Travaillant comme assistant social au service des adoptions du département de l’Ain, notre place au sein de la Direction de la Prévention et de l’Action Sociale (Dipas) nous conduit à rencontrer depuis plus de dix ans les différents acteurs de l’adoption, à des moments différents de l’histoire de chacun et de leur histoire commune : les enfants, les parents adoptifs et les parents d’origine. Les parents d’origine n’ont pu devenir parents adoptants de leur enfant qui sera adopté par ses parents adoptifs. Le terme ‘’adoption’’ nous vient du latin ‘’ad – optare’’ : optare signifie primitivement «choisir dans son esprit, souhaiter », le «ad » indique un mouvement vers. Si le souhait qui dit un ‘’optatif’’ et le choix qui dit une volonté semblent conscients, l’impossibilité pour les uns, la disponibilité et désir pour les autres donnent à comprendre également des enjeux et problématiques inconscientes. C’est bien au cœur de cette articulation que nous nous plaçons, tant au niveau de notre pratique quotidienne qu’au niveau de notre recherche. Précisons tout d’abord un terme central. Adoptant et/ou adoptif ? Le terme adoptif est employé pour désigner la filiation juridique comme état des personnes ; le terme «adoptant » signifie l’action toujours présente et jamais terminée d’adopter. Les père et mère, pour devenir parents, ont à adopter leurs enfants. Nous emploierons donc plus volontiers le terme adoptant plutôt qu’adoptif, même si, stricto sensu, le second conviendrait plus justement. En outre, nous souhaitons indiquer, dans ce participe présent, que les enfants ont, eux aussi, à adopter leurs parents.
Nous proposons donc dans cette introduction générale de suivre les fils qui nous ont conduit à la construction de notre problématique ; chemin faisant, nous présenterons notre travail en ayant le souci d’en faire apparaître également la trame de fond.
Notre premier questionnement professionnel a été celui-ci : pourquoi certains enfants adoptables ne sont-ils pas adoptés ? Pourquoi d’autres qui peut-être ne devraient pas l’être le sont ? Ces questions un peu primaires faisaient, pour la première, le constat de l’adoption impossible de certains enfants par manque de parents adoptants potentiels, pour la deuxième disaient l’inadmissible de certaines pratiques d’apparentement 3 . Ces interrogations semblaient faire émerger deux logiques apparemment inconciliables, ayant les mêmes fondements philosophiques des Droits de l’Homme. La première logique garantit à ceux qui veulent adopter le droit d’être parent et à l’être par l’adoption, mais sans garantir dans le droit positif de droit à l’enfant ; l’autre logique est celle qui, conformément à la Déclaration des Droits de l’Enfant, place comme prioritaire sur les autres, le droit de l’enfant à avoir des parents. Nous reprendrons tout cela dans une première partie ; nous donnerons le contexte de l’adoption dans ses dimensions socio-historiques. Rappelant les filiations mythologiques grecques et juridiques latines de notre institution actuelle, nous déclinerons les différentes procédures, administratives, juridiques, pratiques de l’adoption nationale et internationale en France et dans le département de l’Ain. Ce département sera notre terrain de recherche. Nous présenterons alors dans cette fin de première partie notre méthodologie. Notre travail nous a amené d’une part vers les adoptants futurs, et d’autre part du côté des associations qui en France peuvent confier en adoption un enfant né dans un pays étranger. Pour ces dernières, nous présenterons le questionnaire envoyé nationalement et les analyses qui ont été faites. Pour les futurs adoptants, nous avons étudié les dossiers des 194 couples et personnes ayant, dans l’Ain, en 2000, une autorisation d’adopter. Cette étude, dans le rapport construit entre déterminants sociaux et représentations de l’enfant attendu, nous permettra de rechercher les écarts signifiants ; nous aurons alors parmi cette population un échantillon de 26 adoptants représentatifs de ces écarts. L’analyse quantitative des données croisées et l’analyse de contenu des 26 entretiens réalisés donneront corps à notre recherche.
