Cette construction de l’objet par l’enfant passe par différentes étapes de son développement. Nous allons voir ces étapes d’abord dans le passage de l’auto-érotisme à l’amour d’objet, ensuite en reprenant les différents stades de développement de l’enfant.
Nous avons décrit le narcissisme secondaire comme «un retournement sur le moi de la libido, retirée de ses investissements objectaux ». Ce narcissisme, conjugué au premier, va structurer l’économie du sujet de manière permanente : seront alliés les investissements d’objet et les investissements du moi 110 . Ces deux sortes d’investissements continueront de coexister. Ainsi, le développement de l’enfant va se structurer autour de cette relation d’objet 111 , définie «comme le mode de relation du sujet avec son monde » 112 . Cette relation d’objet «est une notion englobante et typifiante de l’évolution de la personnalité : elle tend à remplacer la notion de stade qui a une connotation trop linéaire » 113 . Au contraire, chez le sujet se combinent et alternent plusieurs relations d’objets distinguées en fonction de la zone érogène source des pulsions sexuelles et donc de plaisir. M. BOUVET distingue 114 trois types essentiels de relations d’objet :
-La relation d’objet de type oral (les premiers mois de la vie) : premier stade de développement qui permet à l’enfant l’expérience d’une première relation à un objet extérieur à lui : le sein maternel, ou ce qui le représente. L’enfant «incorpore » l’objet, il le fait sien. Ce faisant, il n’y a pas encore de relation construite à l’objet comme sujet séparé.
-La relation d’objet de type sadique-anal 115 (entre 1 et 3 ans) est celle où l’enfant peut trouver du plaisir seul, indépendamment de sa mère ; l’enfant «s’installe à son compte » 116 . L’enfant retrouve partiellement l’autonomie paradisiaque vécue antérieurement ; l’objet excrémentiel est à la fois une partie de lui-même (narcissique) et objet extérieur à lui. Il y a construction d’une relation à l’objet sur le mode du contrôle ; l’enfant prend peu à peu en compte la réalité, y compris par la motricité.
Ces deux types sont qualifiés par M. BOUVET de pré-génitaux.
-La relation d’objet de type génital (à partir de la 3° année) est le stade où l’enfant va progressivement faire la distinction entre garçon et fille. L’enfant passe d’un auto-érotisme à une sexualité reconnaissant la différence des sexes. Ce stade ouvre l’accès à l’amour génital entre un homme et une femme, après la période de puberté. Ce développement permettra au sujet de reconnaître l’autre comme autre sujet, autre sujet ayant également des désirs, sujet qui peut aussi devenir objet d’amour (ou de haine) en référence à l’image de soi-même. Dans cet amour, l’homme et la femme se confirment aussi mutuellement leur amour de soi, retrouvant dans leur union la complétude narcissique. Le désir d’enfant est pour eux continuation de cette complétude, prolongement d’eux-mêmes, de leur amour et de leur union.
Bien sûr, comme nous l’avons souligné quant au narcissisme, ces différentes relations d’objet ne se succèdent pas, mais se chevauchent sans jamais disparaître, et se perpétuent tout au long de la vie du sujet. Elles vont permettre la mise en place de la négociation entre le principe de plaisir et le principe de réalité, c’est-à-dire la satisfaction du désir dans la réalité. Hors de la toute puissance et de l’absolu narcissique, l’enfant ‘’se coltine’’ la réalité qui, en même temps, impose ses limites et permet au désir de se réaliser. Et dans cette négociation, le fonctionnement mis en place pendant les différentes phases de développement, pour satisfaire la pulsion va devenir prévalent et va devenir un véritable prototype : toutes les activités du sujet peuvent être imprégnées de significations orales, anales, et génitales. Les modèles de relation objectale vont se retrouver «comme signification ou fantasme prévalent au sein de toutes les relations du sujet au monde » 117 , avec, pourrait-on dire, dans des formes caricaturées du rapport «sujet-objet », la prévalence de tel ou tel type de relation.
Ainsi, dans la relation d’objet, «le sujet essaie d’établir une sorte de compromis entre son monde intérieur et la réalité extérieure intériorisée de manière à satisfaire le plus possible les pulsions en évitant les angoisses qui résulteraient d’un conflit entre ces pulsions et les forces inhibitrices du sur-moi 119 . » Ce conflit est géré par le moi ; le résultat de ce compromis devant être en harmonie avec la réalité extérieure. Précisons que la réalité extérieure est intériorisée sur le modèle propre à chacun par projection. Ce mécanisme transforme plus ou moins la réalité extérieure en un univers particulier en rapport avec le type de relation d’objet qu’a construit le sujet.
La théorie de FREUD est celle-là : il y a vase communiquant entre les deux investissements, avec un système en U faisant baisser le niveau de l’un pour faire monter le niveau de l’autre. Pour Freud, l’investissement d’objet fait baisser celui du moi qui en retour sera re-élevé par l’investissement mis sur le moi par l’objet. Ex : la douleur recentre sur soi l’énergie et diminue la relation d’objet ; il n’y a pas d’amour où il y a mal de dent. Inversement, l’amour de l’objet fait oublier le moi : il n’y a pas de douleur où il y a amour passionnel. Cette théorie est contestée par H. KOHUT. (La rage narcissique in Le Narcissisme, Paris, Sand, 1985, pp. 269-289). Pour lui, les exemples ne montrent qu’une distribution autre de l’investissement d’attention. Au contraire, « l’estime de soi accrue qui accompagne l’amour d’objet démontre la relation qui existe entre les deux formes d’investissement libidinal » (p. 272).
Stricto sensu, « la relation objectale » qualifie la relation avec les premiers objets, c’est-à-dire les objets parentaux ; « la relation d’objet » celle avec le monde en général.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Op. cité p. 404.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem p. 404.
M. BOUVET. La relation d’objet. Paris, Payot, 1967, p. 169.
Sadique-anal : « l’érotisme anal est lié à l’évacuation, la pulsion sadique à la destruction de l’objet » Il y a expulsion, rétention, maîtrise. Le sadisme étant caractérisé par la volonté de « détruire l’objet et de la maintenir en le maîtrisant ». (Vocabulaire de la psychanalyse p. 461).
B. GRUNBERGER: Op. cité. p. 174.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Op. cité. p.404.
M. BOUVET. Op. cité. p. 170.
M. BOUVET. Ibidem p.170.