « la démocratie est une méthode politique, en d’autres termes un certain type d’organisation institutionnelle, visant à aboutir à des décisions politiques – législatives et administratives – et, par conséquent, elle ne peut constituer une fin en soi, indépendamment des décisions qu’elle secrète dans des conditions historiques données »2 9.

La démocratie pluraliste en Afrique est une entreprise qui date des années 80 et la dimension de relativité et de rationalité paraît méthodologiquement à cette thèse. En raison de la complexité et de la singularité historique des rapports entre les systèmes politiques et leurs environnements (v. 4.3), on se permet de soutenir que la construction démocratique dans les pays africains est venue s’inscrire dans la nécessité de légitimation de l’Etat. On parle ici de l’instance centrale du pouvoir étatique et de ses divers appareils, entendus comme lieux où s’élaborent les moyens de domination politique. Faisant système avec ceux-ci, n’étant donc pas antithétique à l’Etat (en construction), les pluralismes sociaux à la base du phénomène qualifié comme support de « démocratisation en Afrique » n’obéissent pas à la logique de la modernité politique en Europe : ici, d’après Tocqueville, La démocratie a, /…/, aboli les corps intermédiaires, et laissé place à une société où l’individu est roi, mais où paradoxalement il risque en même temps d’être écrasé. Car l’atomisation des citoyens les rend impuissants. En conséquence, le pouvoir social, c’est-à-dire le pouvoir de la société sur l’individu, tend à y être plus oppressant que les sociétés traditionnelles30. Dans le vieux continent, la modernisation créa « un public composé d’individus libérés des allégeances communautaires de type traditionnel » (v. supra). La segmentation socio-économique n’est venue que structurer la segmentation politique, requise à la compétition au sujet des discours et des stratégies de gestion des affaires publiques.

La différenciation sociale fondée sur des critères économiques n’est pas à mésestimer dans les pays africains. Les espaces sociaux ne sont pas homogènes, ni du point de vue de l’infrastructure économique ni sur le plan culturel. Au Mozambique, par exemple, la ville de Maputo ou celle de Beira et des entourages respectifs, connaissent une certaine densité de l’action des éléments de modernisation : Ecoles, usines, réseaux d’échange, travail salarié et technologie moderne, diversification de métiers, etc. ; dans les campagnes, en revanche, les éléments particularisants s’énoncent de façon d’autant plus accrue que pour chaque espace s’érige une identité territorialisée, où l’appartenance locale est un élément fort de l’identité individuelle et collective.

Dans la province de Cabo Delgado, les gens des districts côtiers se particularisent par un fort métissage culturel bantou-musulman, traduit par le fait que leurs habitants y parlent portugais et/ou swahili et par la pratique de la religion islamique. L’attachement, depuis des siècles, de gens de la zone côtière au commerce explique leur culture entrepreneuse. Leurs entreprises, toujours de taille familiale, n’engagent que les membres de la famille et les proches, sous la domination d’un patriarche. Dans la même province, à l’intérieur, on trouve l’espace social de l’ethnie Makonde. Organisée en familles élargies, chaque lignage se définit en référence à son territoire, à une hiérarchie de pouvoir familial, sous le contrôle du conseil de la famille. Du fait de leur culture matrilinéaire, étant socialement investies d’autorité, la parole de (veilles) femmes a sa place dans la formulation de décisions concernant la vie communautaire. La pratique de l’économie de l’agriculture, de l’artisanat et de rituels initiatiques sont des mécanismes qui assurent le transfert intergénérationnel du patrimoine matériel et symbolique.

Mis à part le métissage culturel bantou-islamique de la zone côtière du Nord-Est du Mozambique et le mode de vie matrilinéaire des Makondes, ces espaces présentent des pratiques similaires à celles de la population de Manjacazi, au Sud du Mozambique (v. 1.3). Outre la faible sociabilité par les agents de l’Etat (Ecole), les individus sont fort exposés aux modes locaux de socialisation politique et de contrôle social. Face à l’avènement démocratique, leurs préférences et opinion politiques seront socialement déterminées non pas en termes de gauche ou de droite ou encore comme attachement à la monarchie ou à la République, mais comme une entreprise des réseaux sociaux. L’opinion politique de chaque « citoyenne » et de chaque « citoyen » vient en amont d’une série d’articulations et d’alliances entre réseaux sociaux : familles, clientèles et rituels initiatiques, terroirs et quartiers, machines politiques et religieuses locales, appareils administratifs, qui ménagent en leur sein sphère privée et publique.

