Nous avons vu que mère et enfant vivent la période de grossesse comme élationnelle. L’un est partie de l’autre et réciproquement ; l’un est l’image de l’autre. C’est la complétude narcissique qui porte en elle-même des sentiments de toute-puissance, d’autonomie et d’immortalité. Cette complétude restera ce modèle imaginaire que l’enfant tentera de restaurer et de retrouver. Toute atteinte à ces sentiments est une blessure narcissique, dans l’impossibilité de procréation. L’impossible dit l’absence de pouvoir. La toute-puissance est atteinte par l’impossibilité à avoir un enfant ; l’autonomie est restreinte par la nécessité de demander un enfant à un tiers; enfin l’immortalité trouve sa limite dans la rupture de la généalogie.
Dans l’étude des 194 dossiers 171 des couples ayant un agrément-adoption, nous avons repéré trois motifs de projet d’adoption, à partir des écrits des postulants et des comptes-rendus sociaux et psychologiques. Ainsi, pour 77% de ces dossiers, l’impossibilité ou difficulté pour le couple à avoir «naturellement » un enfant vient fonder son projet d’adoption.
Les 26 entretiens réalisés donnent les proportions suivantes 172 :
Pour 77 % des adoptants dont les dossiers ont été étudiés, et pour 80% des demandeurs rencontrés en entretiens, il y a là à opérer un véritable renoncement 173 . A contrario, les autres couples ou personnes, projetant une adoption pour d’autres motifs, ne seraient pas dans cette dynamique.
Il apparaît cependant qu’une distinction soit nécessaire à construire dans la catégorie des couples inféconds. Certains semblent avoir accepté assez sereinement cette impossibilité ou interdiction 174 ; d’autres la vivent comme une véritable stérilité.
Monsieur et Madame LAURENT 175 n’ont pas d’explication sur l’infécondité de leur couple «c’est le point d’interrogation ». Ils ont suivi un parcours médicalisé ; plusieurs FIV ont été tentées. Ce suivi médical est qualifié de «assez difficile… très dur à vivre…. Quelque chose d’horrible ».
Écoutons Monsieur et Madame GUILLOT 176 ; ils ne savent pas pourquoi ils sont inféconds. « Ils ne donnent pas d’explication et on a tout essayé » explique Madame. Le couple dit sa difficulté à parler de leur projet d’adoption avec leurs familles. « Oui, dit Madame, parce que la famille, ils ont peur de remuer le couteau dans la plaie »
Finalement, le couple prendra en considération l’interdiction médicale d’une quatrième FIV : « Le gynécologue me l’avait vivement déconseillée », dit Madame. « à la première FIV ? j’ai fini avec une pleurésie et quinze jours à l’hôpital… et la troisième ; j’ai refait un début de pleurésie ». Monsieur conclut : « Il ne faut pas tenter le diable ».
Monsieur et Madame CHAPUIS 177 ont également suivi un protocole médical d’aide à la procréation, «ils (les traitements médicaux) étaient assez durs à supporter, physiquement pour moi, dit Madame, et psychologiquement pour les deux ».
Écoutons encore le couple VERNE 178 :
De la même manière, il apparaît nécessaire de distinguer au regard du contenu des entretiens ceux, parmi les couples stériles, qui ont opéré un renoncement à toute procréation (ou du moins qui aujourd’hui s’y montrent sereins) et ceux pour lesquels ce renoncement ne semble pas encore accepté, laissant la souffrance d’une blessure.
Monsieur et Madame THOMAS 179 parlent de leur première adoption comme d’un pis-aller ; la dénégation est employée quand il s’agit pour eux de dire leurs sentiments ; mais finalement Madame dira toute sa colère et sa révolte devant ce qu’elle n’a pas encore accepté.
C’est un peu la même problématique qui semble en action pour le couple VINCENT 180 rencontré.
Inversement, Monsieur et Madame PERRET 181 apparaissent comme sereins devant la stérilité de Madame qui parle du «choix » qui a été le leur :
Ainsi, il nous semble cette blessure narcissique aurait une intensité différente selon le degré d’impossibilité à avoir naturellement un enfant. La notion de stérilité induit l’impossibilité ‘’absolue’’; l’infécondité renvoyant à une impossibilité relative. Au regard de cette distinction, il convient également de prendre en considération le rapport personnel et individuel de chacun des adoptants et de chaque couple quant à cette réalité. Les sentiments éprouvés par les adoptants, c’est-à-dire leur rapport à leur réalité, disent, au-delà de la situation médicale, la dynamique du projet d’adoption, les représentations en action.
Annexe n° 4. p. 22. « Etude sur agrément adoption ».
Annexe n° 11. p. 394 : « Entretiens : lecture des données ».
Nous parlerons d’infécondité primaire ou secondaire d’un couple quand médicalement aucun diagnostic de stérilité n’a été posé pour l’un ou l’autre des conjoints. La stérilité, diagnostiquée médicalement depuis au moins cinq ans, rend impossible toute procréation ; elle a pu motiver des procréations médicalement assistées avec donneur ; enfin les motifs autres regroupent les situations de grossesse à risque, les motifs de projet énoncés comme en lien avec l’âge des postulants, les motivations humanitaires et la volonté affirmée d’adopter un enfant de sexe déterminé.
Si l’impossibilité renvoie au narcissisme ; l’interdiction renvoie à l’institution et donc au symbolique, au tiers. Nous reprendrons cela ultérieurement.
E. 9, p. 163.
E 10, p. 176.
E 13, p.218.
E 24, p.347.
E 22, p.328.
E 25, p.361.
E 1, p.56.