Mais, élargissant notre perspective et nous décentrant d’une approche juridique et pratique, il nous est apparu pertinent de reprendre ce qui, dans le monde de l’adoption, apparaît comme une évidence et donc une évidence à questionner : ‘’L’adoption, c’est une famille pour un enfant’’. Nos rencontres avec les futurs adoptants, centrées sur leurs ‘’désirs’’, sur leurs ‘’demandes’’ a tôt fait de nous permettre de poser l’hypothèse inverse : ‘’l’adoption, c’est un enfant pour une famille’’. Nous nous sommes alors penché sur l’articulation de ces deux finalités de l’adoption. Comment pouvons-nous poser le problème de cette articulation ? Qu’est-ce que recouvrent ces deux finalités ? Ce nouveau questionnement a pris alors deux dimensions : celle de la ‘’greffe adoptive’’ et celle de la construction de l’apparentement. Ce que nous appelons ‘’greffe adoptive’’ pourrait se nommer affiliation, inscription de l’enfant dans la filiation de ses parents adoptifs ; cette greffe, pour qu’il n’y ait pas rejet, enjoint de part et d’autre, pour l’enfant et les futurs parents, une disponibilité particulière porteuse d’une adoption réciproque. La construction de l’apparentement apparaît comme la mise en acte dans la réalité de l’intention motivée. La finalité «un enfant pour une famille » peut alors être comprise comme : être parent (la greffe adoptive) et avoir un enfant (la construction de l’apparentement). Ainsi, nous demandons-nous à quelles conditions et dans quelle mesure, les futurs adoptants peuvent, dans l’apparentement, construire un équilibre entre les deux finalités de l’adoption : une famille pour un enfant et un enfant pour une famille.
Au-delà de la seule dimension opérationnelle de l’apparentement, la question de fond sous-jacente à ces finalités semble être la préparation des postulants à la parentalité adoptive. Les futurs parents ont-ils à se préparer à devenir parents adoptants ? Peuvent-ils y être préparés ? Nous avançons l’hypothèse qu’accompagner les futurs parents à la parentalité adoptive constitue la condition principale leur permettant de construire un équilibre entre les deux finalités de l’adoption. Cette première hypothèse rejoint les travaux et préconisations de P. DURNING 4 pour qui « l’éducation parentale focalisée sur les comportements éducatifs s’adresse à tous les publics, dans une approche préventive et non restauratrice ». La notion de «parentalité adoptive » recouvre une réalité plus spécifique que nous pouvons dire ainsi : devenir parents adoptants, c’est faire sien un enfant que l’on n’a pas conçu. Est-ce là une différence avec la filiation ‘’naturelle’’ ? Pour répondre à cette question, il nous faudrait explorer différentes dimensions de l’« éducation familiale 5 » adaptée à la filiation adoptive. Nous choisirons plutôt une approche analytique en mettant l’accent non sur le réel donné, mais sur le rapport à ce réel, la réalité construite par les adoptants et les adoptés, réalité construite qui deviendra leur réel à eux. Écoutons deux approches opposées. Pour M. SOULE 6 ,« l’enfant adopté, surtout s’il a été recueilli très tôt par des parents normaux, est un enfant normal sur le point de l’élaboration du roman familial ». Pour lui, si les parents adoptifs sont tentés de croire que la seule situation d’adoption induira chez leurs enfants une obligation de vivre jusqu’au bout dans la réalité, les fantaisies du roman familial 7 , c’est là une manifestation d’»une défense projective ». « Nous touchons là, dit M. SOULE, avec l’adoption, pour chacun, le rapport au fantasme originaire ». Ainsi dans l’imaginaire, il n’y a pas de différence entre enfants adoptés et enfants nés par le sang. Finalement, le réel n’a pas d’influence sur les fantasmes, sur la vie fantasmatique et sur l’inconscient. M. BERGER 8 a une autre approche : « L’affirmation selon laquelle élever un enfant adopté est à la portée de nombreux couples car cela ne pose pas plus de problèmes que l’éducation de n’importe quel enfant, paraît trop optimiste dans un certain nombre de situations. Il n’est pas possible non plus d’adhérer complètement aux affirmations selon lesquelles le roman familial d’un enfant abandonné va se construire de manière absolument identique à celui d’un enfant vivant avec ses parents biologiques... ». A l’imaginaire parental de M. SOULE. répond l’imaginaire de l’enfant pour M. BERGER. De plus, M. SOULE spécifie bien à propos de l’enfant «surtout s’il a été recueilli très tôt par des patents normaux », cette restriction renvoie précisément à la situation réelle des enfants abandonnés. Ainsi, même dans l’hypothèse où l’interprétation par les adoptants du roman familial et de la scène originaire imaginés par leurs enfants adoptés serait une résurgence de leur propre problématique de roman familial, il paraît toutefois nécessaire que les adoptants prennent en considération la manière dont l’enfant vit son abandon et la réalité d’avoir quatre parents dont les deux premiers, bien réels, seront effectivement reconstruits à l’aune de son imaginaire.
