6.2.3. Campagnes électorales de la RENAMO : discours d’autodéfense ….avec recours à l’ordinaire

La RENAMO, elle aussi, participa aux campagnes électorales pour sa qualification à la représentativité politique, sur le plan de la société globale. Comme pour le Frelimo, cet acte fut un moment de mobilisation politique. Sous cette optique, mue par l’intérêt d’entraîner la coopération des agents qui s’en emparent et lui donnent du sens, la RENAMO s’engagea dans un travail de construction symbolique. Celle-ci ne pouvait que faire recours à la diffusion étendue des croyances, sur l’organisation politique de la société et des affrontements sociaux sur les finalités de la lutte politique.

Compte tenu de son statut d’organisation partisane - trajectoire biographique, ressources matérielles et symboliques disponibles -, un certain nombre de ressources ont été valorisées par la RENAMO : un discours défensif, cherchant à associer la période de la guerre civile à la lutte pour la démocratie ; l’ethnicité, entendue non pas au sens primordialiste mais comme processus de mobilisation sociale1 68, donc considérée comme un processus de mobilisation groupale et comme un principe mobilisateur pour l’action collective1 69. La RENAMO a aussi identifié dans l’ordinaire, en tant que discours structuré sur la base des références et des pratiques qui font du sens, des atouts de mobilisation politique dans le contexte entre la tradition et la modernité. La promesse de réhabilitation des leaders religieux et des chefs traditionnels apparaît dans la logique de l’articulation entre discours/action, tout en tenant compte de la centralité des notables dans les systèmes de rapports sociaux ; l’ostentation de sa « puissance » de bloquer le processus de paix au moment où la collectivité en était désireuse, si la communauté internationale ne tenait pas la promesse de lui faire l’allocation de ressources promises à Rome, dans le cadre de l’AGP.

Pour débuter sa campagne électorale, la RENAMO présenta le 22 septembre l’exigence que lui soient payés 5 MUSD, promis par la communauté internationale, condition de sa participation aux élections170. Cette somme versée, A. DHLAKAMA réalise son premier comice à Quelimane. Son discours, très triomphaliste, témoigne de l’engagement d’une société entre la tradition et la modernité dans l’apprentissage démocratique : « Ça y est, j’ai déjà gagné. C’est la fin du marxisme, c’est la fin des villages communaux »171.

Dans la stratégie mobilisatrice de la RENAMO, l’ « offre » politique ne se traduit pas par un programme structuré de gouvernance, destiné à modifier les perceptions des différents groupes sociaux et de leur position, dans la société. L’ « offre » politique se réduit à la référence à des expériences socialement considérées comme « négatives » dans chaque espace, ce qui lui donne un visage de « libérateur ». Après une interruption de sa croisade électorale pendant cinq jours, A. DHLAKAMA se fait transporter en hélicoptère et organise ses discours dans des aérodromes. A Mocuba, la deuxième ville de la Zambèzie, très ravagée par la guerre, le leader de la RENAMO se heurte à une image apparemment sans signification : d’une part, les participants au comice portent des Tshirts à l’éffigie de J. CHISSANO, leader du Frelimo ; d’autre part, ils empoignent le drapeau de la REANAMO. Sans savoir de quel côté ces gens-là militaient, A. DHLAKAMA et la RENAMO se sont présentés comme une alternative de gouvernance au Mozambique, ses actions étant orientées dans le sens de : (i) réhabiliter les chefs traditionnels ; (ii) valoriser la culture traditionnelle ; (iii) changer les noms de chaque ville, parce que ceux du Frelimo concernent des personalités communistes ; (iv) instaurer un régime politique engagé dans le respect des principes démocratiques, de la justice et de la liberté172.

Etant au courant de l’alerte à la bombe contre le leader du Frelimo, à Quelimane, A. DHLAKAMA s’empresse de réagir : « on m’a fait savoir qu’on a trouvé une bombe à la résidence du Président CHISSANO. En ma qualité de politicien mozambicain, je regrette que cela soit survenu. D’ailleurs, cela représente un attentat contre la démocratie. CHISSANO est le seul élément du Frelimo avec qui je dialogue sur la démocratie. On ne peut avancer dans le sens de la démocratisation avec des assassinats »173.