Dans le contexte démocratique, du fait de l’action des éléments particularisants, le phénomène de territorialisation/déconcentration de la communication politique s’avérera inéluctable. On fera appel aux éléments qui définissent l’ancrage des individus dans leur espace, les savoirs locaux - habitus, symboles relatifs au pouvoir, à l’autorité, à la participation et à la représentation -fonctionnant comme mécanismes de médiation. Les influents de l’espace (notables), grâce à leurs connaissances de l’espace et à leurs réseaux relationnels sont à même d’être pris en compte et d’être écoutés, parce que leurs discours s’inscrivent dans le rapport à :

‘L’affectivité générale (locale), qui dessine les représentations communes du pouvoir – le droit et les institutions, le pouvoir et la manière dont il est exercé. Ils indiquent implicitement les conditions dans lesquelles peuvent être choisis et formulés les objectifs et les stratégies des acteurs sociaux et politiques. Ils imprègnent les réseaux, officiels ou non, susceptibles de participer aux compétitions politiques et économiques. Ils délimitent les langages politiques dans lesquels peuvent s’exprimer les messages politiques. Ils déterminent par conséquent, un équilibre fluctuant et inégal entre participation et autorité31 . ’

Mode de régulation du pouvoir, la démocratie est donc venue, dans les pays entre la tradition et la modernité, s’inscrire dans des espaces déjà structurés. L’assemblage d’espaces sociaux, rappelons-le, est au principe de la sociogenèse de l’Etat post-colonial. Du fait du morcellement et de l’hétérogénéité des intérêts sociaux, la construction de la représentativité passe à la fois par la recherche de l’identité et par l’affirmation de la différence.

Il n’est pas question de conditionner l’affirmation de ce besoin social à l’association de la démocratie au fédéralisme juridique. On constate pour l’instant que la recherche de l’affirmation des différences en terme identitaires, dans une société globale entre la tradition et la modernité, renouvelle le pouvoir des notables, du fait de leur maîtrise du pouvoir social dans chaque espace.

L’abandon des modes autoritaires de régulation politique, la bataille pour la représentativité et pour l’accomplissement des enjeux du pouvoir par le biais de partis transethniques est en soi porteuse du phénomène de déconcentration politique. Dans un contexte où la mobilisation identitaire s’avère encore très lourde, la capacité de relier différents espaces sociaux à des partis politiques ne peut que faire appel au « stock » partagé de représentations, de symboles, d’images à puissance mobilisatrice dans chaque espace.

Le rituel politique, en accord avec M. Abèles32, est inséparable d’une conception globale de la représentativité, conception qui ancre la légitimité dans le territoire. La construction et l’entretien de cette légitimité ne peuvent aboutir qu’en faisant appel au local, à sa mémoire, à travers les références à un système de valeurs communes. Ces rituels, d’après M. Abélès, offrent matière à une double opération politique : d’une part, l’expression d’une cohésion forte entre les gouvernés qui manifestent leur attachement à des valeurs, à des symboles et à une histoire commune ; d’autre part, la réaffirmation du consentement collectif au pouvoir établi et à ceux qui l’incarnent.

C’est à cette réalité que se doit la mise en place, dans le contexte démocratique, d’un espace d’échanges clientélistes entre le pouvoir politique et ceux qui ont du pouvoir social (les influents) dans chaque espace social. Si au pouvoir politique revient la tâche d’assurer aux influents de chaque espace des biens matériels et symboliques, à ce dernier incombe le ralliement de leurs communautés aux partis considérés les plus puissants.

