Deuxième partie : L’absence du corps et ses effets possibles dans la filiation adoptive.

-Chapitre 1- Les trois dimensions de la filiation.

Sans prétendre bien sûr parvenir à une généralisation dont la validité serait reconnue quels que soient le lieu et le temps, pouvons-nous donner des éléments qui globalement détermineraient cette notion de filiation ? Nous dirons d’abord qu’un enfant, garçon ou fille, est né de la différenciation sexuée de ses géniteurs, que cette fécondation soit naturelle ou artificielle avec les procréations médicalement assistées 82 . Pour se développer et devenir adulte, cet enfant a besoin de parents et plus précisément d’images parentales ; en termes psychanalytiques, nous parlerons plutôt d’imagos maternel et paternel, c’est-à-dire d’image inconsciente d’une fonction paternelle et maternelle. (permettant les identifications et différenciations). Cette fonction parentale, qui inscrit l’enfant dans une filiation, peut prendre des formes différentes selon les cultures et les structures de la parenté 83 . Nous savons que les combinaisons logiques possibles entre les deux parents et l’enfant sont au nombre de six (matrilinéaire, patrilinéaire, bilinéaire, cognatique, parallèle et croisée) et nous dit F. HÉRITIER 84 «Toutes les combinaisons logiquement possibles… ont été explorées et réalisées par les hommes en société ».

Il nous faut donc distinguer trois axes dans la filiation et nous résumons les différentes dimensions de ces axes dans le tableau suivant.

Tableau 3
  nature du lien qui ? niveau psychologique établissement juridique de la preuve
Axe biologique corporel géniteurs réel par tests génétiques
Axe social institutionnel père et mère symbolique par acte de naissance, par reconnaissance et jugement d’adoption
Axe affectif relationnel parents narcissique par possession d’état

S. LALLEMAND 85 synthétise les trois conceptions anthropologiques de la parenté et leur impact sur la représentation de la circulation des enfants :

1°- celles où les relations «généalogiques (biologiques), affectives et juridiques » sont panachées. Il y a alors complémentarité entre «la substance » de la parenté et «le code », c’est-à-dire entre «consanguinité et système de conduite qui la signifie ». Dans cette conception, «l’adoption est le produit de la négociation entre plusieurs niveaux de fonctionnement de la parenté : elle en constitue un compromis ».

2°- les parentés comprises selon une vision marxiste : « les rapports de parentés sont le produit d’une matière (sa base biologique) transformée par des déterminations économiques, juridico-politiques et idéologiques ». Dans cette optique d’une primauté du biologique, l’adoption apparaît comme «un palliatif à la mise au monde, comme une copie plus ou moins acceptable effectuée au plus près du lien naturel ». Transposée dans notre culture occidentale, cette vision trouve un écho particulier avec la conception de Napoléon Bonaparte pour qui l’adoption devait «singer la nature ».

3°- enfin, le troisième camp où se regroupent ceux pour qui «la parenté par le sang n’est que le prétexte ténu de liens sociaux à nouer..... la parenté est alors un système symbolique qui non seulement ne coïncide pas avec les faits de consanguinité, mais qui peut même, à son gré, leur assigner une place ou non ». Dans cette conception, c’est le système symbolique qui détermine la place du biologique. « La mobilité enfantine y apparaît comme lieu d’échanges entre partenaires sociaux, mode de communication entre individus, forme de don ». Cette classification traditionnelle n’exclut pas cependant, écrit S. LALLEMAND, d’autres types de parenté combinant ces trois approches. Par exemple celles où la dimension biologique de la filiation est fortement mise en valeur alors que l’adoption y est pratiquement inexistante.

Ainsi, nous allons opérer un rétrécissement pour nous intéresser au système de filiation occidentale ; comme nous l’avons déjà signalé, nous aurons ce même rétrécissement qui conduira à ne nous pencher que sur notre système d’adoption. La structure du lien de filiation, telle qu’elle est instituée dans un temps et un lieu donnés, induit le fait de l’adoption. Sans aller plus loin dans l’analyse, puisque ce n’est pas l’objet, signalons néanmoins que les pratiques en matière d’adoption ne restent pas à l’intérieur de leurs frontières culturelles mais par l’adoption internationale peuvent être transférées dans d’autres cultures où précisément les constructions généalogiques et donc les liens adoptifs peuvent être différents.

Nous développerons dans cette partie une approche théorique du concept de filiation. Ce détour nous semble nécessaire pour appréhender les articulations des trois axes que nous avons repérés et surtout pour comprendre leur articulation singulière dans la filiation adoptive. De plus, ce détour théorique nous permettra de donner sens à la notion d’apparentement, à partir du concept de représentation. Précisons chacun de ces axes.

Notes
82.

Cette donnée fondatrice est bien sûr mise en cause par le clonage.

83.

Nous faisons référence aux travaux d’ethnologie qui étudient les différentes structures de la parenté : celles de C.LEVI-STRAUSS, de S.LALLEMAND, de F. HERITIER notamment.

84.

F. HERITIER. L’exercice de la parenté. Paris, Odile Jacob, 1996, p. 54.

85.

1 S. LALLEMAND.  La circulation des enfants en société traditionnelle.Paris, l’Harmattan, 1993, p. 32 et suiv.