Le narcissisme n’est donc pas un stade de développement, il est un compagnon qui permet de réinvestir dans le moi les pulsions, et cela dans les limites de la réalité. Ce mouvement, cette liaison donne au sujet la confirmation de sa propre valeur dans le plaisir trouvé à la satisfaction du besoin et dans le sentiment de l’avoir bien mérité. Dans la relation mère-enfant, il offre à chacun la confirmation de l’amour réciproque comme partie de soi-même. Aux parents, il est là comme leur permettant de retrouver leur image dans celle de leur enfant. Cette dimension particulière de la relation d’objet est appelée «choix d’objet, comme acte d’élire une personne ou un type de personne comme objet d’amour ». Deux types de choix d’objet sont généralement identifiés 120 :
Dans les deux premiers cas (selon ce que l’on est soi-même et selon ce qu’on a été), «il s’agit d’un choix d’objet semblable à la personne propre du sujet, mais il convient de souligner, d’une part que ce qui sert de modèle pour le choix est une image ou un idéal et d’autre part que la ressemblance de l’objet élu au modèle peut être tout à fait partielle, réduite à quelques signes privilégiés » 122 . Parlant du référent «la personne qui a été une partie de la personne propre », «Freud vise l’amour narcissique que la mère porte à son enfant qui jadis a été une partie de sa personne propre » 123 . La rubrique «ce que l’on voudrait être » fait référence à l’idéal du moi dont le concept pour Freud «est étroitement lié à l’élaboration progressive de la notion de sur-moi » 124 . Il convient néanmoins de préciser la signification généralement admise des formations que sont le ‘’Moi idéal’’, l’idéal du Moi’’ et le ‘’Sur-Moi » 125 . Le Moi idéal est défini comme 126 «un idéal de toute puissance narcissique forgé sur le modèle du narcissisme infantile ». Notons que cette toute-puissance narcissique vient imaginairement s’opposer à la toute puissance de l’autre. Le sur-moi est héritier du complexe d’Oedipe, il se constitue par l’intériorisation des interdits parentaux et par la socialisation avec ses valeurs, ses codes... Cette intériorisation permet à l’enfant «en renonçant à la satisfaction de ses désirs œdipiens frappés d’interdit, de transformer son investissement sur les parents en identification aux parents » 127 . L’idéal du Moi est défini comme «instance de la personnalité résultant de la convergence du narcissisme et de l’identification aux parents, à leurs idéaux et aux idéaux collectifs » 128 . Nous retrouvons dans l’idéal du Moi la dimension narcissique du Moi idéal avec ses tentatives de récupération de la toute puissance perdue. Le sur-moi tend, lui, à promouvoir la réalité. Et c’est à cet idéal du moi que le Moi va se mesurer pour apprécier son estime de soi. « Ce qu’il (le sujet) projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps-là, il était lui-même son propre idéal. » 129 . Nous retrouvons cet aspect du narcissisme dans l’écrit de Freud quand il parle de l’amour des parents pour leur enfant : « Le point le plus épineux du système narcissique, cette immortalité du Moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sûr en se réfugiant chez l’enfant. L’amour des parents, si touchant et au fond, si enfantin, n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa métamorphose en amour d’objet, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne nature » 130 .Y sont mêlés le narcissisme primaire (auquel se rattache le Moi Idéal) et l’amour d’objet. Nous pouvons supposer des intensités différentes de chaque palier en fonction des parents, des enfants, de l’environnement... C’est cette même dimension qui est pointée par P. BOURDIER: « Le problème est ici posé de la signification de l’enfant pour ses géniteurs, son rôle dans leur économie. Il est l’objet d’un double investissement libidinal, objectal et narcissique. Le premier est sans réserve ni garantie, mouvement de dépossession, amour pur ; l’autre est un véritable pari, placement sur l’avenir, proportionnel à la mégalomanie 131 résiduelle de l’adulte » 132 .
Ainsi, c’est une véritable conjugaison des investissements qui s’opère chez les parents dans leur amour à l’enfant, entre narcissisme et relation objectale, et donc plus précisément entre narcissisme et choix d’objet. B. GRUNBERGER définit l’état de maturité comme «l’objectalisation du narcissisme ou la narcissisation de la relation d’objet » 133 .
Nous reprenons la distinction faite par Freud et rappelée par A. EIGUER. Ce dernier ajoute une 3° modalité, « le choix d’objet oedipien », qui se construit en référence à l’interdit et à l’identification du conflit oedipien. In Un divan pour la famille. Paris, Centurion, 1983, p. 32. B. GRUNBERGER introduit également cette 3° modalité.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Op ; cité p. 66.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem p.65.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Op. cité. p. 65.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem p. 184.
J. CHASSEGUET-SMIRGUEL précise: « Quand Freud introduit le Sur-Moi dans la seconde topique, on sait qu’il le confond avec l’idéal du Moi » in Le narcissisme. Op. cité, p. 172.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem, p.255.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem, p. 472.
J. LAPLANCHE et JB.PONTALIS. Ibidem, p.184.
S. FREUD. Pour introduire le narcissisme pp. 29-51 in Le Narcissisme. Op. cité.
S. FREUD. Ibidem p.43.
Mégalomanie liée au narcissisme primaire.
P. BOURDIER. Blessure narcissique et castration. pp. 125-145 ; in Le narcissisme. Op. cité.
B. GRUNBERGER. Le Narcissisme. Essai de psychanalyse.Op. cité. p.112.