-1.3.3- La représentation de l’enfant comme inscription dans l’ordre symbolique.

Qu’est-ce qu’un symbole ? C’est une fonction qui sépare et relie en même temps. Qui sépare ce qui était fusion, symbiose, qui opère des distinctions. Et qui relie des sujets dans un pacte . C’est ce qui représente aussi, c’est-à-dire qui présente à nouveau et autrement l’absent (réel ou imaginaire). Nous avons vu précédemment que, image (signe) et symbole, la représentation peut être langage, elle peut être signes qui comme le recto verso d’une feuille sont compris dans un rapport signifiant-signifié. Ce rapport de signification passe par un code qui lui-même fait référence à d’autres rapports de signification : ce code conventionnel, culturel permet dans une société donnée la communication et l’échange. Il y a échange symbolique avec des mots qui construisent la réalité en même temps qu’ils la nomment 167 . Pour qu’il puisse y avoir cet échange symbolique, il faut au minimum qu’il y ait reconnaissance commune d’une ressemblance entre la représentation et son référent. Mais cette reconnaissance implique ipso facto celle de ladissemblance, dissemblance entre le référent et sa représentation. Ainsi, quand le sujet parle de quelque chose, il s’insinue un ‘’écart’’ entre ce dont il parle (le référent) et ce qu’il en dit (représentation) 168 .

Reprenant le mythe de Narcisse, P. LEGENDRE rappelle que la représentation permet la reconnaissance de l’autre, en ce qu’elle fait entrer dans le principe de la division. Pour lui, Narcisse meurt de ne s’être pas reconnu dans son image, c’est-à-dire qu’il a cru, dans son image, aimer un autre que lui-même. Comprenons une autre dimension du narcissisme. Narcisse n’a pas reconnu le rôle, la fonction de l’image (de la représentation) qui ne peut se confondre avec son référent. Ce ‘’trop d’enlacement’’, ce trop peu de distance de Narcisse à son image mène à la mort (narcissique), et à la non-reconnaissance de l’autre. Narcisse reste sourd aux appels de la nymphe Écho. Il a confondu le référent et sa représentation et a pris cette représentation pour un autre que lui dont il est tombé amoureux.

Qu’aurait-il fallu pour que Narcisse reconnaisse l’eau, où son image est représentée, comme un miroir, c’est-à-dire dans un rapport spéculaire ? Que l’autre, un troisième, lui dise que cette image représentait son corps ; la condition de sa propre reconnaissance dans l’image spéculaire, c’est le regard de l’autre. Cette reconnaissance du même dans le miroir, dans un second temps, ouvre la voie à la reconnaissance de la différence : l’image ne dit pas tout de son référent 169 . Cette reconnaissance du même, qui aurait peut-être permis à Narcisse d’être attentif aux appels de Écho, est condition de la distanciation, de la reconnaissance de soi autre que l’image.

La représentation permet alors d’opérer la séparation d’avec les sentiments inconscients narcissiques (toute puissance et fantasme du même). Elle permet de passer du même (narcissique) au semblable ; elle permet de passer du clone à l’autre. Instituant cet écart, la représentation équivaut à une perte qu’elle rappelle et aide à supporter. Pour que l’enfant puisse se séparer de sa mère, il faut qu’il puisse intérioriser son absence 170 : ce sera d’abord la bobine, c’est-à-dire une représentation objectivée puis le langage comme représentation purement symbolique. Cette représentation va permettre à l’enfant de se séparer de sa mère (de sortir de la fusion narcissique), et donc d’en perdre une partie (perte nécessaire à sa structuration subjective) pour la retrouver autrement, symboliquement.

Notes
167.

Par exemple: les termes ‘’bois, forêt, taillis, bosquet’’ renvoient à des représentations différentes de « quelque chose qui existe », représentations permettant à peu près de se mettre d’accord sur la signification de ce dont on est en train de parler.

168.

Il peut s’insinuer également un écart entre le même signifiant utilisé par 2 personnes et les signifiés auxquels ces personnes font référence.

169.

J. ROBIN.  Malaise dans la civilisation ou les défaillances de l’organisme. In Les représentations dans les institutions sociales et médico-sociales. Lyon, SCOPEDIT, 2000, p. 64. « A partir du moment où, d’abord, l’enfant s’est identifié à l’image qu’il a rencontrée dans le miroir…. et où ensuite il a eu confirmation par l’Autre que cette image était bien son image, alors, et seulement alors, l’enfant va pouvoir se séparer de cette image, en sachant que cette image est une image de son corps, mais que lui ne se résume pas à cette image ».

170.

Il est fait référence ici à l’exemple freudien de l’enfant jouant à faire disparaître une bobine et prononçant les interjections ‘’parti! Là!’’