A cet élément relatif au roman familial, il nous faut ajouter l’abandon vécu par l’enfant. Dans notre culture où l’adoption s’inscrit, non pas dans une circulation des enfants, mais dans une rupture de filiation, l’enfant est abandonné avant d’être adopté. Cet abandon peut être vécu par l’enfant comme une véritable blessure. Cette blessure peut d’abord avoir un effet sur la construction et l’organisation de sa vie psychique. La qualité des premières relations structurantes entre l’enfant et sa mère ou entourage maternant peut s’avérer avoir été déficitaire. Nous mettons l’accent sur l’inscription manquante de l’enfant dans une filiation qui ne parvient pas à se construire, sur le déficit également d’identifications précoces, d’étayage maternel, de ‘’contrat narcissique’’ anticipé par les parents avant même la conception de l’enfant, sur le déficit encore de l’ensemble des fonctions de holding, handing permettant à l’enfant de structurer son psychisme. A cela, s’ajoute l’abandon dont l’enfant pourra se sentir responsable lui-même, culpabilisé de n’avoir pas été assez bon et digne d’être aimé pour être gardé par ses premiers parents ; il pourra en rendre responsables ses parents d’adoption qui alors l’auraient volé à ses géniteurs.
Le troisième élément que nous souhaitons mettre en lumière est celui relatif à la manière dont ont été construits et vécus par lui l’abandon et l’adoption. Nous savons la violence des séparations et des rencontres non préparées, ce que M. BERGER nomme «l’aspect traumatique de l’adoption » 9 . Enfin, le quatrième point est celui relatif au réel du corps, à la filiation biologique. Le corps est de chair ; il est la permanence dans le temps et ce qui fait que je suis au monde. Il assure la « mêmeté » 10 du soi, nous dit. P. RICOEUR, comme si le fait de connaître ceux qui ont donné le corps réassurait l’identité de celui qui cherche. Cette dimension physique de la filiation est également importante dans son contenu imaginaire, et dans ce qu’elle induit comme fantasme d’identité spéculaire et de totalité fusionnelle. Cette fantasmatique corporelle établit une distinction forte entre l’enfant adopté et l’enfant qui ne l’a pas été, donnant un éclairage particulier au roman familial, puisque les parents d’origine, imaginés, ont un corps de chair que l’enfant pourra peut-être un jour rencontrer. Cette notion de ‘’corporéité’’ prend alors une dimension paradoxale pour les parents adoptants. Cette histoire de corps, de filiation biologique, d’enfant par le sang, participe, dans la littérature populaire de l’adoption, d’une forme de ‘’des-estimation’’, presque disqualification. La notion de ‘’deuil de l’enfant biologique’’ est passée dans le vocabulaire des adoptants, et de certains professionnels comme le ‘’sésame ouvre-toi’’ de la disponibilité nécessaire à l’obtention de l’agrément et à la réussite de l’adoption. Cela peut être effectivement un indicateur si nous comprenons bien quel sens a le biologique comme garantissant imaginairement la reproduction du même. Ainsi, les adoptants après avoir plus ou moins renoncé et relativisé cette dimension de la filiation doivent la re-qualifier comme élément majeur quand leur enfant demandera peut-être à savoir qui les a mis au monde. Leur capacité à répondre à la demande de leur enfant sera vraisemblablement en rapport avec leur propre disponibilité à se dégager eux-mêmes du besoin de reproduction du même, tout en reconnaissant et acceptant que ce besoin existe chez leurs enfants, besoin ravivé par la perte des repères originaires et l’abandon.
