-1.2.2- Le désir : le rapport au manque et le rapport au plein.

Le désir comme rapport au manque et à l’incomplétude s’inscrit dans la conception platonicienne du Banquet ; dans cette filiation conceptuelle, s’inscriront le freudisme et le christianisme.

J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS soulignent d’emblée que le désir dans la doctrine freudienne est une «des notions trop fondamentales pour pouvoir être cernée » 105 . Pour néanmoins l’approcher, nous reprendrons ce que rapportent LAPLANCHE et PONTALIS de la conception de J. LACAN 106 . «Le désir naît de l’écart entre le besoin et la demande ; il est irréductible au besoin, car il n’est pas dans son principe relation à un objet réel, indépendant du sujet, mais au fantasme ; il est irréductible à la demande, en tant qu’il cherche à s’imposer sans tenir compte du langage et de l’inconscient de l’autre, et exige d’être reconnu absolument par lui. ». Le désir est, absolument, le rapport au manque de nature narcissique. Ainsi en est-il du désir d’enfant. Il est ou il n’est pas. Inconscient, il s’origine dans le ça et ne connaît donc pas les contraintes du sur-moi. Ce désir d’enfant est narcissique en ce qu’il est uniquement tourné sur ‘’soi’’, c’est-à-dire sans relation objectale.

C’est dans cette perspective freudienne que F. IMBERT 107 rappelle l’étymologie du terme ‘’désir’’ qui vient de «de-sidus, de de-sideratus ». « Sidus, c’est l’astre dont la plénitude fascine, l’astre image de perfection. Sideratus : être frappé de paralysie ». Le de-sideratus s’entend alors comme l’arrachement à la fascination, la séparation du Un tout narcissique, la perte et le deuil de l’image idéale. Le désir ouvre la perspective du manque, de l’impossible complétude. Le désir suppose une coupure, une frustration ou une castration.

G. SÉVERIN 108  conjuguant précisément freudisme et christianisme compare ce «manque » à la «case vide du jeu de pousse-pousse ». Ce vide est infiniment présent puisque infiniment reproduit par le déplacement des cases pleines. Ce déplacement des cases n’est d’ailleurs possible que par cette case vide grâce à laquelle le joueur peut effectivement jouer, c’est-à-dire construire un ensemble signifiant de chiffres ou de lettres. C’est le manque qui permet le jeu, qui permet la mise en signification et qui devient alors l’enjeu. C’est le vide qui compte, sans lequel les autres cases, ‘’indéplaçables’’, resteraient dans le chaos. La sortie du chaos, du tout narcissique suppose le vide, le manque. C’est le vide qui permet le sens.

L’autre conception du désir est celle qui le retient au contraire comme plénitude, comme force créatrice. Le désir n’est plus un manque mais un plein de… «comme la saisie de notre propre essence qui est désir créateur » 109 .

Il nous faudrait donc opérer une rupture avec le sens commun du terme de désir, généralement employé pour désigner précisément l’inverse de ce qu’il signifierait. Dans les écrits analytiques cependant, le terme de désir signifie autant la sidération que la «dé-sidération ». Nous l’emploierons donc avec cette connotation de sidération, c’est-à-dire toujours attachée à l’imaginaire de la complétude narcissique, mais dont nous savons qu’elle est déjà désidérée, c’est-à-dire en rapport avec le manque. Le désir est alors référé à la complétude fantasmée du narcissisme, et au manque, au vide, à l’écart né de l’impossible à le combler. Ce faisant, ce rapport au manque, au réel du manque suppose d’une part que ce manque soit réel, fantasmatiquement et d’autre part qu’il rencontre l’autre, la réalité de l’autre pour tenter illusoirement d’être comblé. La rencontre de l’autre se construit dans la relation d’objet.

Notes
105.

J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Op. cité. p.120.

106.

J. LAPLANCHE et JB.PONTAL. Ibidem p. 121-122.

107.

F. IMBERT.  Médiations, institutions et loi dans la classe. Paris, ESF, 1994, p. 19.

108.

G. SEVERIN. Préface de L’évangile au risque de la psychanalyse de F. DOLTO. Paris, Seuil, 1982, Tome 2, p. 7 et suiv.

109.

J. RUSS. La pensée éthique contemporaine. Paris, PUF, p. 42. Nous reprendrons cette conception du désir quand nous étudierons l’apparentement dans sa dimension éthique.