-1.1.1- Une fonction sociale…

Sans faire un travail ethnologique, nous reprenons, toutes sociétés traditionnelles ou anciennes confondues, ce qui semble distinguer la circulation des enfants de ces sociétés et la nôtre occidentale. En effet, ces deux modes de circulation des enfants semblent s’opposer terme à terme.

  • les motivations des adoptants : l’infécondité ou stérilité des futurs adoptants occidentaux fait écho à la fertilité des autres couples.
  • les finalités de l’adoption : en Occident, l’adoption est pensée principalement comme palliatif à un manque (manque de parents pour un enfant, manque d’enfant pour des parents). En Océanie, il n’est pas question de cela, l’adoption est d’abord une circulation des enfants entre personnes  se reconnaissant un lien de parenté.
  • la place de l’enfant : l’enfant est un bien à faire circuler. L’âge et le sexe importent peu. L’enfant, garçon ou fille, avant d’être né ou même adolescent peut être donné. Dans certaines sociétés, les enfants nés peuvent être échangés dès la naissance selon la notion de substituabilité des enfants.
  • la notion de parentalité : dans les sociétés traditionnelles, on ne peut prendre des enfants pour autant qu’on ait à en donner. La parenté renvoie alors à un  triple mérite : le mérite à faire naître, à partager ses enfants et à élever ceux des autres. Ne peuvent adopter que ceux qui peuvent féconder et donc donner un enfant. L’adoption occidentale ne fait circuler les enfants que dans un seul sens : des géniteurs féconds aux adoptants stériles.
  • relations géniteurs et adoptants : en Europe, ces relations sont inégalitaires et dans l’adoption plénière sont marquées du sceau de la rupture et du secret ; dans les sociétés traditionnelles, les adoptions font lien et continuité dans une relation égalitaire entre donateurs et adoptants.
  • statut des donateurs : si dans l’adoption en Occident les parents donnant leur enfant sont de bas statut social et ont un sentiment de honte, ils sont au contraire couverts d’estime et d’honneurs dans les autres sociétés.
  • les adoptés : dans les sociétés traditionnelles, tous les enfants (sauf les orphelins) peuvent être adoptés, tous les adultes peuvent adopter sauf les personnes et couples stériles.
  • l’apparentement lui-même : à la démarche captatrice occidentale, est opposée la familiarité des donateurs et des récipiendaires. A la dimension très informelle et très fluide des prêts ou dons d’enfants s’opposent la formalité et la rigidité de l’adoption.
  • les termes de l’échange : c’est l’existence d’un dédommagement, soit aux adoptants soit aux géniteurs, qui définit la réalité de la circulation des enfants. Cette circulation des enfants entre dans un échange «don - contre-don ». Il y a, pourrait-on dire, enrichissement mutuel des deux parties. En Occident, cet échange ne fonctionne pas.
  • la parenté : la circulation des enfants se fait en général à l’initiative des adoptants et les géniteurs n’ont guère le choix que de donner leur enfant. Cette offre d’adoption renforce les liens entre les familles, renforce l’obligation de partage qui définit la relation de parenté. « La parenté, comme le note M. JEUDI-BALLINI. 17 est de la généalogie qui se mérite ». Le don implique automatiquement un contre-don, soit des géniteurs envers les adoptants pour avoir nourri leur enfant, soit des adoptants aux géniteurs qui devront leur apporter soutien en cas de besoin. Cette relation de parenté qui permet de se partager un enfant signifie que la parenté n’est pas fondée sur le biologique mais sur les relations construites à partir de ce qui peut être échangé. En Occident, l’adoption rompt les liens entre les familles d’origine et adoptive. Etc…

Ce qui semble alors primer dans cette différence s’articule autour de la notion de don et de contre-don. L’enfant est échangé, il circule comme ‘’objet’’ précieux ayant une fonction sociale, chacun en tire alors un bénéfice, soit matériel, soit symbolique et cet échange crée du lien.

Notes
17.

M. JEUDI-BALLINI.  Naître par le sang, renaître par la nourriture : un aspect de l’adoption en Océanie.S/D A. FINE. Op. cité. pp. 19 - 44