-1.2.1- Narcissisme et développement.

L’enfant dans le ventre de sa mère vit dans un bonheur complet, «élationnel » 101 . L’enfant et son monde (sa mère) ne sont pas séparés, non seulement ils ne font qu’un, mais l’enfant est son monde : il est dieu, absolument autonome, tout puissant et immortel, il est. Ce paradis imaginaire sera ce modèle que l’enfant inconsciemment cherchera à retrouver, à revivre. Cette période de grossesse est aussi pour la mère vécue, psychiquement, comme fusionnelle : elle porte un enfant en elle et en même temps elle «est » son enfant. L’enfant et elle ne font qu’un et déjà l’enfant prend de la place, bouge, accède pourrait-on dire à une réalité ressentie par sa mère comme indépendante d’elle-même. Cette mère vit sa grossesse en référence aussi à ce qu’imaginairement elle a vécu dans la relation symbiotique fœtale avec sa propre mère. Cette relation du corps de l’enfant au corps de sa mère et du corps de la mère à celui de son enfant est narcissique en ce qu’elle vient rappeler imaginairement la relation élationnelle. L’accouchement vient physiquement les séparer. L’enfant naît, c’est-à-dire qu’il n’est plus comme avant. Son développement est assuré en interaction permanente avec sa mère et plus généralement l’entourage maternant. Cette interaction narcissique avec «double feed-back dans le système dyadique mère-enfant » 102 va permettre que se constituent des modèles de comportement chez le bébé. Ces modèles, s’ils sont réussis, c’est-à-dire «suffisamment bons » pour chacun, comme dirait DW. WINNICOTT,, deviennent les préférés et les précurseurs de modèles cognitifs ultérieurs. Ce processus est décrit par J. COSNIER. sous le terme d’  «épigenèse interactionnelle » 103 comme «principe d’auto-organisation qui dirige le développement de l’embryon puis de l’enfant ».

Acteurs dans cette interaction, se reconnaissant dans leur enfant, se reconnaissant dans son image, les parents vont confirmer leur enfant dans son état de narcissisme premier en essayant de lui maintenir les conditions du milieu qu’il vient de quitter 104 . L’enfant retrouve avec ses parents un semblant de paradis perdu dont il cherchera à combler le manque. En référence à ce qu’ils ont vécu imaginairement avec leur mère, les parents retrouvent dans leur enfant une image d’eux-mêmes (enfant fait à leur image) et se trouvent ainsi également confirmés dans leur amour d’eux-mêmes. Il y a narcissisme dans cette relation parents-enfant, dans la confirmation réciproque de l’amour de soi-même. Mais ce prolongement de la vie élationnelle est un leurre ; très rapidement les frustrations arrivent, l’enfant grandit et se développe à travers différents stades qui lui permettront de retrouver partiellement une forme d’autarcie (où il se suffisait à lui-même), la reconnaissance de l’autre et la plénitude. Cette plénitude est propre à lui assurer l’amour de lui-même à l’image de ce qu’il garde inconsciemment et imaginairement comme rapport à sa vie fœtale. L’enfant doit alors passer d’une sorte de béatitude complète (étant lui-même source de sa satisfaction) à une position où peu à peu sa satisfaction viendra de l’extérieur, d’abord de sa mère dont il sera séparé, de ses parents puis d’ ‘’objets’’ extérieurs à eux. L’enfant devra réorganiser son économie pulsionnelle sur un mode narcissique. Ses pulsions, en réponse à un manque, un besoin lui permettront dans un mouvement narcissique de trouver les réponses satisfaisantes lui confirmant une bonne image de lui-même et lui procurant du plaisir.

Notes
101.

Elationnel: terme de B. GRUNBERGER que O. OZOUX TEFFAINE.définit comme « un état privilégié, un moment d’exaltation réciproque qui marquerait les premiers instants de la vie psychique de l’enfant au sein de sa mère » (in Adoption tardive. Paris, Stock, 1987, p. 123).

102.

D. ANZIEU. Le Moi Peau. Paris, Dunod, 1985, p.54.

103.

J.COSNIER. Nouvelles clefs pour la psychologie. Lyon, PUF, 1984, p.150.

104.

Cela est symbolisé par ce que B.GRUNBERGER appelle le « mythe de l’enfant Jésus » qui chaque année vient rappeler que le monde entier adore l’enfant, est à ses genoux ; l’enfant est dieu; et à Noël les cadeaux offerts et reçus rappellent que chacun est encore un peu enfant. Le Narcissisme. Essai de psychanalyse. Paris, Payot, 1993.