Nous voyons donc que filiation adoptive et filiation naturelle ne peuvent être complètement assimilées l’une à l’autre. La spécificité de la filiation adoptive tient autant à la situation particulière des adoptants que des adoptés, au rapport que chacun a à sa propre situation, et à l’interaction de ces rapports. Cela signifie donc que le rapport que l’enfant adopté aura avec ses origines, son abandon, les premiers mois ou années de sa vie est en partie déterminé par le rapport qu’entretiennent ses parents avec leur propre histoire et les motivations de leur projet d’adoption. Nous ne centrerons pas notre travail sur la situation des enfants abandonnés et adoptés. Par contre, nous consacrerons la deuxième partie de notre écrit à l’interaction des trois dimensions de la filiation et à la spécificité de la filiation adoptive définie comme filiation sans lien corporel.
Cette deuxième partie, comprise essentiellement dans le champ méta-psychologique, demandera que nous fassions un détour théorique pour arriver à une facette importante de notre problématique : la situation des futurs adoptants, au regard de ce qui motive leur projet d’adoption, peut avoir des effets sur leurs représentations, sur leurs attentes et peut-être leur stratégie d’apparentement. L’étude quantitative des dossiers et des entretiens, corroborée par l’analyse de contenu, nous permettra de comprendre les mécanismes sous-jacents, activant les phases d’objectivation et d’ancrage des représentations, avec, parfois, leurs besoins de ressemblance, de dissemblance, de reproduction du même. Ce que nous appellerons la dialectique des dimensions narcissique et instituée de la filiation adoptive sera mise en lien avec l’absence du corps, du corps imaginé et du corps porteur d’imaginaire. Cette absence du corps sera comprise comme absence des corps sexués des adoptants dans la procréation et comme absence de la filiation de ‘’corps à corps’’ entre parents et enfant.
Cette première hypothèse faite, si elle confirme la nécessité d’un travail de préparation des futurs adoptants à la filiation adoptive, n’en fixe ni le temps, ni les modalités. Une question nous arrive alors : qui sont ces ‘’futurs’’ adoptants ? Logiquement, nous pensons que peuvent être considérés comme ‘’futurs’’ adoptants ceux qui ont obtenu l’autorisation d’adopter. De ce fait, nous situons cet accompagnement dans le temps séparant l’obtention d’agrément et l’arrivée effective de l’enfant. Mais, les vingt-six entretiens nous rappelleront la réalité des adoptants : le temps d’évaluation est pour eux un temps d’accompagnement, dans leur capacité à interpréter une action évaluative comme autre chose. Cet agrément – adoption fera l’objet de notre troisième partie. Nous en dirons tout d’abord la légitimité institutionnelle fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant, nous en comprendrons la portée symbolique pour les adoptants dans la capacité retrouvée. Cette dimension symbolique sera repérée, non seulement dans les représentations des adoptants, mais dans le processus des procédures. A partir d’une lecture de l’agrément adoption et de l’adoption comme rite de passage, l’obtention de l’agrément signifiant alors le passage du seuil, nous repérerons les deux temps de marge dans lesquels précisément l’accompagnement par les intermédiaires apparaît nécessaire.