On identifie ici la causalité de l’effet pervers de la démocratie dans les pays africains. Certes, il y a des espaces où les citoyens peuvent voir dans le rituel électoral des buts instrumentaux, liés à la responsabilité, à la délibération, à la décision et à l’information au sujet de la représentativité politique. Mais la plus grande partie des votants en reste à des structures de signification traditionnelles, ce qui renforce la légitimité de la domination des notables sur des espaces sociaux respectifs. Placés au sommet des Eglises, des espaces communautaires, des petites villes ou des entreprises familiales, la position structurelle des notables leur apporte de reconnaissance de leurs milieux sociaux, et donc la capacité de relier leurs espaces au pouvoir politique. Les démocraties sans alternance en Afrique seraient dues à ce type d’échanges. S’agissant d’un mode de régulation du pouvoir, elles s’inscrivent dans une logique de rapports sociaux de domination dans une société globale, déjà structurée oligarchiquement.

Pour qu’on se rende compte de ces réalités, il suffit qu’on retienne quelques exemples. Au Mozambique, surmontée la période de la guerre civile et du régime marxiste-léniniste, on assiste dans le contexte démocratique, à la réhabilitation et au « mariage » des chefs traditionnels et du pouvoir politique. Si après les premières élections multipartites on ne notait pas des évidences dans le sens de la construction de cette entente, la résurrection politique des ex-suppôts du système colonial à la base (v. 2.2.3.2) a été accélérée après 1994. Considérés comme les représentants de leurs communautés dans le contexte démocratique, l’enjeu de la politique de réhabilitation des chefs traditionnels est d’accroître la capacité mobilisatrice du parti au pouvoir moyennant la déconcentration politique. L’Etat unitaire étant structuré à partir d’entités sociales fragmentées du point de vue du territoire et de la mémoire historique, on revient par ce mode opérandi à la stratégie de l’assemblage de la variété des espaces sociaux : créer et/ou renforcer des liens d’allégeance entre le pouvoir central et les communautés traditionnelles. L’entreprise souhaitée ne peut aller qu’avec la reconstruction du système d’échanges clientélaires entre le pouvoir politique et les influents, dans les espaces communautaires.

Cette alliance entre les systèmes traditionnels et l’Etat moderne est également repérable dans d’autres contextes. Au Sénégal, pays islamisé à 95%, la longévité de la Présidence de L. Senghor et de la domination de son Parti, le PDS, se sont fondés sur une alliance structurelle, qui liait son régime à la confrérie mouride. Le poids de cette confrérie tant du point de vue socio-économique que de la légitimation du pouvoir fut considérable33.

Le système politique du Botswana présente davantage le phénomène du tissage d’institutions traditionnelles et modernes34. Leur coexistence, qui se nourrit de rapports de rivalités, de transactions et de compromis, entraîne de mode intermittent des situations de fission ou de fusion. Celles-ci sont à l’origine de la cohérence et de l’intégration de la société globale.

La structuration de ce système tire sa force de la culture politique des élites tswana. Ayant hérité le système d’administration indirecte suivie par l’Angleterre, déjà à l’époque de la protestation anticoloniale, la classe politique tswana tenait la notion de majorité ethnique comme un synonyme de pouvoir. L’indépendance obtenue en 1966 par la voie du suffrage universel direct, le principe de majorité ethnique fut constitutionnellement adopté comme critère de structuration du politique. De la sorte, il devenait un atout de la compétition aussi bien que de la réussite politique.

En effet, Seretse KAMA, le fondateur du Parti Démocratique du Botswana, (PDB), est parvenu au pouvoir grâce à l’héritage du leadership du groupe ethnique le plus important du point de vue démographique, les Bangwato. Il put ainsi gagner les élections pluralistes qui ont eu lieu au Botswana, devenant ainsi Président à vie. Le régime de son parti rappellerait ce que A. Tocqueville a qualifié, dans un autre contexte, de despotisme de la majorité35.

S’opposant à cette position du monopole du pouvoir, Kenet KOMA, fondateur du Front National Démocratique (BNF), choisit le chef BATHOEN II (traditionnel) au poste de Président de son Parti. Dans sa qualité de chef de la puissante ethnie Bangwaketse, ce dernier a participé tant aux pourparlers avec le Gouvernement anglais, - qui ont permis l’accès du pays à l’indépendance -, qu’à la formation de l’assemblée constituante.