Dans la circonscription électorale de Nampula, les honneurs que la foule et les notables lui ont faits ont d’autant plus enthousiasmé le chef de la RENAMO qu’il affirme « si je ne gagne pas ces élections ce sera à cause de la fraude du Frelimo »174. L’optimisme n’était pas sans raisons. A son arrivée, A. DHLAKAMA a été reçu par une foule et il a été porté par des notables au tapis qui l’amenait à la tribune. Avant son discours dans le stade « 25 septembre » de Nampula, devant une foule de 7000 personnes, des notables (musulmans) et des cheiks ont fait une prière à Allah. L’intervention du leader de la RENAMO a cherché des supports dans l’ethnicité, s’étant aperçu que les e-makhua, qui constituent à peu près 40% de la population mozambicaine, n’ont jamais eu une participation importante au Gouvernement. La promesse du leader de la RENAMO n’était donc pas dépourvu de rationalité : « si je gagne les élections, l’une des mes priorités sera de promouvoir des personnalités macuas aux postes importants du gouvernement »175. Dans cette circonstance, le chef de la RENAMO réagit aux assertions véhiculées, selon lesquelles si A. DHLAKAMA gagnait les élections, il allait « renvoyer l’ethnie maconde en Angola, leur pays d’origine » : « C’est de la propagande pure de J. CHISSANO et du Frelimo. C’est un mensonge du Frelimo. Je n’ai jamais défendu que, dans l’hypothèse de gagner ces élections, nous allons expulser du Mozambique ni les macondes ni les changanes en Afrique du sud. Je suis nationaliste»176.

A son départ à Nametil, A. DHLAKAMA s’attendait à une réception chaleureuse. Toutefois, son hélicoptère a été atteint par des pierres jetées par les sympathisants du Frelimo. Le chef de la RENAMO réagit, faisant savoir qu’il avait « le pouvoir de paralyser le pays en 24 heures »177. Malgré cette adversité, la croisade politique continue sur la zone Nord-Est et elle s’affirme à Muedumbe, partie du territoire des macondes. En dépit d’être la terre de Vicente ULULU, secrétaire-géral de la RENAMO, la réception accordée à la délégation fut décevante. A Palma et à Mocimboa da Praia, l’organisation d’A. DHLAKAMA fit du conflit entre la population côtière et les macondes son cheval de mobilisation. Ces derniers étant considérés comme les « propriétaires du Frelimo»178, le territoire des Mwanes se voit marginalisé en matière de politiques de développement par rapport au plateau de Mueda. A Pemba, le chef de la RENAMO revient sur le discours de l’ethnicité : « Le Président J. CHISSANO dit que A. DHLAKAMA va déporter les changanes en Afrique du sud. C’est faux. Je suis nationaliste. J’étais dans la brousse pour me battre pour la libération de toutes ethnies : changanes, ma-tswas, rongas, chopes, chuabos, ndaus, macondes, é-lomwés, et d’autres. Je suis un démocrate. Je souhaiterais gagner les élections moyennant le vote de tous »179. A propos de l’ethnie maconde, il rajoute : « l’appui populaire que cette ethnie accordait au Frelimo s’est déjà estompé»180.

En plus de la mémoire sociale des effets de la guerre, atout de la construction par la presse officielle d’une image selon laquelle la RENAMO n’était qu’une bande « des bandits armés », le discours ethniciste serait à l’origine de l’échec de sa campagne au Sud du Mozambique. A Tete, A. DHLAKAMA a eu du soutien des A-nhungué et des A-senas (à Mutarara). La cérémonie de cloture de la croisade est réalisée à Beira, l’une des « forteresses » de la RENAMO.

Notes
1.

68 Voir à ce propos La deuxième partie, Chap. III, note n°78.

1.

69 « A ce niveau, l’ethnicité concerne les contraintes structurelles de nature sociale, économique et politique qui façonnent les identités ethniques et qui assignent aux individus une position sociale déterminée, en fonction de leur appartenance à une catégorie ethnique ». Idem.

1.

70 Cf. DHLAKAMA, A./RENAMO, Campagnes électorales, 1994, Maputo, TVM, 1994.

1.

71Idem

1.

72Idem

1.

73Idem

1.

74 Idem.

1.

75Idem.

1.

76Idem.

1.

77Idem.

1.

78Idem.

1.

79 Idem. DHLAKAMA demande ainsi le vote de toutes les ethnies pour accéder au pouvoir, c’est-à-dire au sommet de l’Etat républicain.

1.

80Idem.