Sans avoir encore questionné ce que pourrait être l’accompagnement , nous proposons alors de nous tourner vers ceux qui accompagneraient. Nous savons qui seraient les accompagnés, mais qui sont les accompagnateurs ? Les accompagnants ? Nous proposons pour approcher cela deux autres hypothèses.
La première donne cette place d’accompagnant /accompagnateur à ceux qui ont déjà adopté un enfant, ceux qui sont déjà parents adoptants. Notre expérience professionnelle nous conduit à penser que les personnes qui ont adopté ont une place particulière et déterminante dans les représentations des futurs adoptants ; ces représentations concernent les fonctions parentales et les stratégies d’apparentement. Il s’agit alors de mettre à jour la dynamique en jeu dans les relations entre ‘’anciens’’ et ‘’futurs’’ adoptants. Qu’attendent les futurs de leurs pairs ? En retour, qu’ont-ils l’impression de recevoir d’eux ? Le chapitre premier de notre quatrième partie sera pour nous une marche d’approche vers l’accompagnement dans sa dimension communautaire. Nous décrirons les mécanismes d’identifications assurant symboliquement les passages que nous énoncerons comme ‘’de pairs en pères’’. Cette place particulière des anciens sera également recherchée auprès des anciens organisés en associations.
Enfin, nous construisons une troisième hypothèse selon laquelle l’accompagnement, par les professionnels, des futurs parents à la parentalité adoptive et à la construction de l’apparentement, doit trouver une articulation avec l’accompagnement réalisé par les parents ayant déjà adopté.Nous voyons une distinction, une frontière et donc une articulation nécessaire entre un accompagnement par les anciens adoptants et un accompagnement par nous, éducateurs. Loin de vouloir légitimer cet accompagnement par les professionnels, accompagnement qui n’a pas de fondement juridique, nous aurons à en repérer la demande si elle se manifeste dans les entretiens. Le deuxième chapitre de cette quatrième partie, à partir de la notion de projet et donc de praxis, sera une forme de recueil organisé des attentes et demandes des futurs adoptants à l’endroit des professionnels et de l’institution départementale qui les emploie. Évitant, autant que faire se peut, les risques de l’inventaire, nous distinguerons ce qui apparaît comme de l’ordre du contenant et du contenu de leurs attentes. Nous dé-voilerons alors le noyau central structurant les attentes de chacun, attentes partagées par le plus grand nombre : l’accompagnement est attendu dans son efficacité, c’est un accompagnement opérationnel qui met l’accent sur la construction de l’apparentement. Si cela peut apparaître une tautologie, ‘’les futurs adoptants ont reçu une autorisation pour adopter, donc ils adoptent’’, cette attente dit aussi ce qu’elle n’attend pas, c’est-à-dire l’accompagnement à la parentalité adoptive.
La question est alors de savoir quand les futurs adoptants seraient accompagnés. Avant l’agrément, nous sommes dans un contexte d’évaluation dont nous aurons démontré la nécessité du maintien pour l’intérêt de l’enfant et pour les parents futurs dans sa fonction symbolique. Après l’obtention d’agrément, les adoptants sont dans la construction de l’apparentement et dans la seule demande d’un soutien opérationnel. Nous n’avons pas encore ce temps de l’accompagnement que nous estimons nécessaire comme préparation à la rencontre, comme préparation à la prise en considération des aspects spécifiques de la filiation adoptive et à la prise en considération de la réalité de l’adoption dans ses deux finalités. Il nous faut alors contenir le paradoxe de cette situation. Nous tenterons de faire ‘’jouer’’ ce paradoxe dans notre dernière partie, paradoxe dont nous admettrons «qu’il ne soit pas résolu » 11 .