L’importance utilitaire de cette coopération avec le pouvoir central serait la cause de la formation de la chambre des chefs traditionnels. Composé de 8 chefs et 4 sous-chefs et de quelques élus à titre honorifique, on ne lui a assigné qu’un pouvoir de conseilleur. Insatisfait par cette offre modeste, le chef Bathoen engage des démarches pour que la chambre des chefs traditionnels exerce, elle aussi, du pouvoir législatif sur certains domaines publics. C’est d’ailleurs l’enjeu qui a animé la campagne électorale du chef BATHOEN et de son Parti, le BNF, auprès des notables. Par la suite, le BNP a vu ses bases sociales s’élargir grâce au soutien des chefs traditionnels au point de devenir un Parti à coalition interethnique. Au moyen de ces ressources, le BNP est arrivé à une position de compétitivité qui lui a conféré le respect du Parti rival, le PDB, au pouvoir depuis 1966.

Les critiques portant sur le cadre social et politique dont le Botswana est l’exemple se demandent si ce pays représente un cas de réussite de la démocratie. Pour Pierre du Toit36, un chercheur sud-africain, le système politique Tswana repose sur une coalition d’intérêts parvenant à empêcher tant la contestation politique que la formation de la société civile. A cet effet, la manipulation de la hiérarchie ethnique s’avère un atout fondamental. Zibani Maundeni, un politologue Tswana, renvoie cette réalité à un cas d’échec de la démocratie libérale, car bloquée par l’observation du principe de majorité ethnique et des traditions anciennes. Quoi qu’il en soit, l’une et l’autre de ces observations ne remettent pas en cause l’hypothèse de l’imbrication des pouvoirs traditionnels et modernes, donnant place à des réseaux sociaux comme substrat du phénomène étatique et donc de la fonctionnalité du politique.

L’étude menée par Joel Bertrand, en Ouganda, met en évidence un espace où le politique se réclame du rôle de gestionnaire de l’interactivité des forces sociales relevant de temporalités différentes. Appartenances sociales identifiées à des espaces lignagers, tribaux, ethniques, religieuses, linguistiques, traditionnels ou modernes s’avèrent non pas comme des entités cloisonnées mais comme des éléments vivants et en interaction, donnant lieu à un Etat sans-nation37. Chacun de ces espaces témoigne de l’objectivité des subjectivités propres à leurs territoires en tant qu’environnements matériaux d’interactions sociales et de leurs mémoires collectives. Paradoxalement, en dépit de leur état fragmentaire, ces appartenances entretiennent des rapports avec le pouvoir central, sous la mainmise de fractions de l’élite moderne :

‘Le 31 juillet 1993, avec le décorum et le faste nécessaire, au milieu de la liesse populaire et de dignitaires, Ronald Mutebi était installé sur le trône de son père Mutessa II, Kabaka (roi) du Buganda (Ouganda). Quelque coloré et exotique qu’il parût, l’événement n’était pas sans portée. Pour les Ougandais, il représente le moment symboliquement fort du processus de restauration des royaumes bantous ancestraux qui regroupaient aussi, outre le Bouganda, le Bunyoro, le Toro, et l’Ankore. /..../ Et ce dans un pays pratiquant un libéralisme du meilleur aloi, déjà bon élève du Fond monétaire international. La conjugaison de ces faits en apparence contradictoires désarçonne. Elle devient plus claire lorsque l’on prend en compte l’histoire, mais aussi la vie politique ougandaise contemporaine. Elle offre l’intérêt de présenter un cas original de tentative de renforcement des assises politiques d’un pouvoir à travers un compromis stratégique, et elle nourrit la réflexion sur la recherche, par les sociétés africaines, de solutions institutionnelles, adaptées à leurs fonctionnements particuliers38. ’

Dès son indépendance en 1966, l’Ouganda a connu des périodes intermittentes de guerres civiles. Elles seraient dues à l’incapacité des régimes politiques alors en place à parvenir à une cohésion structurale. Cela semble d’autant plus vraisemblable que J. Bertrand associe cette instabilité au fait que les régimes précédents n’ont pas su respecter ce qu’il considère être les trois principes constitutifs de l’Etat : 1) Pas d’Etat aux mains des Buganda ; 2) Pas de pouvoir étatique qui tienne contre les Buganda et 3) Pas de soutien des Baganda sans Kabaka. L’enjeu de l’obéissance à ces principes aussi bien que des échanges qui s’en suivent, est double : d’une part, les élites en situation de pouvoir cherchent à mettre en place un mode de domination et de légitimation du pouvoir assis sur une coalition structurée par une variété d’appartenances; d’autre part, la remise à jour de ce système requiert que ces élites gérant les préférences politiques de la diversité de leurs membres, de sorte qu’elle débouche sur l’intégration souhaitée.

