-2.1.2- La blessure du lien de filiation de corps à corps.

A cette blessure de n’avoir pas d’enfant s’ajoute pour la femme qui ne peut être enceinte la privation d’un état imaginaire (narcissique) où elle pourrait aussi être son enfant, comme sa mère était elle-même. J. GUYOTATsouligne : « La grossesse est une façon de retrouver la mère, mais la mère imaginaire... » 182 . La question est donc de savoir en quoi cette absence de grossesse vécue physiquement et fantasmatiquement peut être mise en relation avec la dimension narcissique.

J. GUYOTAT a construit le concept de «filiation de corps à corps » auquel nous allons nous référer. Pour lui 183 , «il existe une filiation originaire qui est celle du corps de la mère au corps de l’enfant : binôme fondamental, sur lequel se construit le binôme psyché-soma. figure de la relation d’une partie du corps à une autre......relation de produit du corps à produit du corps ». En partant toujours de la fusion narcissique mère-enfant, J. GUYOTAT construit donc ce concept en mêlant au lien narcissique, la filiation de sang. Le sang y est pris dans une acception large, comme «produit du corps » et signifie autant ce qui est véhiculé sous le mot ‘’sang‘’ que, par analogie, ce qui relève de la génétique. Et ce ne sont pas les éléments physiques qui ont, en soi, un sens, mais «ces produits gardent leur signification de lien de corps à corps, de produit du corps à produit du corps. Dans la vision qu’a l’inconscient d’un individu de ce lien, persiste plus ou moins connoté par la superstructure langagière, ce lien originaire de corps à corps » 184 . Nous retrouvons cette notion de lien dans le concept du Moi Peau  de D. ANZIEU 185 . Nous comprenons également cette notion de sang  comme « humeur du corps » selon l’expression de F. HÉRITIER 186 .

Ainsi, «le concept de filiation de corps à corps est une construction qui va se baser sur la mise en relation de proximité et de similitude entre des évènements corporels » 187 . Et l’auteur théorise les cas cliniques présentés en écrivant : « L’enfant est au corps d’un autre (la mère) ce qu’une partie du corps est à une autre partie du corps. Dans cette perspective, la répétition d’atteintes de différentes parties du corps surtout celle de l’appareil génital, renforce au niveau de l’inconscient du patient, un lien de filiation narcissique ». Ainsi, toute atteinte de l’appareil génital (de l’appareil qui ‘’donne corps’’), inconsciemment et imaginairement, résonnera comme une atteinte à la relation du corps du sujet au corps de sa mère.

J. GUYOTAT reprend cette thèse en écrivant 188 « La filiation de corps à corps se manifeste dans l’importance donnée par le sujet aux ressemblances physiques ou celles de marques corporelles.entre générations. C’est un lien de ressemblance passant par le corps ». Le sujet aura donc tendance à majorer cette relation de « corps à corps » entre lui et son enfant en réparation de la blessure subie dans une partie de son corps et éprouvée comme blessure d’une relation à sa mère. Il faut signaler que J. GUYOTAT emploie le terme « patient » au sens large, c’est-à-dire non-associé automatiquement et exclusivement à la maladie mentale. Il est aussi question de « situations de pratique non psychiatrique qui peuvent être interprétées comme des ruptures de filiation: IVG, contraception, stérilité... ».

Notes
182.

J. GUYOTAT. Mort, naissance et filiation Paris, Masson, 1980, p.37.

183.

J. GUYOTAT. Op. cité. p. 80.

184.

J. GUYOTAT. Ibidem. p. 80.

185.

Pour D. ANZIEU. Le Moi-Peau est une réalité d’ordre phantasmatique « dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme moi contenant les contenus psychiques à partir de son expérience de la surface du corps ». Il est en ce sens une structure intermédiaire de l’appareil psychique : cette enveloppe psychique prend étayage sur les contacts sensoriels de la mère et son enfant. (relations tactiles, visuelles, auditives...). Ce moi-peau permettant de passer « de l’inclusion mutuelle des psychismes de l’organisation fusionnelle primitive à la différenciation des instances psychiques ». Pour l’auteur, le Moi psychique se construit aussi à partir du Moi-Peau qui lui-même prend étayage sur les contacts de peau à peau entre la mère et son enfant. Op. cité. pp. 38 et suiv.

186.

F.HERITIER . Op. cité. p. 16.

187.

J.GUYOTAT.  Etudes cliniques d’anthropologie psychiatrique. Paris, Masson, 1991, p. 65.

188.

J. GUYOTAT.  Mort, naissance et filiation. Paris, Masson, 1980, p.5.