-1.1.2- Qui est père ?

« Pater incertus est ». Le père est (serait ?) toujours incertain ? Est géniteur celui qui a eu une relation fécondante avec la mère, ou dont le sperme a fécondé la mère. Cette incertitude de l’axe biologique paternel a conduit, pour structurer la société et garantir la paix sociale, à instituer juridiquement le père dans sa dimension biologique : la loi, dans la filiation légitime, dit que le père de l’enfant est le mari de la mère 88 . Cette présomption de paternité, qui présuppose la dimension biologique mais ne l’établit pas, peut être contestée par le mari 89 et également par la mère 90 . Il en est de même pour la filiation en dehors du mariage : est père celui qui reconnaît l’enfant 91 . La dimension biologique peut donc être absente. Cette reconnaissance pourra être contestée, soit par la mère, soit par celui qui se prétend père et également dans certaines conditions par l’enfant. Les tests génétiques établiront la ‘’vérité biologique’’. De 92 à 95, le nombre d’actions en recherche de paternité naturelle intentées devant les tribunaux de grande instance est passé de 474 à 698. Actuellement en France, cette vérité biologique est soumise à décision judiciaire. En Allemagne, ces analyses sont possibles sans aucun contrôle : tout homme peut se rendre dans un laboratoire pour faire vérifier s’il est bien le père de ses enfants. Enfin, il peut y avoir des actions en recherche de paternité et de maternité 92 .

Que pouvons-nous conclure de cet axe biologique de la filiation ? Disons que l’axe biologique (et non génétique) de la maternité est fondé sur l’accouchement, celui de la paternité par la loi. Aujourd’hui, les potentialités médicales (procréations, tests...) tendent à donner à cet axe biologique (génétique) une place qu’il n’avait pas jusqu’alors dans la filiation. Si la maternité ne semble pas poser de problème dans sa reconnaissance, il en va autrement de la paternité fondée de manière contradictoire tantôt sur les liens du sang tantôt sur le lien social. Cette manière contradictoire semble avoir pour effet de fragiliser la filiation de l’enfant qui peut être amené à en changer au gré des inclinations amoureuses successives de ses parents 93 . M. LABORDE-BARBANEGRE souligne l’incompatibilité «entre les deux options qui parcourent alternativement ou conjointement le droit de la filiation :

Paradoxalement, au regard de la filiation légitime et naturelle, le Droit voit sa fonction normative diminuer au profit d’une fonction de gestion des conflits individuels ; seules seraient inattaquables la filiation adoptive conçue comme construction sociale (le jugement d’adoption plénière est irrévocable) et la filiation par procréations médicalement assistées avec donneur comme filiation basée sur le biologique. (Le conjoint, ayant donné son accord pour un donneur, ne peut contester sa paternité). La référence du droit reste normative soit quand la filiation est complètement ‘’déconnectée’’ de sa dimension biologique (l’adoption), soit quand cette filiation ‘’est réduite’’ à cette dimension biologique. Retenons que, pour réelle qu’elle soit dans les corps, la dimension biologique de la filiation doit passer par le Droit pour s’inscrire dans la réalité et y être reconnue. Ce réel corporel de la fécondité est fondateur de «la pensée de la différence » 95  .

Notes
88.

Art 312 du CC : « L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari  »

89.

Art: 316 du CC : « Le mari doit former l’action en désaveu .... ».

90.

Art: 318 du CC : « .....la mère pourra contester la paternité du mari........ ».

91.

Art: 334- du CC : « La filiation naturelle est légalement établie par reconnaissance volontaire ».

92.

Art 340 et 341 du CC.

93.

A. FINE. Adoptions. Ethnologies des parentés choisies. Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p.10.

94.

M. LABORDE-BARBANEGRE.  La filiation en question. Ibidem. S/D de A. FINE. pp. 177-204.

95.

F. HERITIER. Masculin, féminin. La pensée de la différence. Paris, Odile Jacob, 1996.