C’est donc dans le contexte de politisation des rapports sociaux que prend du sens le processus de déconcentration politique. En Ouganda, celui-ci a emprunté, depuis quelques années, deux chemins parallèles : celui de la réforme constitutionnelle et celui de la réhabilitation des royaumes et des chefferies traditionnelles. Ils ont contribué à la pacification du champ politique, à l’émergence de conceptions “non-oppositionnelles”, “consensuelles” de la politique, à l’amélioration de l’intégration verticale des citoyens. Ces actions de bricolage politique, tel que le remarque R. Banégas, seraient par ailleurs au cœur de l’évolution des représentations de la légitimité et de l’évolution des imaginaires politiques39.

Dans les contextes distincts d’interaction sociale, le pouvoir est lié à la domination et il repose sur la mise en oeuvre de ressources tirées de ce mode de domination. Leur application reconstitue ce mode de domination. La communication y prend une place d’autant plus fondamentale que le pouvoir ne peut pas avoir recours à des multiples structures sociales. Entendues comme des ensembles isolables et coordonnés par des règles et des ressources, elles définissent les cadres de signification de la pratique politique. De ce fait, elles offrent des grilles d’interprétation et d’évaluation des rapports sociaux et sont impliquées dans les traits institutionnalisés des systèmes sociaux, dans les espaces relevant de la modernité politique et dans ceux qui se situent entre la tradition et la modernité. Dans les premiers, la politisation de l’espace politique peut devenir une réalité sous la forme de la bipolarité gauche/droite ; dans les seconds, la dimension mobilisatrice de la politique prend d’autant plus d’importance qu’il rend inéluctable la construction de compromis entre les leaderships des organisations politiques avec les influents (notables), dans les divers espaces sociaux. C’est à cette réalité qui se doit le phénomène de l’imbrication entre les discours de tradition et de la modernité, dans le contexte démocratique.

Notes
6.

Cf. BAYART, J.-F., “La problématique de la démocratie en Afrique noire : la baule, et puis après”, Politique africaine, 43, Oct. 1991, pp. 5-20, p. 10.

7.

Cf. COQUERY-VIDROVITCH, C., cité, OTAYEK, René, art. cit., p. 804.

8.

Cf. FURET, F., cité, COPANS, J., cité, La Longue marche de la démocratie….op. cit., p. 243.

9.

DUMONT, L., cit., ibidem, p. 239

1.

0 Ibidem, p. 243.

1.

1 Voir HIRSHMAN, cité, cf. BADIE, Bertrand, « Formes et transformation des communautés politiques », in GRAWITZ, M. – LECA, J., Traité de science politique, …op. cit., p. 611.

1.

2 Cf. OTAYEK, R., art. cit., p. 804.

1.

3COPANS, J., La Longue Marche de la Démocratie Africaine…op. cit., p. 247-148.

1.

4 Cf. BAYART, J.-F, Cité, Cf. OTAYEK, R., art. cit., p. 821 ; « La problématique de la démocratie en Afrique noire ; la baule, et puis aprqès », Politique africaine, art. cit., p.10

1.

5 . BAYART, J.-F, « La problématique de la démocratie en Afrique noire ; la baule, et puis aprqès », Politique africaine,……. art. cit., p. 7.

1.

8 Pour Bayart, « les interprétations ‘tribalistes’ du politique en Afrique noire, qui se parent volontiers des virtus de l’expertise et de l’érudition, sont dangereuseusement simplistes » , Cf. BAYART, J.F., “La problématique de la démocratie en Afrique noire…art. cit., p. 7.

1.

9 Idem.

1.

6DIAW, A., Démocratisation et logiques identitaires en acte. L’invention de la politique en Afrique, Dakar, CODESRIA, Monographies, 2/94, p. 61.