Nous nous trouverons alors au cœur de notre problématique dans la recherche des conditions permettant aux adoptants de construire, eux-mêmes, un équilibre, à leur mesure, entre les deux finalités énoncées. Cette mesure, dans une approche philosophique, sera déclinée comme conjugaison des termes «antagonistes, contradictoires et en même temps complémentaires » 12 : désir vs devoir ; autonomie vs hétéronomie ; éthique vs morale ; motivation vs finalité. La recherche des ‘’conditions pour…’’ offertes par les professionnels et celle de la juste et bonne mesure construite par les adoptants apparaîtront comme en lien avec une nécessaire médiation, comprise comme mouvement de «liance – déliance –reliance ». Seront réunifiés, sous le primat du sens de l’action, élaboration des représentations de l’enfant, préparation à la parentalité adoptive et projet de réalisation d’accueil de l’enfant, chacun des trois termes se construisant avec les deux autres. L’intelligibilité de l’action apparaîtra alors non pas comme résultant d’une inter-disciplinarité qui ne ferait que croiser les différentes approches, mais comme trans-disciplinarité qui les transcenderait toutes dans l’action effectuée, dans «l’unité analogique de l’agir » 13 Ce mouvement de la médiation apparaît alors dans l’instance de la discussion et dans celle de la socialité comme composant de la dimension instituée de la filiation. Nous suggérerons alors quelques propositions de dispositifs institutionnels permettant ce travail de médiation.
Cette implication, dans le projet des adoptants, des fins et des moyens, de ‘’avoir un enfant et être parent adoptant’’ nous guidera alors vers la recherche d’un positionnement professionnel adapté. Finalement qu’est-ce que l’accompagnement éducatif ? Quel est son sens ? En quoi se différencie-t-il d’un accompagnement par les pairs ? Définissant le sens comme recherche de l’Unité ultime et première, nous donnerons les différentes significations attachées au sens de l’action socio-éducative et plus spécialement à celui qui caractériserait l’accompagnement. Ces significations trouveront métaphoriquement leur place dans une topique des postures éducatives. Repérant ces postures dans les périodes de marge que sont les temps d’agrément et de construction de l’apparentement, nous avancerons la thèse selon laquelle l’accompagnement à la parentalité adoptive et à la construction de l’apparentement pourrait être trouvé par les adoptants dans l’intervalle de ces postures. Dans cet entre-deux, l’accompagnement éducatif devient alors un moment de la relation centrée sur le sujet accompagné et son projet de devenir parent en adoptant un enfant.
Nous comprendrons l’apparentement comme mise en relation de l’enfant adopté et de ses parents adoptifs.
P. DURNING : Éducation familiale. Acteurs, processus et enjeux. Paris, PUF, 1999, p. 40.
Nous faisons encore référence aux travaux de P. DURNING sur la «reproduction intergénérationnelle et la résilience », sur les «interactions entre données biologiques et influence de l’environnement ». Ibidem p. 152 et suiv.
M. SOULE : Contribution clinique à la compréhension de l’imaginaire des parents. A propos de l’adoption ou le roman de Polybe et Mérobe. Paris, 1968, p. 448.
J. LAPLANCHE et JB. PONTALIS. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, Seuil, 1967, p. 427. Les auteurs désignent le roman familial comme « expression créée par Freud pour désigner des fantasmes par lesquels le sujet modifie imaginairement ses liens avec ses parents (imaginant par exemple qu’il est un enfant trouvé). De tels fantasmes trouvent leur fondement dans le complexe d'Œdipe ». Pour simplifier, disons que ce fantasme permet à l’enfant (à tout enfant) d’avoir quatre parents, deux bien réels et deux imaginaires.
M. BERGER. L’enfant et la souffrance de la séparation (divorce, adoption, placement). Paris, Dunod, 1997, p.50 et suiv.
M. BERGER. Op. cité, p. 51.
P. RICOEUR. Soi-même comme un autre. Paris, Seuil, 1990, p. 46.
D.W. WINNICOTT Jeu et réalité : l’espace potentiel.Paris, Gallimard, 1971, p. 4.
E. MORIN. Introduction à la pensée complexe. Paris, ESF, 1990, p. 73
P. RICOEUR. Op. cité. p. 362.