1.

7TOURAINE, A., Qu’est-ce la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, 176p, p. 98.

2.

0 BADIE, Bertrand, « Formes et transformation des communautés politiques », in GRAWITZ, M. – LECA, J., (Sous la direction de),Traité de scence politique….op. cité, pp. 599-669.

2.

1 Voir à ce sujet BENN, S. I., Social principes and the democratic state, London, London and Aylesbury (1959), 1971, 403p, p. 257-258.

2.

2 Cf. MONTESQUIEU, C. de, De l’esprit des lois, 1748, cité, DELAS, J.-P., Histoire des pensées sociologiques, Paris, Ed. Dalloz, 1997, 327p, p. 15.

2.

3 Cf. ROUSSEAU, cité, BENN, S. I, op. cit., p. 242.

2.

4 Cf. TRIBALAT, M., cité, OTAYEK, René, art. cit., p. 822.

2.

5 Cf. CHAMPION, F., « Les rapports Eglise-Etat dans les pays européens de tradition protestante et de tradition catholique : essai d’analise », Social Compass, 40 (4), 1993, pp. 388-504, p. 492.

2.

6 Cf.EISENSTADT, cité, BADIE, Bertrand, « Formes et transformation des communautés politiques », in GRAWITZ, M., – LECA, J., (Sous la direction de), op ; cit. p.610

2.

7 LAVAU, Georges et al. , « La démocratie », in GRAWITZ, M. – LECA, J. (direction), Traité de science politique,(Vol. II, Les régimes politiques contemporains),Paris, PUF, 1985, pp.29-110, p. 34.

2.

8 HABERMAS, Jürgen, cité, MARTUCCELLI, Danilo, Sociologie de la modernité, Paris, ed. Gallimard, 1999, 709p, p. 355.

2.

9 SCHUMPETER, A.J., Capitalisme, socialisme, démocratie, Paris, Payot, 1965, p. 368.

3.

0Cf. TOQUEVILLE, cité, BOUDON, Raymond, « Le pouvoir social : Variations sur un thème de Tocqueville », in Commentaire…art. cit., p. 311.

3.

1 Cf. MARTIN, D.C., “Les cultures politiques », dans COULON, C.-MARTIN, D.C. (dir.), Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991 (Coll. « Textes à l’appui »), pp. 155-182, p. 160.

3.

2 ABÉLÈS, Marc, “La mise en représentation du politique”, ABÉLÈS, Marc-JEUDY, Henry-Pierre (sous la dir.), Anthropologie du politique, Paris, A. Colin/Masson, 1977, 282p, pp. 247-271, p. 254.

3.

3 Cf. COULON, C., Le Marabou et le Prince. Islam et Pouvoir au Sénégal….op. cit.,pp. 233-255.

3.

4 Voir MAUNDENI, Zibani, “Botswana stil at crossroads”, Africa Quaterly, vol. 36, number 3, 1996, pp. 23-30 ; voir aussi HOLM, John D.- MOLUTSI, Patrick - SOMOLEKA, Gloria, “The Developpement of civil society in a democratique state : the Botsuana model”, Africain studies review, Vol. 39, Number 2, (Setember, 1996), pp. 43-69.

3.

5 Cf. TOCQUEVILLE, A., « A mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe, diminue. La disposition à en croire la masse augmente, et c’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde. L’opinion commune est le seul guide qui reste à la raison individuelle chez les peuples démocratiques. […] Aux Etats-Unis, la majorité se charge de fournir aux individus une foule d’opinions toutes faites, et les soulage ainsi de l’obligation de s’en former qui leur soit propre », cité, DELAS, J.-P., op. cit., p. 23.

3.

6 TOIT, Pierre, cité, MAUNDENI, Zibani, art. cit., p. 23.

3.

7 Voir par exemple BERTRAND, Joel, “Ouganda : Les rois en République”, Afrique contemporaine, n°182, 2 éme trimestre 1997, pp16-30 ; BANEGAS, R., “Ouganda : La construction d’un nouvel ordre politique”, L’Afrique politique, 1996.

3.

8 BERTRAND, Jöel, op. cit., p. 16.

3.

9 BANEGAS, R., op. cit., p. 178.